Paul et Garderie chez Tatie |
2009 QCCLP 6626 |
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[1] Le 20 février 2009, madame Gilberte Paul (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 22 janvier 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 1er octobre 2008 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile, soit des frais de déneigement et de tonte de la pelouse.
[3] À l’audience tenue à Montréal à la Commission des lésions professionnelles le 9 juillet 2009, la travailleuse, qui est aussi propriétaire de son entreprise, était représentée. L’affaire a donc été mise en délibéré le 9 juillet 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a droit au remboursement des frais de déneigement, de tonte de la pelouse et d’entretien ménager lourd.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse.
[6] La travailleuse a démontré qu’elle satisfait à toutes les conditions requises par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et la jurisprudence pour avoir droit au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile.
[8] Les conditions prévues pour avoir droit à un tel remboursement se retrouvent à l’article 165 de la loi qui se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[9] Pour avoir droit au remboursement des frais d’entretien courant du domicile, le travailleur doit faire la démonstration qu’il s’agit de travaux qui entrent dans la catégorie de l’entretien courant du domicile, qu’il a subi une atteinte permanente grave et qu’il est incapable de faire ces travaux qu’il effectuait normalement lui-même.
[10] Les travaux de déneigement et de tonte de la pelouse constituent des travaux d’entretien courant du domicile. En effet, selon la jurisprudence, les frais prévus à l’article 165 de la loi sont des frais d’entretien courant, tels que le déneigement et l’entretien du terrain[2].
[11] La question est plus controversée quant aux frais d’entretien ménager. Cependant, la soussignée partage l’interprétation de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lebel et Municipalité Paroisse de St-Éloi[3]. Le tribunal a décidé que les frais d’entretien ménager ne participent pas seulement au confort et à la propreté, mais aussi à l’entretien courant du domicile qui se détériorera en l’absence de tels soins[4]. Même si le droit à l’aide personnelle prévu à l’article 158 de la loi est refusé pour le motif que le travailleur est capable de prendre soin de lui-même, il pourrait avoir droit à ce remboursement à titre de frais d’entretien courant du domicile à l’article 165 de la loi s’il rencontre les autres conditions.
[12] Dans le présent dossier, selon l’évaluation faite des besoins de la travailleuse effectuée par madame Roxane Bouchard, ergothérapeute, elle n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi, puisqu’elle est capable de prendre soin d’elle-même. Toutefois, selon la même évaluation, il est manifeste que la travailleuse a besoin d’assistance complète pour les travaux d’entretien ménager lourd et d’une assistance partielle pour les travaux d’entretien léger du domicile.
[13] Quant à la notion d’« atteinte permanente grave », selon la jurisprudence, elle ne s’évalue pas seulement en fonction du pourcentage de l’atteinte, mais plutôt en fonction de la nature des limitations fonctionnelles. C’est ce qu’a retenu la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gagnon et Université Laval[5] en s’inspirant d’autres décisions :
[10] Or, tel que mentionné dans l’affaire Barrette et C.H. Ste-Jeanne-D’Arc2 :
[14] […] l’analyse du caractère « grave » d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ne doit pas se faire en regard du pourcentage de cette atteinte permanente, mais plutôt en regard de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les travaux visés par l’article 165 compte tenu des limitations fonctionnelles qui lui ont été reconnues. La Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit à ce sujet dans l’affaire Lalonde et Mavic Construction et CSST2 :
« [46] La jurisprudence majoritaire de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a établi que l’analyse du caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique doit s’effectuer en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165 de la loi². Dès lors, le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique n’est pas le critère unique et déterminant à tenir compte. Il faut s’interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Soulignons que les limitations fonctionnelles mesurent l’étendue de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle. […].
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2 Chevrier et Westburne ltée, CALP 16175-08-8912, 1990-09-25, M. Cuddihy; Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc., [1992] CALP 605 ; Gasthier inc. et Landry, CLP 118228-63 9906, 1999-11-03, M. Beaudoin; Dorais et Développement Dorais enr., CLP 126870-62B-9911, 127060-62B-9911, 2000-07-11, N. Blanchard; Allard et Plomberie Lyonnais inc., CLP 141253-04B-0006, 2000-12-11, H. Thériault; Thibault et Forages Groleau (1981), CLP 131531-08-0001, 130532-08-0001, 2001-03-23, P. Simard »
[15] De plus, suivant la position adoptée dans les affaires Bouchard et Casse-Croûte Lemaire et CSST3 et Liburdi et Les spécialiste d’acier Grimco4, il faut prendre en considération le fait que des travaux d’entretien courant du domicile peuvent ne pas contrevenir aux limitations fonctionnelles et ce, compte tenu du caractère occasionnel et non urgent de certains d’entre eux qui permet au travailleur de les exécuter à son propre rythme ou encore, compte tenu de la possibilité de les exécuter en adaptant les méthodes de travail habituellement employées.
[16] Ainsi, selon ces règles posées par la jurisprudence, il sera possible de conclure à l’existence d’une atteinte permanente grave à l’intégrité physique eu égard à une des activités visées par l’article 165 et non pas eu égard à une autre de ces activités puisque le caractère grave d’une telle atteinte repose sur l’analyse de la compatibilité des limitations fonctionnelles du travailleur avec les exigences physiques propres à chacun des travaux d’entretien courant.
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2 C.L.P. 146710-07-0009, 28 novembre 2001, M. Langlois.
3 C.A.L.P. 13003-09-8908, 27 mai 1993, R. Chartier.
4 C.L.P. 124728-63-9910, 9 août 2000, J.-M. Charrette.
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2 C.L.P. 227586-61-0402, 24 juin 2004, G. Morin
[14] Dans le présent cas, la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 17 mai 2006 après avoir changé un enfant dans un service de garde.
[15] Le diagnostic de cette lésion est celui d’entorse lombaire sur « discopathies protrusions L3-L4 ». La Commission des lésions professionnelles, le 16 janvier 2008, ne reconnaît pas que les diagnostics de « discopathie, protrusion L3-L4 sur sténose et arthrose » sont en relation avec la lésion professionnelle reconnue, soit une entorse lombaire.
[16] Le 2 octobre 2007, le docteur Chartrand complète un rapport final dans lequel il établit la date de consolidation le 2 octobre 2007 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il complète ensuite un rapport d’évaluation médicale en tenant compte de la discopathie et attribue un pourcentage d’atteinte permanente de 24 % et des limitations fonctionnelles de la classe IV de l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST).
[17] Le 22 août 2007, le docteur Claude Godin, orthopédiste, examine le travailleur à titre de médecin désigné. Il conclut plutôt à un pourcentage d’atteinte permanente de 2,20 % pour l’entorse lombaire et des limitations fonctionnelles de la classe I de l’IRSST.
[18] La travailleuse est ensuite examinée par le docteur André L. Desjardins, orthopédiste, à titre de membre désigné du Bureau d’évaluation médicale. Il n’obtient pas une bonne collaboration de la travailleuse lors de l’examen physique de sorte qu’il a été impossible de procéder à l’examen physique. Le docteur Desjardins, qui devait faire l’évaluation des limitations fonctionnelles, conclut :
Il m’est impossible de répondre à la question qui m’est demandé.
J’ai tout simplement été incapable d’évaluer cette travailleuse. Je dois avouer que mon observation de cette travailleuse m’a laissé perplexe. Il s’agit d’une situation exceptionnelle pour laquelle je suis confronté pour la première fois depuis que je pratique comme chirurgien orthopédiste.
[sic]
[19] Cependant, il n’y a pas d’autre avis dans le dossier.
[20] La CSST a alors rendu plusieurs décisions.
[21] Le 14 septembre 2007, la CSST rend une décision dans laquelle elle informe la travailleuse qu’elle a droit à une indemnité pour préjudice corporel correspondant au pourcentage d’atteinte permanente de 2,20 % qui lui a été attribué.
[22] Le 5 novembre 2007, la CSST a rendu une décision informant la travailleuse que le membre du Bureau d’évaluation médicale n’a émis aucune conclusion ni recommandation à la suite de l’examen du 16 octobre 2007. De ce fait, la CSST informe la travailleuse qu’elle a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité de travail.
[23] Puis, le 21 novembre 2007, la CSST rend une décision portant sur la capacité de la travailleuse et conclut qu’il est actuellement impossible de déterminer un emploi qu’elle est capable d’exercer et qu’elle a droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 68 ans.
[24] Le 26 septembre 2008, la CSST informe la travailleuse qu’elle n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile.
[25] À partir de ces faits, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse demeure avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui répondent à la notion d’« atteinte permanente grave ».
[26] Les limitations fonctionnelles n’ayant pas été établies par le Bureau d’évaluation médicale, la CSST était liée par l’opinion du médecin traitant, qui a octroyé des limitations fonctionnelles de la classe IV de l’IRSST. Cependant, ces limitations fonctionnelles avaient été attribuées en tenant compte d’une discopathie qui n’a pas été reconnue comme étant en relation avec la lésion professionnelle. Mais, en l’absence d’avis complémentaire du Bureau d’évaluation médicale pour préciser cette situation, le tribunal n’a d’autre choix que d’être lié par l’évaluation du médecin traitant.
[27] La preuve permet donc de retenir qu’elle présente une atteinte permanente grave.
[28] Les limitations fonctionnelles émises l’empêchent de faire la tonte du gazon, le déneigement et l’entretien ménager lourd.
[29] Dans son témoignage à l’audience, la travailleuse affirme qu’elle effectuait elle-même la tonte du gazon de son terrain et le déneigement. Elle effectuait aussi l’entretien ménager lourd du premier étage de son domicile alors que son fils entretient le sous-sol. Elle requiert maintenant les services d’un préposé à l’entretien pour effectuer ces tâches.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Gilberte Paul, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 22 janvier 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais de déneigement, de la tonte du gazon et de l’entretien ménager lourd selon les normes établies.
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Anne Vaillancourt |
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Me Julien David Hobson |
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F.A.T.A. - MONTRÉAL |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Savard et Jean Leclerc Excavation, C.L.P. 354301-31-0807, 17 décembre 2008
[3] C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault
[4] Voir aussi Frigault et Commission scolaire de Montréal et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau
[5] C.L.P. 351898-31-0806, 9 janvier 2009, M. Racine
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