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[1] Le 13 août 2003, monsieur Yanick St-Germain (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 25 juillet 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST confirme ses décisions initiales des 26 mars, 28 mars et 22 avril 2003. Au moyen de celles-ci, l’organisme refuse d’associer à la lésion professionnelle du 8 juin 2001 du travailleur des diagnostics de trouble de vision des couleurs (dyschromatopsie), d’hyposmie et d’intoxication aux solvants.
[3] Le 31 mai 2004, l’audience s’est tenue à Sherbrooke. À cette occasion, monsieur St-Germain est représenté par Me Marco Montemiglio alors que les représentants de la corporation Roulottes Évasion 55 inc. (l’employeur) sont absents.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il souffre d’une maladie professionnelle et plus spécifiquement d’une intoxication à des produits chimiques.
LES FAITS
[5] Au mois de février 1999, monsieur St-Germain est embauché par l’employeur à titre de technicien de véhicules récréatifs. À ce titre, il est notamment chargé d’appliquer un produit qui vise à protéger des roulottes contre la rouille. De même, il s’occupe d’apposer une substance protectrice sur les banquettes des véhicules récréatifs. Du printemps à l’automne, la première activité occupe le travailleur durant une vingtaine d’heures par semaine alors que la seconde tâche accapare environ six heures de son temps de travail.
[6] Environ un an après son embauche, monsieur St-Germain rapporte qu’il commence à souffrir d’importants maux de tête. Avec le temps, des malaises aux yeux, des pertes de mémoire, des troubles de concentration et des ennuis aux sinus se greffent à cette problématique. Auparavant, la conjointe du travailleur signale que celui-ci n’avait jamais éprouvé ce type de difficultés.
[7] Au mois de juin 2001, sa condition s’étant substantiellement altérée, monsieur St-Germain se rend consulter des médecins. À cette époque, les docteurs Branch et Lévesque font état de céphalées secondaires à une exposition à des produits irritants. De même, ils rapportent des phénomènes inflammatoires au niveau de la cornée. En raison de ces troubles, monsieur St-Germain doit momentanément cesser d’occuper son emploi.
[8] Au mois de juillet 2001, le travailleur est pris en charge par le docteur Mc Sween. Dans un rapport du 19 juillet, cet omnipraticien considère que les céphalées qui l’affectent découlent d’une exposition à des solvants. Quelques jours plus tard, le médecin signale que les troubles se résorbent lorsque monsieur St-Germain est retiré de son poste et qu’ils récidivent quand il est au travail. Dans ces circonstances, le docteur Mc Sween sollicite l’opinion d’un oto-rhino-laryngologiste.
[9] Le 19 septembre 2001, pour donner suite à cette demande, le travailleur est examiné par le docteur Jean-Paul Grenier. Selon cet oto-rhino-laryngologiste, il souffre d’une « rhinosinusite probablement d’étiologie industrielle ». Cinq jours plus tôt, monsieur St-Germain a quitté son emploi. Depuis ce temps, il n’est pas retourné sur le marché du travail et il reçoit des prestations de la CSST.
[10] Par la suite, dans le cadre de l’examen de la réclamation que le travailleur a logée, un inspecteur de la CSST se rend visiter les installations de l’employeur.
[11] Dans son rapport du 6 décembre 2001, cet inspecteur note que monsieur St - Germain « fait de l’application d’antirouille sur environ 150 roulottes » par année. Pour réaliser cette tâche, il précise qu’il doit se glisser sous les véhicules récréatifs. Pour maximiser son rendement, l’inspecteur ajoute que le travailleur « organisait son travail pour en avoir plus d’une à faire dans la même période » et il note qu’il faut une trentaine de minutes pour apposer l’antirouille sur une roulotte. De son côté, monsieur St‑Germain fixe cette période à une heure.
[12] D’autre part, l’inspecteur de la CSST dénonce plusieurs carences dans le procédé d’application de l’antirouille. D’abord, il rapporte que cette activité est exercée dans une pièce qui n’est pas isolée et qui n’est pas dotée d’un système de ventilation. Or, selon une fiche signalétique, le produit qui est utilisé pour protéger les roulottes de la rouille est principalement composé d’un mélange de bitume, de solvant et d’hydrocarbure aliphatique. En cas de surexposition par inhalation, il est rapporté qu’il peut produire les effets suivants :
[…] Des concentrations élevées de vapeurs peuvent causer des irritations du nez et de la gorge, maux de tête, nausées, vomissements, étourdissements, fatigue, réduire la concentration, inconscience et asphyxie, dépresseur du système nerveux.
[13] De même, au niveau des équipements de protection individuelle, l’inspecteur observe des anomalies. À cet effet, même si ceux qu’emploie monsieur St-Germain lui semblent adéquats, il signale que ces équipements sont mal rangés et mal utilisés. À cet égard, il mentionne notamment que le travailleur porte une barbe et que cela affecte l’étanchéité de son masque. Avant cette visite de l’inspecteur, monsieur St-Germain ajoute qu’il employait un simple masque de papier lorsqu’il a commencé à occuper son emploi.
[14] Au terme de son enquête, l’inspecteur ordonne l’arrêt des travaux d’application d’antirouille dans l’établissement de l’employeur. En guise de mesures correctrices, il recommande ceci :
1. Isoler l’aire de pulvérisation du reste des autres postes de travail pour éviter de les contaminer. [...]
2. Munir l’aire de pulvérisation d’une ventilation par extraction pour sortir les vapeurs et brouillards des produits utilisés. Cette ventilation devrait se faire près du plancher compte tenu que les vapeurs et brouillards produits par la pulvérisation d’antirouille sont plus lourds que l’air et demeurent donc près du sol.
3. S’assurer que les travailleurs qui font l’application d’antirouille soient munis des équipements de protection individuelle adéquats et qu’ils les utilisent adéquatement.
[15] Le 19 décembre 2001, la CSST accepte de lier la rhinosinusite que le docteur Grenier a diagnostiquée à l’exercice des activités professionnelles du travailleur. Par conséquent, monsieur St-Germain est reconnu victime, depuis le 8 juin 2001, d’une lésion professionnelle et il est indemnisé en conséquence.
[16] Le 11 janvier 2002, le docteur Mc Sween indique à la CSST que le problème de « rhinite industrielle » lui semble résolu. Cependant, le médecin qui a charge fait mention de plusieurs autre troubles de santé. Il est notamment question d’une maladie pulmonaire. Dans ce contexte, la CSST enclenche le processus d’évaluation qui a trait aux maladies professionnelles pulmonaires.
[17] Le 29 août 2002, pendant que l’évaluation de sa condition pulmonaire se poursuit, monsieur St-Germain est pris en charge par le docteur Serge Lecours. Dans l’attestation qu’il adresse à la CSST, ce médecin fait état d’intoxication aux solvants. Pour étayer ce diagnostic, le docteur Lecours demande une série d’examens et il dirige le travailleur vers des spécialistes.
[18] Le 20 septembre 2002, à la suite de son examen, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires considère que monsieur St-Germain n’est pas porteur d’une maladie pulmonaire professionnelle et, deux semaines plus tard, le Comité spécial des présidents entérine cet avis.
[19] Le 25 novembre 2002, à la demande du docteur Lecours, le travailleur rencontre un neurologue. À cette occasion, le docteur Lamontagne considère qu’il présente des troubles mnésiques légers. Il recommande d’obtenir une évaluation en neuropsychologie et une tomodensitométrie.
[20] Le 11 décembre 2002, toujours à la demande du docteur Lecours, monsieur St‑Germain est examiné par un psychiatre. À cette occasion, le docteur Angelo Fallu conclut qu’il présente « un trouble mnésique organique ainsi qu’un changement de personnalité secondaire à une intoxication » à des produits chimiques.
[21] Le 7 février 2003, après avoir évalué le travailleur le mois précédent, madame Caroline Richard, neuropsychologue, fait rapport. Dans ce document, elle note certaines lacunes du côté de la mémoire et de la fluidité verbale. Elle n’exclut pas que ces difficultés sont le résultat d’une exposition à des produits toxiques.
[22] Le 5 mars 2003, le docteur Grenier estime que la rhinosinusite qu’il a diagnostiquée doit être consolidée. Le 11 mars suivant, cet oto-rhino-laryngologiste signe un rapport d’évaluation. Dans celui-ci, il indique que le travailleur devra éviter d’être exposé à l’antirouille qu’il était chargé d’appliquer. Cette situation va conduire la CSST à mettre en place un programme de réadaptation professionnelle. De même, pour le moment, le docteur Grenier considère que le déficit anatomo-physiologique est de l’ordre de 3 %.
[23] Le 26 mars 2003, la CSST demande à l’un de ses médecins un avis au sujet des diagnostics que le docteur Lecours propose. À cette époque, celui-ci considère que monsieur St-Germain souffre d’une intoxication aux solvants et de dyschromatopsie. À ce moment, le docteur Tolszczuk soumet l’opinion suivante :
Question 2. L’intoxication aux solvants n’a pas été démontrée dans ce dossier. Ici on parle plutôt d'une rhinosinusite secondaire à l’exposition à un produit en particulier. L’Intoxication aux solvants aurait donné un tableau différent de celui présenté. En cas d’intoxication aiguë on aurait eu un tableau de nausées, vomissements, céphalée, étourdissements, vertige, euphorie, etc.. Dans un tableau d’intoxication chronique, on aurait des troubles neurologiques et neuro-psychiatriques de l’atrophie cérébrale au Ct-Scan. De plus puisque les solvants sont en grande partie volatiles, ils sont absorbés via les poumons. Y-a-t-il eu des réclamations des autres travailleurs qui auraient aussi du être affectés dans ce cas, je ne crois pas qu’il y ait relation dans ce dossier.
3. Les troubles de vision des couleurs pour lesquels des tests sont demandés ne sont probablement pas en relation avec la réclamation de monsieur St-Germain. 18 mois se sont écoulés depuis la première consultation pour rhinosinusite et il n’a jamais été question à date de trouble de vision. De plus, la [le problème de] vision des couleurs est la majorité du temps congénitale.
[...]
[24] Les 26 et 28 mars 2003, compte tenu de cet avis, la CSST refuse d’associer aux activités professionnelles du travailleur les diagnostics d’intoxication aux solvants et de dyschromatopsie. Ces décisions sont suivies du dépôt de deux demandes de révision.
[25] Le 22 avril 2003, après que le docteur Lecours a ajouté le diagnostic d’hyposmie, la CSST refuse de lier cette anomalie à la lésion professionnelle du 8 juin 2001. Insatisfait de cette décision, le travailleur invite l’organisme à revoir sa position.
[26] Les 14, 23 et 29 mai 2003, pour donner suite à la demande du docteur Lamontagne de l’année précédente, un neuropsychologue soumet le travailleur à une série de tests. Dans son rapport du 17 juillet 2003, monsieur Jean-François Lalande écrit ceci au sujet de cette évaluation :
[...]
Monsieur St-Germain fut référé en neuropsychologie en raison de plaintes de difficultés de mémoire, chez un homme en processus d’investigation pour une histoire de possible intoxication à un solvant. Les rendements obtenus appuient la présence de déficits cognitifs significatifs, cohérents avec la nature des plaintes rapportées.
Monsieur St-Germain présente un rendement principalement caractérisé par une lenteur du traitement de l’information qui affecte son fonctionnement global à divers niveaux. Nous notons un déficit modéré à sévère de la vitesse du traitement de l’information, qui s’avère exacerbé par une fatigabilité importante à l’effort cognitif. Un déficit attentionnel de modéré à sévère est aussi présent, affectant les fonctions d’attention focale et de concentration. Aussi, déficit de léger à modéré au niveau de la fluidité verbale, affectant la sphère de l’expression verbale. Déficit sévère de la flexibilité mentale.
Les déficits de vitesse de traitement de l’information, de fatigabilité, nous apparaissent avoir un impact important sur les déficits de mémoire objectivés à l’évaluation.
[27] Le 25 juillet 2003, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme ses décisions initiales des 26 mars, 28 mars et 22 avril 2003. Ceci donne lieu au dépôt de la requête qui nous intéresse.
[28] Le 26 mai 2004, pour parfaire sa preuve, le travailleur dépose une expertise du docteur Lecours. Dans ce document du 10 mai 2004, ce médecin dresse une revue du dossier avant de répéter que monsieur St-Germain souffre d’une intoxication. À cet effet, il expose ceci :
[...]
Il est clair que M. St-Germain a été surexposé à des solvants organiques à son milieu de travail. Nous retrouvons la liste de ces derniers dans les fiches signalétiques de son dossier médical. Par ailleurs, l’histoire de ses symptômes que nous retrouvons dans les dossiers médicaux incluant ceux qui sont contemporains à la survenue de ses problèmes, rend cette information tout à fait plausible. Par ailleurs, le rapport de l’inspecteur confirme ces conditions de surexposition.
[...]
Monsieur St-Germain a subi une intoxication aux solvants lors de son travail dont la date d’événement est le 8 juin 2001. Par ailleurs, il présente des séquelles de cette surexposition : céphalée/migraine, dyschromatopsie (trouble de vision des couleurs), hyposmie, syndrome cérébral organique, trouble affectif et de personnalité, rhinosinusite et hypersensibilité.
L’ARGUMENTATION
[29] Lors de son plaidoyer, le représentant du travailleur soumet qu’il faut présumer que son client a subi une maladie professionnelle en raison du fait qu’il a été exposé à un produit qui contient, entre autres choses, de l’hydrocarbure aliphatique. Par ailleurs, Me Montemiglio fait valoir que cette présomption n’a pas été renversée.
[30] Dès lors, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que monsieur St-Germain a subi une intoxication dont les séquelles devront faire l’objet d’une évaluation.
L’AVIS DES MEMBRES
[31] Les membres issus des associations syndicales et des employeurs notent que le diagnostic d’intoxication à des produits chimiques n’a pas été contesté. Dans ce contexte, le travailleur ayant utilisé de tels produits dans le cadre de son travail de façon dangereuse, ils jugent que la CSST a eu tort de refuser d’assimiler sa lésion à une maladie professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si monsieur St-Germain a contracté une lésion professionnelle et, plus spécifiquement, une maladie professionnelle. En effet, il a fait valoir que les troubles de santé qu’il a développés étaient attribuables à des expositions répétées à l’antirouille qu’il a apposé durant la période où il a été au service de l’employeur.
[33] Pour les fins de cette analyse, il est opportun de rappeler que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi)définit les concepts pertinents comme ceci :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
[...]
«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
«maladie professionnelle» : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
[...]
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1.
[34] Quant au fardeau d’établir qu’une telle lésion s’est produite, il convient de souligner les dispositions suivantes de la loi :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION I
MALADIES CAUSÉES PAR DES PRODUITS
OU SUBSTANCES TOXIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
(…) |
(…) |
12.Intoxication par les hydro-carbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques: |
Un travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme d'exposition à ces substances. |
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[35] Pour trancher le litige, il est donc nécessaire de commencer par déterminer si monsieur St-Germain peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle qu’édicte l’article 29. À cette fin, il lui incombait d’établir essentiellement deux choses. D’abord, il devait démontrer qu’il a exercé un travail qui impliquait une exposition aux substances qui sont identifiées à la section pertinente de l’annexe I et prouver qu’il a été victime d’une intoxication par ce type de produits.
[36] En ce qui touche la première exigence, il est acquis que le travailleur a été exposé aux vapeurs d'un antirouille qui était principalement composé d’un mélange de bitume, de solvant et d’hydrocarbure aliphatique. En effet, pour s’en convaincre, il suffit de consulter la fiche signalétique de ce produit.
[37] Or, il est manifeste que les niveaux d’exposition en cause étaient importants. En effet, du printemps à l’automne, monsieur St-Germain a affirmé qu’il était chargé de pulvériser de l’antirouille durant une vingtaine d’heures par semaine dans une pièce qui ne comptait aucun système de ventilation. En outre, dans les premiers mois qui ont suivi son embauche, il a relaté qu’il n’utilisait pas un masque adéquat pour exécuter ce travail. De son côté, l’inspecteur de la CSST a rapporté que monsieur St-Germain devait appliquer ce produit sur quelque 150 roulottes par année. Pour maximiser son rendement, il a également précisé que les véhicules récréatifs étaient traités par lot. Or, dans son rapport du 6 décembre 2001, ce fonctionnaire a dénoncé plusieurs carences dans le procédé d’application de l’antirouille. D’une part, il a noté que les opérations se déroulaient dans un lieu ouvert où aucun système de ventilation ne permettait l’évacuation des vapeurs et des brouillards. De plus, l’inspecteur a spécifié que le travailleur œuvrait sous les roulottes alors que les émanations étaient, en raison de leur poids, concentrées au niveau du plancher. Pour accroître le risque d’intoxication, l’inspecteur a également précisé que le matériel de protection personnelle était mal utilisé et mal rangé. Il a aussi précisé que le port de la barbe rendait le masque du travailleur moins performant. En fait, les conditions de travail étaient à ce point dangereuses que l’inspecteur de la CSST a jugé nécessaire d’interdire à l’employeur de poursuivre les opérations d’application d’antirouille.
[38] D’autre part, en reconnaissant que la rhinosinusite de monsieur St-Germain était consécutive à une exposition à des substances toxiques, la CSST a nécessairement convenu qu’il n’exerçait pas ses tâches dans un environnement approprié.
[39] Quant à la pathologie de monsieur St-Germain, il est opportun de rappeler que l’opinion diagnostique du docteur Lecours n’a jamais fait l’objet d’une contestation. Dès lors, selon la loi, les parties et la CSST restent liées par son avis. Depuis le mois d’août 2002, on a vu que ce médecin a indiqué que le travailleur souffrait d’une intoxication aux produits qui composaient l’antirouille qu’il a utilisé. En outre, le docteur Lecours ayant fait état d’une intoxication aux solvants, la Cour Supérieure a récemment jugé qu’il serait manifestement déraisonnable de nier que ce diagnostic soit visé à l’annexe I de la loi[2].
[40] Dans ces circonstances, par le biais de l’article 29 de la loi, il y a lieu de présumer que le travailleur a été victime d’une maladie professionnelle. Il reste donc à déterminer si les éléments disponibles permettent le renversement de cette présomption.
[41] Sur cette question, la Commission des lésions professionnelles constate que la CSST s’est essentiellement appuyée sur l’opinion de l’un de ses médecins pour refuser d’assimiler le diagnostic du médecin qui a charge à une maladie professionnelle. À cet égard, on se souvient que le docteur Tolszczuk a écrit ceci :
Question 2. L’intoxication aux solvants n’a pas été démontrée dans ce dossier. Ici on parle plutôt d'une rhinosinusite secondaire à l’exposition à un produit en particulier. L’Intoxication aux solvants aurait donné un tableau différent de celui présenté. En cas d’intoxication aiguë on aurait eu un tableau de nausées, vomissements, céphalée, étourdissements, vertige, euphorie, etc.. Dans un tableau d’intoxication chronique, on aurait des troubles neurologiques et neuro-psychiatriques de l’atrophie cérébrale au Ct-Scan. De plus puisque les solvants sont en grande partie volatiles, ils sont absorbés via les poumons. Y-a-t-il eu des réclamations des autres travailleurs qui auraient aussi du être affectés dans ce cas, je ne crois pas qu’il y ait relation dans ce dossier.
[...]
[42] Toutefois, il est nécessaire de réaliser que l’opinion du docteur Tolszczuk s’attaquait au bien-fondé de l’opinion diagnostique du docteur Lecours plutôt que de prendre en compte des données qui tendraient à prouver que la maladie de monsieur St-Germain n’a pas été causée par son travail. En effet, en s’attardant sur le tableau que le travailleur a développé, le médecin de la CSST a estimé qu’une « intoxication aux solvants n’a pas été démontrée dans ce dossier ». Or, ce genre de débat devait se faire dans le cadre d’une contestation d’ordre médical et non au niveau de l’admissibilité de la réclamation de monsieur St-Germain.
[43] Par ailleurs, en plus du docteur Lecours, la Commission des lésions professionnelles observe que plusieurs intervenants ont exprimé l’avis que l’état du travailleur était compatible avec une surexposition à des produits toxiques. Par exemple, le 11 décembre 2002, un psychiatre a fait valoir que le trouble mnésique et le changement de personnalité qu’il a diagnostiqués étaient secondaires à une intoxication. De même, au mois de février 2003, une neuropsychologue n’a pas exclu qu’une exposition à des produits toxiques expliquait les difficultés de mémoire et de fluidité verbale qu’elle a observées. Enfin, après une série de tests, monsieur Jean-François Lalande a écrit qu’il avait retrouvé des déficits cognitifs qui concordaient avec les plaintes du travailleur. En effet, dans son rapport du 17 juillet 2003, ce neuropsychologue a rapporté qu’il avait mis en lumière des lacunes dans le traitement de l’information, une fatigabilité importante à l’effort cognitif et des déficits de l’attention, de la fluidité verbale et de la flexibilité mentale. Par rapport aux données que fournit la fiche signalétique pertinente, on constate donc que des intervenants ont identifié un bon nombre des atteintes qu’était susceptible de produire une surexposition à l’antirouille qu’appliquait le travailleur dans des conditions déplorables.
[44] La présomption de l’article 29 de la loi n’étant donc pas contrée, il convient de faire droit à la demande de monsieur St-Germain. De toute façon, la preuve prépondérante milite en faveur de la thèse qu’il a présentée.
[45] Finalement, en ce qui touche les troubles de dyschromatopsie et d’hyposmie, il appert qu’ils peuvent traduire certaines conséquences de l’intoxication dont le travailleur a été victime. En effet, c’est ce qui ressort des conclusions de l’expertise du 10 mai 2004 du docteur Lecours. Dès lors, c’est au moment d’évaluer les séquelles permanentes de la maladie de monsieur St-Germain qu’il conviendra aux intervenants d’examiner si ce type de séquelles persistent.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Yanick St-Germain;
INFIRME la décision rendue le 25 juillet 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur St-Germain a été victime d’une maladie professionnelle, à savoir d’une intoxication à des produits chimiques;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d’indemniser monsieur St-Germain en conséquence.
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Me François Ranger |
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Commissaire |
MARCO MONTEMIGLIO, AVOCAT |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] André Tripp et Commission des lésions professionnelles et autres, C.S. 450-17-000783-036, l’honorable Pierre C. Fournier, 5 mai 2004. Cependant, il est opportun de souligner que l’honorable juge Fournier commet une erreur de droit en qualifiant la présomption de l’article 29 d’irréfragable ( re : Perron et C.L.P. [1999] C.L.P. 311 (C.S.), appel rejeté, [2002] C.L.P. 345 (C.A.)).
AVIS :
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