Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

4 avril 2005

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

210986-02-0306

 

Dossier CSST :

121335749

 

Commissaire :

Me  Michel Renaud

 

Membres :

Jacques G. Gauthier, associations d’employeurs

 

Pierre Morel, associations syndicales

Assesseur :

Dr Claude Dufour

______________________________________________________________________

 

 

 

Serge Goulet ( SUCCESSION)

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Services canadiens de rebuts CWS (Intersan inc.)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 juin 2003, le représentant de Monsieur Serge Goulet [le travailleur] dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue suivant les dispositions de l'article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 [la LATMP]. La décision de la Direction de la Révision administrative de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean est rendue le 17 juin 2003.

[2]                Par cette décision, la Révision administrative confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail [la CSST], le 16 décembre 2002.

 

[3]                La décision de la CSST est à l'effet que le travailleur n’a pas été victime des conséquences d’une maladie professionnelle le 27 septembre 2001.

[4]                L’audience a été tenue le 21 février 2005 à Saguenay en présence du représentant du travailleur. La compagnie Intersan [l’employeur] était représentée.

OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                La succession du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST et de déclarer que, le 27 septembre 2001, Monsieur Serge Goulet a été victime des effets d’une bérylliose, consécutive à une exposition au béryllium sur les lieux de son emploi.

LA PREUVE

[6]                Âgé de quarante-sept ans au moment de son décès, le travailleur a été au service de l'employeur, et ce, de 1989 à 1995 dans le contexte d’emploi allégué. Il accomplissait les tâches normalement attribuées à un récupérateur de rebuts.

[7]                Il est en preuve que le travailleur a consulté un pneumologue pour la première fois, le 26 février 1997. Le médecin note que le patient souffre de dyspnées épisodiques à l’effort, à l’exposition au froid et à la fumée de cigarettes. Le travailleur est retourné à son médecin de famille avec une médication appropriée. Le spécialiste lui conseille fortement de réduire son poids.

[8]                Le 8 novembre 1998, le spécialiste requiert de nouveaux examens. Il acquiert la conviction que son patient souffre de symptômes apparentés à une sarcoïdose. Ayant été informé, par le travailleur, que son emploi entre 1992 et 1996 l’exposait à des poussières non identifiées, dans un milieu clos, il demande à la CSST de vérifier la possibilité que le travailleur soit affecté d’une maladie professionnelle. Il suggère la silicose.

[9]                L’investigation est entreprise par la CSST le 12 décembre 1999.

[10]           Le témoignage du spécialiste est à l’effet que les poumons de son patient étaient si endommagés qu’il avait modifié sa médication en préparation pour une greffe pulmonaire. Le 18 octobre 2000, le médecin constate que la biopsie bronchique a confirmé, pour une deuxième fois, le diagnostic de sarcoïdose. Il ajoute que la sarcoïdose étant prouvée, il n’y a pas d’autres gestes thérapeutiques à proposer.

[11]           Le 21 février 2001, la Commission des lésions professionnelles met un terme à la démarche et confirme les avis du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité spécial des présidents. La décision est à l’effet que la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a été exposé à de la poussière contenant de la silice. La décision ajoute que le diagnostic de silicose n’est pas confirmé et qu’il n’y a pas de preuve que le travailleur avait été exposé à des matières qui comportaient des risques particuliers de causer des lésions pulmonaires.

[12]           Le 27 septembre 2001, le Dr Bégin est avisé, par un collègue qu’il existe une preuve que le travailleur a été exposé à des poussières contenant du béryllium. Il fait immédiatement un lien avec une biopsie faite le 12 septembre 2000 et dépose une attestation médicale à la CSST.

[13]           Le 12 octobre 2001, le travailleur dépose une nouvelle réclamation à la CSST. Il demande une évaluation relativement à la possibilité qu’il ait été victime d’une bérylliose chronique.

[14]           Parallèlement, le 9 novembre 2001, la CSST entreprend de faire déterminer par les instances compétentes le lien entre l’emploi et le diagnostic de bérylliose.

[15]           Le 5 décembre 2001, le Dr Réal Lagacé examine les lames histologiques de biopsies pratiquées au cours de l’année 1998, il est d’avis :

« (...)

 

Les principales données à retenir de l’examen anatomopathologique sont les suivantes : l’examen cytologique des produits de lavages broncho-alvéolaires n’apporte aucun élément au diagnostic. Par contre les produits de deux biopsies bronchiques confirment un diagnostic de maladie pulmonaire granulomateuse non nécrosante avec tout le spectre du diagnostic différentiel que ceci implique. Ce patient est vraisemblablement porteur d’une maladie pulmonaire granulomateuse accompagnée d’une alvéolite à lymphocytes T facilitateur tel qu’on peut en observer dans la sarcoïdose, la bérylliose et aussi, compte tenu de l’histoire occupationnelle de ce patient, ce qui a été décrit dans des lésions pulmonaires granulomateuses de type sarcoïdosique induites par les poussières d’aluminium. »

 

 

[16]           Le travailleur décède le 29 décembre 2001, sans que tous les examens diagnostics aient été complétés. Une autopsie est pratiquée. Le Dr Andrée Cholette élabore la liste des diagnostics définitifs :

« 1.      Pneumonite granulomateuse fibrosante étendue et sévère dont l’étiologie est à corréler avec la clinique mais dont la morphologie est bien compatible avec une exposition au béryllium avec :

a) Adénite granulomateuse médiastinale.

b) Granulomatose hépatique, splénique, péricardique et pleurale.

 

2.         Hypertrophie cardiaque globale.

 

3.         Splénomégalie congestive avec congestion viscérale diffuse modérée.

 

4.         Encéphalopathie anoxique modérée à sévère avec oedème cérébral important.

 

5.         Stéatose hépatique légère à modérée, à prédominance centro-lobulaire. »

 

 

[17]           Le 16 septembre 2002, le Dr Lagacé analyse les plus récentes données et exprime un avis :

« (...)

 

Tel qu’indiqué dans ma première expertise, cet aspect morphologique nous fait évoquer le diagnostic différentiel des pneumopathies se caractérisant morphologiquement par la présence de granulomes à cellules épithélioïdes non nécrosants dont je vais évoquer les principales entités.

 

-           je n’évoquerai pas les principales maladies causées par des micro-organismes comme la tuberculose, les mycobactérioses ou les différentes mycoses compte tenu qu’il n’y a aucune évidence qu’un agent pathogène ait été identifié.

 

-           sarcoïdose : le diagnostic de sarcoïdose est habituellement basé sur l’exclusion d’organismes infectieux. Les granulomes sont trouvés plus fréquemment le long de ramifications vasculaires et bronchiques et obstruent souvent les lympthatiques, ce qui a été observé dans le matériel autopsique. Cette disposition des granulomes peut habituellement être mise en évidence par des tomographies à haute résolution. Habituellement les septa alvéolaires adjacents aux granulomes ne contiennent pas d’infiltrat inflammatoire, ce qui est le cas dans le présent matériel autopsique avec la réserve que nous sommes en présence d’un processus diffusément cicatriciel. L’observation morphologique de corps astéroïdes, de corps de Schaumann, de corps concoïdes dans les cellules de Langhans ne sont pas spécifiques de la sarcoïdose et peuvent être observés dans d’autres pneumopathies granulomateuses non nécrosantes. Les pneumopathies sarcoïdosiques s’accompagnent de gonflements ganglionnaires lymphatiques symétriques bilatéraux au niveau du hile, ce qui semble avoir été mis en évidence lors de l’autopsie puisqu’on indique sur le rapport final « adénite granulomateuse médiastinale ». D’autre part, on a aussi noté des granulomes au niveau du foie, de la rate, du péricarde et de la plèvre (je n’ai pas eu accès à ces lames) ce qui est très compatible avec le diagnostic de sarcoïdose. Les phénomènes de fibrose des granulomes, leur fusion en conglomérat tel que décrit ci-dessus sont aussi compatibles avec un tel diagnostic.

 

-           granulomatose sarcoïdosique nécrosante : dans cette pneumopathie, on peut aussi observer des granulomes non nécrosants à cellules épithélioïdes. La distribution est similaire à la sarcoïdose avec une atteinte dominante des ramifications bronchovasculaires. Par contre, il y a en plus de la vasculite avec une nécrose parenchymateuse habituellement de type ischémique. Dans de tels cas, les granulomes peuvent être confluents formés de gros nodules mais leur périphérie est dominée par un infiltrat lymphoïde. C’est une maladie systémique avec une atteinte multi-organes quoique originalement décrite elle semblait limitée à une atteinte pulmonaire. Il pourrait être difficile de distinguer la granulomatose sarcoïdosique nécrosante d’une forme de sarcoïdose nodulaire puisque l’atteinte vasculaire granulomateuse et les agrégats nodulaires de granulomes s’observent dans la sarcoïdose. La seule réaction tissulaire extrêmement rare dans la sarcoïdose est la nécrose. Dans le présent cas, il ne semble pas y avoir de nécrose pulmonaire parenchymateuse. L’absence de vasculite milite contre un tel diagnostic dans le présent cas.

 

-           alvéolite allergique extrinsèque (pneumonite d’hypersensibilité) : la distribution géographique des granulomes milite peu en faveur d’une telle hypothèse : les granulomes de la sarcoïdose, tel que mentionné ci-dessus, sont facilement retrouvés dans la muqueuse bronchique alors que les granulomes de l’alvéolite allergique extrinsèque s’observent surtout à la périphérie du poumon. Ce sont aussi des granulomes avec une composante plus inflammatoire avec un infiltrat lymphocytaire qui s’étend aux alvéoles adjacentes du moins dans les formes actives de la maladie. Elles s’accompagnent en plus d’une pneumonite interstitielle lymphocytaire avec ou sans hyperplasie de follicules lymphoïdes.

 

-           bérylliose : la bérylliose est une autre granulomatose à cellules épithélioïdes de type allergique. Les granulomes tendent toutefois à être plus volumineux que dans la sarcoïdose mais il peut être impossible de différencier cette maladie de la sarcoïdose en se basant uniquement sur des critères morphologiques. Le granulome lui-même est identique au granulome de la sarcoïdose et il n’y a pas d’organismes infectieux qui peuvent être démontrés. Les données expérimentales montrent que c’est une maladie pulmonaire granulomateuse accompagnée d’une alvéolite à lymphocytes T facilitateurs que l’on peut aussi observer dans la sarcoïdose. Il est à noter qu’entre la première expertise et la présente, un examen spécial a été effectué au National Jewish Medical Research Center (Denver) à partir d’un échantillon de sang périphérique : ce test de prolifération lymphocytaire a donné des résultats normaux. Il est cependant noté qu’un résultat normal à partir d’un spécimen de sang périphérique n’exclut pas le diagnostic de bérylliose chronique. On recommande plutôt, s’il y a un contexte clinique présomptif, de procéder à un test de transformation lymphocytaire à partir de lymphocytes provenant d’un spécimen de lavage broncho-alvéolaire.

 

Les lésions histologiques de la bérylliose sont superposables et ne peuvent être distinguées de la sarcoïdose. Par contre, et c’est là ma conclusion, contrairement à la sarcoïdose qui est une maladie systémique, la bérylliose est limitée à une atteinte pulmonaire et à une atteinte cutanée s’il y a des sites d’inoculation locale. Comme dans le présent cas l’autopsie a documenté une atteinte granulomateuse hépatique, splénique, péricardique et pleurale, en l’absence de toute démonstration de micro-organismes, un diagnostic de sarcoïdose est à mon avis le plus probable.  À ma connaissance, les lésions granulomateuses non nécrosantes associées aux poussières d’aluminium sont aussi limitées aux poumons. On peut aussi avoir des atteintes cutanées mais sous forme de télangiectasies en particulier chez les ouvriers décapeurs de cuves.

 

Diagnostic : pneumopathie granulomateuse non nécrosante associée à une adénite granulomateuse médiastinale, à une granulomatose hépatique, splénique, péricardique et pleurale compatible avec une sarcoïdose. »

 


 

[18]           Le 18 octobre 2002, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles est d’avis :

« Ce dossier nous est soumis pour un avis à la suite du décès du réclamant survenu le 29 décembre 2001. Notre Comité avait déjà examiné ce dossier en rapport avec une réclamation sur la possibilité de silicose le 7 mai 1999. Notre rapport avait conclu à l’absence de maladie professionnelle. Nous pensions que l’investigation devait être poursuivie en pneumologie à cause en particulier d’une granulomatose pulmonaire qui évoquait une origine associée à la sarcoïdose ou à une infection et pour éliminer une néoplasie pulmonaire. Par la suite, le patient a développé une insufisance respiratoire sévère qui a été la cause du décès. La possibilité d’une bérylliose pulmonaire a été soulevée par le médecin traitant le docteur Paul Bégin. Afin d’évaluer cette possibilité diagnostique, un spécimen sanguin a été adressé au laboratoire du docteur Lee S. Newman à Denver afin de procéder à un test de prolifération lymphocytaire au Sulfate de béryllium. Ces examens qui ont été faits en janvier 2002 ont donné des résultats négatifs au béryllium, alors que le patient avait un test de stimulation positif au Candida et à la Phytohemagglutinine. Par ailleurs, nous avons revu attentivement les informations concernant l’étude environnementale et les substances auxquelles aurait été exposé monsieur Goulet dans ses différents emplois. Nous n’avons retrouvé aucune évidence de contact avec le béryllium.

 

Nous avons pris connaissance des deux rapports d’expertise d’anatomopathologie préparés par le docteur Réal Lagacé en date du 5 décembre 2001 et du 16 septembre 2002. Le dernier rapport est préparé sur le matériel autopsique. On peut résumer l’opinion par le fait qu’on a retrouvé une granulomatose systémique non caséeuse qui atteignait en plus du poumon de nombreux organes, notamment le foie, la rate, le péricarde et la plèvre en plus des adénopathies médiastinales.

 

À la lumière de ces données, le Comité est d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, ce patient est décédé d’une sarcoïdose pulmonaire. Il n’y a aucun élément soutenant l’hypothèse d’une bérylliose qui avait été précédemment évoquée. Nous sommes donc d’avis que le décès n’a aucun lien avec les antécédents professionnels du réclamant. Aucune indemnité ne peut être justifiée ici. »

 

 

[19]           Le 14 novembre 2002, le Comité spécial des présidents conclut :

« Les présidents ont revu tous les éléments de ce dossier complexe et supportent les recommandations formulées par le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec.

 

Ce malade est décédé d’une granulomatose systémique avec une atteinte pulmonaire sévère fibrosante ayant conduit à de l’insuffisance respiratoire qui est la cause du décès. Les suspicions présumées au béryllium auraient pu être responsables de ce tableau clinique et ne sont supportées par aucune évidence objective.

 

En conséquence, le comité conclut que le malade est vraisemblablement décédé d’une sarcoïdose pulmonaire qui est d’origine non professionnelle. Aucune maladie professionnelle ne peut être reconnue à notre avis et aucune indemnité ne peut se justifier sur cette base. »

 

 

[20]           Il est à noter que les instances spécialisées disposaient du résultat d’un test spécialisé dit de prolifération lymphocytaire effectué par la clinique du Dr Newman. L’examen est jugé normal.

[21]           Ce médecin est une sommité en la matière de l’avis des témoins entendus, mais il aurait fallu d’autres tests pour assurer la parfaite fiabilité des résultats.

[22]           Le 16 décembre 2002, la CSST informe la succession de Monsieur Serge Goulet de la conclusion des spécialistes, soit que le travailleur est décédé d’une sarcoïdose pulmonaire. La décision confirme que la réclamation pour maladie pulmonaire causée par les activités professionnelles doit être refusée par la CSST.

[23]           Le 17 juin 2003, la Révision administrative confirme les effets juridiques de l’avis des spécialistes de ce genre de problèmes.

[24]           Le représentant du travailleur conteste cette décision.

[25]           Il dépose une étude récente de la Société Alcan visant à évaluer les risques associés à la présence de béryllium dans les locaux de l’entreprise à Laterrière. Suivant la preuve, les méthodes de travail ont été modifiées après 1993. Lors de l’audience, la méthode de travail en vigueur entre 1989 et 1993 a été alléguée pour établir une relation entre le décès du travailleur et son emploi, au cours de ces années. Le document confirme que les résidus les plus significatifs de poussières de béryllium sont déposés sur les instruments qui servent au contrôle du culbuteur dans l’atelier de broyage.

[26]           La preuve est à l’effet que les tâches du travailleur impliquaient le déversement dans l’atelier de broyage de grandes quantités de matériaux résiduels en provenance de bains électrolytiques. Le travailleur déversait ce genre de poussières plusieurs fois le matin et plusieurs fois en fin de journée et cela sept jours par semaine, pendant plusieurs années. Il est en preuve que chaque opération mettait en circulation une grande quantité de poussières et que le travailleur devait respirer cette poussière pour procéder au déversement de son camion de rebuts.

[27]           Le médecin du travailleur a longuement explicité son cheminement intellectuel dans cette affaire. Il reconnaît que la conclusion des spécialistes n’est pas déraisonnable, dans la mesure où, comme lui avant le 27 septembre 2001, ils avaient la perception que le travailleur n’avait pas été exposé à des poussières contenant du béryllium. Il rappelle, toutefois, que les tests du Dr Newman doivent être utilisés avec prudence. Il conteste fortement l’appréciation de la preuve médicale proposée par le Dr Lagacé. Il estime que médicalement les diagnostics de sarcoïdose et de bérylliose sont possibles et que la seule façon de conclure que le travailleur ne souffre pas de bérylliose chronique est d’avoir la preuve qu’il n’était pas exposé à ce produit.

[28]           À cause de la progression fulgurante de la maladie, il avait pensé au diagnostic de bérylliose, mais ne l’avait pas retenu parce que les informations ne permettaient pas de conclure que le travailleur était exposé. Nous avons maintenant la preuve qu’il a été très exposé, pendant de longues périodes. De plus, les séquences de travail réparties dans la journée le privaient de périodes d’élimination. Il a été plus exposé qu’un travailleur qui quitte après sa journée de travail et bénéficie de longues fins de semaine pour éliminer les toxines accumulées, au cours de son emploi.

ARGUMENTATION DES PARTIES

[29]           Le représentant du travailleur constate que les avis des membres des Comités ne tiennent pas compte de l’exposition du travailleur à des poussières contenant un métal dur connu pour être la cause de bronchopneumopathie. Il rappelle que les dispositions de la LATMP sont claires et que les décisions des tribunaux ayant négligé de respecter la règle se sont fait rappeler à l’ordre par la Cour suprême du Canada.[1]

[30]           Il constate que les critères retenus par le Dr Lagacé pour distinguer la sarcoïdose de la bérylliose se sont avérés inexacts. Il souligne que l’employeur ne dispose pas d’une preuve à l’effet que le travailleur n’a pas été exposé à du béryllium. La preuve, maintenant disponible, confirme, au contraire, une exposition importante. Il souligne que le document émanant de la Société Alcan recommande de réduire la circulation dans l’atelier de broyage. C’est pourtant à cet endroit que Monsieur Goulet se retrouvait à tous les jours, plusieurs fois par jour pendant de nombreuses années. Il rappelle que les premiers symptômes se sont manifestés quelques années après le début de cette affectation du travailleur et que l’évolution s’est faite normalement par la suite.

[31]           Les conséquences de la diminution de la capacité respiratoire ont été dramatiques pour un travailleur aussi jeune.

[32]           Le représentant de l’employeur estime qu’il n’est pas possible de conclure différemment que ne l’ont fait les Comités spécialisés. Il est d’avis que la preuve de la présence de béryllium en 2002 ne justifie pas de présumer qu’il y en avait lorsque le travailleur était assigné à cet emploi.

[33]           Il ajoute qu’il n’y a pas de preuve de risques particuliers pour ce genre de condition dans des usines de première transformation de l’aluminium. Il conclut que la thèse du représentant du travailleur ne peut être retenue parce que le diagnostic retenu par les spécialistes est celui de sarcoïdose.

AVIS DES MEMBRES

[34]           Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que la preuve d’exposition à la poussière de béryllium est faible, mais il n’est pas possible de conclure qu’il n’y a pas eu de contact pour Monsieur Serge Goulet. La conclusion des membres des Comités révèle un souci de précision au plan scientifique. Le législateur a cependant prévu que les cas de bronchopneumopathie causée par des poussières semblables à celles présentes dans le milieu de travail, bénéficiaient d’une présomption que le métal soit la cause de la maladie. Les documents produits par le mandataire de l’employeur confirment la présence de poussières de béryllium dans l’atelier de broyage des bains. C’est dans cette pièce close que le travailleur effectuait la plus grande partie de sa tâche. En conséquence, le travailleur a été affecté d’une maladie en relation avec sa profession.

[35]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il est en preuve que le travailleur se rendait dans l’atelier de broyage à tous les jours de la semaine, le matin et le soir pendant plusieurs années. Les manoeuvres effectuées par le travailleur provoquaient une forte circulation des poussières, il était donc plus exposé que la normale. Les témoins confirment que la poussière revenait jusqu’à l’avant du camion. De plus, il était exposé à des poussières tièdes contenant du béryllium. Les analyses effectuées au cours de l’année 2002 ont confirmé la présence de dépôts significatifs, plus de 0.1 ug/m3, soit un niveau nécessitant des mesures de protection. Dans ce contexte, le travailleur bénéficie de la présomption de l’article 29 de la LATMP et de la section V de l’annexe I.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[36]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si Monsieur Serge Goulet a subi une lésion professionnelle le 27 septembre 2001.

[37]           L’analyse des causes du décès de Monsieur Serge Goulet est compliquée du fait que son décès n’a pas permis d’effectuer tous les tests utiles pour confirmer le diagnostic. De plus, le chapitre des maladies pulmonaires est confié par la LATMP à des Comités spécialisés. Il en résulte que, même si la détermination des causes de la maladie n’appartient pas à ces Comités, la marge de manœuvre de la Commission des lésions professionnelles est très limitée.

[38]           De plus, les médecins du travailleur ont mis du temps à cerner les causes des problèmes respiratoires de Monsieur Goulet. Dans un premier temps, le travailleur a été traité pour de l’asthme. Par la suite, vu la progression rapide de la symptomatologie, le médecin du travailleur a soupçonné la présence d’un agresseur dans le milieu de travail. Nous l’avons noté plus haut, l’hypothèse de silicose a été écartée par les Comités spécialisés et par la Commission des lésions professionnelles.

[39]           Le diagnostic retenu par le Dr Bégin le 27 septembre 2001 implique une démarche de recherche très complexe. Les connaissances sur le sujet évoluent depuis plusieurs années, mais les moyens de détection ne sont pas encore très perfectionnés.

[40]           Les symptômes de dyspnées et de toux sont présents dès 1994. Il y a présence de fibrose interstitielle qui résulte d’une réaction immunitaire spécifique au béryllium. Le Dr Bégin réitère que, sans preuve d’exposition à de la poussière contenant du béryllium, il aurait maintenu le diagnostic de sarcoïdose. L’appréciation des membres des Comités n’est pas valable parce qu’elle repose sur une fausse prémisse, soit l’absence d’exposition à des poussières de béryllium.

[41]           Conscient de la complexité de la preuve, le législateur a voulu faciliter la tâche des plaideurs en prévoyant un certain nombre de présomptions. L’article 29 de la LATMP est à l’effet :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[42]           L’alinéa 2 de la section V de l’annexe I porte sur les maladies pulmonaires présumément causées par diverses poussières de métaux durs. Ainsi, la LATMP établit que lorsqu’il y a preuve d’une exposition à de la poussière contenant du béryllium une broncho-pneumopathie sera présumée être une maladie professionnelle.

[43]           Le témoignage du Dr Bégin est à l’effet que le seul moyen de distinguer les signes cliniques de sarcoïdose de ceux d’une bérylliose qui sont toutes deux des bronchopneumopathies est en obtenant la preuve que l’environnement de travail ne contient pas ce genre de polluant.

[44]           Il constate qu’avant le 27 septembre 2001, c’était cette perception qu’il avait du milieu de travail de Monsieur Goulet. Après avoir reçu la confirmation que l’air ambiant de l’atelier de broyage recelait d’importantes quantités de béryllium, il a fait un lien avec l’assignation du travailleur à tous les jours de la semaine, plusieurs fois par jour pour alimenter le broyeur des résidus de bains électrolytiques. Il a été convaincu que Monsieur Goulet souffrait de cette condition.

[45]           En prenant connaissance du rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, il a été surpris de la mention à l’effet qu’il n’y avait pas de preuve que le travailleur avait été en contact avec du béryllium. Lorsque le représentant du travailleur lui a confirmé que cet allergène était présent dans le milieu de travail de Monsieur Goulet pendant plusieurs années, il a été convaincu que son diagnostic de bérylliose chronique était le seul valable dans le cas du travailleur.

[46]           Le document produit lors de l’audience est intitulé Évaluation du risque Béryllium Alcan-Usine Laterrière dans lequel on peut lire en page 6 «L’occupation 1010, -celle du travailleur- «Opérateur de cellules 001, Changeur d’anodes» est exposée en moyenne à 0,06μg/m³ de béryllium, les expositions varient de 0,04 à 0,08 μg/m³ (Tableau 1, Annexe1).  Cette occupation est très exposée au béryllium. Ces travailleurs sont en contact  le bain chaud.» (page 6).  «Dans l’atelier de broyage du bain la concentration moyenne est de 0,08μg/m³, trois résultats sur cinq atteignent le seuil d’action (Tableau 2, Annexe 2).  C’est dans ce secteur que les concentrations de béryllium sont les plus élevées.» (page 8).  «Il n’y a quelques endroits où les concentrations de béryllium excèdent le seuil d’action qui est 0,1μg/m³.  En effet, au broyage du bain, le seuil d’action est excédé à trois reprises.»  (page 9). Le travailleur déversait le contenu des bennes dans un culbuteur donnant accès à ce secteur d’activité et les dépôts sont très importants sur la pompe placée sur la boite électrique à proximité du culbuteur. Les experts en déduisent que «Devant cet état de fait, il importe que les recommandations suivantes soient dûment interprétées, mises en contexte et appliquées pour toutes les occupations potentiellement à risque et pour tous les lieux de travail à concentration ambiantes élevées (>0,1μg/m³) en béryllium ».  (page 11). Il devient donc évident pour la Commission des lésions professionnelles que Monsieur Serge Goulet fut exposé pendant plusieurs années à des poussières contenant un taux élevé de béryllium dans l’exercice de ses fonctions.

 

[47]           La Commission des lésions professionnelles en déduit que les prémisses du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité spécial des présidents sont fausses puisque le travailleur a été exposé à des poussières contenant des quantités de béryllium pour lesquelles la Société Alcan juge utile le port de protection et la diminution de la circulation dans l’atelier de broyage. Le travailleur n’a pas bénéficié de ces mesures et il a été, en conséquence, fortement exposé plusieurs fois par jour, à tous les jours de la semaine à une importante quantité de poussières nocives. Le déversement de bennes contenant des résidus de bain électrolytique produisait un nuage de poussière dans un local clos et le travailleur devait circuler pendant plusieurs minutes dans ce local, à chaque déversement. Nous avons noté que des pièces fixes de l’atelier de broyage étaient les plus contaminées de l’usine à l’intérieur de laquelle l’analyse a été faite.

[48]           La preuve médicale confirme que les symptômes ont évolué comme c’est normalement le cas pour une bérylliose chronique ou une sarcoïdose et qu’il y a peu de moyens médicaux pour distinguer la bérylliose de la sarcoïdose.

[49]           Parallèlement, le pathologiste ne pouvait conclure que la bérylliose se différencie de la sarcoïdose par une atteinte pulmonaire et cutanée. La preuve produite à l’audience confirme que les deux maladies partagent les mêmes traits. Les passages suivants de la doctrine déposée, lors de l’audience, sont très explicites :

*«The most difficult differential is between chronic beryllium disease and sarcoidosis because these diseases share similar signs, symptoms, radiographic abnormalities, lung function findings, and histopathology»

                                   Nancy L. Sprince

*«In this condition (chronic berylliosis) lesions are not confined to the lungs but may also occur in the skin, liver, kidney, spleen and lymph glands (Hardy, 1955a)

                       The pneumoconioses and  other occupational lung diseases

 

*«For many years it has been well-recognized that differentiating between beryllium disease and sarcoidoses is difficult because of the similar clinical, roentgenologic, and histopathologic features.»

                Current problem of differentiating

                between beryllium disease and

                sarcoidosis….page 654

 

 

[50]           Il en résulte que la conclusion des Comités spécialisés qui est basée sur les affirmations du Dr Lagacé ne peut être retenue. Nous avons, par ailleurs, constaté que le Dr Lagacé est d’avis que les connaissances scientifiques retiennent que les granulomes sont généralement plus étendus dans la bérylliose que dans la sarcoïdose. Le rapport d’autopsie est à l’effet que les granulomes étaient étendus et sévères dans les poumons de Monsieur Serge Goulet. Sur cet aspect, l’expertise du Dr Lagacé n’est pas contredite.

[51]           En somme, au plan médical, la preuve confirme que les signes cliniques de la sarcoïdose et la bérylliose se ressemblent beaucoup et qu’il est difficile de les différencier. Au plan scientifique, il est reconnu que la présence de béryllium doit être suffisamment importante pour causer la maladie et que les atteintes seront principalement au niveau pulmonaire. Il n’est pas exact de prétendre que seulement les poumons seront atteints. Les normes appliquées par les Comités spécialisés sont celles en vigueur, au plan scientifique, en Amérique du Nord, mais les Comités ne pouvaient conclure sur la base d’un seul test sanguin de prolifération lymphocytaire au béryllium (BeLPT) négatif et conclure que le travailleur ne souffrait pas de bérylliose.

[52]           Le témoignage du Dr Bégin et les recommandations de l’Institut national de santé publique du Québec sont à l’effet qu’il faut deux BeLPT pour confirmer que le patient ne souffre pas de bérylliose chronique parce que ce genre de test est faussement négatif dans une très forte proportion.

[53]           Par contre, dans la mesure où l’avis du Dr Lagacé ne résiste pas à l’analyse et qu’il y a évidence d’exposition à de la poussière de béryllium, il n’est pas raisonnable de conclure comme le propose le Comité des maladies pulmonaires professionnelles et le Comité spécial des Présidents. La Commission des lésions professionnelles estime que la sarcoïdose et la bérylliose sont deux maladies indissociables sur les plans cliniques, radiologique et histopathologique. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve est à l’effet que monsieur Goulet a été exposé au béryllium dans le cadre de son emploi chez l’employeur, dans le département du broyage. La Commission des lésions professionnelles en déduit qu’il est plus que probable que monsieur Goulet ait affecté d’une bérylliose chronique d’origine professionnelle.

[54]           Finalement, le travailleur bénéficie de la présomption édictée à l’article 29 de la LATMP. Le fardeau de preuve que le législateur impose à l’employeur lorsque la preuve est faite d’une exposition à des poussières de béryllium n’a pas été renversé par l’employeur. Il est vrai que le fardeau de preuve est lourd, mais le législateur a choisi de faciliter la preuve de maladie professionnelle lorsque des circonstances identiques à celles mises en preuve en la présente sont établies.

[55]           Il en résulte que la Commission des lésions professionnelles doit présumer que Monsieur Serge Goulet a été victime des suites de l’évolution fulgurante d’un bérylliose chronique et que c’est cette condition qui a imposé son retrait de l’emploi à un aussi jeune âge.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la présente contestation ;

 

INFIRME la décision rendue par la Direction de la Révision administrative de la région de Saguenay-Lac-Saint-Jean le 17 juin 2003 ;

 

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 16 décembre 2002 ;

 

DÉCLARE que Monsieur Serge Goulet a subi une lésion professionnelle ;

 

DÉCLARE que Monsieur Serge Goulet a été victime des conséquences d’une exposition significative à des poussières contenant du béryllium et que, conséquemment, il a été emporté par les séquelles d’une bérylliose chronique ;

 

CONSTATE que la progression de la maladie a été fulgurante dans son cas, au point où des examens nécessaires pour confirmer la cause principale du décès n’ont pu être pratiqués. Il en résulte que le travailleur bénéficie de la présomption prévue par la LATMP.

 

 

 

 

 

 

MICHEL RENAUD

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Jacques Degré

T.U.A.C. (LOCAL 509)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-Claude Turcotte

LORANGER, MARCOUX

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]         Succession Clément Guillemette et J.M. Asbestos inc., [1991] C.A.L.P. 309 , requête en révision judiciaire accueillie, [1992] C.A.L.P. 1640 (C.S.), appel rejeté, [1996] C.A.L.P. 1342 (C.A.), pourvoi accueilli, [1998] C.A.L.P. 585 (C.S.C.).

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