Laramée et Signalisation Pro-Secur inc. |
2011 QCCLP 3011 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 21 mai 2010, madame Johanne Laramée (la travailleuse) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête en révision d’une décision rendue le 31 mars 2010, par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de la travailleuse, confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (la CSST) rendue le 8 juillet 2008 à la suite d'une révision administrative et déclare que la travailleuse n’a pas subi, le 26 mars 2008, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 29 janvier 2008.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 24 janvier 2011. La travailleuse et Signalisation Pro-Sécur inc. (l’employeur) sont présentes et représentées. La CSST, partie intervenante devant la Commission des lésions professionnelles, est absente.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande de réviser la décision du 31 mars 2010 et de déclarer qu’elle a subi, le 26 mars 2008, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 29 janvier 2008.
LES FAITS
[5] Lors de la première audience tenue le 27 janvier 2010, le représentant de la travailleuse demande une remise afin de lui permettre de produire une expertise médicale. La première juge administratif refuse pour les motifs suivants :
[4] Le représentant de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de remettre l’audience afin de permettre à la travailleuse de produire une expertise médicale. La docteure Nathalie Brais a fait une demande de consultation le 17 décembre 2009 à la Clinique de la douleur de l’Hôpital Anna-Laberge. Le représentant de l’employeur s’oppose à cette demande pour le motif qu’une remise a déjà été accordée par la Commission des lésions professionnelles le 28 juillet 2009. De plus, la nouvelle date d’audience a été convenue par les parties. Enfin, aucun fait nouveau n’est survenu dans le dossier de la travailleuse et cette demande d’expertise n’est qu’une éventualité. Si la demande de remise était accordée, l’employeur en subirait un préjudice important.
[5] La Commission des lésions professionnelles a refusé la demande de remise. En effet, la nouvelle date d’audience, celle du 27 janvier 2010, a été fixée à la suite du consentement des parties produit à la Commission des lésions professionnelles le 3 août 2009 et elle a été confirmée le 4 août 2009 par le tribunal. Les parties ont été avisées lors de l’acceptation de la demande de remise, le 28 juillet 2009, que la nouvelle date d’audience sera péremptoire. De plus, la travailleuse disposait d’un délai de six mois à partir de la décision acceptant la demande de remise, pour préparer l’audience et obtenir une expertise médicale.
[6] Enfin, la travailleuse a indiqué dans sa contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles le 21 août 2008 qu’une expertise médicale sera produite éventuellement. La travailleuse avait donc l’intention, dès le dépôt de sa contestation, de produire une expertise médicale. Entre ce moment et la date de la nouvelle audience, elle a eu 17 mois pour obtenir une telle expertise. Le tribunal considère que la travailleuse avait largement le temps de préparer sa preuve médicale.
[6] Sur le fond du litige, la première juge administratif retient les faits suivants :
[8] La travailleuse est signaleuse routière chez l’employeur depuis septembre 2007.
[9] Le 12 novembre 2007, la travailleuse consulte la docteure Nathalie Brais. Ses notes cliniques indiquent une arthrose cervicale et une trapézalgie bilatérale. Celle-ci prescrit des anti-inflammatoires et des analgésiques.
[10] Le 19 novembre 2007, la docteure Brais mentionne une cervicalgie.
[11] Le 29 janvier 2008, elle ressent une douleur au cou, aux épaules et aux hanches après que le véhicule dans lequel elle se trouvait à titre de passagère bascule dans un fossé du côté de la conductrice. Celle-ci a perdu le contrôle de son véhicule en raison de la pluie verglaçante sur la chaussée. Afin de sortir du véhicule, la travailleuse force pour ouvrir la porte de son côté.
[12] Le 30 janvier 2008, le docteur Y. Laganière diagnostique une contusion musculaire.
[13] À la même date, une radiographie de la colonne cervicale est pratiquée. Le docteur Thien-Hong Ly, radiologiste, constate qu’il y a un pincement discal modéré à marqué isolé à C5-C6, s’accompagnant d’une ostéophytose marginale antérieure et postérieure. Il note aussi un peu de sclérose des plateaux vertébraux sus et sous-jacents, suggérant une discopathie dégénérative avec arthrose intersomatique isolée à C5-C6 et un peu d’uncarthrose surtout à gauche.
[14] Le 4 février 2008, les notes cliniques de la docteure Brais font référence à l’événement survenu en janvier 2008. Elle précise que la douleur à l’épaule gauche est reprise. Il y a un blocage au niveau de l’élévation à 90 ° et une limitation au niveau de la rotation interne. Elle diagnostique une entorse cervicale et une tendinite de l’épaule gauche et prescrit des traitements de physiothérapie.
[15] La travailleuse retourne au travail le 5 février 2008.
[16] Le 7 février 2008, les notes évolutives indiquent que la réclamation de la travailleuse est acceptée. La CSST déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 29 janvier 2008, soit des contusions musculaires aux épaules, aux hanches, au dos et au cou.
[17] Le 26 mars 2008, la docteure Brais diagnostique une entorse cervicale, une tendinite de l’épaule gauche et prescrit des traitements de physiothérapie. Ses notes cliniques indiquent une cervicobrachialgie gauche. La docteure Brais précise que l’épaule gauche est limitée au niveau de l’élévation à 90 ° et que la travailleuse a de la douleur aux trapèzes.
[18] Le 27 mars 2008, la travailleuse produit une réclamation alléguant avoir subi une récidive, rechute ou aggravation le 26 mars 2008. Elle prétend que ses douleurs n’ont jamais disparu.
[19] Le 16 avril 2008, la docteure Brais procède à une infiltration de l’épaule gauche.
[20] Le 28 avril 2008, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse. Elle déclare que celle-ci n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 26 mars 2008. Cette décision est contestée par la travailleuse.
[21] Le 17 décembre 2009, la docteure Brais demande une consultation à la clinique de la douleur de l’Hôpital Anna-Laberge en raison d’une cervicalgie et d’une irradiation au membre supérieur gauche. La travailleuse est en attente d’une résonance magnétique de la colonne cervicale et de l’épaule gauche aux fins d’éliminer une hernie discale cervicale et une déchirure du sus-épineux.
[22] La docteure Brais recommande qu’une électromyographie des membres supérieurs soit pratiquée. Elle précise que le diagnostic est une radiculopathie cervicale et des paresthésies à la main gauche.
[23] Le 4 janvier 2010, la docteure Brais produit un certificat médical d’incapacité de travail pour une période indéterminée.
[24] À l’audience, la travailleuse précise qu’elle s’est hâtée d’ouvrir la portière. Elle a craint qu’un autre véhicule percute le leur alors que le réservoir d’essence était situé face à la circulation. Elle ajoute qu’elle n’a pas reçu les traitements de physiothérapie pour ne pas perdre son emploi. Par contre, les quatre injections de cortisone qu’elle a reçues à l’épaule gauche ne lui ont pas procuré d’amélioration. Le 26 mars 2008, la travailleuse consulte la docteure Brais en raison des douleurs.
[25] La travailleuse a déjà subi deux autres accidents d’automobile en 1998 et en 2007. Elle mentionne qu’elle consulte la docteure Brais en novembre 2007 afin que celle-ci change sa médication. Elle a de l’arthrose partout, notamment au niveau cervical et aux épaules.
[26] Depuis mars 2008, la douleur ressentie par la travailleuse est stable, sauf lorsqu’elle doit forcer. Elle prend des médicaments. Par ailleurs, elle a toujours de la douleur à l’épaule gauche en raison de son arthrose. Toutefois, elle a de la difficulté à lever son bras seulement depuis l’accident de janvier 2008.
[notre soulignement]
[7] Ensuite, après avoir établi que la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation le 26 mars 2008 et après avoir référé à la jurisprudence pertinente, la première juge administratif procède à rendre sa décision :
[37] La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation le 26 mars 2008. Celle-ci n’a pas établi que son état de santé est modifié par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de sa lésion professionnelle, ainsi que la relation entre cette modification et la lésion professionnelle du 29 janvier 2008. En l’espèce, la travailleuse a repris le travail le 5 février 2008.
[38] Concernant la gravité de l’événement initial, le tribunal considère qu’il s’agit d’un événement banal. Le diagnostic accepté par la CSST est celui de contusions musculaires aux épaules, aux hanches et au cou. La survenance de l’événement a conduit à une absence de quatre jours seulement. De plus, aucune limitation fonctionnelle ni atteinte permanente à l’intégrité physique n’a découlé de cette lésion.
[39] D’autre part, la travailleuse souffre d’une condition personnelle sévère. La radiographie du 30 janvier 2008 démontre à C5-C6 un pincement discal modéré à marqué isolé, s’accompagnant d’une ostéophytose marginale antérieure et postérieure. Il y a aussi un peu de sclérose des plateaux vertébraux sus et sous-jacents, suggérant une discopathie dégénérative avec arthrose intersomatique isolée et un peu d’uncarthrose surtout à gauche.
[40] De plus, la Commission des lésions professionnelles note que la travailleuse consulte en novembre 2007 son médecin traitant pour sa condition d’arthrose cervicale et une trapézalgie bilatérale. La docteure Brais lui prescrit le 12 novembre 2007 des anti-inflammatoires et des analgésiques. Le 19 novembre 2007, la docteure Brais mentionne une cervicalgie. La travailleuse précise à l’audience que le but de la consultation médicale est de modifier sa médication. Elle a de l’arthrose partout, notamment au niveau cervical et aux épaules.
[41] Le tribunal estime donc que la travailleuse est déjà symptomatique autant au niveau cervical que des épaules lorsque l’accident survient le 29 janvier 2008.
[42] La veille de son retour au travail, la docteure Brais indique le 4 février 2008 que la douleur à l’épaule gauche est reprise. Elle constate des limitations des amplitudes articulaires au niveau de l’élévation antérieure et de la rotation interne. Elle diagnostique une entorse cervicale et une tendinite de l’épaule gauche. Elle prescrit des traitements de physiothérapie que la travailleuse ne suivra pas, de crainte de perdre son emploi.
[43] Le tribunal considère que ce rapport médical a été produit en raison de la condition personnelle de la travailleuse, telle qu’elle a déjà été décrite. D’une part, la travailleuse retourne au travail le lendemain, le 5 février 2008. Elle allègue une récidive, rechute ou aggravation seulement deux mois après, soit le 26 mars 2008. D’autre part, la docteure Brais a déjà diagnostiqué en novembre 2007 une arthrose cervicale et une cervicalgie. Quant à l’épaule gauche, la travailleuse mentionne elle-même qu’elle souffre d’arthrose et qu’elle prend des médicaments pour cette condition.
[44] Le 26 mars 2008, la travailleuse consulte la docteure Brais en raison de ses douleurs. Celle-ci répète les mêmes diagnostics que ceux énoncés le 4 février 2008 et réitère les mêmes limitations au niveau des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Ses notes indiquent une cervicobrachialgie gauche. Elle prescrit encore des traitements de physiothérapie que la travailleuse ne suivra pas.
[45] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la travailleuse est toujours symptomatique autant au niveau cervical que des épaules, au moment de sa récidive, rechute ou aggravation alléguée. Il s’agit de la réactivation d’une condition personnelle sévère. Elle était dans cet état au moment de la survenance de l’accident du 29 janvier 2008. Cet état perdure à la date de sa prétendue récidive, rechute ou aggravation et est le même encore aujourd’hui. En effet, la travailleuse a toujours de la douleur à l’épaule gauche en raison de son arthrose et elle prend des médicaments. Selon la travailleuse, sa douleur est stable.
[46] Le tribunal estime donc que la travailleuse n’a pas démontré une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle du 29 janvier 2008, en l’occurrence à la date de son retour au travail le 5 février 2008. La preuve a plutôt démontré un état chronique de douleurs dû à l’arthrose dont souffre la travailleuse.
[47] La Commission des lésions professionnelles ajoute que les dernières consultations auprès de la docteure Brais en décembre 2009 et en janvier 2010 dénotent que celle-ci soupçonne une hernie discale cervicale et une déchirure du sus-épineux. Elle note une irradiation au membre supérieur gauche et des paresthésies à la main gauche. Or, la docteure Brais fait ces constatations près de deux ans après la survenance de la lésion initiale. Jamais auparavant, elle n’a noté de tels symptômes. Le tribunal rappelle que l’événement du 29 janvier 2008 est banal et le diagnostic est celui de contusions musculaires aux épaules, aux hanches et au cou.
[48] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la travailleuse n’a pas subi le 26 mars 2008 une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 29 janvier 2008.
[notre soulignement]
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales considèrent que la preuve soumise ne permet pas de conclure à l’existence d’un fait nouveau ni à un vice de fond ou de procédure. Ils sont d’avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision du 31 mars 2010.
[10] Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49. […]
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[12] Dans sa requête écrite, la nouvelle représentante de la travailleuse invoque la découverte d’un fait nouveau ainsi que le vice de fond :
Dans un premier temps, notre cliente a appris un fait nouveau le 5 mai 2010, lequel est de nature à invalider la décision rendue le 31 mars 2010 et ce, en vertu de l’article 429.56 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et maladie professionnelle (L.a.t.m.p.).
En effet, tel qu’il appert du rapport médical joint à la présente, lequel fait suite à une résonnance magnétique, il est démontré que madame Laramée a une déchirure de la coiffe des rotateurs. Il est bien évident que ce test objectif vient invalider totalement la décision rendue le 31 mars 2010 puisqu’essentiellement cette décision est basée sur une condition personnelle qui aurait simplement continuée suite à l’accident du 29 janvier 2008. La déchirure de la coiffe des rotateurs ne peut être dû qu’à cet accident et explique l’exacerbation des douleurs qui ont suivies.
Dans un deuxième temps, nous croyons qu’il y a eu des erreurs déterminantes dans l’analyse du dossier de nature à invalider la décision rendue par le juge administratif […], en ce qui à trait à la demande de remise fait en début d’audience. En effet, une demande de remise permettant de produire une expertise médicale a été refusée à l’effet que celle-ci n’était qu’une éventualité et que si cette demande était accordée, elle causerait un préjudice important à l’employeur. En fait, notre cliente devait passer une résonnance magnétique le lendemain de la date d’audience et les résultats ont été reçus le 5 mai dernier. En fait, le préjudice est autrement plus important pour madame Laramée que pour l’employeur. C’est pourquoi, nous croyons également que l’article 429.56 alinéa 3 de la L.a.t.m.p. s’applique à notre demande.
La résonnance magnétique démontre une déchirure de la coiffe des rotateurs qui ne peut s’expliquer que suite à un fait accidentel et qui coïncide avec l’historique médical de madame Laramée. De plus, si le tribunal fait droit aux conclusions demandées par notre cliente, madame Laramée pourrait avoir droit à une indemnité de remplacement de revenu rétroactive au mois de mars 2008, date de la demande de rechute, récidive et aggravation. Alors que si elle fait simplement une demande de rechute à la CSST, elle n’aura droit à une IRR qu’à compter du 5 mai 2010 puisqu’il y a chose jugée le 31 mars 2010 sur sa demande de rechute antérieure. Ce qui à notre avis ne ferait pas apparaître le droit et irait à l’encontre des justices fondamentale de l’audi alteram partem. [sic]
[13] Le rapport médical auquel réfère la représentante de la travailleuse fait état d’un diagnostic de déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche avec accrochage acromioclaviculaire.
[14] La jurisprudence[2] a établi trois critères pour conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :
- la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau;
- la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
- le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[15] Quant à la notion de « vice de fond […] de nature à invalider la décision », elle a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[3] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.
[16] La Cour d’appel a également été appelée, à plusieurs reprises, à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[4], elle rappelle la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[17] La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[5] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish, dans l’arrêt Godin[6], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[18] Ainsi, comme l’a indiqué la Commission des lésions professionnelles par la suite[7], la Cour d’appel invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[19] En l’espèce, le tribunal siégeant en révision estime que la représentante de la travailleuse n’a pas démontré que le refus de la demande de remise formulée en début de l’audience tenue le 27 janvier 2010, constitue une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation.
[20] La première juge administratif explique son refus par la tardivité de la demande de remise, laquelle est fondée sur la possibilité qu’une expertise médicale soit produite à la suite d’un examen par résonance magnétique qui doit être effectué après l’audience. Elle retient qu’il s’est écoulé 17 mois entre le dépôt de la contestation et la date de l’audience. Ainsi, elle considère que la demande de remise n'était pas justifiée car le représentant de la travailleuse a eu amplement le temps d'obtenir une expertise.
[21] Dans l’affaire Therrien et Glopack inc.[8], la Commission des lésions professionnelles, disposant d’une requête en révision dans un contexte similaire, indique :
[19] Cet extrait nous permet de constater que, dans le contexte, le premier commissaire a considéré que la demande de remise n’était pas justifiée car la représentante du travailleur avait eu amplement le temps d’obtenir une expertise et que c’est sa négligence qui était à l’origine de son incapacité d’obtenir une expertise en temps utile. Le premier commissaire insiste, dans la décision, sur le fait que malgré son consentement à ce que l’audience soit fixée au 17 mai 2004, lequel fut donné en octobre 2003, la représentante du travailleur a attendu, sans raison valable, cinq mois avant de requérir les services d’un médecin expert.
[20] Il appartenait au premier commissaire d’apprécier les circonstances propres à la demande qui lui était soumise. Il n’était pas tenu d’accorder la remise demandée. Son appréciation des faits l’a amené à conclure qu’il y avait eu négligence de la part de la représentante du travailleur. C’est à cause de cette négligence que la demande de remise a été refusée. Le refus d’accorder une remise ou un ajournement, lorsqu’il est démontré qu’il y a eu négligence ou insouciance de la part de celui qui en fait la demande, n’est pas considéré par la jurisprudence7 comme un manquement aux règles de justice naturelle même si ce refus peut avoir pour effet d’empêcher une partie de compléter sa preuve. La demande de remise ou d’ajournement ne doit pas viser à remédier à un défaut de diligence raisonnable d’une partie. C’est pourquoi, si la négligence est démontrée, la demande de remise ou d’ajournement sera généralement refusée comme ce fut le cas en l’espèce.
[21] Les mêmes principes s’appliquent à la demande de production tardive d’une expertise médicale. Dans le présent dossier, la représentante du travailleur demandait de pouvoir produire l’expertise psychiatrique après l’audience mais cette demande lui a aussi été refusée.
[22] Le premier commissaire n’a pas refusé les demandes qui lui ont été faites de façon arbitraire ou capricieuse mais en raison de la négligence de la représentante du travailleur. Si cette dernière avait fait preuve de diligence et requis les services d’un médecin expert dès le moment où la date d’audience a été fixée de consentement, le rapport d’expertise aurait pu être obtenu en temps utile. C’est pourquoi ses demandes ont été refusées. Dans les circonstances, le tribunal ne peut pas considérer que les règles de justice naturelle n’ont pas été respectées.
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7 Hall c. Commission des lésions professionnelles, C.S. 500-05-042451-987, 15 janvier 1999, j. Courteau ; Laliberté et Associés inc. c. Commission des lésions professionnelles, déjà cité, note 6; Pelletier et Vidéotron ltée, C.L.P. 206419-72-0304, 27 octobre 2003, A. Vaillancourt; Beaulne et CPE Main dans la Main, C.L.P. 244872-64-0409, 18 octobre 2006, M. Montplaisir
[22] De surcroît, en l’instance, le représentant de la travailleuse n’a pas demandé qu’un délai lui soit accordé pour produire cet élément de preuve médicale, après l’audience.
[23] Cependant, il a tenté de déposer le résultat de la résonance magnétique après l’audience, ce qui lui a été refusé par la première juge administratif. Celle-ci, dans une lettre datée du 26 février 2010, l’a avisé qu’elle n’autorisait pas la production de ce document puisque le dossier était en délibéré depuis la date de l’audience tenue le 27 janvier 2010. Elle lui souligne qu’aucune demande de production d’un document après l’audience ne lui avait été soumise.
[24] Or, le mauvais choix de stratégie adoptée lors de l’audience ne peut donner ouverture à la révocation de la décision.[9]
[25] Ainsi, la première juge administratif a été informée, avant de rendre sa décision sur la demande de remise, que la travailleuse était en attente d’une résonance magnétique de l’épaule gauche afin d’éliminer une déchirure du sus-épineux. L’écoute de l’enregistrement de l’audience permet de constater qu’elle était également informée du fait que cet examen serait effectué le lendemain. Il ne s’agit donc pas de la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau. Comme on le verra ci-après, elle tient compte de cet aspect dans les motifs de sa décision.
[26] Par ailleurs, le résultat de cet examen, soit que la travailleuse présente une déchirure de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche, n’est pas un élément qui aurait eu un caractère déterminant sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[27] En effet, il ressort de la décision de la première juge administratif, que celle-ci a retenu la banalité de l’événement initial survenu le 29 janvier 2008 et le fait que la travailleuse souffrait déjà d’une condition personnelle sévère d’arthrose à l’épaule gauche et prenait de la médication pour cette condition. Elle retient en outre que la travailleuse a repris le travail dès le 5 février 2008, alors que la veille, la douleur à l’épaule avait repris et que la docteure Brais constatait des limitations des amplitudes articulaires.
[28] Ainsi, la première juge administratif considère que le 26 mars 2008, la travailleuse consulte la docteure Brais en raison de ses douleurs et que celle-ci répète les mêmes diagnostics que ceux énoncés le 4 février 2008 et réitère les mêmes limitations au niveau des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Elle estime qu’il s’agit de la réactivation d’une condition personnelle sévère et que la travailleuse était dans cet état au moment de la survenance de l’accident du 29 janvier 2008. C’est ce qui l’amène à conclure que la travailleuse n’a pas démontré une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle du 29 janvier 2008, en l’occurrence, à la date de son retour au travail le 5 février 2008 et que la preuve a plutôt démontré un état chronique de douleurs dû à l’arthrose dont souffre la travailleuse.
[29] La première juge administratif prend en compte également le fait que la docteure Brais demande, en décembre 2009, une résonance magnétique de l’épaule gauche car elle soupçonne une déchirure du sus-épineux. Toutefois, elle retient que « la docteure Brais fait ces constatations près de deux ans après la survenance de la lésion initiale » alors que « jamais auparavant, elle n’a noté de tels symptômes ».
[30] Conséquemment, il apparaît que la première juge administratif a évalué la possibilité d’un diagnostic de déchirure du sus-épineux. Elle explique pourquoi elle ne la retient pas comme étant un élément démontrant une récidive, rechute ou aggravation.
[31] Le tribunal siégeant en révision considère que la représentante de la travailleuse n’a pas démontré l’existence d’un fait nouveau ni d’un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision du 31 mars 2010. Sa requête doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Johanne Laramée.
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Johanne Landry |
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Me Danielle F. Tremblay |
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BÉDARD, TREMBLAY, BIGLER, AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Sacha Vrkic |
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BENOÎT TURCOTTE, AVOCATS |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Claude Lanctôt |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, A. Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Sainte-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque.
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[5] [2005] C.L.P. 626 (C.A.). La Cour d’appel réitère cette interprétation quelques semaines plus tard dans CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).
[6] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[7] Voir notamment Turgeon et Construction Gaston Poulin inc., C.L.P. 302405-63-0611, 14 février 2011, L. Nadeau.
[8] C.L.P. 207687-71-0305, 9 juillet 2007, M. Zigby; voir également Wal-Mart du Canada et Jubinville, C.L.P. 381440-08-0906, 16 novembre 2009, J.-F. Clément.
[9] Vêtements Peerless inc. et Doan, [2001] C.L.P. 360 .
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