Décision

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Ascenseurs Lumar Concord Québec inc. et Tran-Paquette

2012 QCCLP 1462

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

27 février 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

452425-71-1110

 

Dossier CSST :

138124383

 

Commissaire :

Robert Langlois, juge administratif

 

Membres :

Christian Tremblay, associations d’employeurs

 

Bruno Lefebvre, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Ascenseurs Lumar Concord Québec inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Marc-André Tran-Paquette

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 26 octobre 2011, l’entreprise Ascenseurs Lumar Concord Québec inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle est contestée une décision rendue le 30 septembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST maintient la décision qu’elle a initialement rendue le 4 août 2011 et déclare que monsieur Marc-André Tran-Paquette (le travailleur) a subi un accident du travail le 9 juin 2011.

[3]           L’audience s'est tenue le 22 février 2012 à Montréal en présence de l’employeur et de sa représentante. Le travailleur a fait connaître avant l’audience son intention de ne pas y assister.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 9 juin 2011.

LA PREUVE

[5]           Le travailleur exerce l’emploi de mécanicien d’ascenseur à la Baie James. Il est assigné à la Baie James durant 40 jours consécutifs et, au terme de cette période, bénéficie d’un repos d’une durée de deux semaines à son domicile.

[6]           Lorsqu’il est affecté à la Baie James, il loge dans une chambre située sur un campement.

[7]           Ses déplacements entre la Baie James et sa résidence sont généralement faits par avion.

[8]           Le jeudi 9 juin 2011, le travail demandé au terme de la période de 40 jours est terminé. Toutefois, la place dans l’avion est réservée pour la date du 13 juin 2011. Il semble que le travailleur ait modifié sa date de départ et l’aurait plutôt fixée au 11 juin 2011. Néanmoins, les informations incluses au dossier nous indiquent que le travailleur ne désirait pas demeurer dans sa chambre jusqu’au départ de l’avion, soit durant deux journées. Il sollicite alors monsieur Luc Marion, propriétaire chez l’employeur, afin d’utiliser le camion de l’entreprise pour se véhiculer jusqu’à son domicile situé à Montréal.

[9]           Lors de son témoignage en cours d’audience, monsieur Marion mentionne qu’il a acquiescé à cette demande du travailleur. Un autre employé accompagne le travailleur jusqu’à Montréal.

[10]        Monsieur Marion précise également que le travailleur n’aurait pas été rémunéré s’il était demeuré au campement en attente de l’avion. De la même manière, il ne recevait aucun salaire pour la conduite du camion pendant qu’il revenait à son domicile. Le coût de l’essence utilisée durant ce trajet est toutefois remboursé par l’employeur. Par ailleurs, le travailleur n’avait pas l’obligation de se rendre à l’établissement de son employeur en cours de route. Il devait d’abord laisser son compagnon de travail chez lui avant de se diriger vers sa résidence.

[11]        Il était également prévu que pour revenir à la Baie James, le travailleur conduirait le camion sur le trajet inverse. La distance totale parcourue aurait alors atteint approximativement 2 200 km.

[12]        C’est en se rendant à son domicile, alors qu’il utilise la voie publique, que le travailleur est impliqué dans un accident de la route et est conduit à un centre hospitalier où on posera le diagnostic de fracture cervicale.

[13]        Le dossier ne comprend aucune attestation médicale sur le formulaire prescrit par la CSST. On retrouve toutefois une demande d’indemnité faite auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec sur laquelle on identifie le diagnostic de fracture de Jefferson.

L’AVIS DES MEMBRES

[14]        Le membre issu des associations d’employeurs émet l’avis suivant :

Le membre patronal est d'avis de rejeter la requête du travailleur aux motifs que l'accident concerné doit être exclu de la définition de « à l'occasion du travail » en regard du présent cas d'espèce. Le travailleur n'est pas rémunéré pendant son retour chez lui, n'exécute aucune démarche requise par son employeur, se rend directement chez lui, n'agit pas sous sa supervision et n'avait aucune obligation de retourner chez lui par le véhicule emprunté à son employeur. Dès lors, le présent cas doit être assimilé au principe général d'interprétation reconnu qu'un accident survenu pendant le transport effectué pour se rendre au travail ou en revenir n'est pas couvert par la loi.

 

 

[15]        Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’accident de la route est survenu à l’occasion du travail. Il conclut ainsi que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 9 juin 2011 puisque les critères énumérés à la définition de l’accident du travail, telle qu’on la retrouve à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), sont ici satisfaits. Le membre émet alors l’opinion que la réclamation du travailleur doit être accueillie.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[16]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 9 juin 2011.

[17]        La loi prévoit les définitions suivantes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[18]        Dans le cas en l’espèce, on constate que la fracture cervicale subie par le travailleur le 9 juin 2011 a été provoquée par un accident de la route survenu sur la voie publique alors qu’avec la permission de l’employeur, il se véhiculait entre la Baie James et son domicile situé à Montréal.

[19]        Devant ces informations, le tribunal conclut que, de toute évidence, l’accident de la route constitue un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause. Cet événement a entraîné une blessure. La Commission des lésions professionnelles exclut toutefois d’emblée que cette activité était exercée par le fait du travail. Reste donc à savoir si l’événement imprévu et soudain est survenu à l’occasion du travail.

[20]        Cette notion de « à l’occasion du travail » n’est pas définie à la loi. Toutefois, selon la jurisprudence[2] constante de la Commission des lésions professionnelles, les critères suivants doivent être évalués pour disposer de cette question :

-     le lieu de l’événement;

-     le moment de l’événement;

-     la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’événement;

-     la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail;

-     le caractère de connexité ou d’utilité relative de l’activité du travailleur en regard de l’accomplissement du travail.

 

[21]        Selon cette même jurisprudence, aucun de ces critères n’est décisif, mais c’est l’analyse de l’ensemble, selon les faits propres à chaque dossier, qui permet de déterminer si l’accident est survenu ou non à l’occasion du travail.

[22]        Dans la cause Bissonnette et Sécuricor Service de valeurs[3], la commissaire Morin dresse un tableau exhaustif de la jurisprudence en matière d’accident de trajet et conclut en ces termes :

[53]      La Commission des lésions professionnelles retient donc de son analyse de la jurisprudence qu’en matière de trajet, il existe une étape où le travailleur quitte sa sphère d’activité personnelle pour entrer dans une sphère d’activité professionnelle, soit celle où il accède à son lieu de travail ou en repart par les voies d’accès usuelles mises à sa disposition par l’employeur, et qu’un événement accidentel se produisant dans cette sphère professionnelle dans laquelle il est entré constitue un accident survenu à l’occasion du travail. C’est donc l’activité spécifique d’entrer et de sortir du lieu de travail par ces voies d’accès qui présente un lien de connexité suffisant avec le travail et non pas l’activité plus globale de se rendre au travail ou de retourner à son domicile.

 

[34]      En conséquence, on ne peut conclure à un accident qui survient à l’occasion du travail lorsque celui-ci se produit sur la voie publique empruntée par le travailleur pour se rendre au travail ou pour retourner à son domicile.

 

[35]      Cependant, lorsque l’accident se produit sur la portion de la voie publique qui est immédiatement adjacente à l’établissement de l’employeur et ce, au moment même où le travailleur s’apprête à entrer ou sortir de cet établissement, on pourra alors conclure qu’il s’agit d’un accident survenu à l’occasion du travail. En pareilles circonstances, il faut retenir que le travailleur doit nécessairement emprunter cette voie pour accéder à son lieu de travail et en sortir et, qu’à cette étape, il n’est pas dans sa sphère d’activité personnelle mais plutôt, dans une sphère d’activité professionnelle.

 

[36]      Il en est de même pour l’accident qui survient sur la voie publique lors du trajet parcouru à pied par le travailleur entre un stationnement mis à sa disposition par son employeur et son lieu de travail, ce trajet étant alors considéré comme étant une extension des voies d’accès au travail.

 

 

[23]        Par ailleurs, on note que de manière générale, le principe énoncé par la juge Morin a été repris par la jurisprudence qui ne considère pas que les accidents de trajet constituent des accidents survenus à l’occasion du travail[4].

[24]        Afin d’illustrer cette approche, le présent tribunal estime qu’il convient de souligner l’affaire Gendron et centre de santé Orléans[5]. Dans cette cause, une travailleuse donnant des soins à domicile se rend d’abord chez un premier patient en utilisant son véhicule. Elle en perd le contrôle sur la glace et, en sortant de son automobile, elle se blesse. La Commission des lésions professionnelles a décidé que la travailleuse se trouvait alors dans la même situation que tout autre employé qui doit quitter son domicile pour se rendre sur les lieux de son travail. Le présent cas s’approche de la situation décrite dans cette décision.

[25]        Néanmoins, il existe certaines exceptions au principe qui veut que les accidents de trajet ne puissent constituer des accidents du travail : certaines décisions accueillent à titre d’accident survenu à l’occasion du travail les lésions qui se produisent alors que le travailleur est en mission ou en service commandé ou qu’il a déjà commencé son travail itinérant. Ce n’est pas la situation qu’on retrouve dans le présent cas.

[26]        Il appert plutôt que c’est de son propre chef que le travailleur a décidé de revenir à son domicile en empruntant les voies terrestres, un avion ayant été réservé le 11 juin 2011, soit deux journées plus tard.

[27]        Bien que le travailleur ait obtenu l’approbation de son employeur afin de conduire le camion de l’entreprise, et bien que l’employeur remboursait l’essence utilisée durant ce trajet, il demeure que le travailleur n’était pas à ce moment rémunéré. La finalité de l’activité exercée lors de l’accident de la route était de nature à accommoder le travailleur et ne comportait aucun avantage déterminant pour l’employeur. De plus, une fois arrivé à sa résidence, le travailleur ne devait pas se tenir à la disposition de son employeur. C’est en ce sens que le tribunal détermine qu’en dépit des accommodements permis par l’employeur, le travailleur avait quitté la sphère professionnelle et accomplissait alors une activité purement personnelle.

[28]        De plus, même si une grande section du trajet ne comporte qu’une seule route, le travailleur avait, au-delà de cette section, le loisir d’emprunter les voies publiques de son choix. On doit en conclure que le lien d’autorité ou de surveillance de l’employeur envers le travailleur était inexistant.

[29]        Le travailleur se retrouve dans la même situation que tout autre employé qui se rend au travail et qui est victime d’un accident de trajet. Ce n’est donc pas parce que la distance à parcourir entre le lieu de travail et le domicile était grande qu’on doit privilégier le travailleur et reconnaître que l’accident est survenu à l’occasion du travail.

[30]        C’est ainsi que la Commission des lésions professionnelles détermine que la fracture cervicale n’est pas survenue à l’occasion du travail. En l’absence de ce critère essentiel, on doit conclure que le travailleur n’a pas subi un accident du travail. Par ailleurs, aucune preuve ne permet de déterminer qu’il aurait subi une lésion professionnelle. Sa réclamation doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Ascenseurs Lumar Concord Québec inc. ;

INFIRME la décision rendue le 30 septembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Marc-André Tran-Paquette, n’a pas subi une lésion professionnelle le 9 juin 2011.

 

 

__________________________________

 

Robert Langlois

 

 

 

 

Me Anne-Valérie Lamontagne

LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Pierre-Alexandre Clermont

SERVICES JURIDIQUES DENIS MONETTE INC.

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Turcotte et Urgences Santé, 131804-72-0002, 26 juin 2000, S. Sénéchal; Côté et Université du Québec à Chicoutimi, 94563-02-9803, 18 février 1999, P. Simard, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Chicoutimi, 150-05-001773-995, 2 novembre 1999, j. Lesage; Plomberie & Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps, 51232-64-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay (J7-02-10).

[3]           Bissonnette et Sécuricor Service de valeurs, 252834-61-0501, 3 mai 2005, G. Morin

[4]           Baillargeon et Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont, 326729-71-0708, 11 septembre 2008, C. Racine; Beaulieu et Louis-H. Lafontaine, 333471-71-0711, 4 juin 2008, R. Langlois;  Citoyenneté et Immigration-Canada et Frigon, 309895-71-0702, 6 août 2007, R. Langlois (07LP-97); Fortier et CLSC Basse-Ville-Limoilou-Vanier, précitée note 1; Gendron et Centre de santé Orléans, précitée, note 1; Roy Beauparlant et Sears Canada inc., 269644-71-0508, 25 mai 2006, F. Juteau; Bissonnette et Sécucor service de valeurs, précitée, note 1; Verde-Salinas et STCUM, 33857-60-9111, 25 octobre 1995, M. Denis, révision rejetée, 8 août 1996, B. Roy; Chartrand & Arno électrique ltée, 33384-60-9110, 16 novembre 1993, M. Lamarre; Hardouin c. Brassard et Canadair ltée, [1987] C.A.L.P. 766 .

 

            [5] C.L.P.288036-31-0604, 06-11-27, J.-L.Rivard   

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