Boudreau et Québec (Ministère des Transports) |
2007 QCCLP 3818 |
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Dossier 292495-09-0606
[1] Le 26 juin 2006, monsieur Claude Boudreau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 juin 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 mars 2006 et déclare qu’à la suite de la lésion professionnelle du 3 juin 2005, le travailleur est capable d’exercer son emploi à partir du 27 mars 2006, date à laquelle l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre fin.
Dossier 311183-09-0702
[3] Le 19 février 2007, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 8 février 2007 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 25 juillet 2006 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 juin 2006, notamment sous la forme d’une rechute, récidive ou aggravation.
[5] Une audience est tenue à Havre-Saint-Pierre le 4 juin 2007 en présence du travailleur, de sa procureure et de la procureure de l’employeur.
[6] Le tribunal a autorisé l’employeur à produire des autorités après l’audience, avec droit de réplique au travailleur. Ces démarches se sont terminées le 26 juin 2007, date à laquelle le dossier a été pris en délibéré.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 292495-09-0606
[7] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’est pas capable d’exercer son emploi prélésionnel et qu’il a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu.
Dossier 311183-09-0702
[8] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation en date du 8 juin 2006 en lien avec la lésion professionnelle initiale du 3 juin 2005.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Le rapport final du 16 mars 2006 a été produit sans examen du travailleur et à la demande expresse d’une tierce personne. On ne peut donc le considérer valide. En conséquence, en l’absence d’une date de consolidation valable au dossier, le travailleur est présumé incapable d’effectuer les tâches de son emploi en vertu de la présomption prévue à l’article 46 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il a donc droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu et il reviendra à la CSST d’effectuer le suivi du dossier pour obtenir une date de consolidation valide et un rapport d’évaluation médicale en bonne et due forme s’il y a lieu.
[10] Le travailleur n’a pas subi de rechute, récidive ou aggravation le 8 juin 2006 puisqu’à ce moment, la lésion professionnelle initiale du 3 juin 2005 se poursuivait et se chronicisait de sorte qu’il ne peut être question d’une détérioration objective.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur était capable de reprendre son emploi le 27 mars 2006 et s’il a subi une lésion professionnelle le 8 juin 2006 sous la forme d’une rechute, récidive ou aggravation.
[12] L’événement initial dans ce dossier remonte au 3 juin 2005 alors qu’en déménageant une section d’échafauds sur une toiture plate, le travailleur recule et tombe dans un trou pour terminer sa chute environ 9 à 10 pieds plus bas sur un chariot à bagages.
[13] Les pièces T-1 et T-2 montrent le lieu de l’accident et la pièce T-3 permet d’observer l’hématome important au niveau lombaire.
[14] Le jour même, la Dre Mimi Samson diagnostique une fracture du cubitus en distal de même qu’une contusion lombaire importante.
[15] Le 21 juillet 2005, le travailleur est pris en charge par le service de physiothérapie du Centre de santé de la Minganie.
[16] Le 9 décembre 2005, le travailleur rencontre le Dr Patrick Kinnard, orthopédiste, à la demande de l’employeur. Il confirme les diagnostics émis par le médecin qui a charge. Il estime la lésion consolidée le jour même de son examen avec un déficit anatomo-physiologique (DAP) de 3 % pour le poignet droit. Il émet ce qu’il appelle des « restrictions fonctionnelles » à savoir que le travailleur doit pouvoir changer fréquemment de position et éviter de se pencher de manière répétée. Il doit aussi éviter la marche en terrain irrégulier ou accidenté.
[17] Le 12 décembre 2005, la Dre Nancy Griffiths, orthopédiste, diagnostique une contusion L4-L5 et une fracture du cubitus droit, laquelle est consolidée.
[18] Le 15 décembre 2005, le nucléiste Patrice Deslauriers interprète une scintigraphie osseuse comme démontrant l’absence d’anomalie lombo-sacrée.
[19] Le 27 février 2006, la Dre Samson indique la persistance de douleurs lombaires chez le travailleur mais elle prescrit tout de même un retour au travail normal. Elle réfère le travailleur en orthopédie et demande une résonance magnétique lombaire. Elle n’inscrit aucune date de consolidation sur son rapport.
[20] Le 16 mars 2006, la Dre Samson produit un rapport final sur lequel elle consolide la fracture de l’avant-bras et la contusion lombaire le 5 décembre 2005 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[21] Le 8 juin 2006, la Dre Samson produit un premier rapport médical en lien avec la rechute, récidive ou aggravation alléguée à cette date. Elle diagnostique des douleurs lombaires et prescrit un arrêt de travail. Dans un autre rapport du 27 juin 2006, elle mentionne que le travailleur est aux prises avec des douleurs lombaires chroniques.
[22] Le 17 juillet 2006, le travailleur revoit le Dr Kinnard à la demande de son employeur. Le Dr Kinnard estime que son examen musculo-squelettique est normal mais il note la présence d’une ostéopénie qui est en dehors des normes biomédicales.
[23] Le 26 septembre 2006, le travailleur subit une résonance magnétique de la colonne lombaire interprétée par le radiologiste Édouard Botton. Une discopathie avec bombement discal est notée à L3-L4 de même qu’à L4-L5. Des changements de la moelle osseuse vis-à-vis la moitié antérieure des plateaux vertébraux de L4 et L5 de type Modick 1 témoignent d’une discopathie récente selon le radiologiste.
[24] Le 28 février 2007, le travailleur est expertisé par l’orthopédiste Jean-Paul Porlier, à la demande de son syndicat. Il estime que la lésion au niveau du poignet droit est consolidée depuis le 5 décembre 2005 mais que celle au niveau lombo-sacré ne l’est toujours pas. Il juge que les traitements ont été insuffisants à cause du lieu même où réside le travailleur, soit l’Île d’Anticosti. Il accorde un DAP de 3 % pour la fracture et estime qu’il est trop tôt pour évaluer le DAP au niveau lombaire. Il en va de même pour les limitations fonctionnelles.
[25] Le 29 mai 2007, la Dre Mimi Samson adresse une lettre à la CSST, laquelle elle complètera de son témoignage à l’audience. Il y a lieu de reproduire de larges extraits de cette lettre :
« Par la présente, je souhaite faire une mise au point dans le dossier de monsieur Claude Boudreau concernant le status de ses lésions accidentelles survenues lors d’un accident de travail le 03 juin 2005.
Après révision de l’ensemble du dossier je reconnais avoir rempli le rapport final de la C.S.S.T. en date du 16 mars 2005 de façon prématurée et incomplète. Je m’explique : en effet, pour des raisons d’éloignement géographique j’ai rempli en date du 16 mars 2006 le rapport final concernant l’accident de travail de monsieur Boudreau alors qu’à cette date précise je n’ai pas eu de consultation médicale en présence de monsieur Claude Boudreau. Je n’ai pas procédé à cette date à une évaluation objective (examen clinique complet) me permettant d’affirmer et de conclure à l’état final concernant ses lésions. Ce rapport final fut rempli à la demande de l’employeur si je me souviens bien et ce par l’entremise de monsieur Claude Boudreau, encore une fois à mon souvenir, et j’ai davantage basé la rédaction de ce rapport final sur la base de l’expertise du docteur Patrick Kinnard, chirurgien orthopédiste.
À la révision du dossier, je reconnais également que à cette date du rapport final soit le 16 mars 2005, monsieur Boudreau se plaignait toujours de douleurs lombaires depuis son accident tel que le confirme ma note de consultation du 27 février 2006 et que en date de décembre 2005, j’avais fait évaluer monsieur Boudreau par l’orthopédiste le docteur Nancy Griffiths, qui me recommandait de procéder à des investigations supplémentaires et qui étaient en cours de procédures. Or en date du 16 mars au moment du rapport final, je n’avais pas reçu l’ensemble des investigations complémentaires me permettant de conclure à une consolidation des lésions.
Je dois noter également que dans mon rapport final je ne mentionne pas la présence de lésion résiduelle au niveau de l’avant-bras droit telle que le mentionne le docteur Kinnard dans son rapport.
En conclusion donc, il m’appert aujourd’hui, à la lumière de la révision du dossier que mon rapport final rédigé en date du 16 mars 2006, n’était pas complet et que je ne possédais pas entre les mains tout l’ensemble des investigations en cours et nécessaires et que pour des raisons géographiques je n’avais pas pu à cette date réévaluer objectivement la condition physique de monsieur Claude Boudreau. Il appert vrai que monsieur Boudreau s’est toujours plaint de douleurs lombaires résiduelles et nuisant à plusieurs de ses activités fonctionnelles quotidiennes et de ses activités de loisir depuis la date de son accident en 2005. Je crois également avoir confondu le rapport d’expertise médicale du docteur Kinnard qui avait été demandé initialement par l’employeur alors que je croyais que cette expertise avait été demandée par la C.S.S.T.
Je souhaite que cette mise au point vous permette de clarifier l’ensemble du dossier de monsieur Claude Boudreau. »
[26] Le travailleur témoigne à l’audience. Il est ouvrier de voirie à l’Île d’Anticosti pour l’employeur. Il rappelle les circonstances de l’événement initial. L’employeur l’a alors fait transférer à Havre-Saint-Pierre par avion.
[27] Le 18 novembre 2005, il a été mis à pied puisque c’était la fin de la saison. Sa condition, selon lui, n’avait pas évolué et il avait beaucoup mal au dos.
[28] Le rapport final du 16 mars 2006 a été produit par la Dre Samson sans que cette dernière ne procède à un examen complet.
[29] En début de saison, soit le 5 juin 2006, il a tenté de travailler puis a dû cesser après seulement deux jours.
[30] Il a débuté la saison 2007 le 28 mai et a dû cesser de travailler le 30 mai à cause des douleurs intenses au niveau lombaire. Il a travaillé le 31 mai puis il s’est déplacé pour la présente audience le 1er juin.
[31] Avant le 3 juin 2005, il n’avait jamais éprouvé de problèmes au dos.
[32] Commentant son état de santé depuis juin 2006, il affirme qu’il ne s’agit pas d’une rechute mais des mêmes problèmes qui perdurent depuis le début.
[33] La Dre Mimi Samson témoigne ensuite. Elle confirme que lors de l’émission du rapport final, elle n’a pas rencontré ni examiné le travailleur. Elle a pris connaissance de l’expertise du Dr Kinnard rédigée en décembre 2005 et croyait erronément qu’il s’agissait d’un médecin mandaté par la CSST et non par l’employeur. Elle s’est basée sur ce document pour consolider la lésion du travailleur.
[34] Elle considérait le Dr Kinnard comme étant plus compétent qu’elle puisqu’il est un orthopédiste.
[35] La dernière rencontre avant l’émission de son rapport final a été tenue le 27 février 2006. Elle avait alors demandé une résonance magnétique et une consultation en orthopédie. Elle a remis une attestation médicale au travailleur mais elle croit qu’il est probable qu’elle n’ait pas procédé à un examen à ce moment-là non plus.
[36] Elle a consolidé la lésion rétroactivement en décembre 2005 en se fiant à l’expertise du Dr Kinnard et ce, même si elle n’avait pas encore le résultat des examens para-cliniques qu’elle avait demandés.
[37] Le rapport final a été fait à la demande d’une tierce personne mais elle ne souvient pas de son identité exacte. S’agit-il de l’employeur ? de la CSST ? du travailleur lui-même ? Elle ne peut le dire.
[38] Bien qu’elle se soit inspirée des conclusions du Dr Kinnard, elle constate qu’elle n’a pas inscrit à son rapport final l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles comme le Dr Kinnard le fait.
[39] En rétrospective, elle croit que le travailleur n’était pas consolidé en mars 2006.
[40] Elle a rédigé la lettre du 29 mai 2007 parce qu’elle a reçu un subpoena et voulait ainsi éviter de témoigner.
[41] Les trouvailles documentées par certains examens radiologiques peuvent selon elle expliquer que les douleurs du travailleur perdurent, ces conditions ayant été rendues symptomatiques par l’événement initial.
[42] Elle ne comprend pas pourquoi elle a rempli le rapport final qui était prématuré et incomplet.
[43] Ce témoignage de la Dre Samson rend caduque l’objection à la preuve déposée par l’employeur à l’encontre de son document du 29 mai 2007, un contre-interrogatoire ayant été possible pour l’employeur.
[44] De l’ensemble de cette preuve, le tribunal retient que le rapport final de la Dre Samson n’est pas conforme à la lettre et l’esprit de la loi de sorte que la CSST ne pouvait se baser sur ce document pour décréter la capacité de travail du travailleur.
[45] Il est vrai que le rapport d’un médecin qui a charge ne peut pas être contesté par un travailleur mais seulement par la CSST et l’employeur.
[46] Il est vrai également qu’un médecin qui a charge d’un travailleur ne peut, règle générale, modifier un premier rapport émis selon l’article 203 de la loi lequel est, de par sa nature, final[2].
[47] Toutefois, le tribunal n’est pas ici en présence d’un travailleur qui procède à un « magasinage de médecins » étant insatisfait de l’avis émis par son médecin qui a charge. Il ne s’agit pas pour le travailleur de contester l’avis correctement émis de son médecin qui a charge. La preuve démontre également, notamment le témoignage sincère et crédible de la Dre Samson, qu’il ne s’agit pas non plus d’émettre un rapport de complaisance pour contredire un rapport antérieur[3].
[48] Le tribunal est plutôt ici en présence de l’aveu du médecin qui a charge qu’elle n’a pas respecté le processus prévu par la loi faisant en sorte que son rapport final est entaché d’un vice de fond important.
[49] Avant son rapport final, la Dre Samson n’était pas parvenue à une date de consolidation ni à une opinion sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Elle a modifié son opinion en se basant sur l’examen d’un autre médecin, le Dr Kinnard, sans avoir elle-même réexaminé le travailleur, ce qui n’est pas conforme à la loi[4].
[50] La jurisprudence reconnaît qu’un médecin peut corriger un rapport initial s’il y a eu erreur d’écriture. En conséquence, comment pourrait-il ne pas en être ainsi lorsqu’il s’agit non seulement d’une erreur d’écriture mais d’une erreur de fond quant à la confection du rapport lui-même qui a été produit à la demande d’une tierce personne et non pas de l’initiative du médecin qui a charge sans compter qu’il a été produit sans examen médical.
[51] Avant de poser un jugement sur l’atteinte permanente, les limitations fonctionnelles ou la date de consolidation, le médecin qui a charge doit s’assurer d’avoir en main toutes les données pertinentes et nécessaires à l’évaluation de ces questions puisque le travailleur ne peut contester son avis[5]. Sans examen du travailleur, la Dre Samson ne possédait pas tous les renseignements nécessaires à l’émission de son rapport sur ces questions d’une importance considérable pour lui.
[52] La Dre Samson a admis autant par sa lettre que par son témoignage, avoir commis une erreur au niveau du processus de production de son rapport de sorte qu’il doit être déclaré non valide[6].
[53] Des éléments exceptionnels démontrent que le médecin du travailleur avait raison de réviser l’opinion contenue dans son premier rapport final, soit l’absence d’examen médical et le fait de s’en remettre à l’expertise du médecin de l’employeur dans le cadre de son rapport final, ce qui est différent d’un rapport complémentaire[7].
[54] La nécessité d’un examen médical contemporain à la production du rapport final a été confirmée par la jurisprudence.
[55] Dans l’affaire Brière et Vinyl Kaytec inc[8], la Commission des lésions professionnelles indique que la CSST n’est pas liée par un rapport final produit par un médecin sans avoir examiné à nouveau le travailleur alors qu’il n’avait jamais émis pareil avis auparavant.
[56] Les mêmes conclusions ont été retenues dans l’affaire Cliche et Gicleurs Éclair inc.[9] où un rapport final du médecin qui a charge a été annulé parce qu’il avait été rempli à partir d’informations provenant d’autres sources et non en fonction d’un examen fait directement sur la personne du travailleur. Le commissaire concluait qu’un tel rapport médical final ne comportait qu’un aspect administratif sans qu’il puisse apparaître déterminant quant à l’octroi ou non de limitations fonctionnelles ou d’une atteinte permanente.
[57] La Commission des lésions professionnelles a décidé de façon contraire dans l’affaire Poulin et Manac inc.[10]. Toutefois, bien que le rapport final n’avait pas donné lieu à un examen particulier, le médecin avait fondé son opinion sur ses notes de consultation précédentes ce qui est différent du cas en l’espèce où la Dre Samson s’est fié à l’expert de l’employeur et n’avait pas examiné le travailleur même à la visite précédente.
[58] Le tribunal ne partage pas l’opinion émise dans l’affaire Bérubé et DJ Express[11] puisqu’il est d’avis que pour produire un rapport en vertu de l’article 203 de la loi, et vu les conséquences très graves qui en découlent, un médecin doit avoir en main toutes les données pertinentes et avoir notamment procédé à un examen contemporain du travailleur.
[59] L’article 203 de la loi est situé dans un chapitre intitulé « Procédure d’évaluation médicale » et il est donc implicite qu’une telle évaluation doit se faire selon les règles de l’art et notamment à l’aide d’un examen clinique objectif et subjectif.
[60] Pour pouvoir décréter la présence ou l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, il est évident qu’on doit avoir procédé à un examen du travailleur à l’occasion de la production du rapport ou peu de temps auparavant ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[61] Ce rapport final de la Dre Samson est d’autant plus surprenant qu’elle n’avait pas obtenu les résultats de certains examens qu’elle avait demandés ni les résultats d’une nouvelle référence en orthopédie.
[62] Dans les faits, la Dre Samson, comme elle l’a expliqué, a abdiqué son rôle pour s’en remettre totalement à l’avis du médecin qui a charge quant à la date de consolidation mais en oubliant les aspects qui étaient favorables au travailleur, soit la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[63] Il serait pour le moins surprenant que la Dre Samson conclue à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles alors que le médecin désigné par l’employeur lui-même reconnaît l’existence de telles séquelles. Si elle décidait de retenir l’avis du Dr Kinnard sans réexaminer le travailleur, ce qu’elle ne pouvait faire au niveau d’un rapport final, encore aurait-il fallu qu’elle le retienne intégralement et qu’elle conclue à la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. On pourrait conclure en pareil cas à une erreur d’écriture au sens de la jurisprudence.
[64] La Dr Samson a mal agi dans ce dossier et le travailleur ne doit pas avoir à supporter les conséquences de ses agissements lesquelles sont importantes pour lui[12].
[65] Il est vrai qu’aucune référence au Bureau d’évaluation médicale n’a été faite dans ce dossier. Toutefois, il ne s’agit pas ici de mettre en examen les conclusions médicales d’un médecin et leur validité mais plutôt de constater que le processus de production du rapport final de l’article 203 de la loi n’a pas été respecté au détriment des droits du travailleur.
[66] Le tribunal estime qu’il faut procéder à l’analyse des faits et circonstances ayant mené à la modification d’opinion du médecin qui a charge pour bien apprécier la validité de cette seconde opinion et du rapport final préalable. Dans la présente affaire, ces circonstances sont suffisamment sérieuses pour qu’on annule le rapport final initial[13].
[67] À la suite de l’annulation du rapport final, le tribunal constate qu’il ne détient au dossier aucune réelle date de consolidation émise par le médecin qui a charge ou par un membre du Bureau d’évaluation médicale, les seuls étant aptes à émettre des opinions liantes au sens des articles 224 et 224.1 de la loi.
[68] Dans son rapport du 27 février 2006, la Dre Samson décrétait un retour au travail. Cette notion n’est pas synonyme d’une date de consolidation. Ce médecin réfère d’ailleurs le travailleur en orthopédie et demande une résonance magnétique. Elle n’a pas examiné le travailleur à cette occasion non plus.
[69] À vrai dire, le dernier examen de la Dre Samson remonte au plus tôt au 31 octobre 2005, soit avant l’expertise du Dr Kinnard à laquelle elle s’est ralliée maladroitement et sans vérification personnelle de son opinion.
[70] Le 12 décembre 2005, la Dre Griffiths mentionne que la fracture du cubitus est consolidée. Toutefois, la Dre Griffiths n’est pas le médecin qui a charge puisqu’elle n’a prodigué aucun soin ni établi de plan de traitement pour le travailleur. Il s’agit d’une simple consultation à la demande de la Dre Samson. De toute façon, elle décrète la consolidation de la fracture du cubitus mais aucunement de la lésion lombaire.
[71] L’expertise du Dr Porlier ne peut être d’aucune utilité au niveau de la date de consolidation, de l’atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles puisqu’il ne s’agit pas du médecin qui a charge mais d’un expert à qui on a demandé de rédiger un avis. Un tel avis peut être pris en compte dans le cadre d’une référence au Bureau d’évaluation médicale mais il ne s’agit pas d’un avis liant au sens de l’article 224 de la loi[14].
[72] Le tribunal doit donc constater que la lésion du travailleur n’est pas valablement consolidée de sorte qu’il est prématuré de discuter de la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et par le fait même de la capacité de la travailleuse à reprendre son emploi.
[73] La CSST devra s’assurer d’obtenir du médecin qui a charge les rapports prévus à la loi, selon les normes prescrites, pour éventuellement se prononcer à nouveau sur la question de la capacité de travail au vu d’un futur rapport final ou d’évaluation médicale.
[74] Devant ces conclusions, le tribunal croit donc que le travailleur n’a pas été victime d’une rechute, récidive ou aggravation le 8 juin 2006 puisqu’il était alors toujours porteur d’une lésion non consolidée qui se poursuivait dans le temps. Il s’agissait donc à cette époque de l’évolution d’une condition chronique sans preuve de détérioration objective ce qui contredit la notion de rechute, récidive ou aggravation.
[75] Il est vrai que la lésion du travailleur prend un certain temps à rentrer dans l’ordre. Il est toutefois bon de se rappeler de la gravité du fait accidentel initial. De plus, le tribunal se questionne sur le fait que la discopathie L4-L5 est décrite comme récente par le radiologiste dans le cadre de l’examen du 26 septembre 2006. Serait-elle une conséquence de l’événement initial ?
[76] Le travailleur bénéficie donc de la présomption prévue à l’article 46 de la loi qui se lit comme suit :
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
[77] Cette présomption n’étant pas renversée, le travailleur a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu en attendant que son cas soit décidé de façon finale.
[78] Il est certain que l’évolution du présent dossier est atypique et qu’une erreur du médecin qui a charge a eu pour effet de retarder le dossier. Il s’agit là possiblement d’un cas d’obération injuste au sens de l’article 326 de la loi et l’employeur pourra effectuer des démarches à ce sujet s’il le juge à propos.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 292495-09-0606
ACCUEILLE la requête de monsieur Claude Boudreau, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 juin 2006 à la suite d’une révision administrative;
ANNULE le rapport final du 16 mars 2006 de la Dre Mimi Samson;
DÉCLARE qu’aucun rapport médical au dossier ne consolide la lésion du 5 décembre 2005;
DÉCLARE que le travailleur n’est pas capable de reprendre son emploi le 27 mars 2006;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu;
RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’il soit traité conformément à la loi
Dossier 311183-09-0702
REJETTE la requête de monsieur Claude Boudreau, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 8 février 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de rechute, récidive ou aggravation le 8 juin 2006;
DÉCLARE qu’à cette période, le travailleur était plutôt aux prises avec le continuation de la lésion du 3 juin 2005;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux indemnités prévues par la loi.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Me Marianne Bureau |
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GRONDIN, POUDRIER, BERNIER |
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Procureure de la partie requérante |
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Me Danielle Tremblay |
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CREVIER, ROYER SÉC. CONS. DU TRÉSOR |
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Procureure de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Talbot et C.H. La Pièta, [1991] C.A.L.P. 492 .
[3] Laverdière et Garde côtière canadienne, C.A.L.P. 50540-03-9304, 14 septembre 1994, M. Carignan, révision rejetée 7 février 1995, M. Beaudoin, requête en révision judiciaire rejetée [1995] C.A.L.P. 1935 (C.S.)
[4] Ibrahim et Transformateurs dynamiques DT inc., C.L.P. 110532-71-9902, 20 août 1999, M. Zigby.
[5] Bouchard et Nettoyage Docknet inc., [2003] C.L.P. 1240 .
[6] Gérald Paquette Entrepreneur électricien & associés et Gauthier, C.L.P. 237681-64-0406, 11 mai 2006, J-F Martel.
[7] Polaszek et Hôpital Reine-Élisabeth, C.A.L.P. 69046-60-9505, 30 juillet 1996, B. Lemay.
[8] C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry.
[9] C.L.P. 248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay.
[10] C.L.P. 125439-03B-9910, 9 juin 2000, R. Savard.
[11] C.L.P. 244511-64-0409, 16 mars 2005, R. Daniel.
[12] Couture et Ferme Jacmi Senc, C.L.P. 162026-03B-0105, 16 novembre 2001, G. Marquis.
[13] Lévesque et Foyer Chanoine Audet inc., C.L.P. 136386-03B-0004, 18 juillet 2001, M. Cusson, requête en révision rejetée, 10 décembre 2001, C. Lessard.
[14] Lévesque et Tapitec inc., C.A.L.P. 65531-60-9412, 27 mars 1996, S. Di Pasquale.
AVIS :
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