Croteau et Mine Jeffrey inc. |
2008 QCCLP 3535 |
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[1] Le 16 mai 2007, madame Juliette Croteau (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 19 avril 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme la décision rendue le 19 février 2007 et est à l’effet de refuser sa réclamation pour une maladie pulmonaire professionnelle (amiantose) du 11 octobre 2006. Cette décision fait suite au rapport du Comité spécial des présidents du 1er février 2007.
[3] À l’audience tenue à Sherbrooke le 11 mars 2008, la travailleuse est représentée par Me Richard Mailhot. Mine Jeffrey inc. (l’employeur) est présent et représenté par Me Michel Towner.
[4] Les parties ayant demandé un délai pour produire des documents supplémentaires et des commentaires, la présente affaire a été prise en délibéré le 14 avril 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le représentant de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que celle-ci est porteuse d’amiantose et qu’en conséquence, elle a droit à une indemnité pour dommages corporels résultant du déficit anatomophysiologique attribuable à cette maladie.
LES FAITS
[6] La travailleuse, retraitée depuis 1984, est âgée de 78 ans lorsqu’elle produit une réclamation à la CSST le 11 octobre 2006 pour une maladie pulmonaire professionnelle.
[7] Une première attestation médicale émise par le docteur Coll révèle que celui-ci diagnostique une amiantose et demande de faire une évaluation par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles.
[8] Le 25 janvier 2007, les docteurs Raymond Bégin, Robert Boileau et André Cantin, pneumologues, examinent le dossier de la travailleuse. Malgré l’indication qu’il s’agit d’une première évaluation, la preuve révèle que la travailleuse avait déjà été évaluée par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke en 1977 et en 1991.
[9] L’histoire occupationnelle révèle que la travailleuse a travaillé pour la John’s Manville d’Asbestos durant 38 ans entre 1947 et 1984. Concernant les symptômes respiratoires, le Comité note une dyspnée progressive depuis 1978 et ajoute que les radiographies pulmonaires étaient normales jusqu’en 1990. Les rapports sont au dossier et la première radiographie anormale date de 1997.
[10] Il est également noté que la travailleuse est porteuse d’une polyarthrite rhumatoïde séropositive pour laquelle elle est traitée en rhumatologie. Selon leurs informations, le Comité note que cette polyarthrite a été diagnostiquée en 2003. Auparavant, la travailleuse a présenté une pneumonie et une bronchite avant l’année 2000 et une fibrose interstitielle après 2000. Il est également noté que la travailleuse est oxygénodépendante depuis l’automne 2006. Les radiographies pulmonaires prises lors de cette évaluation révèlent des infiltrats interstitiels diffus, le tout compatible avec une fibrose extensive avancée. La tomographie axiale confirme les changements radiologiques. Au niveau des fonctions respiratoires, le bilan de base révèle une restriction sévère de la capacité vitale et une baisse importante de la fonction en comparaison avec l’examen de septembre 2006.
[11] Le Comité des maladies pulmonaires professionnelles émet la conclusion et les recommandations suivantes :
CONCLUSION
Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke considère qu’il y a deux éléments qui ont vraisemblablement contribué à la fibrose de madame Juliette Croteau, soit une exposition intense et prolongée à l’amiante dans le passé et une polyarthrite rhumatoïde. Il est impossible actuellement de départager de façon définitive le rôle de chacun des éléments et il est également difficile d’éliminer qu’une exposition aussi intense et prolongée n’ait pas joué de rôle dans cette fibrose pulmonaire.
Dans le contexte, le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke accepte donc qu’un rôle significatif de l’exposition à l’amiante de cette réclamante et reconnaît madame Juliette Croteau porteuse d’amiantose.
RECOMMANDATIONS
1) Déficit anatomo-physiologique : est donc établi à 115 % avec identification des séquelles de la façon suivante :
Code Description DAP %
223001 Amiantose 5 %
223163 Classe fonctionnelle 5 100 %
223056 Anomalies cliniques importantes 10 %
Total du DAP : 115 %
2) Limitations fonctionnelles : la réclamante est totalement invalide.
3) Tolérance aux contaminants : aucune exposition à l’amiante.
4) Réévaluation : sur demande.
(Nos soulignements)
[12] Le 31 janvier 2007, les pneumologues André Cartier, Nil Coleman et Marc Desmeules se réunissent en tant que membre du Comité spécial des présidents et examinent le dossier de la travailleuse.
[13] Dans leur rapport produit le 1er février 2007, le Comité spécial considère qu’il n’est pas capable actuellement de reconnaître une amiantose chez la travailleuse compte tenu que celle-ci avait une radiographie normale jusqu’en 1995, soit plus de 10 ans après qu’elle a cessé de travailler à la J.M. Asbestos. Le Comité spécial ajoute que c’est à ce moment que la travailleuse a commencé à développer une polyarthrite rhumatoïde.
[14] Le Comité considère donc que la cause prépondérante de la fibrose pulmonaire de la travailleuse est une maladie rhumatoïde sévère avec une atteinte pulmonaire fibreuse actuellement très avancée. Dans ce contexte, le Comité estime qu’il n’est pas capable d’accepter les conclusions et les recommandations du Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke et ne reconnaît pas de maladie pulmonaire professionnelle chez la travailleuse.
[15] Les membres du Comité ajoutent qu’ils demeurent ouverts à revoir le dossier de la travailleuse si les données de dosage minéralogique devenaient disponibles.
[16] Concernant la date à laquelle est apparu le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde, différentes indications sont au dossier.
[17] Lors de la consultation auprès du docteur Coll le 21 septembre 2006, celui-ci note que la travailleuse est connue, depuis 2004, pour une polyarthrite rhumatoïde. Lors de cette investigation, il note que de façon parallèle à l’apparition de cette maladie, la travailleuse a une détérioration de sa capacité respiratoire jusqu’à en devenir handicapée surtout depuis le début de l’année 2005. La radiographie pulmonaire qu’il fait le même jour démontre une infiltration interstitielle diffuse d’allure fibrose sans indice qui pourrait suggérer qu’il existe une relation avec son exposition à l’amiante. Le docteur Coll ajoute qu’il existe peut être cependant une petite plaque pleurale calcifiée au diaphragme gauche. Le docteur Coll ajoute qu’il a retrouvé une radiographie antérieure de 2004 et qui témoigne d’un début de maladie interstitielle en avril 2004 donc à peu près au moment du début de l’arthrite et avant l’administration régulière de Méthotrexate. Dans cette consultation, le docteur Coll indique que de toute évidence il s’agit d’une atteinte interstitielle pulmonaire de type fibrose, associée à l’arthrite rhumatoïde. Il ajoute qu’il existe toujours la faible possibilité qu’il s’agisse d’une amiantose mais l’image radiologique n’est pas selon lui typique de cette maladie.
[18] À la visite du 16 octobre 2006, le docteur Coll indique que la travailleuse est connue pour la polyarthrite rhumatoïde depuis deux ans. Lors de cette visite, celui-ci diagnostique une fibrose pulmonaire modérée progressive et symptomatique. Au niveau des causes, il identifie 1 : amiantose (exposition nettement suffisante) et 2 : PAR.
[19] À la revue du dossier et des documents déposés, il est impossible de voir où le Comité spécial des présidents a pris la date de 1995 comme date d’apparition de la polyarthrite rhumatoïde.
[20] Concernant la preuve que l’on retrouve au dossier, de façon chronologique, on y retrouve les éléments suivants :
- Docteur Coll, le 9 juillet 1990 : « la radiographie pulmonaire en date du 9 juillet 1990 démontre tout simplement un émoussement du cul-de-sac costo-diaphragmatique gauche. Impression : compte tenu des symptômes cliniques, il est possible que madame Croteau ait présenté une pleurésie virale. Cependant, l’absence de contexte infectieux peut aussi suggérer un épanchement pleural amiantosique bénin et il ne faut pas négliger son exposition à l’amiante et la possibilité d’un mésothéliome ».
- Docteur R. Lévesque, radiologiste, le 4 octobre 1990 : « présence d’un petit épanchement pleural gauche avec quelques bandelettes atélectasiques. Petits nodules d’aspect granulomateux au niveau de la base pulmonaire droite. À corroborer cliniquement et à recontrôler. »
- Docteur Coll, le 4 octobre 1990 : « mais la radiographie pulmonaire d’aujourd’hui démontre toujours un émoussement du cul-de-sac gauche mais des petites traînées fibreuses sont apparues qui suggèrent une image pleurale vue de face juste au-dessus de l’émoussement du cul-de-sac. Je crois donc que cette image pulmonaire est à surveiller compte tenu de son exposition importante à l’amiante et de la possibilité d’un mésothéliome. »
- Docteur R. Ste-Marie, radiologiste, le 23 janvier 1991 : « on note toujours ces mêmes densités pleuroparenchymateuses observées le 4 octobre 1990 en périphérie de la base pulmonaire gauche. Le reste de l’image cardiovasculaire, médiastinale, pleurale droite et thoracique ne présente pas d’autres particularités ».
- Docteur Morin le 20 février 1991 : demande une évaluation au Comité des maladies pulmonaires professionnelles.
- Le 29 mai 1991, rapport radiologique : « mais séquelles de pachypleurite gauche avec émoussement du cul-de-sac costo-phrénique gauche et épaississement pleural axillaire inférieur, surtout antérieur. On note également quelques modifications parenchymateuses plus ou moins linéaires dans la région du tiers moyen gauche. »
- Le 13 juin 1991, tomographie axiale du thorax : « conclusion : modifications fibro-cicatricielles basales gauches. Ancienne granulomatose. »
- Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke, le 21 juin 1991 : fonctions respiratoires : « toutes les valeurs observées sont dans les limites inférieures de la normale et s’accompagnent d’une altération de la capacité de diffusion, ce qui correspond vraisemblablement à une amiantose précoce. […] le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke ne reconnaît pas d’amiantose chez madame Croteau-Bisson. Le Comité reconnaît cependant que madame Croteau a vraisemblablement eu une pleurésie de l’amiante. Le diagnostic de pleurésie de l’amiante est une probabilité dans ce cas ».
- Comité spécial des présidents, le 16 août 1991 : « les membres du Comité entérinent les conclusions et recommandations du Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke. Les membres ne reconnaissent pas de maladie pulmonaire professionnelle chez cette réclamante. Les membres reconnaissent qu’elle a vraisemblablement fait une pleurésie de l’amiante et qu’elle présente une séquelle radiologique minimale de celle-ci. Elle n’a pas de déficit fonctionnel ».
- Docteur R. Fradet, radiologiste, le 10 février 1997 : « accentuation diffuse du relief interstitiel. Peu de changement en comparaison avec l’examen précédent du 21 mars 1995. Pas de signe de pneumonie. »
- Docteur Y. Fortier, radiologiste, le 24 mars 1997 : « une comparaison est effectuée avec un examen obtenu le 10 février 1997. Il n’y a pas d’évidence de lésion pleuroparenchymateuse active ».
- Docteur R. Carrier, radiologiste, le 30 juin 1997 : « discrètes opacités dans la région de la lingula, compatibles avec un peu de fibrose ; ceci demeurant sans changement depuis l’examen obtenu le 24 mars 1997 ».
- Docteur Y. Fortier, radiologiste, le 5 décembre 1997 : « il n’y a pas de changement significatif comparativement à un examen obtenu le 24 mars 1997. On ne peut mettre en évidence de lésion pleuroparenchymateuse active ».
- Docteur Fradette, radiologiste, le 23 octobre 2000 : « accentuation diffuse du relief interstitiel. Petite opacité nodulaire mesurant à peine 6 millimètres en projection du sommet gauche, qui n’était pas retrouvée avec certitude sur l’examen précédent de décembre 1997 et dont la nature reste à préciser ».
- Docteur Fortier, radiologiste, le 3 novembre 2000 : « une comparaison est effectuée avec un examen obtenu le 23 octobre 2000. La petite opacité nodulaire notée au niveau du sommet pulmonaire gauche lors de l’examen précédent n’est plus retrouvée en tant que telle et correspondait apparemment à une image de composition par superposition de structures osseuses et vasculaires. On remarque toujours un granulome calcifié au niveau du lobe moyen. On observe également une accentuation de la trame bronchique. Il y a également une légère accentuation du relief interstitiel, pouvant suggérer un peu de fibrose pulmonaire. Par ailleurs, il n’y a pas d’évidence de lésion périparenchymateuse active ».
- Docteur N. Gauthier, radiologiste, le 17 novembre 2003 : « patiente connue pour la présence d’opacités interstitielles bilatérales, compatibles avec une atteinte fibrotique pulmonaire peu sévère. Granulome connu au lobe moyen. Pas de signe de lésion parenchymateuse active ni de surcharge ».
- Docteur E. Hamel, radiologiste, le 19 avril 2004 : « superposable au 17 novembre 2003, seul examen antérieur disponible pour fin de comparaison. Persistance d’opacités interstitielles bilatéralement pouvant témoigner d’une atteinte fibrotique pulmonaire. Granulome connu au lobe moyen ».
- Docteur François Plante, le 13 septembre 2005, radiographie du poumon : « une discrète accentuation de la trame interstitielle est démontrée au tiers moyen des deux plages pulmonaires mais particulièrement à gauche. Des bronchiectasies de traction sont suspectées au tiers moyen du poumon gauche. Une fibrose sous-jacente est donc à éliminer et ainsi une TDM haute résolution est suggérée ».
- Docteur François Plante, le 28 septembre 2005, tomo axiale thorax : « épaississement des septas interlobulaires avec bronchiactaxie [sic] de traction à prédominance sous-pleurale, associé à une distorsion de l’architecture pulmonaire, présent diffusément aux deux poumons, mais prédominant au tiers moyen, en profusion légère à modérée. Il n’y a pas de formation en nid d’abeille. Il n’y a pas d’épanchement pleural. Il n’y a pas de lésion pleuroparenchymateuse suspecte. Conclusion : signes de fibrose interstitielle diffuse bilatérale en profusion légère à modérée prédominant au segment moyen des deux poumons, dont l’étiologie demeure indéterminée. »
- Docteur E. Hamel, radiologiste, le 18 février 2006 : « superposable au 19 avril 2004. Persistance d’opacité interstitielle bilatéralement témoignant d’une pneumopathie interstitielle sans évidence de lésion surajoutée. »
- Docteur François Plante, le 21 septembre 2006, radiographie pulmonaire : « accentuation de la trame interstitielle sous-pleurale particulièrement aux bases un peu plus marquées à gauche qu’à droite. L’ensemble rappelant une fibrose pulmonaire sous-jacente. Il n’y a pas d’évidence de cardiomégalie ou de signe de surcharge. Il n’y a pas d’épanchement pleural. Rappelons que cette patiente est connue pour une arthrite ».
- Docteur Gérard Schmutz, radiologiste, le 29 septembre 2006, tomo axiale thorax : « fibrose interstitielle pulmonaire de profusion modérée diffuse aux deux poumons, qui apparaît plus accentuée que sur l’examen antérieur surtout aux lobes inférieurs. »
[21] Le représentant de l’employeur dépose un document daté du 7 mars 2008 représentant l’opinion du docteur Jean Chalaoui, chef de la section cardiothoracique du département de radiologie du CHUM. Il émet les observations et opinions suivantes :
OBSERVATION :
Premièrement, les rapports radiologiques compilés au dossier s’échelonnant des années 70 jusqu’à 1991 inclusivement étaient rapportés normaux par différents radiologistes consultants qui ont vu ces radiographies. Malheureusement, ces documents ne sont plus disponibles pour moi.
Deuxièmement, en 1995 et jusqu’en 2004, j’ai observé des discrètes anomalies interstitielles localisées aux 2 bases en particulier à gauche, un granulome calcifié à la base droite. L’évolution au cours de ces années est très minime.
Troisièmement, depuis 2004 jusqu’en 2007, il y a une évolution très importante des anomalies interstitielles qu’on identifie bien à la tomodensitométrie de 2005 mais qui progressent nettement au cours des années 2006 et 2007.
Je pourrais les résumer ainsi :
· Une diminution progressive des volumes pulmonaires.
· Une atteinte parenchymateuse interstitielle multifocale qui se distribue d’une façon un peu inégale aux 2 poumons y compris les 2 zones supérieures.
· Cette atteinte est caractérisée par un épaississement des septas [sic] interlobulaires, les zones hypertransparentes répondant aux distributions des lobules pulmonaires secondaires, des bronchiectasies de traction et quelques lésions microkystiques souspleurales.
· Ces anomalies interstitielles sont aussi distribuées autour des structures bronchovasculaires et des scissures interlobaires.
· Il n’y a pratiquement pas de plaques pleurales que l’on peut identifier.
· Quelques lésions confluentes nodulaires sont distribuées un peu au hasard sur la périphérie des 2 poumons.
OPINION :
Les différents éléments décrits plus haut indiquent que cette patiente souffre d’une maladie qui aurait débuté près de 10 ans après l’arrêt de son exposition à l’amiante, qui a progressé lentement jusqu’en 2004 dont la progression au cours des 3 dernières années est assez remarquable. Cette patiente est connue en plus pour une maladie inflammatoire, l’arthrite rhumatoïde, qui a une propencité d’atteindre les poumons. Il faut noter l’absence de plaques pleurales et l’absence d’épanchements pleuraux, ces 2 éléments sont retrouvés pour la première dans l’amiantose et pour le deuxième dans l’arthrite rhumatoïde.
Il est clair que l’évolution très rapide ne répond aucunement à une fibrose amiantosique. Il faut évoquer ici une maladie systémique telle que l’arthrite rhumatoïde ou encore une atteinte pulmonaire sélective telle que l’on rencontre dans les pneumonies d’hypersensibilité. Il est très peu probable, sinon improbable, que l’évolution aussi rapide au cours des dernières années soit attribuable à l’amiantose. Une fibrose pulmonaire primitive qu’on appelle UIP ou FPI (fibrose pulmonaire idiopathique) pourrait aussi en être la cause.
(Nos soulignements)
[22] À la demande du représentant de la travailleuse, le docteur Raymond Bégin vient témoigner à l’audience. Appelé à commenter certaines informations contenues au rapport du Comité du 25 janvier 2007, le docteur Bégin indique que l’information concernant le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde qui aurait été émis en 2003, lui vient fort probablement du questionnaire de madame Croteau. Quant à l’information qu’il y a eu pneumonie et bronchite avant 2000 et « fibrose interstitielle après », le docteur Bégin spécifie que la fibrose interstitielle selon lui est apparue après 2000. Quant à l’affirmation voulant que les radiographies pulmonaires étaient normales jusqu’en 1990 et que la première radiographie anormale date de 1997, le docteur Bégin expose qu’il n’y avait pas de radiographies entre 1990 et 1997 dans le dossier qu’il a reçu de la CSST. La radiographie de 1997 à laquelle il fait référence est vraisemblablement celle du 10 février 1997 qui démontrait une accentuation diffuse du relief interstitiel.
[23] Quant à son interprétation de la radiographie pulmonaire où il indique qu’il y a des infiltrants interstitiels diffus compatibles avec une fibrose extensive avancée, le docteur Bégin confirmera qu’il s’agissait de résultats retrouvés de façon bilatérale.
[24] Concernant les conclusions du Comité, le docteur Bégin note tout d’abord que la travailleuse a été exposée pendant 38 ans, notamment au département des freins et que cela constitue une exposition qui n’est pas bénigne, qui est à tout le moins modérée. Il est d’avis qu’il est impossible de dire clairement que la maladie retrouvée n’était pas reliée à son travail.
[25] Il note, pour soutenir sa conclusion, qu’avant d’avoir une arthrite rhumatoïde, il commençait à y avoir des changements radiologiques même si en 1991, malgré certaines anomalies, ce n’était pas suffisant pour conclure à une amiantose. En 2007, il n’y avait pas de doute que la fibrose pulmonaire était avancée, la travailleuse était sous oxygène.
[26] Même s’il est admis que la polyarthrite rhumatoïde est une maladie qui peut causer une fibrose, le docteur Bégin indique qu’il a déjà eu à travailler avec un groupe de rhumatologues sur les problèmes pulmonaires et qu’il est exceptionnel qu’une fibrose soit aussi extensive et sévère. Selon le Comité, il y avait participation des fibres d’amiante dans ses poumons pour expliquer l’importance de la fibrose. Il souligne qu’il ne peut évidemment pas faire le décompte des fibres, cela ne se fait que lors de l’autopsie.
[27] D’autre part, le docteur Bégin souligne que ce ne sont pas tous les cas de polyarthrite rhumatoïde qui évoluent vers une fibrose importante, selon lui c’est entre 10 et 20 %, pas plus. Le docteur Bégin ajoutera qu’à la vue des films, il n’est pas évident de dire si la cause est X ou Y. S’il y a des plaques pleurales bilatérales, le diagnostic d’amiantose va être posé. Cependant, ce ne sont pas tous les cas d’amiantose qui entraînent des plaques pleurales, cela dépend du genre de fibre d’amiante. Particulièrement dans la mine d’Asbestos, contrairement à la mine de Thetford-Mines, par exemple. Il ajoute « ça ne me gêne pas de reconnaître une amiantose même s’il n’y a pas de plaques pleurales ».
[28] Concernant l’attribution du déficit anatomophysiologique, le docteur Bégin indique qu’il n’a pas donné de déficit anatomophysiologique concernant les anomalies radiologiques importantes ni pour l’intolérance à l’effort parce que le Comité « trouvait que 115 % c’était assez ». Il estime que ces différents items sont inclus dans la classe fonctionnelle 5.
[29] Appelé à préciser l’interprétation des différents radiologistes depuis 1990, le docteur Bégin note qu’il s’agit de trois radiologistes différents et qu’il peut y avoir une variation entre les lecteurs sur la signification des zones grises. Par exemple, le 30 juin 1997, il y avait un peu de fibrose dans une zone du poumon mais pas de façon diffuse, donc il n’y avait probablement pas présence d’amiantose à ce moment. Le 5 décembre 1997, le docteur Fortier, un autre radiologiste, lit la radiographie comme étant négative, cela illustre, comme il le disait, la variation de lecture qui peut être jusqu’à 40 %.
[30] Concernant la période de latence, le docteur Bégin explique que l’amiantose peut apparaître longtemps après la fin d’exposition. Il note qu’ici, en 1991, il y avait certains éléments d’une fibrose débutante mais à cette époque la tomographie n’était pas suffisamment précise pour confirmer un diagnostic, comme c’est le cas aujourd’hui.
[31] Concernant le fait qu’ici la fibrose ait connu une progression fulgurante, particulièrement depuis que le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde a été posé, le docteur Bégin indique que l’amiantose a une évolution variable et il cite en exemple un cas qu’il a déjà eu où il n’était pas question de polyarthrite rhumatoïde. Par ailleurs, il estime qu’il y a une vraisemblance sur le plan clinique puisqu’il n’y a pas de preuve scientifique ni d’étude épidémiologique concernant les cas d’amiantose et de polyarthrite rhumatoïde, il y a trop peu de cas. Interrogé sur le fait que si la travailleuse n’avait pas été exposée à l’amiante, il aurait associé la fibrose à la polyarthrite, le docteur Bégin répond que cela est assez exceptionnel dans un cas comme dans l’autre. C’est pour cette raison que le Comité ne pouvait exclure l’exposition intense et prolongée pendant 38 ans. Il ajoute que l’on sait que les travailleurs de l’amiante retiennent des fibres d’amiante dans le poumon et que la faiblesse du système immunitaire (à cause de la polyarthrite) pourrait contribuer à l’augmentation de la fibrose. Il est d’avis qu’il ne s’agit peut-être pas d’une preuve scientifique mais d’une pensée raisonnable.
[32] Le représentant de l’employeur, de son côté, fait entendre le pneumologue Marc Desmeules. Des questions lui sont posées concernant la façon dont le Comité spécial des présidents en est venu à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’amiantose. Le docteur Desmeules débute en mentionnant que de mémoire, c’était un cas un peu difficile.
[33] Il explique les conclusions du Comité particulièrement à cause de l’élément concordance dans le temps avec le diagnostic, soit le processus d’installation de la fibrose. La première radiographie claire apparaît vers 2000, soit 50 ans après le début de l’exposition et près de 15 ans après la fin de l’exposition. Cette prémisse remet en question le lien avec le travail, puisque la période de latence est en général de 20 à 30 ans. Il ajoute cependant qu’après 15 ans ce n’est pas absolument impossible mais ce n’est pas la règle.
[34] Comme deuxième élément, le Comité a retenu le fait que la fibrose se soit installée très rapidement. En novembre 2000, on parle d’une légère fibrose, en novembre 2003 on parle d’une fibrose peu sévère et en 2006 la travailleuse passe en insuffisance respiratoire donc une évolution très rapide, contrairement à l’amiantose, qui est normalement d’une évolution lente.
[35] Il explique qu’il peut y avoir ce que l’on appelle une fibrose idiopathique qui peut être par exemple secondaire aux collagénoses ou une fibrose associée à d’autres maladies comme la polyarthrite rhumatoïde et le lupus. Il peut y avoir également une fibrose idiopathique associée à une exposition à l’amiante, ce qui rendra l’évolution plus rapide, soit un décès en moins de 5 ans dans 50 % des cas. Il note que l’évolution ici est concomitante avec une arthrite rhumatoïde.
[36] Comme troisième élément, il mentionne que les pneumologues ont eu ces débats-là souvent, on leur a dit que lorsqu’ils rendent leur décision, il ne pouvait y avoir de maladie « semi-professionnelle », ils ne peuvent dire que c’est causal à moitié. Vu le contexte du présent cas, le Comité a plutôt penché vers la cause de polyarthrite, cela leur est apparu plus probable, compte tenu des deux premiers éléments.
[37] Le docteur Desmeules discute ensuite des différents tests de fonctions respiratoires qui ont été faits au cours des années et il note que depuis 1997, pendant plusieurs années, il ne semblait pas y avoir une mise en place d’une maladie restrictive comme l’amiantose qui aurait causé un syndrome restrictif. Les différents tests au dossier démontrent que la travailleuse a présenté des volumes pulmonaires normaux pendant une bonne partie de sa vie, lesquels ont dégénéré dans une période d’environ cinq ans.
[38] Il est demandé au docteur Desmeules s’il lui est déjà arrivé de reconnaître une amiantose 30 ans après la fin de l’exposition. Le docteur Desmeules indique que cela est peut-être déjà arrivé, qu’il est possible qu’il y ait des cas d’amiantose qui se déclarent tardivement mais c’est la très grande exception.
[39] Concernant la conclusion du Comité disant qu’il était prêt à réévaluer le dossier s’il possédait les données du dosage minéralogique, le docteur Desmeules explique que c’était parce qu’ils étaient devant deux possibilités de causes et les résultats d’une analyse minéralogique pourraient faire renverser une décision. Il ajoute « autrement dit, on a peut-être eu des doutes en discutant mais on a pris une décision ». Concernant son affirmation qu’il ne peut accorder une causalité partielle, soit comme dans un tel cas donner moitié-moitié quant aux causes, le docteur Desmeules répondra que le Comité ne veut pas se mouiller, mais cela aurait pu arriver.
[40] D’autre part, concernant l’affirmation que les radiologies sont normales jusqu’en 2000, le docteur Desmeules reconnaît qu’en 1991, on parle d’une petite zone locale cicatrisée à la base pulmonaire gauche mais selon lui, c’est sans rapport avec l’amiantose. Il admet cependant que cela peut constituer une anomalie radiologique. Il en est de même en mai 1991, cependant l’interprétation radiologique ne parle pas d’une fibrose interstitielle. Quant au fait qu’en février 1997 et octobre 2000 on parle d’une accentuation diffuse du relief interstitiel, le docteur Desmeules admet que cela démontre un processus d’installation de fibrose et que cela peut être une indication d’amiantose. Il est d’accord avec le docteur Bégin que cela peut dépendre du lecteur de la radiographie.
[41] Quant au pourcentage des porteurs de polyarthrite rhumatoïde qui vont développer une fibrose pulmonaire, le docteur Desmeules indique qu’il a vérifié et qu’il a vu que ça pouvait être entre 20 et 40 % des malades. Il ajoute que c’est quand même un facteur important puisque la littérature scientifique est assez claire quant au fait que l’arthrite rhumatoïde donne des problèmes pulmonaires, en plus des médicaments donnés pour cette maladie qui peuvent mener à la fibrose.
[42] Quant à l’affirmation dans le rapport du Comité spécial des présidents, que ce serait en 1995 que la travailleuse aurait développé une polyarthrite rhumatoïde, le docteur Desmeules ne peut dire où il a pris cette information. Il lui semble que c’était entre 1995 et 2000, mais encore-là, il ne peut identifier d’où provient cette information.
[43] Quant à la présence de plaques pleurales, il admet que cela peut être un témoin d’exposition à l’amiante mais peut aussi être une séquelle de la pleurésie que la travailleuse a présentée plusieurs années auparavant.
[44] Il termine en concluant que pour lui, la cause probable de la fibrose de la travailleuse est l’arthrite rhumatoïde, mais il n’est pas en mesure de démontrer que l’exposition à l’amiante n’a pas joué de rôle dans le développement de la maladie.
[45] Les représentants des parties soumettent ensuite leur argumentation respective et le procureur de l’employeur demande un délai pour commenter les notes et la jurisprudence déposées par le représentant de la travailleuse, ce qui lui est accordé.
L’AVIS DES MEMBRES
[46] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse et de retenir les conclusions émises par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles, soit que la travailleuse est porteuse d’une amiantose. La preuve prépondérante démontre qu’il est plus probable que ce soit l’exposition à l’amiante qui ait entraîné l’importante fibrose que l’on retrouve maintenant. À cet égard, le témoignage du docteur Bégin est retenu.
[47] Le membre issu des associations d’employeurs est plutôt d’avis que c’est la polyarthrite rhumatoïde qui vraisemblablement est la cause principale du développement de la fibrose pulmonaire développée par la travailleuse. À cet égard, il retient les explications du docteur Desmeules, principalement vu la chronologie du développement de la maladie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[48] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si madame Croteau est porteuse d’une maladie professionnelle, en l’occurrence, l’amiantose.
[49] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) traite spécifiquement des maladies professionnelles aux articles 2, 29 et 30 :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[50] La présomption de maladie professionnelle édictée à l’article 29 de la loi renvoie à l’annexe I, lequel à la section V prévoit spécifiquement la maladie d’amiantose :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION V
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES
ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES
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GENRES DE TRAVAIL |
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1. Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante : |
un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante; |
[…] |
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[51] Pour bénéficier de la présomption, la travailleuse doit démontrer deux choses, tout d’abord qu’elle est porteuse d’une amiantose et qu’elle a exercé un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante.
[52] Dans le présent dossier, il n’est pas contesté que la travailleuse a effectivement exercé un travail impliquant une exposition à de la fibre d’amiante, exposition que le Comité des maladies pulmonaires professionnelles qualifie de « intense et de prolongée ».
[53] La question qui se pose en fait dans le présent litige est de savoir si la travailleuse est porteuse d’amiantose, puisque l’importante fibrose pulmonaire que l’on retrouve à compter des années 2000 peut être attribuable à deux causes principales, soit une amiantose ou des séquelles de la maladie diagnostiquée de polyarthrite rhumatoïde. En effet, en sus d’une exposition suffisante, la présence de fibrose est un élément essentiel pour émettre un diagnostic d’amiantose.
[54] La Commission des lésions professionnelles est d’avis, considérant la preuve médicale au dossier et les témoignages d’experts entendus à l’audience, que la travailleuse présente une fibrose pulmonaire principalement attribuable à l’amiantose et que de ce fait, elle bénéficie de la présomption de maladie professionnelle prévue à la loi.
[55] Le tribunal retient tout d’abord que la polyarthrite rhumatoïde a été diagnostiquée au plus tôt en 2003 ou 2004 et non pas en 1995 comme l’affirmait le Comité spécial des présidents. D’ailleurs, le docteur Desmeules a admis qu’il ne savait pas d’où provenait l’information retenue dans le rapport du Comité spécial. Selon le dossier et les notes du docteur Coll, il apparaît beaucoup plus certain que cette maladie ait été diagnostiquée en 2003 ou 2004.
[56] Le tribunal retient également de la preuve que des anomalies radiologiques ont commencé à être lues dans les années 1990, soit près de quinze ans avant le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. Quoique insuffisantes pour poser un diagnostic d’amiantose, cela demeure un indice ou un élément permettant de voir des anormalités et un processus en installation. Cela peut également expliquer la période de latence qui peut être considérée comme longue mais pas impossible, puisque les deux experts, qui sont membres des différents comités depuis de nombreuses années et en ont vu d’autres, ont indiqué que cela s’était déjà vu et que ce n’était pas impossible, même si c’était plutôt rare.
[57] D’autre part, concernant la présence ou l’absence de plaques pleurales, le tribunal retient du témoignage du docteur Bégin que dans le cas des travailleurs de la région d’Asbestos, cela n’est pas un élément déterminant puisque cela dépend du genre de fibre d’amiante. Cette affirmation n’a pas été contredite et à cet égard, l’opinion du docteur Chalaouï n’est donc pas déterminante.
[58] La Commission des lésions professionnelles conçoit que l’évolution rapide de la maladie soit concomitante avec le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. Cependant, cette affirmation n’exclut pas qu’en association avec l’exposition à l’amiante, cela puisse entraîner une évolution plus rapide de la maladie. C’est ce qui ressort des conclusions du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et des témoignages des docteurs Bégin et Desmeules à l’audience.
[59] Également, la Commission des lésions professionnelles considère important de noter que ce n’est pas automatique que la polyarthrite rhumatoïde entraîne de la fibrose pulmonaire. Les experts entendus indiquent qu’entre 15 et peut-être 40 % des cas vont développer une telle fibrose. D’ailleurs, le Comité spécial des présidents a déjà reconnu une amiantose chez un travailleur porteur d’une polyarthrite rhumatoïde sévère et exposé à l’amiante dans le cadre de son travail[2].
[60] De plus, et c’est ce qui est important ici, les deux pneumologues entendus à l’audience ne peuvent, de façon claire, conclure à la cause exacte de la maladie sans avoir les données du dosage minéralogique. Cette preuve est possible uniquement en cas de décès du travailleur réclamant et d’autopsie des poumons. Il est bien évident que l’on ne peut exiger ce degré de preuve scientifique dans le cadre de l’application de la loi, considérant que celle-ci est une loi à caractère social et d’ordre public et que le fardeau de preuve requis est plutôt celui de la prépondérance.
[61] Le docteur Bégin, de son côté, est d’avis que l’exposition intense et prolongée de la travailleuse à l’amiante doit être prise en compte et que selon lui, il est plus probable que la travailleuse ait développé une fibrose suite à cette exposition à l’amiante.
[62] De son côté, le docteur Desmeules mentionnera que le Comité spécial « a eu des doutes », qu’il ne pouvait conclure qu’il y avait une maladie « semi-professionnelle » et que c’était un cas « un peu difficile ». Les honnêtes hésitations de la part d’un scientifique reconnu en la matière permettent au tribunal de conclure que la travailleuse doit bénéficier de la présomption de maladie professionnelle. Conclure autrement stériliserait cette présomption.
[63] Comme le mentionnait la Cour d’appel dans l’affaire ABB Asea Brown Boveri inc. c. Perron[3] :
[10] L’expert sur lequel la Commission se fonde pour en arriver à sa conclusion n’a pas affirmé qu’il n’était pas probable que la maladie de l’intimé a été causée à l’occasion de son travail. L’expert ne peut pas aller aussi loin. Il reconnaît que c’est possible, mais que c’est peu probable.
[11] En réalité, l’expert ne le sait pas. Il doute que ce soit probable, mais il ne peut affirmer que ce n’est pas probable, car il ne sait pas la quantité de radiations auxquelles l’intimé a été exposé.
[12] En conséquence, si l’expert et, après lui, la Commission ne peuvent affirmer que la maladie de l’intimé n’a pas été causée à l’occasion de son travail, la présomption n’a pas été repoussée, la présomption demeure et la preuve que la maladie de l’intimé a été causée à l’occasion de son travail est faite.
(Nos soulignements)
[64] La présomption devant s’appliquer et bénéficier à madame Croteau, il appartenait donc à l’employeur de démontrer que la fibrose pulmonaire sévère l’affectant n’a pas été causée par l’amiante.
[65] Pour les raisons exposées précédemment, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur n’a pas repoussé cette présomption.
[66] Rappelons que le fardeau de preuve est celui de la preuve prépondérante et non de la certitude absolue, et lorsque, comme en l’espèce, les experts s’expriment plutôt en terme de probabilité et de possibilité, et lorsqu’il y a des éléments dans la preuve médicale qui penchent nettement en faveur d’un rôle joué par l’exposition à l’amiante, ce fardeau de preuve est alors rempli, cette contribution de l’exposition à l’amiante n’ayant pas besoin d’être la seule ni la principale cause de la fibrose, mais étant plutôt une probabilité de causalité supérieure à 50 %. C’est le fardeau que la loi demande et dans l’état actuel du dossier, la cause de la fibrose pulmonaire sévère ne peut être démontrée autrement.
[67] Dans les circonstances, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de rétablir les conclusions émises par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles le 25 janvier 2007.
[68] Concernant le déficit anatomophysiologique devant être attribué, le Règlement sur le barème des dommages corporels[4] établit dans le cas de maladie pulmonaire les déficits anatomophysiologiques suivants :
Code Description DAP
223001 amiantose 5 %
223163 classe fonctionnelle 5 100 %
223056 anomalies cliniques importantes 10 %
223074 anomalies radiologiques importantes 10 %
223092 intolérance à l’effort 10 %
225713 douleurs et perte de jouissance de la vie (50 % du DAP ) 67,5 %
—————— TOTAL : 202,5 %
[69] Le Comité trouvait que 115 % « c’était assez », mais cela ne doit pas empêcher la travailleuse de bénéficier des dispositions réglementaires applicables à son cas.
[70] Le tribunal estime que la preuve démontre que la travailleuse présente des anomalies radiologiques importantes, vu l’étendue de la fibrose et qu’étant oxygénodépendante, une intolérance à l’effort doit également être attribuée.
[71] En conclusion, la Commission des lésions professionnelles conclut que madame Juliette Croteau est porteuse d’une amiantose, maladie pour laquelle un déficit anatomophysiologique de 202,5 % doit être attribué.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Juliette Croteau, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 19 avril 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une maladie pulmonaire professionnelle le 11 octobre 2006, soit une amiantose;
DÉCLARE que la maladie professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique totale de 202,5 %.
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Me Luce Boudreault |
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Commissaire |
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Me Richard Mailhot |
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RICHARD MAILHOT, AVOCAT |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Michel Towner |
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FRASER, MILNER, CASGRAIN |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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