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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 8 février 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête pour demander la révision d’une décision rendue le 20 décembre 2001.
[2] Cette décision accueille la requête de madame Palma Mazzaferro (la travailleuse), infirme une décision rendue le 17 novembre 2000 par la CSST à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse a subi, le 17 août 1999, une rechute, récidive ou aggravation d’une lésion professionnelle initialement subie le 17 novembre 1983.
[3] Aux date et heure fixées pour l’audience de la présente requête, le 6 août 2003, la travailleuse et la CSST sont présentes et représentées. Confection de vêtements Nadia Inc. (l’employeur) est absent. À la demande des représentantes, un délai est consenti pour le dépôt d’arguments écrits supplémentaires. Le dernier texte est reçu le 15 octobre 2003, date du début du délibéré.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser sa décision rendue le 20 décembre 2001 et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 17 août 1999.
LA PREUVE
[5] Le 17 novembre 1983, la travailleuse subit une lésion professionnelle qui sera consolidée en mai 1985, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle. Cette lésion concerne la hanche droite et la région lombaire. Elle n’a donc pas droit à la réadaptation et le versement de ses indemnités de remplacement du revenu cesse le 22 mai 1985. Par ailleurs, la Commission des affaires sociales, par décision datée du 31 janvier 1994, dispose que la lésion professionnelle subie le 17 novembre 1983 est responsable d’un déficit anatomo-physiologique psychique de 3% pour une réaction anxio-dépressive mineure reliée à un problème de douleur chronique et de 1% pour inaptitude à reprendre le travail.
[6] À deux reprises, le 13 mai 1992 et le 23 février 1996, la travailleuse présente des réclamations à la CSST pour rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale. À ces deux demandes, la CSST répond par la négative. Dans ses décisions des 5 novembre 1992 et 12 mars 1996, la CSST informe la travailleuse que la protrusion discale n’est pas reliée à la lésion professionnelle subie le 17 novembre 1983. Le 14 décembre 1999, la travailleuse présente la réclamation à l’origine du présent débat. Cette réclamation est accompagnée d’une lettre de son médecin qui soutient qu’une intervention chirurgicale au niveau L5-/S1, pratiquée le 17 août 1999, est une conséquence de la lésion professionnelle subie le 17 novembre 1983.
[7] La CSST, par décision datée du 20 septembre 2000, refuse cette réclamation pour deux raisons :
« (…) Le rapport médical no. (…) mentionne un diagnostic d’hernie discale, suite au Ctscan fait en janvier 1999. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter cette réclamation pour les raisons suivantes :
Vous aviez 6 mois à partir de la connaissance de ce diagnostic pour présenter une réclamation à la CSST.
Cette condition lombaire a déjà fait l’objet d’un refus (92/11 et 92/12); conséquemment, le diagnostic d’hernie discale n’est pas en relation avec l’événement du 17 novembre 1983.»
[8] Cette décision est confirmée éventuellement par la révision administrative, le 17 novembre 2000 et la travailleuse s’en plaint à la Commission des lésions professionnelles.
[9] Les parties sont convoquées pour audience devant le tribunal le 24 avril 2001. À cette date, la travailleuse est présente et représentée. L’employeur est absent et la CSST n’a pas déposé d’intervention au dossier. Dans sa décision rendue le 20 décembre 2001, laquelle fait l’objet du présent débat, la commissaire signataire relate ainsi la teneur de l’audience du 24 avril 2001 :
« [3] À l’audience du 24 avril 2001, la travailleuse est présente et représentée. La procureure de la travailleuse a demandé à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur la recevabilité de la réclamation de la travailleuse eu égard au délai de l’article 270 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la Loi), et sur la conclusions de la CSST quant à la «chose jugée». La Commission des lésions professionnelles a rendu une décision sur procès-verbal le 24 avril 2001, reconnaissant que la réclamation du 14 décembre 1999 respectait le délai de l’article 270 de la Loi, et que cette réclamation devait être analysée au mérite, malgré le rejet de ses réclamations de 1992 et 1996 pour des récidives, rechutes ou aggravation.»
[10] Il est en preuve que la CSST a été notifiée de cette décision, le ou vers le 25 mai 2001. Suite à cette décision préliminaire, les parties sont convoquées pour l’audience du fond, le 25 septembre 2001. À cette date, la travailleuse est présente et représentée; l’employeur est absent et la CSST n’a pas déposé d’intervention au dossier. Le 20 décembre 2001, la Commission des lésions professionnelles rend la décision attaquée en l’instance. Elle accueille les prétentions de la travailleuse et déclare que le 17 août 1999, elle a subi une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle initialement subie le 17 novembre 1983.
[11] Le 8 février 2002, la CSST dépose la présente requête en révision de la décision du 20 décembre 2001. Elle invoque que cette décision est entachée d’un vice de fonds ou de procédure de nature à l’invalider. Elle s’exprime ainsi :
« 20. La décision de la Commission des lésions professionnelles est entachée d’un vice de fonds ou de procédure de nature à invalider celle-ci plus particulièrement en ce que :
a) La Commission des lésions professionnelles commet une erreur de droit manifeste en omettant d’accorder une force obligatoire à la décision finale et irrévocable du Bureau de révision en date du 24 février 1986 laquelle concluait à l’absence de relation causale entre la condition de dégénérescence discale lombaire au niveau L5-S1 et l’accident du travail du 17 novembre 1983. (…) Cette détermination du Bureau de révision sur l’absence de relation causale est finale et irrévocable et la Commission des lésions professionnelles devait lui reconnaître une force obligatoire : (…)
b) La Commission des lésions professionnelles commet une erreur de droit manifeste en refusant d’accorder une force obligatoire à la décision finale et irrévocable de la Commission en date du 12 mars 1996 laquelle concluait aussi à l’absence de relation causale entre la condition de dégénérescence discale lombaire au niveau L5-S1 et l’accident du travail du 17 novembre 1983, cette condition («détérioration de votre état de santé») étant reliée «plutôt à une condition personnelle»;
c) La Commission des lésions professionnelles a excédé sa compétence en ce qu’elle s’est arrogé une juridiction d’appel à l’égard de la décision du Bureau de révision en date du 24 février 1986, se substituant ainsi, sans droit, au tribunal compétent, soit la Commission des affaires sociales. (…)
d) La Commission des lésions professionnelles a excédé, de la même façon, sa compétence en ce qu’elle s’est arrogé une juridiction d’appel à l’égard de la décision de la Commission en date du 12 mars 1996, se substituant ainsi, sans droit, au tribunal compétent, soit le Bureau de révision paritaire;»
[12] Les parties sont convoquées pour l’audience de la présente requête, le 6 août 2003. La représentante de la travailleuse soulève d’abord la question du délai d’introduction du recours de la CSST. Puisque le motif soulevé dans la requête concerne une question dont la Commission des lésions professionnelles disposait dans sa décision préliminaire du 24 avril 2001, la présente requête, produite le 8 février 2002, ne respecte pas les délais impartis. La CSST ayant eu connaissance de la décision du 24 avril 2001, le ou vers le 25 mai 2001, sa requête, déposée le 8 février 2002 est irrecevable.
[13] La CSST répond qu’elle ne pouvait agir à l’égard d’une décision préliminaire et qu’elle n’a acquis l’intérêt d’agir qu’au moment de la décision finale du 20 décembre 2001. Ce n’est que lors de cette décision que le caractère déterminant de l’erreur manifeste a été connu. Dans son argumentation écrite déposée après l’audience, la CSST ajoute ce qui suit :
«2. La CSST n’invoque pas et ne plaide pas l’application du principe de l’autorité de la chose jugée dans sa requête en révision pour cause;
3. Nulle part dans sa décision interlocutoire du 24 avril 2001, la Commission des lésions professionnelles ne traite ou dispose de la question de l’effet des décisions finales et irrévocables, principe tout à fait différent de celui de la chose jugée qui, lorsqu’il s’applique, empêche le tribunal de se saisir du fond d’une question;
4. La Commission n’ayant jamais traité ou décidé de l’argument invoqué par la CSST (l’effet des décisions finales et irrévocables) dans sa décision du 24 avril 2001, mais plutôt de la question de la chose jugée, la CSST n’avait pas à produire sa requête en révision pour cause dans les 45 jours de la décision qu’elle n’avait aucun intérêt à attaquer;»
[14] Dans sa réponse du 9 octobre 2003, la travailleuse soutient que ces deux notions, «décision finale et irrévocable» et «chose jugée», sont des notions indissociables. La notion de «chose jugée» ne trouve son expression et son sens qu’à la lumière de l’existence d’une décision devenue irrévocable. En l’absence d’une telle décision, on ne saurait parler du principe de la «res judicata». Ainsi, la distinction qu’on tente de faire entre ces deux notions pour justifier l’absence d’intérêt à contester dès cette étape n’est que sémantique.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la présente requête et de réviser la décision du 20 décembre 2001. Le texte de la décision interlocutoire rendue le 24 avril 2001 ne dispose pas de la question du caractère final et obligatoire des décisions antérieures de la CSST. On ne peut supposer, de la lecture de ce texte, qu’elles ne seront pas prises en compte par la commissaire lors de l’étude du mérite du cas. Par conséquent, la CSST avait raison de ne pas agir à l’égard de cette décision et d’attendre la décision finale. Quant au mérite, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision comporte des erreurs de faits et de droit manifestes, déterminantes sur l’issue du litige. Particulièrement, la condition personnelle de la travailleuse est connue et établie depuis l’événement initial. Il est donc erroné de conclure à une relation entre une aggravation d’une condition personnelle et un événement initial n’ayant causé qu’une entorse lombaire.
[16] La membre issue des associations syndicales est d’avis que la présente requête est irrecevable parce que présentée en dehors des délais raisonnables prévus par la loi. La CSST se plaint des motifs contenus dans une décision rendue le 24 avril 2001, décision qu’elle a reçue le ou vers le 25 mai 2001. La requête qu’elle présente le 8 février 2002 est hors délai et la CSST n’offre aucun motif raisonnable pour expliquer son retard.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider si elle révise la décision qu’elle rendait le 20 décembre 2001. Une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. C’est ce que prévoit l’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi). Elle peut cependant être révisée ou révoquée conformément à ce que prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[18] En l’instance, la CSST invoque un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision rendue le 20 décembre 2001. La Commission des lésions professionnelles aurait commis une erreur de droit manifeste et déterminante en omettant d’accorder une force obligatoire à des décisions antérieures de la CSST. Ce faisant, elle aurait excédé sa compétence en s’arrogeant une juridiction d’appel à l’égard de ces décisions antérieures devenues finales et irrévocables.
[19] La travailleuse soumet que la requête de la CSST, transmise le 8 février 2002, est irrecevable parce que produite en dehors des délais légaux. C’est dans la décision du 24 avril 2001 que la Commission des lésions professionnelles disposait de la question de la force obligatoire des décisions antérieures, devenues finales et irrévocables. C’était donc à cette époque que la CSST devait s’en plaindre. La loi prévoit le délai d’introduction d’une requête en révision ou révocation à son article 429.57 :
429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.
La Commission des lésions professionnelles transmet copie de la requête aux autres parties qui peuvent y répondre, par écrit, dans un délai de 30 jours de sa réception.
La Commission des lésions professionnelles procède sur dossier, sauf si l'une des parties demande d'être entendue ou si, de sa propre initiative, elle le juge approprié.
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1997, c. 27, a. 24.
[20] Depuis la mise en vigueur de la loi qui nous gouverne, le 1er avril 1998, la Commission des lésions professionnelles fixe à 45 jours le délai raisonnable mentionné à l’article 429.57 de la loi pour introduire une requête en révision ou révocation d’une de ses décisions [2]. Si le délai, en l’instance, est computé à partir de la décision du 20 décembre 2001, il s’écoule cinquante jours entre cette décision et le 8 février 2002. Compte tenu de la période au cours de laquelle cette décision est rendue et notifiée à la CSST, il y a tout lieu de croire que la requête est produite à l’intérieur du délai raisonnable prévu à la loi. Cependant, la travailleuse invoque l’irrecevabilité de la requête du 8 février 2002 parce qu’elle prétend que la CSST devait présenter celle-ci à l’encontre de la décision du 24 avril 2001.
[21] La Commission des lésions professionnelles [3] a déjà décidé qu’une requête en révision peut être présentée à l’encontre d’une décision interlocutoire. Dans cette affaire, un employeur soumet que la requête en révision est prématurée en ce que la travailleuse n’a pas un intérêt actuel à la loger aussi longtemps que la décision finale disposant de la contestation de l’employeur n’a pas été rendue. La Commission des lésions professionnelles considère que, dans la mesure où l’article 429.56 de la loi donne ouverture à demande la révision ou révocation d’une décision, ordre ou ordonnance rendu par la Commission des lésions professionnelles, il n’y a pas lieu de restreindre ce recours aux seules décisions finales et d’en interdire l’exercice à l’encontre d’une décision interlocutoire. En l’instance, la CSST ne peut donc opposer le caractère interlocutoire de la décision du 24 avril 2001 pour dire qu’elle ne pouvait, à ce moment, introduire sa requête en révision.
[22] Cependant, pour justifier qu’elle devait attendre la décision finale du 20 décembre 2001 pour présenter sa requête en révision, la CSST précise qu’elle n’a acquis l’intérêt juridique de ce faire, qu’au moment de cette décision finale du tribunal. Au soutien de sa position, elle soumet deux raisons :
D’abord, dans la décision du 24 avril 2001, le caractère déterminant de l’erreur manifeste n’était pas encore connu;
Ensuite, parce que le motif soumis par la CSST concerne le principe de «l’effet des décisions finales et irrévocables» et non celui de la «chose jugée», tel que mentionné dans la décision du 24 avril 2001.
[23] Nous avons déjà mentionné que le 24 avril 2001, les parties étaient convoquées pour l’audience du fond de la contestation de la travailleuse. À cette date, c’est la travailleuse qui demande à la Commission des lésions professionnelles de disposer de questions préliminaires avant de l’entendre au mérite. En effet, la décision de la révision administrative rejetait la réclamation de la travailleuse pour deux motifs : le délai d’introduction de sa réclamation et l’existence de décisions antérieures de la CSST ayant un caractère final et irrévocable à l’égard de la question soumise.
[24] La première commissaire dispose de ces questions préliminaires dans un procès-verbal daté du 24 avril 2001. Elle déclare que la réclamation de la travailleuse respecte le délai prévu à l’article 270 de la loi et, quant aux décisions antérieures de la CSST, elle s’exprime ainsi :
«La CSST a eu tort de conclure au rejet de la réclamation, dans sa décision du 20/9/00, pour le motif que la CSST avait déjà refusé des rechutes alléguées par la travailleuse en novembre 1992 et décembre 1996. En effet, l’aggravation alléguée du mois d’août 1999 doit être analysée au mérite.
À la demande de la travailleuse, la cause sera remise en septembre 2001 quant au fond du litige. Ce délai vise à lui permettre d’obtenir une expertise médicale ou à tout le moins une consultation auprès d’un médecin expert en vue de procéder sur le fond du litige.»
[25] Sur ces paragraphes contenus dans la décision préliminaire du 24 avril 2001, la CSST s’exprime ainsi dans son argumentation écrite du 4 septembre 2003 :
«6. Ce n’est que lors de la réception de la décision au mérite rendue le 20 décembre 2001 que la CSST a pu constater que la CLP n’avait accordé aucun effet aux décisions devenues finales refusant une réclamation pour rechute, récidive ou aggravation le 13 mai 1992 et une autre le 23 février 1996 et qu’ainsi est né son intérêt à demander la révision de cette décision;»
[26] La lecture de ce paragraphe étonne. En effet, la première commissaire ne pouvait être plus claire dans son procès-verbal du 24 avril 2001 lorsqu’elle écrit que la CSST a eu tort de conclure au rejet de la réclamation au motif qu’elle avait déjà refusé des rechutes alléguées et que l’aggravation du mois d’août 1999 doit être analysée au mérite. Comment croire que lors de l’audience au fond, la première commissaire aurait pu conclure à l’effet obligatoire, final et irrévocable des décisions antérieures et ainsi rejeter la contestation de la travailleuse, alors qu’elle avait disposé, en préliminaire, que la CSST avait eu tort de conclure au rejet de la réclamation pour ce motif.
[27] Bien que la Commission des lésions professionnelles [4] ait déjà décidé du droit de la CSST de présenter une requête en révision malgré qu’elle ne soit pas intervenue au mérite, la soussignée est convaincue, de la lecture qu’elle fait des motifs soumis aux présentes, que la CSST, par le biais de la présente requête, cherche à faire la preuve de ce qu’elle aurait pu faire si elle était intervenue. Selon la jurisprudence, la CSST a un intérêt suffisant, en tant qu'organisme chargé de l'application de la loi et à titre d'administrateur du régime, pour exercer le recours en révision, et ce, afin de s'assurer du respect de la loi. Son intervention, doit cependant se limiter à faire la preuve d'un motif de révision. Elle ne peut faire la preuve qu'elle aurait pu faire si elle était intervenue.
[28] Quant à la deuxième raison soumise par la CSST pour expliquer qu’elle ne pouvait présenter sa requête en révision à l’encontre de la décision du 24 avril 2001, au motif que la première commissaire utilise l’expression «chose jugée» plutôt que «effet des décisions finales et irrévocables», la soussignée est d’accord avec la travailleuse qu’il s’agit là d’un débat de sémantique. L’un et l’autre de ces concepts visent à interdire à un tribunal de se saisir ou de disposer d’une question déjà tranchée. D’ailleurs dans le contexte d’un débat plus large de ces deux concepts, la soussignée estime pertinent de reproduire ici un extrait de la doctrine [5]:
«Res judicata is sometimes confused with the principle of finality of statutory decisions and acts, and thus with the general theory of judicial control. If a public authority has statutory power to determine some question, for example the compensation payable to an employee for loss of office, its decision once made is normally final and irrevocable. This is not because the authority and the employee are estoppel from disputing it, but because, as explained elsewhere, the authority has power to decide only once and thereafter is without jurisdiction in the case. Conversely, where a statutory authority determines some matter within its jurisdiction, its determination is binding not because of any estoppel but because it is a valid exercise of statutory power. The numerous cases which hold that a decision within jurisdiction is unchallengeable have therefore no necessary connection with res judicata. Res judicata does nothing to make the initial decision binding: it is only because the decision is for some other reason binding that it may operate as res judicata in later proceedings raising the same issue between the same parties». (page 277)
[29] Le 24 juillet 2002 [6], la Commission des lésions professionnelles dispose d’une requête par laquelle le travailleur demande la révision d’une décision au motif que la première décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il reproche à la commissaire d’avoir commis une erreur de droit manifeste en refusant d’appliquer la règle de l’autorité de la chose jugée. Dans cette décision disposant de la requête en révision, après avoir rappelé que le fait de suivre un courant jurisprudentiel plutôt qu’un autre ne constitue pas un motif donnant ouverture à révision et que ce recours n’est pas le moyen approprié pour trancher des conflits jurisprudentiels, la commissaire s’exprime ainsi :
« [39] Il faut également mentionner que si la commissaire en vient à la conclusion que la règle de l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas au cas qui lui est soumis, elle reconnaît par ailleurs le caractère final et irrévocable des décisions de la Commission d’appel et de la Commission des lésions professionnelles. Se référant à la doctrine et à la jurisprudence, elle distingue clairement ces deux concepts juridiques et reconnaît que la décision rendue le 29 janvier 1998 par la Commission d’appel est devenue finale et irrévocable. Elle prend soin de mentionner que toute décision à venir sur le bien fondé de la seconde réclamation du travailleur devra tenir compte de cette décision. Il est clair que le travailleur, sur la base des mêmes faits, ne pourra obtenir une décision qui irait à l’encontre de celle qui a déjà été rendue par la Commission d’appel.
[40] Toutefois, étant validement saisie d’une contestation d’une décision de la CSST sur le bien fondé d’une réclamation, la commissaire estime que la Commission des lésions professionnelles doit examiner le bien fondé de cette réclamation dans le cadre d’une audition au mérite. (...)»
[30] En l’instance, peu importe le concept qu’aurait pu utiliser par la première commissaire, à savoir l’autorité de la chose jugée ou l’effet obligatoire des décisions antérieures finales et irrévocables, concepts distincts mais qui aboutissent au même résultat, c’est dans sa décision du 24 avril 2001 qu’elle indique clairement qu’elle disposera de la question soumise par la travailleuse sans égard au contenu des décisions antérieures rendues par la CSST et concernant d’autres demandes de rechute, récidive ou aggravation.
[31] Dans son texte du 24 avril 2001, le caractère déterminant de la position adoptée par la première commissaire est on ne peut plus apparent. Cela est tellement vrai qu’elle ne reviendra pas sur ce débat préliminaire lorsqu’elle décide du mérite du cas, le 20 décembre 2001.
[32] La CSST se plaint de motifs contenus dans une décision de la Commission des lésions professionnelles datée du 24 avril 2001. Sa requête en révision, présentée le 8 février 2002, largement en dehors du délai raisonnable de quarante-cinq jours, ne respecte pas le délai imparti par la loi. Au surplus, elle n’offre aucun motif raisonnable pour expliquer son retard. La requête en révision de la CSST est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE IRRECEVABLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
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Louise Boucher, avocate |
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Commissaire |
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Me Céline Giguère |
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Turbide, Lefebvre, Giguère |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Lucille Giard |
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Panneton, Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
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[1] L.R.Q. chap. A-3.001
[2] Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860
[3] Desrochers et Marché Bel-Air inc., 90831-63-9708, 99-12-13, P. Brazeau.
[4] CSST et Restaurants McDonald du Canada ltée, [1998] C.L.P. 1318 ; Hardoin et Société Asbestos ltée, 116756-03-9905, 00-09-05, G. Tardif, révision rejetée, 02-03-05, M. Beaudoin, (01LP-182).
[5] William WADE et Christopher FORSYTH, Administrative Law, 7e éd., Oxford, Clarendon Press, 1994, 1039 p.
[6] Dallaire et Marcel Lauzon inc., 133710-05-0003, 02-07-24, M. Zigby
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