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Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Centre de santé Vallée-de-la-Gatineau

2013 QCCLP 1401

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

4 mars 2013

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

378829-07-0905

 

Dossier CSST :

129356846

 

Commissaire :

Pierre Sincennes, juge administratif

 

Assesseur :

Jean-Marc Beaudry, médecin

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Centre de santé Vallée-de-la-Gatineau

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 22 mai 2009, Centre de santé Vallée-de-la-Gatineau, l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 13 mai 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision rendue initialement le 10 novembre 2008 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Rolande Crites, la travailleuse, le 4 février 2006.

[3]           Une audience a lieu à Gatineau le 26 juin 2012 en présence du procureur de l’employeur. La CSST a informé le tribunal de son intention de ne pas être représentée à l’audience. À la demande du procureur de l’employeur, le dossier est mis en délibéré le 16 octobre 2012, après la réception de documents médicaux supplémentaires.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’attribuer 5% du coût des prestations à son dossier financier et d’imputer 95% de ces coûts à l’ensemble des employeurs.

LES FAITS

[5]           Le 4 février 2006, la travailleuse, alors âgée de 46 ans, ressent une douleur au bas du dos et un engourdissement à la jambe gauche après avoir tourné la chaise d’une bénéficiaire pour la soulever.

[6]           Le 5 février 2006, le docteur Edi Patzev pose les diagnostics d’entorse lombaire et de radiculopathie L4-L5.

[7]           Le 27 février 2006, le docteur Christopher Place, radiologue, commente le résultat d’un scan lombaire :

Impression : Examen démontrant la présence de discopathie dégénérative légère à L4-L5 mais surtout la présence de protrusion para-centrale droite L5-S1 tel que décrit ci-haut.

 

 

[8]           Le même jour, le docteur Place procède à une radiographie de la colonne lombosacrée. Il note la présence de cinq vertèbres de configuration lombaire et une vertèbre de transition avec sacralisation de L5 et spina bifida occulta L5. Le radiologue ajoute qu’il y a une diminution de l’espace discal à ce dernier niveau mobile. Au niveau de L1, il remarque la présence d’apophyses transverses proéminentes et la présence de petites calcifications de l’ordre de trois à quatre millimètres en paralombaire droit, soit dans la vésicule biliaire ou au niveau des ombres rénales.

[9]           Le 27 mai 2006, le docteur Patzev ajoute le diagnostic de hernie discale L5-S1 à ceux déjà émis.

[10]        Le 6 juin 2006, la travailleuse consulte la docteure Élena Likavca, neurologue. Le médecin ne constate pas de déficit neurologique à l’examen mais considère qu’il importe d’éliminer la possibilité d’une radiculopathie L5 à gauche en raison des symptômes subjectifs. Son impression diagnostique est : entorse lombaire, protrusion paracentrale L5-S1 droite au scan lombosacré.

[11]        Le 12 juin 2006, la travailleuse subit un EMG effectué par le docteur Besemann, physiatre. L’examen s’avère normal et le médecin précise que la travailleuse présente une composante émotive à la perception de la douleur.

[12]        Le 21 juin 2006, le docteur Patzev retient les diagnostics d’entorse lombaire, hernie discale, entorse sacro-iliaque et radiculopathie.

[13]        Le 28 juin 2006, un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire révèle la présence de changements dégénératifs et d’une petite protrusion discale paracentrale droite avec kyste associé à L5-S1, entraînant une compression de la racine nerveuse S1 droite. On ne note pas de sténose spinale.

[14]        Le 29 juin 2006, un examen par résonance magnétique démontre la présence d’une maladie discale dégénérative à L5-S1 avec une protrusion paracentrale se dirigeant vers la droite avec un petit kyste associé. On note également un début de maladie discale dégénérative à L4-L5.

[15]        Le 30 juillet 2006, le docteur Patzev pose le diagnostic de hernie discale secondaire à une entorse lombaire, recommande des traitements de physiothérapie et demande une consultation en neurologie pour sa patiente.

[16]        Le 8 septembre 2006, le docteur Patzev émet le diagnostic de hernie discale L5-S1. Il recommande la poursuite des traitements de physiothérapie, demande une évaluation pour un traitement par épidurale et indique que la travailleuse est en attente d’une consultation en orthopédie.

[17]        Le 13 septembre 2006, le docteur Pierre Matte produit une expertise médicale. Il souligne qu’un scan effectué le 27 février 2006 a démontré la présence de discopathie dégénérative légère à L4-L5 et une protrusion paracentrale droite L5-S1. La travailleuse affirme qu’elle ressent une douleur au niveau de la région lombaire basse à gauche, au niveau L5-S1. À son examen physique, le docteur Matte note une limitation de mouvements dans tous les axes.

[18]        Dans ses conclusions, le docteur Matte retient le diagnostic d’entorse lombaire non résolue, greffée sur une maladie discale dégénérative en présence d’une hernie discale L5-S1 droite. Il estime que cette hernie est reliée à une condition personnelle dégénérative non reliée au travail, soulignant que la symptomatologie alléguée par la travailleuse se situe à gauche et non à droite. Il est d’avis que la maladie dégénérative a joué un rôle déterminant dans le phénomène ayant provoqué la lésion, considérant le caractère mineur de l’incident. Le médecin ajoute que le handicap a également prolongé de façon appréciable la période de consolidation de la lésion.

[19]        Le 19 septembre 2006, le docteur A. Therrien émet les diagnostics d’entorse lombaire et de sciatalgie gauche. Il indique avoir procédé à une infiltration péridurale avec stéroïdes le même jour.

[20]        Le 30 novembre 2006, le docteur Karl Fournier, chirurgien orthopédique, produit une expertise médicale dans le cadre d’un avis du Bureau d’évaluation médicale et portant sur la question du diagnostic. À l’examen physique, le médecin note des amplitudes du rachis lombaire limitées dans toutes les directions et constate qu’en raison de la douleur à la hanche gauche, l’évaluation du problème lombaire s’avère impossible. Le docteur Fournier émet les commentaires suivants à l’égard du diagnostic de la lésion :

1. Besoin d’éliminer une pathologie au niveau de la hanche gauche.

2. Il est possible que cette dame ait aussi une entorse lombaire, mais ceci est impossible à évaluer de façon adéquate aujourd’hui.

3. Maladie discale dégénérative L4-L5, L5-S1 ( condition personnelle).

4. Absence complète d’évidence de hernie discale L5-S1.

 

 

[21]        Le 8 janvier 2007, la CSST rend une décision à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 23 novembre 2006 et déclare que le diagnostic d’entorse lombaire possible est relié à l’événement du 4 février 2006 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit.

[22]        Le 15 janvier 2007, une radiographie de la hanche gauche est décrite comme normale.

[23]        Le 27 janvier 2007, le docteur Patzev retient le diagnostic de hernie discale L5-S1 et mentionne qu’une radiographie simple de la hanche gauche s’est avérée négative.

[24]        Le 5 avril 2007, un examen par résonance magnétique de la hanche gauche ne démontre aucune lésion spécifique.

[25]        Le 1er mai 2007, le docteur Alain Jodouin, orthopédiste, produit une expertise médicale dans le cadre d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, sur les questions visant le diagnostic, la date de consolidation et la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou traitements administrés ou prescrits. À l’examen physique, le médecin remarque une limitation des amplitudes articulaires de la colonne lombaire à tous les niveaux.

[26]        À la rubrique Discussion, le médecin indique que la travailleuse est symptomatique d’une lombalgie prédominante intense, fort atypique avec des douleurs au membre inférieur gauche. Le docteur Jodouin note à cet égard qu’aucune pathologie à la hanche gauche n’a été identifiée à l’imagerie médicale. Il en conclut qu’aucun diagnostic concernant la hanche gauche ne peut être retenu et que le seul diagnostic en cause est celui d’entorse lombaire sur discopathie L5-S1. Il consolide la lésion le 27 avril 2007 et considère suffisants les traitements déjà administrés.

[27]        Le 16 mai 2007, la CSST rend une décision à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 1er mai 2007. On informe la travailleuse que les soins ou traitements ne sont plus justifiés depuis le 27 avril 2007, mais que malgré la consolidation de la lésion, elle continuera de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa capacité à exercer un emploi.

[28]        Le 24 juillet 2007, le docteur Denis Hallé, neurologue, produit une expertise médicale à l’intention de la CSST. À l’examen physique, le docteur Hallé note des mouvements d’amplitude lombaire limités dans toutes les directions. Dans ses commentaires, le médecin constate de fortes discordances subjectivo-objectives en soulignant que l’examen clinique ne révèle pas d’anomalies organiques franches, que les examens paracliniques sont négatifs, que le EMG s’avère normal et qu’il n’y a pas d’évidence de radiculopathie ou de hernie discale à gauche.

[29]        Dans ses commentaires, le docteur Hallé souligne :

Tout comme la grande majorité des intervenants médicaux au dossier, je considère que ce tableau est nettement atypique et je n’ai pas d’explication organique pour le tableau résiduel. Il y a aussi plusieurs signes de non organicistes à l’examen physique.

 

 

[30]        Dans ses conclusions, le docteur Hallé attribue un déficit anatomophysiologique de 2% pour une entorse lombaire et des limitations fonctionnelles de classe I.

[31]        Le 5 septembre 2007, l’employeur demande à la CSST  un partage du coût des prestations relatives à la lésion professionnelle de la travailleuse.

[32]        Le 14 septembre 2007, la travailleuse consulte le docteur Pierre Saint-Georges qui diagnostique une lombalgie chronique.

[33]        Le 26 septembre 2007, le docteur Ptazev recommande sa patiente à la clinique des douleurs du docteur Saint-Georges.

[34]        Le 17 octobre 2007, le docteur Michel C. Copti, neurologue, procède à une expertise médicale dans le cadre d’un avis du Bureau d’évaluation médicale. À la suite de son examen, le médecin souligne que le tableau est très atypique ainsi que le type de démarche de la travailleuse. Il conclut à la présence d’un déficit anatomophysiologique de 2% pour une entorse lombaire et émet des limitations fonctionnelles de classe I, tout en limitant la manipulation de charges à 20 kg.

[35]        Le 26 octobre 2007, la CSST rend une décision à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale du 17 octobre 2007. Elle déclare que la lésion professionnelle de la travailleuse a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles de sorte que l’indemnité de remplacement du revenu continuera de lui être versée jusqu’à ce que soit rendue une décision concernant sa capacité à exercer un emploi. Le même jour, la CSST informe la travailleuse qu’elle a droit à une indemnité forfaitaire pour dommage corporel de l’ordre de 1,389,23$ en raison de l’attribution d’une atteinte permanente de 2,20%.

[36]        Le 30 janvier 2008, le docteur Patzev pose les diagnostics de discopathie L5-S1 et de douleurs à la hanche gauche. Le médecin précise que l’état de la travailleuse se serait détérioré depuis l’infiltration péridurale.

[37]        Le 19 mars 2008, le docteur Patzev reprend les diagnostics de discopathie L5-S1 et de douleurs à la hanche gauche. Il indique que sa patiente a atteint un plateau d’amélioration et suggère que la CSST procède à une évaluation de la travailleuse.

[38]        Le 29 octobre 2008, la CSST informe la travailleuse que l’emploi convenable de réceptionniste-téléphoniste a été déterminé, au revenu annuel brut de 22,900.00$. La travailleuse est jugée apte à exercer cet emploi à compter du 24 octobre 2008, sous réserve du droit à une indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an.

[39]        Le 4 novembre 2008, le docteur Patzev retient les diagnostics de discopathie L5-S1 et de douleurs à la hanche gauche. Le médecin recommande un retour au travail progressif en limitant les limitations fonctionnelles émises.

[40]        Le 10 novembre 2008, la CSST refuse la demande d’imputation soumise par l’employeur le 5 septembre 2007. Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 13 mai 2009, d’où le présent litige.

[41]        Le 20 décembre 2008, le docteur Normand Taillefer produit une expertise médicale à la demande du représentant syndical de la travailleuse. À l’examen physique, il remarque que la mobilité dorsolombaire est limitée dans tous les axes, particulièrement l’extension dont la mesure est qualifiée de nulle. Le médecin ajoute les commentaires suivants :

Fait troublant et difficile à expliquer, la mobilisation passive (faite par l’examinateur) du premier orteil de chaque pied entraîne l’expression de vives douleurs lombaires. Il est à noter que les 2 genoux étaient fléchis lors de cette manœuvre.

 

…………….

Les signes de non organicité de Waddell sont tous positifs……

 

 

[42]        Dans ses conclusions, le docteur Taillefer croit que la travailleuse est souffrante, mais il constate que les douleurs lombaires et au membre inférieur gauche sont tout à fait atypiques et il croit qu’une composante non organique s’ajoute à la composante organique. Il est d’avis qu’en plus de ses douleurs lombaires, la travailleuse souffre d’un trouble somatoforme de type somatisation ou conversion. Il recommande ainsi une évaluation en psychosomatique pour aider la travailleuse au plan de la dimension psychique de sa douleur.

[43]        Le docteur Taillefer indique d’autre part que la travailleuse ne possède pas les capacités physiques et psychiques permettant de faire un travail conforme aux limitations fonctionnelles de classe I.

[44]        Le 17 février 2009, la docteure Marie Quintal, psychiatre, produit une expertise médicale à l’intention du représentant syndical de la travailleuse. À la suite de son examen, le médecin conclut au diagnostic suivant :

Axe I : Pas de diagnostic.

Axe II : Négatif.

Axe III : Syndrome de douleur chronique associé à une condition médicale générale.

 

Axe IV : Le seul facteur contributif relevé concerne les limitations secondaires à la douleur.

Axe V : Le niveau de fonctionnement actuel selon l’EGF : aux environs de 70.

 

 

[45]        La docteure Quintal précise que l’examen clinique ne permet pas de conclure à la présence de douleur chronique associée à des facteurs psychologiques et à une condition médicale générale qui fait partie des troubles somatoformes. Dans la recherche d’un diagnostic, le médecin souligne la possibilité de trouble factice ou de malingering, mais que la travailleuse n’en remplit pas les critères de façon convaincante. Lorsqu’elle commente l’historique du dossier de la travailleuse, le médecin précise :

Les seules observations troublantes sont l’intolérance généralisée aux médicaments, le manque de motivation soulevé à quelques reprises et l’absence de détresse marquée en rapport avec la douleur. Cela évoque une possibilité de trouble de conversion sans que l’on puisse parler de probabilité.

 

[46]        Le 16 avril 2009, le docteur Patzev recommande que la travailleuse effectue un retour progressif au travail à raison de deux jours par semaine.

[47]        Le 30 avril 2009, l’employeur informe la CSST, à la suite de la décision rendue le 10 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative, qu’il maintient que la travailleuse était porteuse d’une maladie discale dégénérative avec présence d’une hernie discale lombaire L5-S1 à droite et que cette condition personnelle a joué un rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion et qu’elle en a augmenté la gravité.

[48]        Le 10 septembre 2009, le docteur Patzev produit une attestation médicale dans laquelle il mentionne que la travailleuse présente une augmentation de ses douleurs à la hanche gauche et il fait alors état d’un arrêt de travail.

[49]        Le 30 octobre 2009, le docteur Patzev indique que la travailleuse présente des douleurs chroniques au dos et une hernie discale et une dépression secondaire. Il estime qu’elle est en invalidité totale et demande une consultation en neurochirurgie.

[50]        Le 2 novembre 2009, le docteur Patzev produit une attestation médicale dans laquelle il retient les diagnostics de discopathie et de douleurs à la hanche gauche, ainsi que de dépression secondaire, condition pour laquelle sa patiente est suivie par le docteur Payeur, psychiatre.

[51]        Le 17 novembre 2009, la travailleuse produit une réclamation à la CSST, alléguant avoir une rechute, récidive ou aggravation le 12 octobre 2009 de la lésion professionnelle survenue le 4 février 2006. Elle indique ce qui suit dans le formulaire de réclamation :

Douleurs chroniques dos, hernie discale

Dépression secondaire

 

 

[52]        Le 1er décembre 2009, le docteur Patzev émet le diagnostic de dépression secondaire à des douleurs chroniques et de discopathie.

[53]        Le 23 décembre 2009, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse à l’égard d’un diagnostic de dépression émis le 30 octobre 2009. Cette décision sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 19 février 2010.

[54]        Le 20 janvier 2010, le docteur R. Payeur, psychiatre, émet le diagnostic de dépression secondaire à des douleurs chroniques à la suite de l’accident du travail du 4 février 2006. Il considère que sa patiente est en invalidité totale permanente.

[55]        Le 12 février 2011, le docteur Pierre Laberge, psychiatre, produit une expertise à la demande du représentant de la travailleuse. Dans son anamnèse, le médecin souligne que le docteur Payeur, psychiatre, mentionne avoir de la difficulté à expliquer l’ampleur de la détresse de la travailleuse en regard du type de lésion physique qui semble plutôt bénigne. Le docteur Laberge précise à cet égard :

Le tout pourrait s’expliquer par une fibromyalgie post-traumatique, ce sera l’un des diagnostics retenus dans ce dossier où on retrouvera également le diagnostic de trouble somatoforme et celui de trouble de conversion, un accord paraissant s’être fait rejetant l’hypothèse d’une simulation, exagération volontaire ou malingering.

 

[56]        Le docteur Laberge souligne par ailleurs que la docteure Quintal ne retient aucun diagnostic de nature psychiatrique dans son expertise en se fondant sur l’absence d’un passé traumatique. Il mentionne également que le docteur Taillefer croit que la travailleuse souffre véritablement de douleurs lombaires et au membre inférieur gauche, tout en étant d’avis que ces dernières sont tout à fait atypiques et qu’une composante non organique s’ajoute au tableau physique.

[57]        En préambule à son opinion, le docteur Laberge rappelle que le diagnostic de troubles douloureux associé à des facteurs psychologiques, n’est ni la somatisation, ni la conversion, ni le trouble factice ou ni la fibromyalgie, mais constitue une entité clinique de nature psychopathogène bien identifiée. Dans le cas de la travailleuse, le médecin est d’avis qu’en tenant compte de la banalité relative de la blessure physique initiale, l’émergence d’un trouble douloureux non organique (difficultés familiales connues à l’adolescence) associé à une lésion physique mineure ne peut que référer à une condition personnelle de prémorbidité. Le docteur Laberge précise au sujet de cette condition personnelle :

…..laquelle a été révélée, actualisée, est apparue au grand jour faisant ressurgir des traumatismes anciens venant l’alimenter et l’opinion de l’auteur de ce rapport est que le lien de causalité entre le diagnostic retenu et le fait accidentel se justifie au titre d’une aggravation d’une condition personnelle préexistante au chapitre de la personnalité, habitus anxieux, traits narcissiques, faible capacité à mentaliser les problèmes.

 

[58]        Dans les conclusions de son expertise, le docteur Laberge émet le diagnostic suivant :

Axe-I : Trouble douloureux associé principalement à des facteurs d’ordre psychologique et secondairement à une condition médicale générale.

 

Axe-II : Les renseignements anamnestiques sont suffisants pour reconnaître l’existence d’une blessure narcissique ravivée par la blessure accidentelle, ainsi que des traits de dépendance s’étant manifestés par un long passé d’alcoolomanie.

 

Axe-III : Bon état général. Lésion musculo-squelettique mineure évaluée dans le dossier.

 

Axe-IV : Habitus obsessionnel compensatoire. Insécurité vis-à-vis l’avenir.

 

Axe-V : NGF : 65.

 

[59]        Il consolide la lésion le jour de son examen, estime la poursuite de traitements nécessaire pour la condition personnelle, émet des limitations fonctionnelles à l’égard de cette même condition personnelle et attribue un déficit anatomophysiologique de 15% pour une névrose de groupe 2.

[60]        Le 24 juillet 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision entérinant un accord et déclare que la travailleuse a la capacité d’exercer l’emploi convenable de réceptionniste-téléphoniste à compter du 23 octobre 2009, sous réserve du droit à une indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an.

[61]        Le 24 août 2012, le docteur Raynald Rioux produit une expertise médicale à la demande de l’employeur. Il est d’avis que le comportement clinique de la travailleuse tout au long du processus médical correspond parfaitement à la définition du trouble somatoforme décrit au DSM-IV. À cet égard, le médecin souligne que les plaintes physiques alléguées par la travailleuse ont duré sur une période d’au-delà de six mois, qu’elles sont nettement disproportionnées en regard de la condition diagnostiquée et que les plaintes physiques chroniques et inexpliquées ont conduit la travailleuse à consulter fréquemment des médecins. Le docteur Rioux reprend plusieurs exemples de phénomènes physiquement inexpliqués apparaissant aux différentes consultations médicales et aux examens d’imagerie médicale.

[62]        Le docteur Rioux estime par ailleurs que la travailleuse présente certains critères applicables en matière de trouble factice ou de simulation tel qu’il appert également du DSM IV. À ce titre, il souligne les discordances importantes entre les plaintes et les différents examens, ainsi que le fait qu’elle a évité de travailler pour obtenir des compensations financières. À titre illustratif, le médecin souligne que la travailleuse détenait une assurance hypothécaire en cas d’invalidité et ajoute qu’elle a réussi à obtenir de la CSST une majoration de l’indemnité de remplacement du revenu en affirmant avoir un conjoint à charge alors qu’une note évolutive du dossier de la CSST en octobre 2006 indique que le conjoint de la travailleuse travaillait. Le docteur Rioux précise que cliniquement, la seule et unique façon d’en arriver à un diagnostic de trouble factice est l’observation indirecte, soit d’observer le comportement d’une personne alors que cette dernière se croit à l’abri des observateurs, ce qui est le cas de la travailleuse.

[63]        Le docteur Rioux constate que l’événement était de nature à provoquer une entorse lombaire et souligne qu’il ne peut démontrer que l’attribution de limitations fonctionnelles et d’une atteinte permanente est due à autre chose qu’à cette entorse lombaire sur une discopathie dégénérative, même s’il lui apparaît probable que la somatisation a joué un rôle. Il conclut que la preuve a été faite que la condition personnelle intercurrente de trouble somatoforme et possiblement celle de trouble factice, a prolongé la période de consolidation et celle du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. À cet égard, le docteur Rioux précise que la période de consolidation attendue d’une entorse lombaire est d’environ cinq semaines alors qu’après 78 semaines, la travailleuse reçoit encore des prestations de la CSST.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[64]        Le procureur de l’employeur a d’abord soumis une argumentation verbale à l’audience et l’a complétée lors de son argumentation écrite ultérieurement.

[65]        À l’audience, il soumet que la travailleuse présentait une déficience lors de la survenance de l’événement du 4 février 2006, soit une discopathie dégénérative lombaire, tel qu’observé au scan lombaire effectuée le 27 février 2006. Il estime par ailleurs que l’atteinte permanente attribuée à la travailleuse et les limitations fonctionnelles émises à la suite de la lésion professionnelle l’ont été à l’égard de la condition personnelle dégénérative de celle-ci. Le procureur de l’employeur rappelle que la période de consolidation de la lésion, soit une entorse lombaire sur discopathie lombaire, s’est étendue sur une période de quinze mois et que la travailleuse a reçu une indemnité de remplacement du revenu du mois de février 2006 au mois d’octobre 2010.

[66]        Dans ses commentaires, le procureur de l’employeur commente l’interprétation à donner à la notion de norme biomédicale applicable en fonction des dispositions de l’article 329 de la loi. À cet égard, il affirme que la Cour Suprême du Canada ne rattache pas la notion de norme biomédicale à la qualification du terme handicap. Il ajoute que la Charte des droits et libertés reprend les mêmes éléments, soit de ne pas utiliser la notion de norme biomédicale, dans le but de ne pas créer de discrimination en fonction de l’âge d’une personne. Le procureur de l’employeur estime que dans l’application du handicap, on doit revenir à l’interprétation de l’article 99.3 de la Loi sur les accidents du travail[1] qui prévoyait la possibilité pour un employeur d’obtenir un partage de coûts en considérant que cet employeur avait embauché un travailleur handicapé. Selon le procureur de l’employeur, le cas de la travailleuse en cause doit permettre d’appliquer cette interprétation de la notion de handicap sans recourir à l’exigence de démontrer une déviation de la norme biomédicale, considérant particulièrement le caractère atypique de la condition médicale de la travailleuse, eu égard à la question de la déficience déviant de la norme biomédicale. Le procureur de l’employeur estime que l’application par la Commission des lésions professionnelles de l’interprétation actuelle de la notion de déficience déviant de la norme biomédicale va à l’encontre de l’esprit de la loi.

[67]        Dans son argumentation écrite complémentaire, le procureur de l’employeur demande au tribunal de reconnaître le bien-fondé de la demande de partage du coût des prestations relatives à la lésion professionnelle de la travailleuse sur la base des dispositions des articles 326, 31 et 327 et l’article 329 de la loi et considère que la preuve soumise permet d’accorder à l’employeur un partage du coût des prestations de l’ordre de 5% au dossier financier de l’employeur et de 95% aux employeurs de toutes les unités.

[68]        Le procureur de l’employeur est d’avis que l’opinion médicale du docteur Rioux démontre que la travailleuse est porteuse d’un trouble somatoforme et que cette déficience a joué un rôle déterminant sur les conséquences de la lésion professionnelle. Il ressort par ailleurs de l’expertise médicale du docteur Rioux que le dossier de la travailleuse fait état de très nombreux diagnostics, plusieurs fois erronés, émis tout au long du processus administratif et médical et que cette situation a empêché la travailleuse d’être traitée promptement. Dans cette optique, il appert que l’omission des soins à la travailleuse a contribué à l’augmentation des conséquences de la lésion, lesquelles auraient été beaucoup moins importantes en regard de la véritable lésion professionnelle reconnue par la CSST.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[69]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un partage du coût de prestations relatives à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 4 février 2006.

[70]        La demande de l’employeur est fondée à la fois sur les dispositions des articles 326, 31 et 327, ainsi que sur l’article 329 de la loi.

[71]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) prévoit une règle générale d’imputation à son article 326, en vertu de laquelle la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues à un travailleur en raison d’un accident du travail. Cet article se lit comme suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[72]        La demande de l’employeur vise en premier lieu l’application du second alinéa de l’article 326, soit que l’imputation faite à l’employeur a pour effet de l’obérer injustement.

[73]        Le troisième alinéa de l’article 326 prévoit que la demande de l’employeur doit être faite par écrit et contenir un exposé des motifs à son soutien, dans l’année suivant la date de l’accident. Dans le cas à l’étude, la demande de l’employeur fondée sur les dispositions de l’article 326 de la loi a été formulée dans l’argumentation écrite du procureur de l’employeur produite au tribunal le 16 octobre 2012. Le soussigné constate que la demande de l’employeur a été formulée en dehors du délai d’un an et aucune explication, visant à relever l’employeur de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 352 de la loi, n’a été soulevée ou soumise au tribunal.

[74]        Le soussigné a par ailleurs analysé la demande de l’employeur à la lumière de la demande d’imputation effectuée le 5 septembre 2007. À tout événement, cette demande référait spécifiquement à une demande d’imputation fondée sur l’article 329 de la loi, aucun motif n’ayant été allégué à l’égard d’une autre disposition législative relative à un transfert d’imputation. En outre, même si la demande formulée le 5 septembre 2007 avait été recevable en fonction d’un partage de coût fondé sur l’article 326 de la loi, une telle demande aurait également été hors délai.

[75]        Dans ce contexte, la demande de l’employeur fondée sur l’article 326 de la loi n’est pas recevable.

[76]        Par ailleurs, l’employeur fait valoir que sa demande peut aussi se fonder sur les articles 327 et 31 de la loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[77]        Le procureur de l’employeur est d’avis que l’expertise du docteur Rioux  démontre la multitude de diagnostics émis au dossier de la travailleuse et le fait que plusieurs de ces diagnostics se sont avérés erronés ont empêché la travailleuse d’être traitée promptement et que cette situation équivaut à une omission de soins au sens de l’article 31 de la loi et a fait en sorte d’augmenter les conséquences de la lésion. Le docteur Rioux appuie également son opinion sur la présence d’un trouble somatoforme chez la travailleuse qui a compliqué l’évaluation de la lésion professionnelle en raison d’allégations de douleurs non objectivées et qualifiées de non organiques.

[78]        La preuve documentaire et les commentaires du docteur Rioux quant à l’évolution de la lésion de la travailleuse permettent de constater que la présence de douleurs chroniques et de symptômes non expliqués tout au long du traitement du dossier de la travailleuse a pu retarder la consolidation de ladite lésion dont le diagnostic retenu par la CSST est celui d’entorse lombaire sur discopathie. Toutefois, le tribunal est d’avis que la situation soulevée par l’employeur ne répond pas aux critères prescrits par les articles 327 et 31 de la loi.

[79]        En effet, la preuve soumise au tribunal ne permet pas d’établir, de façon prépondérante, que la recherche de diagnostics reliés à la lésion de la travailleuse et le fait que certains de ces diagnostics soient inexacts, dans les circonstances, correspondent à une omission de soins tel que le spécifie le 1er alinéa de l’article 31. Bien que la condition psychologique de la travailleuse ait pu entraîner de longs délais et interférer dans la recherche d’un traitement approprié, on ne peut considérer une telle condition comme une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.

[80]        Il en va de même des commentaires du docteur Rioux quant aux délais qu’il qualifie d’inacceptables, attribuables à des erreurs d’identification de diagnostic de la part du médecin traitant de la travailleuse. Le docteur Rioux estime que le traitement administratif de la condition médicale de la travailleuse a engendré des délais indus et des conséquences importantes à l’égard des coûts de la lésion en raison de l’inexpérience du médecin de la travailleuse. Le tribunal ne peut souscrire à cet argumentaire du docteur Rioux. La documentation médicale retrouvée au dossier de la travailleuse fait certes état de nombreuses démarches de nature médicale en vue de préciser le ou les diagnostics découlant de la lésion professionnelle de la travailleuse, mais on ne peut conclure de cette situation qu’elle provient spécifiquement d’erreurs du médecin de la travailleuse, eu égard à l’ensemble de la preuve soumise.

[81]        L’analyse du dossier médical de la travailleuse permet d’observer que de nombreux médecins ont eu à examiner celle-ci et que différentes hypothèses ont été émises quant à la détermination de diagnostics se rattachant à sa condition médicale et en vue d’établir un plan de traitement approprié. La situation soulevée par le docteur Rioux, tout en étant à plusieurs égards bien étayée, peut par ailleurs s’expliquer, du moins en partie, par la complexité médicale de la condition de la travailleuse en regard de la présence continue de douleurs chroniques et d’allégation de symptômes douloureux atypiques et identifiés à plusieurs reprises comme non organiques, et ce, par plusieurs experts médicaux.

[82]        Dans un tel contexte, on ne peut conclure que la condition personnelle psychologique de la travailleuse, ayant interféré dans le processus de consolidation de la lésion professionnelle reconnue, constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi. La requête de l’employeur fondée sur la base des dispositions de l’article 327 de la loi ne peut être acceptée pour ces motifs.

[83]        En troisième lieu, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de faire droit à sa demande de partage de coût en fonction des dispositions de l’article 329 de la loi et d’imputer 5% du coût des prestations relatives à la lésion professionnelle du 4 février 2006 à son dossier financier et, 95% aux employeurs de toutes les unités.

[84]        L’article 329 de la loi prévoit ce qui suit :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[85]        Le principe général d’imputation est prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

[86]        La loi ne définit pas la notion de « travailleur déjà handicapé ». Après des débats sur la portée de cette expression, la Commission des lésions professionnelles a développé une jurisprudence maintenant bien établie[3]. Un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

[87]        L’employeur doit, dans un premier temps, établir par une preuve prépondérante que le travailleur est porteur d’une déficience avant que se manifeste sa lésion. Cette déficience a été définie comme « une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale ». Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Elle peut exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

[88]        Si l’on conclut à l’existence d’une déficience, l’employeur doit également démontrer que cette déficience a une incidence sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences. C’est la seconde étape.

[89]        À cet égard, plusieurs éléments peuvent être considérés[4] notamment la nature de la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial et l'évolution des diagnostics, la durée de la période de consolidation de la lésion, la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic reconnu, l'existence ou non de séquelles et l'âge du travailleur. Aucun de ces paramètres n'est à lui seul décisif, mais, considérés ensemble, ils permettent d'apprécier le bien-fondé de la demande de l'employeur.

[90]        Dans le cas à l’étude, le procureur de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’écarter, de la détermination de la notion de déficience et de handicap, l’obligation d’établir la preuve d’une telle déficience déviant de la norme biomédicale, pour les motifs allégués dans son argumentation orale à l’audience.

[91]        Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal ne partage pas l’argumentaire du procureur de l’employeur à cet égard. Sans reprendre chacun des éléments soumis  à l’appui de la demande du procureur de l’employeur, le soussigné est d’avis que les arguments, tels que soumis, ne permettent pas de conclure dans le sens souhaité par l’employeur. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles s’est penchée longuement sur la question de la déficience et du caractère déviant de la norme biomédicale et, depuis 1999, les paramètres à cet égard sont bien établis et font l’objet d’une quasi-unanimité des décideurs du tribunal sur cette question. Dans une décision relativement récente, la juge administrative Nadeau commente cette question en soulignant que certaines décisions avaient adopté une position différente de la notion de déficience déviant de la norme biomédicale, mais qu’il s’agissait de cas isolés et non repris par la suite par la Commission des lésions professionnelles[5].

[19] S’appuyant sur une décision récente, Transport Canpar, S.E.C.6, le procureur de l’employeur plaide que la preuve d’une déviation à une norme biomédicale n’est pas nécessaire et n’est pas prévue à l’article 329 de la loi.

 

[20] La Commission des lésions professionnelles ne peut souscrire à cette interprétation. Cette décision du 24 février 2011 demeure à ce jour une décision isolée7. Une recherche de jurisprudence en date du 28 juin 2011 révèle que déjà 20 juges administratifs8 n’ont pas retenu cette approche et ont repris l’analyse retenue dans Municipalité Petite-Rivière-St-François9 et maintenue par la jurisprudence quasi unanime du tribunal depuis plus de dix ans.

 

————

 

6.  2011 QCCLP 1388 .

7.  Signalons toutefois que le même juge administratif a rendu d’autres décisions dans le même sens, mais il demeure seul à soutenir cette interprétation.

8.  Les Créations Morin inc., 2010 QCCLP 8909 ; Parkway Pontiac Buick inc., 2011 QCCLP 2213 , révision pendante; CSSS d’Ahuntsic & Montréal-Nord, 2011 QCCLP 2704 ; Ling Québec inc., 2011 QCCLP 2715 ; Service Matrec inc., 2011 QCCLP 2983 ; D. Breton Chevrolet Buick GMC ltée, 2011 QCCLP 2991 ; Magasins Best Buy ltée, 2011 QCCLP 3012 ; Storex Industries Corporation, 2011 QCCLP 3063 ; Acier GP inc, 2011 QCCLP 3073 ; Bains Ultra inc., 2011 QCCLP 3300 ; Groupe Power, 2011 QCCLP 3337 ; CRDI Chaudière-Appalaches, 2011 QCCLP 3442 ; Gatineau (Ville de ), 2011 QCCLP 3486 ; Unicab inc., 2011 QCCLP 3700 ; Transport TFI 4 (Kingsway aliment), 2011 QCCLP 3714 ; Alimentation Tremblay et Laurencelle inc., 2011 QCCLP 3738 ; Wal-Mart Canada, 2011 QCCLP 3795 ; Pagé Sports Canada, 2011 QCCLP 3907 ; Hôpital Sainte-Justine, 2011QCCLP 3946; Boismat inc., 2011 QCCLP 3960 .

9.  Précitée, note 2.

 

[92]        Le soussigné partage les propos et la position retenus par la juge administrative Nadeau, ayant aussi eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans le même sens récemment.[6]

[93]        Dans le présent dossier, l’employeur soutient que la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle dégénérative de discopathie lombaire déjà présente lors de la survenance de la lésion professionnelle et identifiée par un examen d’imagerie médicale effectué le 27 février 2006, soit quelques semaines après l’événement accidentel en cause. L’employeur prétend par ailleurs que la condition personnelle de trouble somatoforme a entraîné des conséquences importantes relatives à la lésion professionnelle.

[94]        Lors de son argumentation portant sur l’application de l’article 329 de la loi, le procureur de l’employeur a soumis que l’expertise médicale du docteur Matte du 13 septembre 2008 avait relevé la présence d’une condition personnelle préexistante de discopathie lombaire en référant au résultat d’un examen d’imagerie médicale effectuée le 26 février 2006. Le procureur de l’employeur avait alors souligné que l’opinion du docteur Matte ne faisait pas état comme tel d’une déficience déviant de la norme biomédicale en regard de la condition personnelle alléguée et avait requis un délai additionnel pour produire une autre expertise médicale à l’appui de ses prétentions, tout en soumettant un argumentaire quant à l’interprétation à donner à la notion de handicap au sens de l’article 329 de la loi.

[95]        Le tribunal a par la suite analysé la documentation médicale soumise par le procureur de l’employeur, contenue à l’expertise du docteur Rioux. Or, l’opinion du docteur Rioux porte essentiellement sur la présence d’une condition personnelle psychologique de la travailleuse. Bien qu’il aborde la question de la condition dégénérative lombaire de cette dernière dans son opinion, le docteur Rioux n’apporte pas d’éléments spécifiques quant à la présence d’une déficience préexistante déviant de la norme biomédicale à cet égard. Dans ce contexte, le tribunal ne peut retenir la prétention de l’employeur quant à l’application de l’article 329 de la loi en lien avec la condition dégénérative lombaire alléguée en l’absence de preuve prépondérante à cet effet.

[96]        Le tribunal est d’avis de concentrer son analyse de la preuve documentaire sur l’existence d’une condition d’ordre psychologique de la nature d’un trouble somatoforme, personnel à la travailleuse, tel que soumis par l’employeur.

[97]        La preuve révèle que dès le mois de juin 2006, le docteur Beseman souligne, à l’examen de EMG qualifié de normal, que la travailleuse présente une composante émotive à la douleur. Par ailleurs, entre le mois de septembre 2006 et décembre 2008, au moins quatre médecins notent que l’examen physique de la travailleuse démontre des limitations d’amplitude dans tous les axes mesurés. Le docteur Taillefer, lors de son examen du 20 décembre 2008, souligne que la mesure de l’extension de la colonne lombaire est nulle. Dans cette optique, durant la même période, de nombreux médecins en viennent à la conclusion que la travailleuse présente un tableau, de douleurs lombaires et à la hanche gauche, considéré très atypique et ponctué de fortes discordances subjectivo-objectives ainsi que de nombreux signes de non organicité.

[98]        Le tribunal note par ailleurs que le docteur Taillefer, dans une expertise médicale du 20 décembre 2008, soupçonne la présence d’un trouble somatoforme chez la travailleuse et recommande une évaluation psychique de la douleur. Le 8 décembre 2008, la docteure Quintal, psychiatre, conclut à l’absence de diagnostic psychiatrique à l’Axe I en mentionnant qu’elle ne constate pas à son examen la présence d’un trouble somatoforme. Toutefois, le docteur Laberge, dans une expertise psychiatrique du 12 février 2011, exprime son désaccord avec les conclusions de la docteure Quintal et estime que la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle de prémorbidité laquelle a été révélée, actualisée, est apparue au grand jour faisant resurgir des traumatismes anciens. Le docteur Legendre conclut que la condition actuelle de la travailleuse constitue une aggravation d’une condition personnelle préexistante au chapitre de la personnalité, habitus anxieux, traits narcissiques et faible capacité à mentaliser les problèmes. Le docteur Rioux conclut également, dans son expertise du  24 août 2012, à un diagnostic de trouble somatoforme, tout en ajoutant que la travailleuse répond aussi à certains critères relatifs à un trouble factice ou de simulation.

[99]        Dans un cas récent, similaire à celui en cause dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles a conclu que le trouble somatoforme identifié chez une travailleuse, constituait aussi une déficience déviant de la norme biomédicale dans les termes suivants[7] :

[47] La présence du trouble somatoforme chez la travailleuse constitue une déviance par rapport à une norme biomédicale. Le docteur Tremblay affirme d’ailleurs que les manifestations somatiques et psychosomatiques qu’il retrouve chez elle ne sont présentes que dans une proportion de 1 % à 2 % de la population. Il ajoute qu’elles sont souvent associées à des symptômes dépressifs et à des abus de substance, ce qui complique énormément l’évaluation médicale.

 

 

[100]     La majorité des décisions en matière d’imputation ont qualifié la notion de trouble somatoforme de déficience préexistante déviant de la norme biomédicale de par la nature même du trouble de la personnalité identifié chez le travailleur[8]. Dans une affaire, la Commission des lésions professionnelles fait le constat suivant à partir de l’expertise écrite d’un psychiatre[9]:

[59] Dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles constate qu’une entorse dorso-lombaire simple évolue vers un trouble somatoforme douloureux. Or, selon le docteur Nowakowski, le développement d’un tel trouble implique nécessairement des conflits intra-psychiques préexistants. Il s’agit donc d’altérations à la fonction psychologique de la travailleuse. Ces altérations ne se retrouvent pas chez l’ensemble de la population et elles dévient donc de la norme biomédicale.

 

 

[101]     Le tribunal est d’avis que l’employeur a démontré la présence d’une déficience de nature psychologique chez la travailleuse, préexistante à la lésion professionnelle du 4 février 2006, tel qu’il ressort de la preuve prépondérante soumise au dossier. La condition personnelle de prémorbidité en lien avec le diagnostic de trouble somatoforme constitue, dans les circonstances particulières du présent cas, un handicap au sens de l’article 329 de la loi. Le tribunal retient par ailleurs de l’ensemble de la preuve que cette condition psychologique correspond à une déviation de la norme biomédicale de par la nature même du caractère prémorbide de la personnalité de la travailleuse.

[102]     En présence d’une déficience préexistante, le tribunal doit déterminer si une preuve prépondérante a été offerte permettant de conclure que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle et/ou sur ses conséquences.

[103]     Dans le présent dossier, la preuve offerte par l’employeur et l’argumentation de dernier ne porte pas sur la relation avec la survenance de la lésion professionnelle mais essentiellement sur les conséquences de la déficience sur cette lésion.

[104]     Il ressort de la preuve prépondérante que la déficience préexistante a eu un impact sur la prolongation de la période de consolidation de la lésion professionnelle du 4 février 2006.

[105]     Le tribunal constate que la lésion professionnelle, dont le diagnostic est une entorse lombaire sur discopathie lombaire, a été consolidée le 27 avril 2007 avec une atteinte permanente de 2,20% et des limitations fonctionnelles, soit après une période de 54 semaines, ce qui constitue une durée nettement supérieure à la durée moyenne pour une entorse lombaire, établie par la CSST sur la base de la Table 1 des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation, à 5 semaines.

[106]     Par ailleurs, la déficience préexistante a-t-elle eu un impact sur les autres conséquences de la lésion professionnelle ?

[107]     En ce qui a trait à l’atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20% et les limitations fonctionnelles attribuées à la travailleuse, elles sont en lien avec la lésion professionnelle et le docteur Rioux indique dans son expertise qu’il ne peut établir qu’elles découlent de la condition personnelle de la travailleuse. On ne peut donc considérer que la déficience préexistante a eu un impact sur ces questions.

[108]     Par ailleurs, on constate du dossier de la travailleuse qu’à la suite de la consolidation de la lésion le 27 avril 2007, les séquelles de la lésion professionnelle ont été établies le 17 octobre 2007, à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale. Par la suite, le processus de réadaptation s’est enclenché jusqu’au 24 octobre 2008, date où un emploi convenable a été déterminé pour la travailleuse. Bien qu’à ce moment, la travailleuse était jugée apte à exercer l’emploi convenable, une décision ultérieure de la Commission des lésions professionnelles a ultérieurement entériné un accord intervenu entre les parties en cause, incluant l’employeur, déterminant que la travailleuse était capable d’exercer ledit emploi convenable à compter du 23 octobre 2009, sous réserve de son droit à une indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale additionnelle de douze mois.

[109]     Le tribunal est d’avis que la déficience préexistante de la travailleuse a eu un impact sur la période de consolidation de la lésion professionnelle. Par contre, la preuve prépondérante permet de constater que l’attribution de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles sont attribuables à la lésion professionnelle reconnue par la CSST et non à la déficience préexistante de la travailleuse. Il en va de même pour les coûts reliés au processus de réadaptation en vue de la détermination d’un emploi convenable en fonction des limitations fonctionnelles émises en regard de la lésion professionnelle. Quant à l’indemnité de remplacement du revenu relative à l’exercice de cet emploi convenable, laquelle a été prolongée à la suite d’un accord intervenu en conciliation, on ne peut en conclure que cette indemnité n’est en lien avec la déficience préexistante de la travailleuse, aucune preuve n’ayant été soumise à cet égard. En outre, on doit retenir que le versement de cette indemnité de remplacement du revenu a été prolongé dans le temps à la suite de l’accord des parties en cause et ayant fait l’objet d’une décision du présent tribunal.

[110]     Selon la Table des conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation[10] (la Table), la période normale de consolidation d’une lésion professionnelle est de 5 semaines pour une entorse lombaire. Celle de la travailleuse fut consolidée dans un délai de 54 semaines. En raison de cette période de consolidation, comparée à celle qui constitue la norme en présence d’un diagnostic d’entorse lombaire, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a lieu d’accorder, en partie, à l’employeur le partage de coût qu’il réclame, soit d’attribuer 10 % du coût des prestations relatives à la lésion professionnelle du 4 février 2006 à son dossier et de 90 % au dossier des employeurs de toutes les unités.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de Centre Santé Vallée Gatineau, l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 mai 2009 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage de coûts dans une proportion de 10 % à son dossier financier et de 90 % aux employeurs de toutes les unités à la suite de la lésion professionnelle subie par madame Rolande Crites, la travailleuse, le 4 février 2006.

 

 

__________________________________

 

Pierre Sincennes

 

 

Me Michel J. Duranleau

Duranleau Consultants inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Julie Perrier

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Les principes sont énoncés dans la décision Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST-Québec, [1999] C.L.P. 779 . Cette décision a été reprise par la jurisprudence postérieure.

[4]           Hôpital Général de Montréal, [1999] C.L.P. 891 .

[5]           2011 QCCLP 4554 .

[6]           Cité Chrysler Plymouth, 2013 QCCLP 164 .

[7] CSSS A, 2013 QCCLP 363 .

[8] F.F. Soucy inc., 2012 QCCLP 4644 ; Chez Cora déjeuners, C.L.P. 220660-04-0402, 15 novembre 2004, C. Racine.

[9]  F.F. Soucy inc., précitée note 8.

[10]         COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, Annexe 1. Partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la LATMP : Table 1. Conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en terme de durée de consolidation, [S.l.] CSST, [s.d.].

 

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