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[1] Le 8 octobre 2004, monsieur Jean-Louis Lefebvre dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative, le 22 septembre 2004.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de monsieur Lefebvre du 15 juillet 2004 à l'encontre de la décision rendue par la CSST le 10 mai 2004. Par la décision du 10 mai 2004, la CSST déclare que monsieur Lefebvre n'a pas droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue.
279748-64-0601
[3] Le 16 janvier 2006, monsieur Lefebvre dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative, le 11 janvier 2006.
[4] Par cette décision, la CSST confirme la décision du 30 août 2005 et déclare que monsieur Lefebvre n'a pas droit au remboursement des frais de déménagement encourus le 30 juin 2005. De plus, la CSST confirme la décision du 2 décembre 2005 et déclare que le nouveau diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite n'est pas en relation avec l'accident du travail dont monsieur Lefebvre a été victime le 29 mars 1977 et, par conséquent, qu'il n'a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en relation avec cette lésion.
[5] Le 24 janvier 2006, monsieur Pierre Perron, représentant de Goodyear Canada inc. (l'employeur), adresse une lettre à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il informe le tribunal que l'employeur ne sera pas représenté à l'audience prévue le 2 mars 2006.
[6] Le 2 mars 2006, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Saint-Jérôme à laquelle monsieur Lefebvre est présent et est représenté par monsieur Gilles Lévis.
L'OBJET DES CONTESTATIONS
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[7] Monsieur Lefebvre demande de déclarer que sa demande de révision du 15 juillet 2004 à l'encontre de la décision du 10 mai 2004 est recevable. Il demande, d’autre part, de reconnaître qu'il a droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue.
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[8] Monsieur Lefebvre demande de déclarer qu'il a droit au remboursement des frais de déménagement qu'il a encourus le 30 juin 2005. Il demande également de reconnaître que le diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite est en relation avec l'accident du travail dont il a été victime le 29 mars 1977 et qu'il a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette lésion.
L'AVIS DES MEMBRES
[9] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d'accueillir les requêtes de monsieur Lefebvre, d'infirmer les décisions rendues par la CSST à la suite de révisions administratives les 22 septembre 2004 et 11 janvier 2006 et de déclarer que la demande de révision déposée par monsieur Lefebvre le 15 juillet 2004 à l'encontre de la décision du 10 mai 2004 est recevable, que monsieur Lefebvre a droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue, qu'il a droit au remboursement des frais de déménagement qu'il a encourus le 30 juin 2005, que le diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite est en relation avec les conséquences de l'accident du travail dont il a été victime le 29 mars 1977 et qu'il a droit aux prestations prévues par la loi en relation avec cette lésion.
[10] Effectivement, monsieur Lefebvre a démontré que sa demande de révision du 15 juillet 2004 n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable. De plus, la preuve médicale permet d'établir que les problèmes érectiles éprouvés par monsieur Lefebvre sont en relation avec les conséquences de l'accident du travail dont il a été victime le 29 mars 1977. Les traitements prescrits par son médecin qui a charge pour ces problèmes doivent donc être remboursés par la CSST dans la mesure où il s'agit de services d'un professionnel de la santé.
[11] De plus, la preuve médicale prépondérante permet d'établir que la chute dans les escaliers qui a entraîné la blessure à l'épaule droite de monsieur Lefebvre est en relation avec les conséquences de l'accident du travail dont il a été victime le 29 mars 1977. Enfin, la preuve révèle que les frais dont monsieur Lefebvre demande le remboursement en date du 30 juin 2005 ont pour but de déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
Recevabilité de la demande de révision du 15 juillet 2004
[12] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la demande de révision déposée par monsieur Lefebvre à l'encontre de la décision du 10 mai 2004 est recevable.
[13]
Les articles 358 et 358.2 de la loi prévoient ce
qui suit en ce qui a trait au délai dont une personne dispose pour demander la
révision d'une décision et aux
circonstances en raison desquelles la CSST peut prolonger ce délai dans la
mesure où il n'a pas été respecté :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[14] Monsieur Lefebvre ne remet pas en question le fait que sa demande de révision déposée le 15 juillet 2004 a été faite après l'expiration du délai de 30 jours prévu par l'article 358 de la loi pour demander la révision d'une décision.
[15] Il soumet, toutefois, que sa demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
[16] Monsieur Lefebvre explique qu'à l'époque où la CSST a rendu la décision en question, il devait prendre une dose plus forte de médication contre la douleur en raison d'une recrudescence de ses symptômes au dos. Il précise que cette médication (la morphine) a pour effet de « l'assommer », qu'il « n'a plus sa tête » lorsqu'il en prend et qu'il « n'arrive plus à prendre des décisions de façon intelligente ».
[17] Il ajoute qu'à la même époque, il éprouvait des difficultés au niveau psychologique. Monsieur Lefebvre relate que ses troubles psychologiques l'ont amené à consulter le psychiatre C. Nowakowski en date du 18 juillet 2004. Le docteur Nowakowski a alors posé le diagnostic de trouble d'adaptation, diagnostic qui a été reconnu à titre de lésion professionnelle par la CSST[2], à savoir à titre de rechute, récidive ou aggravation de l'accident du travail initial du 29 mars 1977.
[18] Dans sa note de consultation du 18 juillet 2004, le docteur Nowakowski fait également état du fait que monsieur Lefebvre présente un sérieux problème de dysfonction érectile. Monsieur Lefebvre rapporte que ce problème existe depuis de nombreuses années et l'affecte beaucoup au niveau psychologique. Il mentionne que le refus par la CSST de rembourser ses frais pour les services d'un sexologue a eu pour effet « de le démolir, de le jeter à terre ».
[19] C'est en raison de ces problèmes que monsieur Lefebvre n'a pas contesté la décision du 10 mai 2004 avant l'expiration du délai de 30 jours prévu par la loi.
[20] Le tribunal estime que les raisons données par monsieur Lefebvre pour expliquer son retard à demander la révision de la décision du 10 mai 2004 constituent un motif raisonnable et, par conséquent, qu'il y a lieu de relever monsieur Lefebvre des conséquences de son défaut d'avoir respecté ce délai.
[21] Le tribunal n'a aucune raison de mettre en doute le témoignage de monsieur Lefebvre et estime que l'état psychologique dans lequel se trouvait ce dernier à l'époque où la décision du 10 mai 2004 a été rendue explique son retard à agir.
[22] La demande de révision déposée par monsieur Lefebvre le 15 juillet 2004 à l'encontre de la décision du 10 mai 2004 est donc recevable.
Droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue
[23] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si monsieur Lefebvre a droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue.
[24] Les articles 188, 189 et 194 de la loi prévoient qu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion et que le coût de l'assistance médicale est à la charge de la CSST. Ces articles sont libellés comme suit :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
__________
1985, c. 6, a. 194.
[25] Pour avoir droit au remboursement du coût des services d'un sexologue, monsieur Lefebvre doit établir que ces services ont été fournis par un professionnel de la santé et que le coût de cette assistance médicale est requis par son état en raison d'une lésion professionnelle. Le tribunal estime que ces deux conditions sont satisfaites.
[26] Le tribunal constate, dans un premier temps, qu'il y a au dossier un document en date du 27 janvier 2004 par lequel le docteur M. Lapointe dirige monsieur Lefebvre à un professionnel de la santé en sexologie. Dans la section intitulée « renseignements », le médecin pose le diagnostic de « problèmes érectiles suite à problème lombosacré » [sic]. Ce document aurait été déposé à la CSST en date du 4 février 2004.
[27] On retrouve également au dossier une note médicale de l'urologue Péloquin déposée à la CSST le 7 mai 2004 dans laquelle il est fait mention que monsieur Lefebvre présente des problèmes érectiles.
[28] Enfin, dans la note médicale du 18 juillet 2004, le psychiatre Nowakowski indique lui aussi que monsieur Lefebvre présente un « sérieux problème de dysfonction érectile, qui donne certainement l'impression d'être en relation avec la dernière chirurgie lombaire, et d'être d'origine physiologique ». Le docteur Nowakowski ajoute que pour « faire face à cette difficulté », monsieur Lefebvre a consulté une sexologue et qu'il « trouve que cela l'a aidé ». Le docteur Nowakowski pose également le diagnostic de trouble d'adaptation.
[29] Dans sa décision du 10 mai 2004, la CSST déclare qu'elle ne peut rembourser à monsieur Lefebvre les frais pour les services d'un sexologue, car « ces frais ne sont pas remboursables ». Les motifs à l'appui de cette décision se retrouvent dans une note évolutive du 24 février 2004. L'agent de la CSST y indique que monsieur Lefebvre se plaint de problèmes érectiles en relation avec son opération au dos. L'agent écrit qu'il a consulté le docteur Allard du bureau médical de la CSST et que selon ce dernier, la référence en sexologie n'est pas acceptable, « car il n'y a pas de lien avec l'opération au dos[3] ».
[30] Lorsque la CSST rend la décision du 10 mai 2004 et qu'elle refuse de rembourser à monsieur Lefebvre les frais pour les services d'un sexologue, elle se prononce donc implicitement sur la relation entre les problèmes érectiles que monsieur Lefebvre présente en 2004 et les conséquences de son accident du travail initial du 29 mars 1977.
[31] En effet, l'article 224 de la loi prévoit qu’aux fins de rendre une décision, la CSST est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur sauf si le dossier est soumis à un membre du Bureau d'évaluation médicale en vertu de la procédure d'évaluation médicale prévue aux articles 204 et suivants de la loi.
[32] Dans le présent cas, la CSST n'a pas remis en question les conclusions du médecin qui a charge en ce qui a trait à la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits par le médecin qui a charge en demandant à son professionnel de la santé de se prononcer sur ce sujet et, le cas échéant, en dirigeant le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
[33] Malgré le fait qu'elle soit liée par les conclusions du médecin qui a charge en ce qui a trait à la nature et à la nécessité des traitements, la CSST peut décider de refuser de rembourser des frais à un travailleur si elle juge que ces traitements n'ont pas été prodigués en relation avec une lésion professionnelle. C'est là l'exercice de sa compétence tel que le prévoit l'article 349 de la loi qui est libellé comme suit :
349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
__________
1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.
[34] En refusant de payer les frais pour les services d'un sexologue, la CSST a donc implicitement refusé de reconnaître l'existence d'une relation entre les problèmes érectiles présentés par monsieur Lefebvre et les conséquences de son accident du travail du 29 mars 1977.
[35] Or, le tribunal ne partage pas l'opinion de la CSST sur cette question, car la preuve médicale prépondérante permet d'établir un lien entre ces problèmes et les conséquences de l'accident du travail dont monsieur Lefebvre a été victime en date du 29 mars 1977.
[36] C'est ce qui ressort de l'avis exprimé par le psychiatre Nowakowski dans la note médicale du 18 juillet 2004.
[37] C'est également ce qui ressort de la note du docteur Lapointe qui figure au rapport de demande de consultation du 27 janvier 2004 laquelle, quoique concise, fait référence à une relation entre les problèmes érectiles de monsieur Lefebvre et son problème lombosacré.
[38] Le tribunal est conscient qu'il ne s'agit pas d'avis médicaux très étoffés. Toutefois, en l'absence d'une preuve plus probante à l'effet contraire, les probabilités militent dans le sens de ces avis.
[39] Le tribunal estime, en outre, que ces avis sont prépondérants à l'opinion exprimée par l'agent d'indemnisation dans la note évolutive du 24 février 2004, car ce dernier fait référence à une soi-disant consultation auprès du médecin régional de la CSST alors qu'il n'y a aucune note de ce médecin au dossier ni explication donnée pour justifier cette conclusion.
[40] La preuve médicale prépondérante milite donc en faveur de l'opinion exprimée le 18 juillet 2004 par le docteur Nowakowski. Les problèmes érectiles éprouvés par monsieur Lefebvre sont donc en relation avec les conséquences de l'accident du travail dont il a été victime le 29 mars 1977. Par conséquent, les traitements prescrits par son médecin qui a charge pour ces problèmes[4] doivent être remboursés par la CSST dans la mesure où il s'agit de services fournis par un professionnel de la santé.
Admissibilité du diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite à titre de lésion professionnelle
[41] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite est en relation avec l'accident du travail dont monsieur Lefebvre a été victime en date du 29 mars 1977.
[42] La lésion professionnelle est définie à l'article 2 de la loi comme suit :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[43] Il ressort de cette définition qu’une rechute, récidive ou aggravation constitue une lésion professionnelle. Bien que cette notion ne soit pas définie dans la loi, la jurisprudence[5] constante en la matière prévoit que ces termes doivent être interprétés selon leur sens courant et usuel, à savoir une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[44] La personne qui demande la reconnaissance d’une rechute, récidive ou aggravation doit alors démontrer, par une preuve médicale prépondérante, la relation de cause à effet entre la lésion professionnelle initiale et la rechute, récidive ou aggravation alléguée. Cette relation peut être établie à l’aide de divers paramètres tels que la gravité de la lésion initiale, le retour au travail avec ou sans limitations fonctionnelles, la continuité et la progression de la symptomatologie à la suite de la lésion initiale, le suivi médical, l’aggravation ou la détérioration de l’état de la personne, la similitude des diagnostics, le délai entre la lésion initiale et la rechute, récidive ou aggravation alléguée, l’existence d’une atteinte permanente et la présence d’une condition personnelle.
[45] Dans le présent cas, la preuve révèle que monsieur Lefebvre a été victime, le 29 mars 1977, d'un accident du travail à la suite duquel il a subi une lésion au niveau lombosacré.
[46] En 1986, 1990 et 1995, monsieur Lefebvre a subi des rechutes, récidives ou aggravations de cet accident du travail et le 2 juin 1995, son médecin a procédé à une intervention chirurgicale[6]. Cette lésion professionnelle a été consolidée le 26 septembre 1995 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles, tel qu'il appert d'un Rapport final rempli le même jour par le docteur Ferron. Le 10 juillet 1998, la CSST a rendu une décision par laquelle elle a déclaré qu'il était impossible de déterminer un emploi que monsieur Lefebvre était capable d'exercer à temps plein et, en conséquence, qu'il conservait son droit à l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à l'âge de 68 ans.
[47] Le 31 mars 2005, monsieur Lefebvre consulte le docteur C. Pouliot. Ce dernier remplit un Rapport médical sur lequel il pose le diagnostic suivant : « douleurs lombaires augmentées à la suite d'une chute dans les escaliers entraînée par une perte de force au membre inférieur droit en raison de vis cassées dans son appareillage ». Le docteur Pouliot pose également le diagnostic d'entorse acromio - claviculaire de l'épaule droite consécutive à cette chute.
[48] Le 30 août 2005, monsieur Lefebvre consulte l'orthopédiste C. Farmer. Ce dernier remplit un Rapport médical sur lequel il écrit qu'il y a « aggravation », indique que les douleurs de monsieur Lefebvre sont augmentées et qu'il présente des difficultés avec les escaliers. Il dirige monsieur Lefebvre à la clinique des douleurs.
[49] Le 22 novembre 2005, le docteur Pouliot remplit un Rapport médicald'évolution sur lequel il pose notamment le diagnostic de « douleurs lombaires/vis brisées » [sic].
[50] Le 2 décembre 2005, la CSST rend la décision par laquelle elle déclare que le nouveau diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite n'est pas en relation avec l'événement du 29 mars 1977 et, par conséquent, que monsieur Lefebvre n'a pas droit aux prestations prévues par la loi en relation avec ce diagnostic.
[51] Dans sa décision du 2 décembre 2005, la CSST ne se prononce pas sur la relation entre le diagnostic de « douleurs lombaires augmentées à la suite d'une chute dans les escaliers entraînée par une perte de force au membre inférieur droit en raison de vis cassées dans son appareillage » posé par le docteur Pouliot au rapport du 31 mars 2005, ni sur celui d'aggravation et de douleurs augmentées posé par le docteur Farmer le 30 août 2005 ni sur celui de « douleurs lombaires/vis brisées » posé par le docteur Pouliot le 22 novembre 2005, diagnostics par lesquels elle est liée en vertu de l'article 224 de la loi.
[52] Or, durant cette période[7], monsieur Lefebvre continue de recevoir ses indemnités de remplacement du revenu de même que ses traitements de physiothérapie pour le dos.
[53] La CSST ne remet pas non plus en question l'opinion des docteurs Pouliot et Farmer en ce qui a trait à ces diagnostics puisqu'elle ne demande pas à son professionnel de la santé de se prononcer sur ce sujet et ne dirige pas le dossier de monsieur Lefebvre au Bureau d’évaluation médicale sur ce sujet. La CSST limite sa décision au « nouveau diagnostic » d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite posé par le docteur Pouliot.
[54] En ce faisant, le tribunal estime que la CSST rend une décision implicite par laquelle elle accepte la relation entre les conséquences de l'accident du travail initial du 29 mars 1977 et les diagnostics relatifs aux conditions autres que celle visant l'épaule droite.
[55] Il ressort du témoignage de monsieur Lefebvre, par ailleurs, qu'à la suite de la chirurgie qu'il a subie en 1995, son médecin lui a prescrit une canne. Monsieur Lefebvre affirme que le coût de cette canne a été remboursé par la CSST. Il relate que depuis cette intervention chirurgicale, sa jambe droite avait tendance à se dérober sous lui, ce qui pouvait entraîner des chutes. Il affirme que les chutes sont devenues de plus en plus fréquentes au cours des années et, par conséquent, qu'il devait utiliser sa canne plus souvent.
[56] Monsieur Lefebvre explique qu'il a consulté le docteur Pouliot en date du 31 mars 2005 en raison de douleurs lombaires aggravées et de douleurs à l'épaule droite entraînées par une chute dans les escaliers. Il relate qu’il a fait cette chute, car sa jambe droite s'est dérobée sous lui alors qu'il descendait des escaliers.
[57] Dans sa décision en révision administrative du 11 janvier 2006, la CSST déclare qu'il n'y a pas de relation entre le diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite et l'accident du travail du 29 mars 1977, car l'examen réalisé par le docteur Ferron en octobre 1995 ne révèle pas d’anomalies pouvant « expliquer une chute par déficit moteur ou sensitif des membres inférieurs » et que le docteur Ferron n'attribue pas à monsieur Lefebvre un déficit anatomo-physiologique pour une instabilité objectivée au niveau du rachis lombaire.
[58] Le tribunal ne retient pas cet argument puisque dans son Rapport médical du 31 mars 2005, le docteur Pouliot indique que la chute dans les escaliers a été entraînée par une perte de force au membre inférieur droit en raison de vis cassées dans l'appareillage de monsieur Lefebvre, que selon le témoignage crédible et non contredit de monsieur Lefebvre, les sensations de dérobade du membre inférieur droit sont toujours précédées de douleurs pointues au niveau du site chirurgical, que la preuve médicale révèle qu'il y a un bris de plusieurs vis à ce niveau[8], que l'orthopédiste Farmer parle « d'aggravation » de la condition de monsieur Lefebvre, que monsieur Lefebvre relate que les dérobades sont de plus en plus fréquentes depuis quelque temps et que la CSST a rendu une décision implicite par laquelle elle reconnaît la relation entre l'accident du travail initial du 29 mars 1977 et les diagnostics posés par les docteurs Pouliot et Farmer relativement à la région lombaire.
[59] La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis que la chute dans les escaliers qui a entraîné l'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite est en relation avec l'accident du travail dont monsieur Lefebvre a été victime le 29 mars 1977 et, par conséquent, que cette lésion constitue une rechute, récidive ou aggravation de cet accident du travail.
[60] Monsieur Lefebvre a donc droit aux prestations prévues par la loi en raison de cette lésion.
Droit au remboursement des frais de déménagement encourus en juin 2005
[61] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si monsieur Lefebvre a droit au remboursement des frais de déménagement qu'il a encourus en juin 2005.
[62] L'article 154 de la loi prévoit que lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle. Cet article est libellé comme suit :
154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.
À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.
__________
1985, c. 6, a. 154.
[63] L'article 153 de la loi, par ailleurs, prévoit ce qui suit en ce qui a trait à l'adaptation du domicile d'un travailleur :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si:
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
__________
1985, c. 6, a. 153.
[64] En 1998, la CSST a autorisé l'adaptation du domicile de monsieur Lefebvre. Monsieur Lefebvre a déménagé au cours de l'année 2000 et la CSST a de nouveau procédé à l'adaptation de son domicile. Monsieur Lefebvre explique qu'à cette époque, il demeurait à Ste-Sophie dans une maison unifamiliale. La CSST a notamment défrayé le coût pour l'installation d'une galerie, de rampes extérieures à l'avant et à l'arrière du domicile, de trottoirs avec rampes d'accès, de rampes intérieures et d'une rampe pour le bain.
[65] Monsieur Lefebvre déclare qu'à la suite de la chirurgie qu'il a subie en 1995, il devait utiliser sa canne de plus en plus fréquemment. En 2002, il a été dans l'obligation de prendre la décision de déménager dans un condominium en raison des chutes qui devenaient de plus en plus fréquentes et du fait qu'il avait de la difficulté à utiliser les escaliers. Le 14 août 2002, il a fait une demande de logement à la Résidence La Noblesse, endroit muni d'ascenseurs et de toutes les commodités. Comme il y avait une liste d'attente, il a inscrit son nom sur cette liste et a mis sa résidence de Ste-Sophie à vendre. Lorsque sa propriété de Ste-Sophie a été vendue, il a déménagé de façon temporaire dans un condominium[9] dans lequel il est demeuré jusqu’au 30 juin 2005, date à laquelle un logement s'est enfin libéré à la Résidence La Noblesse. Monsieur Lefebvre explique qu'il a choisi de déménager dans un condominium même s'il n'y avait pas d'ascenseur, car ce type d'habitation se revend facilement, que cette solution était temporaire et qu'il croyait qu'un logement se libérerait rapidement à la Résidence La Noblesse.
[66] Monsieur Lefebvre a adressé à la CSST une demande de remboursement pour les frais de déménagement encourus le 30 juin 2005, demande qui a été refusée par la CSST par une décision du 30 août 2005.
[67] Dans sa décision en révision administrative, la CSST écrit que monsieur Lefebvre n'a pas droit au remboursement des frais de déménagement, car pour y avoir droit, il faut que son domicile ne puisse être adapté à sa capacité résiduelle et que selon les limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle du 4 avril 1995[10], il n'est pas nécessaire d'installer des ascenseurs dans le logement qu'il occupe depuis le mois de mai 2004 pour l'adapter à sa capacité résiduelle.
[68] Le tribunal ne retient pas cette conclusion.
[69] Effectivement, il ressort du témoignage non contredit de monsieur Lefebvre que ce dernier éprouve beaucoup de difficulté à utiliser des escaliers et que c'est la raison pour laquelle il a senti l'obligation de vendre sa résidence de Ste-Sophie.
[70] Dans le Rapport d’évaluation médicale qu'il a rempli en octobre 1995, le docteur Ferron indique que monsieur Lefebvre doit éviter de monter et de descendre très fréquemment les escaliers. Le docteur Ferron ne précise pas ce qu'il entend par « très fréquemment ».
[71] Le tribunal note, par ailleurs, que le 31 mars 2005, le docteur Pouliot indique dans un Rapport médical que monsieur Lefebvre présente des difficultés au niveau lombaire et des dérobades de la jambe droite qui entraînent des chutes. Cette information est corroborée par monsieur Lefebvre de même que par l'orthopédiste Farmer qui remplit un Rapport médicalen date du 30 août 2005.
[72] Le tribunal constate, d’autre part, qu'au moment où elle autorise l'adaptation du domicile de monsieur Lefebvre en 2000, la CSST accepte de rembourser le coût d'installation d'une rampe pour un fauteuil roulant de même que le coût d'installation d'une main courante pour descendre au sous-sol ainsi qu'une barre d'appui pour la salle de bain, tel qu'il ressort des notes évolutives au dossier[11] et du témoignage de monsieur Lefebvre. De plus, en 2001, la CSST autorise également le remboursement du coût d'installation de rampes d'escalier, tel qu'il appert du témoignage de monsieur Lefebvre et des notes évolutives au dossier[12]. La CSST a donc tenu compte de la difficulté de monsieur Lefebvre à emprunter les escaliers lors de l'analyse de ses capacités résiduelles donnant droit à l'adaptation de son domicile.
[73] Selon monsieur Lefebvre, ces coûts ont été remboursés en raison du fait qu'il était de moins en moins solide sur ses jambes et qu'il éprouvait de plus en plus de difficulté à utiliser des escaliers.
[74] Le tribunal est donc d'avis que la demande de remboursement de monsieur Lefebvre pour les frais de déménagement doit être appréciée en tenant compte de cet aspect dans l'analyse de ses capacités résiduelles et des limitations fonctionnelles qu'il conserve à la suite de sa lésion professionnelle du 4 avril 1995.
[75] Or, selon le témoignage non contredit de monsieur Lefebvre, les frais dont il demande le remboursement en date du 30 juin 2005 ont pour but de défrayer son déménagement dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle et de lui éviter d'emprunter des escaliers.
[76] Dans ce contexte, le tribunal estime que monsieur Lefebvre a droit au remboursement de ces frais dans la mesure où la preuve révèle que le domicile dans lequel il résidait avant le 30 juin 2005 ne pouvait être adapté à sa capacité résiduelle puisque les autres propriétaires du condominium dans lequel il habitait s'opposaient à l'installation d'un ascenseur et, par conséquent, rendaient cette modification impossible.
[77] Monsieur Lefebvre a donc droit au remboursement des frais engagés pour son déménagement dans un nouveau domicile en date du 30 juin 2005 sur production de pièces justificatives.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
245525-64-0410
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Louis Lefebvre en date du 8 octobre 2004 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 22 septembre 2004 ;
DÉCLARE que la demande de révision de monsieur Lefebvre du 15 juillet 2004 à l'encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 mai 2004 est recevable ;
DÉCLARE que monsieur Lefebvre a droit au remboursement des frais pour les services d'un sexologue ;
279748-64-0601
ACCUEILLE la requête de monsieur Lefebvre en date du 16 janvier 2006 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 11 janvier 2006 ;
DÉCLARE que monsieur Lefebvre a droit au remboursement des frais de déménagement encourus le 30 juin 2005 sur production de pièces justificatives ;
DÉCLARE que le nouveau diagnostic d'entorse acromio-claviculaire de l'épaule droite est en relation avec les conséquences de l'accident du travail dont monsieur Lefebvre a été victime le 29 mars 1977, qu'il s'agit d'une lésion professionnelle et, par conséquent, que monsieur Lefebvre a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en relation avec cette lésion.
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Martine Montplaisir |
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Commissaire |
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Monsieur Gilles Lévis |
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Expert Conseil |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Pierre Perron |
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Sécurigest inc. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Décision du 2 décembre 2005
[3] La chirurgie au dos à laquelle il est fait référence est celle pratiquée par le docteur S. Ferron le 2 juin 1995 en relation avec l'accident du travail dont a été victime monsieur Lefebvre le 29 mars 1977.
[4] En l'instance les services d'un sexologue
[5] Voir notamment Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19
[6] « Laminectomie totale radicale L3‑L4, L4‑L5 et L5‑S1, décompression de sténose spinale, foraminectomie L4, L5 et S1 bilatérale, libération d'adhérences, révision de discoïdectomie L4‑L5 droite, greffe postéro-latérale bilatérale autogène provenant de la crête iliaque gauche L3 à S1, instrumentation par plaque et vis pédiculées de Roy-Camille L4 à S1, plaque 7 trous ».
[7] De mars à novembre 2005
[8] Voir notamment le rapport de radiographie de la colonne lombosacrée du 22 septembre 2004 et les rapports du docteur Pouliot.
[9] En mai 2004
[10] Décrites comme suit au Rapport d’évaluation médicale du 6 octobre 1995 : éviter de lever des poids de plus de quinze livres, éviter les mouvements répétés de flexion, de torsion et de rotation de la colonne, éviter de conduire un camion lourd, éviter les marches très prolongées et éviter de monter et de descendre très fréquemment des escaliers.
[11] Voir note évolutive du 15 juin 2000
[12] Voir la note évolutive du 27 mars 2001
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.