Telus Communications inc. c. Leclerc |
2012 QCCS 2792 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
RIMOUSKI |
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N° : |
100-17-001254-111 |
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DATE : |
18 JUIN 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE OUELLET, j.c.s. |
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TELUS COMMUNICATIONS INC.
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Requérant |
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c. |
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Me BRUNO LECLERC, en sa qualité d'arbitre de griefs
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Intimé |
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SYNDICAT QUÉBECOIS DES EMPLOYÉS (ES) DE TELUS, SECTION LOCALE 5044 DU S.C.F.P.
Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Telus Communications inc., l'employeur, se pourvoit en révision judiciaire à l'encontre de la sentence arbitrale[1] prononcée par l'intimé, arbitre de griefs.
[2] Situation singulière, s'il en est, l'employeur a obtenu le rejet du grief, l'arbitre ayant conclu ainsi :
«[154] POUR CES MOTIFS, je, en qualité d'arbitre :
[155] MAINTIENS le congédiement de Marie-Ève Caron;
[156] REJETTE le grief no 10-04-07 de cette dernière.»
[3] L'employeur s'adresse à notre Cour parce que l'arbitre, dans la première partie de sa décision, a rejeté l'objection qu'il a soulevée selon laquelle la salariée, Marie-Ève Caron, n'avait pas droit à l'arbitrage en vertu de la convention collective.
[4] Dans sa requête appuyée d'une longue déclaration assermentée du directeur principal des relations de travail de Telus, il soulève comme motifs d'intervention de notre Cour :
Ø La décision est déraisonnable en ce que l'arbitre a statué que la salariée avait droit à la procédure de grief en ayant complété sa période d'essai de six mois.
Ø Elle l'est aussi en ce qu'il a décidé qu'elle avait droit au grief comme si elle avait accédé au statut de salarié régulier lorsqu'il décide qu'elle avait complété sa période d'essai le jour du congédiement.
Ø De la même façon, il a erré en écartant la preuve de la pratique passée entre les parties voulant que tout salarié accédant à un statut permanent doit se soumettre, à compter de ce moment, à une période d'essai.
Recevabilité du recours
[5] Avant de se pencher sur la position des parties sur ces trois questions et de résumer les motifs de l'arbitre, il y a lieu de se demander s'il y a matière à révision judiciaire.
[6] Dès le début de l'audition, le soussigné a soulevé la question à l'avocat de l'employeur : de quoi se plaint l'employeur, il a obtenu le rejet du grief et le syndicat n'a pas contesté cette décision?
[7] L'avocat nous a répondu que Telus craint que cette décision fasse tache d'huile en ce que le Syndicat et ses membres allèguent ce précédent de façon à ce que tous les employés qui ont occupé un «emploi temporaire» depuis plus de six mois chez Telus ont le droit de soumettre un grief advenant un congédiement ou autres mesures qui les affectent.
[8] L'avocat nous a même souligné qu'il craignait qu'un arbitre confronté à une situation similaire suive la décision de Me Leclerc sans même se pencher à nouveau sur les arguments de l'employeur quant à l'inexistence du droit à l'arbitrage.
[9] Notons que le syndicat n'a pas présenté une requête en irrecevabilité à l'étape de la comparution ou au début de l'audition devant le soussigné.
[10] Pour le Tribunal, l'employeur se trouve à rechercher l'équivalent d'un jugement déclaratoire sans que les droits respectifs des parties quant au dispositif de la sentence arbitrale ne soient affectés.
[11] En effet, le grief déposé par le syndicat a été rejeté, de sorte que le Tribunal ne peut retourner le dossier à l'arbitre pour statuer sur le fond du grief à la lumière de la bonne interprétation de la règle de droit.
[12] Le caractère déclaratoire du présent recours en révision judiciaire ressort clairement des conclusions suivantes de la requête qui nous est soumise :
«CASSER la décision de l'Intimé sur l'objection préliminaire de la Requérante;
ACCUEILLIR l'objection préliminaire soulevée par la Requérante à l'effet que la Plaignante n'avait pas droit à la procédure du grief;
DÉCLARER que l'Intimé n'était pas investi de la compétence ratione materiae pour se saisir du grief, pièce R-6;»
[13] La Cour suprême[2] a établi le principe applicable lorsqu'un pourvoi à caractère théorique est soumis à un tribunal :
«La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe où la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quant la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire.»
[14] Et les critères qui peuvent justifier qu'un tribunal de révision étudie malgré tout une requête en révision judiciaire, sont résumés ainsi par notre collègue la juge Grenier[3] :
Ø Il n'y a pas de litige actuel.
Ø L'existence d'un contexte réellement contradictoire.
Ø La présente de circonstances particulières justifiant l'intervention judiciaire.
Ø La fonction des tribunaux dans l'élaboration du droit.
[15] Et quant au troisième critère, elle précise :
«Le fait que d'autres employés pourront faire l'objet de mesures similaires n'est pas une raison suffisante.
(…)
La question se présentera à nouveau et personne ne gagnerait à ce qu'une telle question puisse être débattue dans l'abstrait.»
(page 17)
[16] Et quant au quatrième, elle ajoute :
«Ils [les tribunaux] n'ont pas pour fonction de donner des avis juridiques à l'une ou l'autre des parties sous prétexte que la question posée est importante ou intéressante en droit.»
(page 19)
[17] Le Tribunal se réfère également à un arrêt de la Cour d'appel prononcé en 2007.
[18] La Cour[4] rappelle les critères de l'arrêt Borowski; elle dispose d'un pourvoi à l'encontre d'un jugement qui avait rejeté, suite à une requête en irrecevabilité, le recours d'un citoyen qui contestait une décision de la SAAQ alors qu'il avait récupéré son permis de conduire.
[19] La Cour d'appel souligne qu'il s'agit d'une question hypothétique ou abstraite et que le critère «relatif à l'économie des ressources judiciaires est déterminant»[5].
[20] En application de ces critères eu égard à son pouvoir discrétionnaire lorsqu'un recours théorique lui est soumis, le Tribunal se doit de conclure à l'irrecevabilité de la requête en révision judiciaire de l'employeur.
[21] C'est le dispositif d'une sentence arbitrale que l'on doit attaquer et non pas certains moyens que l'on a plaidés n'ont pas été retenus par l'arbitre.
[22] C'est l'évidence même qu'une sentence prononcée par un arbitre de griefs ne peut avoir l'autorité du stare decisis.
[23] Le demandeur ne nous a pas démontré qu'il s'agit d'un cas où le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'intervention eu égard aux quatre critères de l'arrêt Borowski.
[24] Les dépens en faveur des avocats du syndicat mis en cause seront limités à ceux d'une action rejetée suite à une requête en irrecevabilité présentée dès l'étape de la comparution.
[25] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la requête en révision judiciaire;
[27] AVEC DÉPENS en faveur des avocats du syndicat mis en cause, limités à ceux d'une action rejetée suite à une requête en irrecevabilité présentée dès l'étape de la comparution.
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__________________________________ PIERRE OUELLET, j.c.s. |
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Me Jean-François Dolbec |
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Heenan Blaikie Aubut |
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900, boul. René-Lévesque Est, bureau 600 Québec (Québec) G1R 2B5 |
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Me Audrey Limoges-Gobeil |
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Syndicat canadien de la fonction publique |
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565, boul. Crémazie Est, bureau 7100 Montréal (Québec) H2M 2V9 |
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Date d’audience : |
10 mai 2012 |
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[1] Pièce R-1, 23 novembre 2011.
[2]
Borowski c. Canada (Procureur général)
[3]
Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des
alcools du Québec c. Me Émile Labelle et Société des alcools du Québec,
[4]
Léo Durand c. Société de l'assurance automobile du Québec,
[5] Paragraphe 5.
AVIS :
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du plumitif s'avère une précaution utile.