Montréal (Ville de) (Arrondissement Villeray/St-Michel/Parc extension) |
2011 QCCLP 1508 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 28 juin 2010, l’Arrondissement Villeray / Saint-Michel / Parc extension (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 juin 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 20 avril 2010 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur Jason Hébert (le travailleur) le 27 mars 2006.
[3] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de rendre une décision sur dossier. Le 22 décembre 2010, l’employeur transmet une argumentation écrite et un avis médical complémentaire du docteur Gilbert Thiffault. La cause est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit être imputé que de 10 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du travailleur du 27 mars 2006.
LA PREUVE
[5] Âgé de près de 30 ans, le travailleur subit une lésion professionnelle le 27 mars 2006 alors qu’il se blesse à la cheville droite en déposant son pied sur une dénivellation inattendue de la rue dans le cadre de la collecte des ordures.
[6] Il consulte un médecin le même jour qui diagnostique une entorse de la cheville droite et prescrit un arrêt de travail immédiat.
[7] À la demande de l’employeur, le travailleur rencontre le docteur François Le Bire. Dans son expertise du 12 mai 2006, le docteur Le Bire retient le diagnostic d’entorse grade II au niveau de la cheville droite. Il rapporte que le travailleur lui dit mesurer 6 pieds 5 pouces et peser 270 livres.
[8] Le même jour, le travailleur passe une résonance magnétique qui met en lumière la condition suivante :
OPINION :
1. Contusion osseuse de l’astragale antérieur et interne.
2. Déchirure des ligaments péronéo-astragalien antérieur et péronéo-calcanéen.
3. Légère ténosynovite du tendon tibialis postérieur et des péroniers.
4. Épanchement intra-articulaire modéré et œdème dans les tissus mous entourant la cheville.
[9] Commentant cette résonance magnétique, le docteur Le Bire dans un rapport complémentaire du 1er juin 2006 précise que le diagnostic est une entorse de grade III en raison de la déchirure complète de ligaments. Il prévoit une consolidation de la lésion vers le 23 juin 2006.
[10] Le médecin qui a charge du travailleur tant dans ses rapports médicaux subséquents que dans un rapport complémentaire du 29 juin 2006 reprend le diagnostic de déchirure ligamentaire à la cheville droite.
[11] En août 2006, le travailleur voit le docteur Georges-Henri Laflamme, orthopédiste, membre du Bureau d’évaluation médicale. Dans son avis du 6 septembre 2006, il note que le travailleur lui indique mesurer 6 pieds 5 pouces et peser 270 livres. Il retient les diagnostics d’entorse cheville droite avec séquelles d’ankyloses douloureuses et contusion osseuse importante astragale droit avec synovite résiduelle. Il ne consolide pas la lésion en raison d’une ankylose et d’un abutement tibio-astragalien (impingement) et de la synovite résiduelle. Il suggère notamment des infiltrations et éventuellement une arthroscopie-débridement de la loge antérieure de la cheville.
[12] Dans un avis complémentaire du 18 octobre 2006, le docteur Laflamme apporte des précisions quant à son avis sur la consolidation de la lésion. Il précise que la blessure ligamentaire est consolidée depuis le 22 août 2006 alors que celle à la cheville découlant de la contusion osseuse occasionnant une synovite tibio-astragalienne ne l’est pas.
[13] À la demande de l’employeur, le docteur Gilbert Thiffault, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur. Dans son rapport d’expertise du 18 juillet 2007, il note que le travailleur mesure 1 m 95 et pèse 131 kg. Il suggère au travailleur de perdre du poids de façon importante. Il consolide la lésion au 11 juillet 2007. Dans les raisons qui motivent cette date de consolidation, le docteur Thiffault n’évoque pas le poids du travailleur. Il retient les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente suivantes :
L’existence ou l’absence de limitations fonctionnelles
Ce patient doit éviter :
· les stations accroupies de façon prolongée ;
· les terrains accidentés ;
· les escaliers ;
· la station debout prolongée.
L’existence ou l’absence d’atteinte permanente
ATTEINTES PERMANENTES |
||
|
CODE |
DAP |
Séquelles actuelle : Entorse sévère de la cheville avec séquelles fonctionnelles
Perte de moins de 50 % de l’articulation sous-astragalienne
Perte de moins de 50 % des mouvements de l’articulation médiotarsienne
Préjudice esthétique 2 cicatrices mesurant 1 cm x 0,6 cm ce qui donne 1 cm2 de plaie (il s’agit d’une petite cicatrice vicieuse) |
103400
107333
107351
224402 |
2 %
2 %
1 %
1 %. |
[14] Le docteur Khalil Masri, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Il note que ce dernier mesure 6 pieds 5 pouces et qu’il pèse 274 livres. Il consolide la lésion au 11 juillet 2007 avec l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles suivantes :
EXISTENCE OU POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE :
SÉQUELLES ACTUELLES :
Code Description DAP
103 266 Entorse de la cheville droite avec
séquelles fonctionnelles 2 %
107 306 Ankylose incomplète articulation
tibio-tarsienne droite, perte de 10° 2 %
107 333 Perte de moins de 50 % des mouvements
de la sous-astragalienne 2 %
Préjudice esthétique :
224 395 Atteinte cicatricielle membre inférieur :
Cicatrices non vicieuses 0 %
EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES :
Monsieur Hébert doit éviter :
- Les stations accroupies de façon prolongée;
- Les terrains accidentés;
- La station debout de façon continue pour plus d’une heure.
[15] Un rapport final est produit consolidant la lésion au 7 novembre 2007 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Nguyen constate que le travailleur mesure 6 pieds 5 pouces et pèse 276 livres. Au chapitre de l’atteinte permanente, son opinion est concordante avec celle du docteur Masri. Quant aux limitations fonctionnelles, il recommande de ne pas courir et de ne pas faire de marche accélérée.
[16] Dans une décision[1] du 23 septembre 2009, la Commission des lésions professionnelles retient le même déficit anatomophysiologique que le Bureau d’évaluation médicale à l’exception du déficit anatomophysiologique relatif au préjudice esthétique. Sur le plan des limitations fonctionnelles, le tribunal confirme celles du Bureau d’évaluation médicale.
Demande de partage d’imputation
[17] L’employeur dépose à la CSST, le 23 décembre 2009, une demande de partage d’imputation. Dans sa demande, rédigée par madame Mélanie Lazure, coordonnatrice en ressources humaines, l’employeur soumet que l’obésité du travailleur est une condition personnelle préexistante qui dévie par rapport à la norme biomédicale. Dans sa demande à la CSST, madame Lazure s’appuie sur une note écrite du docteur Thiffault :
D’ailleurs, le Dr Thiffault nous indique clairement que l’obésité du travailleur constitue un handicap préexistant déviant de la norme biomédicale lorsqu’il écrit :
« Par ailleurs, il n’existe aucune condition personnelle au niveau de la cheville autres que les renseignements fournis, sauf que ce travailleur présente une surcharge pondérale importante, soit 131 kg (282 lb). Ceci peut donc expliquer, en partie, le retard de la guérison puisque ceci dévie de la norme biomédicale chez un patient de 31 ans. À part la surcharge pondérale, il n’y a pas d’autre condition personnelle notée à la résonance magnétique de la cheville droite. »
[18] Le tribunal constate que cette note du docteur Thiffault à laquelle fait allusion l’employeur n’a pas été déposée en preuve.
[19] Par ailleurs, quant à l’impact de l’obésité sur la condition musculo-squelettique du travailleur, madame Lazure propose l’explication suivante :
Il est médicalement reconnu qu’au niveau musculosquelettique, un excès de poids de cette importance entraîne des tensions très importantes sur les différentes articulations, plus particulièrement les articulations qui se trouvent à la région inférieure du corps. D’ailleurs, plus nous descendons, plus les tensions articulaires sont importantes et c’est ainsi que la colonne lombaire, les hanches, les genoux et les chevilles sont soumises à des tensions énormes entraînant des risques de dégénérescence et de blessure précoce.
[20] Le docteur Thiffault rédige un rapport complémentaire portant sur la question du partage d’imputation. Après avoir fait une revue du dossier, le docteur Thiffault écrit :
Par ailleurs, ce patient pèse 270 livres et mesure 6 pieds 5. Il présente une obésité importante qui est un facteur aggravant. En effet, les articulations au niveau des membres inférieurs sont des articulations portantes qui supportent le poids contrairement aux articulations des membres supérieurs qui ne sont pas des articulations portantes.
Nous croyons que monsieur était porteur d’un handicap qui était présent avant la lésion, soit une obésité, lequel constitue une déviation par rapport à la norme biomédicale car monsieur pèse 270 livres et mesure 6 pieds 5.
Ce handicap a eu des répercussions sur la survenance de la lésion et a aggravé les conséquences de cette lésion car il a retardé la date de consolidation de façon importante. En effet, la lésion est survenue le 26 mars 2006 mais n’a été consolidée que le 11 juin 2007 donc plus de 1 an et 4 mois après l’événement.
Le diagnostic d’impingement est la résultante de l’accident et non la résultante d’une condition personnelle.
L’ARGUMENTATION DE l’EMPLOYEUR
[21] Le 22 décembre 2010, le procureur de l’employeur transmet au tribunal une argumentation écrite. Il soutient que le travailleur est affligé d’une obésité sévère préexistante à la survenance de la lésion professionnelle. S’appuyant sur l’opinion du docteur Thiffault émise le 16 décembre 2010, il prétend que cette condition dévie par rapport à la norme biomédicale.
[22] Il soumet qu’il ne fait aucun doute que cette obésité sévère a eu un impact sur la période de consolidation de la lésion. Dans son argumentation, il écrit :
Il y est reconnu qu’une entorse à la cheville de grade 2 est guérie normalement dans une période de 2 à 4 semaines. Or, dans le présent dossier, il nous est permis de conclure que le poids excessif porté sur cette cheville a entraîné et maintenu de l’inflammation et augmenté les conséquences dans la guérison de la lésion. L’obésité du travailleur a interféré dans la guérison de la lésion et la période de consolidation de la lésion professionnelle est anormalement longue, soit plus de 67 semaines. Il ne faut pas oublier non plus que l’obésité de ce travailleur a grandement limité l’efficacité des traitements prescrits.
[...]
Considérant que la durée de consolidation attendue pour une entorse de la cheville est habituellement de 4 à 6 semaines et considérant que le travailleur dans le cas présent, la période de consolidation fut plus de 1 an et 4 mois après l’événement
[23] Enfin, au soutien de ses prétentions, le procureur de l’employeur fait référence à plusieurs décisions sur les principes applicables en matière de partage d’imputation dans le cas d’un travailleur handicapé et sur l’état d’obésité à titre de handicap[2].
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[24] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit ou non au partage d’imputation demandé en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi). Cet article énonce ce qui suit :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[25] Dans un premier temps, le tribunal constate que la demande de l’employeur du 23 décembre 2009 a été déposée avant l’expiration de la troisième année qui suit l’année de la lésion professionnelle du 27 mars 2006, conformément à la procédure établie à l’article 329 de la loi.
[26] Pour bénéficier de l’application de cette disposition législative, l’employeur doit démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque sa lésion professionnelle s’est manifestée le 27 mars 2006.
[27] Le législateur ne définit pas la notion de handicap. Toutefois, l’expression « travailleur déjà handicapé » a fait l’objet de deux courants jurisprudentiels au sein de la Commission des lésions professionnelles. Cependant, la jurisprudence pratiquement unanime de la Commission des lésions professionnelles interprète maintenant cette expression selon la définition développée dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François et C.S.S.T.[4] :
La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[28] En fonction de cette définition, l’employeur doit établir par une preuve prépondérante les deux éléments suivants pour bénéficier de l’application de l’article 329 :
· que le travailleur présentait une déficience physique ou psychique avant la survenance de la lésion professionnelle;
· que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[29] La jurisprudence[5] enseigne qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise, et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle. Il importe toutefois que cette déficience existe antérieurement à l’apparition de la lésion professionnelle.
[30] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve médicale ne permet pas de conclure à la présence d’une déficience correspondant à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[31] Le procureur de l’employeur conclut que le travailleur est porteur d’une obésité sévère. Cette prétention du procureur de l’employeur repose notamment sur le rapport complémentaire du docteur Thiffault du 16 décembre 2010 qui affirme que l’obésité du travailleur est un handicap et que cette obésité dévie par rapport à la norme biomédicale. Cette affirmation du docteur Thiffault ne repose que sur deux données, le poids et la taille du travailleur.
[32] Le tribunal accorde peu de valeur probante à l’opinion du docteur Thiffault. Celui-ci ne fait qu’évoquer le poids et la taille du travailleur sans étayer son opinion en établissant un rapport scientifique entre ces deux données. De plus, il ne donne aucune analyse ou explication pour mettre en perspective le poids du travailleur en tenant compte notamment de sa masse musculaire, de son ossature et de la répartition des graisses. En somme, le poids d’un individu est insuffisant en soi, sans mise en contexte médicale, pour faire la preuve d’une déficience déviant par rapport à la norme biomédicale.
[33] Par ailleurs, du poids et de la taille, madame Lazure qui représente l’employeur devant la CSST, indique que ces données permettent d’établir que le travailleur possède un indice de masse corporelle (IMC) de 34,5. S’appuyant sur un tableau de Santé Canada qui n’a pas été déposé en preuve, mais que le tribunal connaît bien, madame Lazare conclut que le travailleur est porteur d’une obésité de classe 1.
[34] Le tableau[6] sur lequel s’appuie madame Lazure et reproduit dans les décisions soumises par le procureur de l’employeur est le suivant :
Tableau 1A Catégories de poids en fonction de l’indice de masse corporelle (IMC)
|
||
IMC |
Catégorie de poids |
Niveau de risque pour la santé |
< 18,5 |
Poids insuffisant |
Risque accru |
18,5 - 24,9 |
Poids normal |
Moindre risque |
25,0 - 29,9 |
Embonpoint |
Risque accru |
30,0 - 34,9 |
Obésité classe I |
Risque élevé |
35,0 - 39,9 |
Obésité classe II |
Risque très élevé |
40,0 et plus |
Obésité classe III |
Risque extrêmement élevé |
|
|
|
30,0 et plus |
Obésité |
Risque élevé |
[35] L’indice de masse corporelle représente certes une donnée importante sur l’état du travailleur. Toutefois, sans mise en perspective médicale par rapport à l’ensemble de la condition du travailleur, cette donnée, à elle seule, ne permet pas au tribunal d’inférer qu’il s’agit d’un handicap déviant par rapport à une norme biomédicale[7]. Sur les limites de l’indice de masse corporelle, dans la décision Produits thermovision inc. et CSST[8], la Commission des lésions professionnelles écrit :
[38] Tel que le rappelle la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, avant de conclure que l’obésité constitue une déficience, il faut prendre en compte l’indice de masse corporelle et la distribution de la masse adipeuse. 22 L’indice de masse corporelle demeure un indice qui ne fait pas foi de tout.23
___________________
22. Congrégation des Sœurs Notre-Dame du Saint-Rosaire, C.L.P. 268437-01A-0507, 15 mars 2006, L. Desbois; Ambulances Abitemis inc., C.L.P. 346906-08-0805, 8 janvier 2010, M. Langlois; Wal-Mart du Canada inc., C.L.P.380740-62-0906, 29 janvier 2010, A. J. Tremblay.
23. Wilco inc., C.L.P. 379514-71-0905, 1er mars 2010, J.-F. Clément.
[36] De plus, dans l’affaire Congrégation des sœurs Notre-Dame du Saint-Rosaire[9], la Commission des lésions professionnelles retient que l’indice de masse corporelle est un élément de preuve qui doit faire l’objet d’une analyse médicale :
[27] De plus, il est bien spécifié dans le texte cité que « pour évaluer le risque de maladies associées à l’obésité, il est important de mesurer à la fois l’IMC et la distribution de la masse adipeuse ». L’IMC (Indice de masse corporelle), et son nom l’indique bien, n’est qu’un indice qui ne répond pas de tout.
[28] Il va ainsi notamment de soi qu’une personne peut présenter un poids important mais constitué essentiellement de masse musculaire, alors qu’une autre du même poids présentera quant à elle une masse adipeuse beaucoup plus importante. La masse adipeuse peut par ailleurs être concentrée dans la région abdominale ou répartie de manière plus équilibrée. Il ne saurait alors être question de mettre toutes ces personnes sur le même pied quant à la qualification de leur « obésité » respective, le cas échéant, et des risques y associés.
[37] En somme, dans le présent dossier, il n’y a aucune preuve médicale prépondérante que le poids du travailleur constitue une déviance par rapport à une norme biomédicale. Outre les propos du docteur Thiffault, la preuve du handicap repose essentiellement sur l’argumentation du représentant de l’employeur et la jurisprudence déposée au soutien de celle-ci. Or, dans la décision J.B. Deschamps (Impression Piché)[10], la Commission des lésions professionnelles souligne qu’une argumentation ne remplace pas une analyse médicale et, à ce titre, ne répond pas au fardeau de preuve que doit remplir une partie :
[23] […] Ce n’est pas l’opinion du représentant de l’employeur qui importe, mais bien la qualité de la preuve médicale et de l’analyse propre aux faits du dossier par un médecin qui pourra être prise en compte selon la balance des probabilités.
[38] Par ailleurs, dans la jurisprudence déposée par l’employeur, le tribunal note par rapport au présent dossier des distinctions importantes sur le plan factuel. Dans la décision Sauvé Plymouth Chrysler 1991 (inc,)[11], le travailleur mesure 5 pieds 9 pouces et pèse 300 livres alors que dans le présent dossier, le travailleur mesure 6 pieds 5 pouces et son poids oscille entre 271 et 276 livres selon les expertises.
[39] Dans l’affaire Kraft Canada ( division Nabisco )[12], il s’agit d’une obésité de classe II alors qu’ici le travailleur est affligé d’une obésité de type I. Dans l’affaire Garda (division Montréal)[13], le travailleur pèse 340 livres et mesure 6 pieds, données anthropométriques différentes du présent dossier. Dans Services MCMR[14], l’indice de masse corporelle du travailleur est de 40 alors que dans Compagnie système Allied (Canada)[15], la seule donnée factuelle rapportée est le poids du travailleur soit 340 livres. Or, dans ces deux dernières décisions, la preuve factuelle est différente du présent dossier.
[40] L’employeur soumet également la décision Bridgestone Firestone Canada inc.[16]. Comme dans le présent dossier, le travailleur avec un poids de 208 livres et une taille de 5 pieds 8 pouces, est affligé d’une obésité de type I. Or, dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles refuse d’accorder un partage d’imputation considérant qu’une obésité de type I ne constitue pas une déficience qui dévie par rapport à la norme biomédicale.
[41] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles juge que le travailleur ne présentait pas de handicap au sens de l’article 329 de la loi lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle du 27 mars 2006.
[42] Compte tenu que l’employeur n’a pas démontré de déficience dans ce dossier, le tribunal n’a pas à passer à la seconde étape de son analyse qui consiste à décider si la déficience a entraîné ou non des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences et rejette la requête.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Arrondissement Villeray / Saint-Michel / Parc extension, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue le 10 juin 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur Jason Hébert, le travailleur, le 27 mars 2006.
|
|
|
Philippe Bouvier |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Richard Auclair |
|
DUNTON RAINVILLE |
|
Représentant de la partie requérante |
[1] Hébert et Arrondissement Villeray/St-Michel/Parc-Extension, C.L.P. 342008-63-0802, 23 septembre 2009, I. Piché.
[2] Sauvé Plymouth Chrysler 1991 (inc.), C.L.P. 112546-62C-9903, 7 juillet 1999, Y. Lemire; Kraft Canada inc. (division Nabisco), C.L.P. 340348-71-0802, 1er octobre 2008, C. Racine; Services MCMR, C.L.P. 344410-63-0804, 24 avril 2009, S. Séguin; Compagnie Système Allied (Canada), C.L.P. 374884-62-0904, 23 septembre 2009, R. L. Beaudoin; Bridgestone Firestone Canada inc., C.L.P. 366035-04-0812, 20 novembre 2009, J.-A. Tremblay.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4] [1999] C.L.P. 779 .
[5] Précitée note 4.
[6] Ce tableau se retrouve notamment sur le site de Santé Canada et dans certaines décisions soumises par le procureur de l’employeur.
[7] Olymel Soc. en commandite A.F., 2011 QCCLP 195.
[8] [2010] C.L.P. 95 .
[9] C.L.P. 268437-01A-0507, 15 mars 2006, L. Desbois.
[10] C.L.P. 336958-31-0712, 3 novembre 2008, J.-L. Rivard.
[11] C.L.P. 112546-62C-9903, 7 juillet 1999, Y Lemire.
[12] C.L P. 340348-71-0802, 1er octobre 2008, C. Racine.
[13] C.L.P. 351663-62-0806, 16 décembre 2009, D. Lévesque.
[14] C.L.P. 344410-63-0804, 25 avril 2009, S. Séguin.
[15] C.L.P. 374884-62-0904, 23 septembre 2009, R. L. Beaudoin.
[16] C.L.P. 366035-04-0812, 20 novembre 2009, J.-A. Tremblay.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.