Dussault et Med-O-Gen inc. (Fermé) |
2013 QCCLP 5738 |
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[1] Le 9 mars 2012, monsieur Jacques Dussault (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues les 7 décembre 2011 et 20 janvier 2012. Elle déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement d’un matelas orthopédique ni aux frais de déménagement. De plus, le travailleur n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile.
[3] L’audience s’est tenue les 7 février et 18 septembre 2013 à Saint-Jean-sur-Richelieu en présence du travailleur et de son représentant. La CSST a informé le tribunal de son absence à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais de déménagement et a droit à l’aide personnelle à domicile. En raison d’une nouvelle évaluation de ses besoins d’aide personnelle à domicile, il ne demande plus le remboursement d’un matelas orthopédique puisque celui-ci est devenu insuffisant pour ses besoins.
LES FAITS
[5] Le 22 juin 1992, le travailleur subit une lésion professionnelle dont les diagnostics sont ceux de lombalgie et de discoïdectomie L5-S1.
[6] Le 1er juillet 2010, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale.
[7] À compter du mois de février 2011, le travailleur déménage chez sa conjointe. Il quitte ainsi un sous-sol pour un demi-sous-sol.
[8] Le 12 mai 2011, la CSST déclare que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse est en relation avec la lésion professionnelle survenue le 1er juillet 2010.
[9] Le travailleur conserve de ses lésions une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 31,10 % et d’importantes limitations fonctionnelles.
[10] Le 16 juin 2011, la docteure Nguyen rédige une note médicale dans laquelle elle suggère qu’une évaluation ergonomique soit effectuée à la maison du travailleur pour que ce dernier puisse avoir un milieu sécuritaire.
[11] Le 6 septembre 2011, la conseillère en réadaptation de la CSST responsable du dossier du travailleur indique dans une note d’intervention que le travailleur lui demande s’il peut avoir de l’aide pour déménager puisqu’il habite dans un sous-sol et qu’il doit descendre six marches pour y accéder. La conseillère en réadaptation lui explique qu’elle ne peut pas l’aider à ce niveau, mais que lorsqu’il sera déménagé et qu’il aura produit une copie de son bail d’une durée de trois ans, elle pourra autoriser l’adaptation de son domicile pour répondre à la demande de la docteure Nguyen du mois de juin 2011.
[12] Le 12 octobre 2011, la docteure Haziza rédige une note médicale dans laquelle elle indique que le travailleur ne peut plus monter les marches d’escalier chez lui, il doit déménager.
[13] Le 18 novembre 2011, la docteure Haziza rédige une note médicale dans laquelle elle prescrit un matelas orthopédique pour le travailleur.
[14] Le 22 novembre 2011, la CSST déclare qu’il est impossible actuellement de déterminer un emploi que le travailleur serait capable d’exercer à temps plein. Ce dernier continuera alors de recevoir une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans.
[15] Le 6 décembre 2011, la conseillère en réadaptation de la CSST responsable du dossier du travailleur informe le représentant de ce dernier qu’elle va procéder à l’évaluation de l’aide personnelle à domicile du travailleur et rendre une décision à cet effet.
[16] Le 7 décembre 2011, la CSST déclare qu’elle ne peut payer un matelas orthopédique et les frais de déménagement puisque ces frais ne sont pas remboursables par la CSST. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[17] Le 21 décembre 2011, madame Marijaude Moreau, ergothérapeute pour le Groupe Synergo, se rend au domicile du travailleur à la demande de la CSST afin de faire l’évaluation des besoins d’aide personnelle et technique du travailleur.
[18] Dans son rapport madame Moreau indique que le travailleur lui mentionne qu’il va déménager d’ici le mois de juillet 2012.
[19] Madame Moreau intitule la sixième partie de son rapport « Description générale du domicile ». Elle y mentionne qu’il y a deux entrées, une à l’arrière où le travailleur doit y franchir un marchepied d’une hauteur approximative de 5 pouces et six marches d’une hauteur plus grande et plus étroites qu’à l’habitude. À l’avant, il y a sept marches à franchir. Madame Moreau complète cette section en mentionnant que les pièces de l’appartement sont situées sur un même étage et que l’environnement est bien dégagé, ce qui permet des déplacements sécuritaires à l’intérieur du domicile.
[20] Madame Moreau procède par la suite à l’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique du travailleur. Elle note, entre autres, qu’il y a peu d’espace de chaque côté du lit, que pour entrer dans le bain, le travailleur attrape la bordure de la fenêtre, que pour les transferts à la toilette, le travailleur prend appui sur le lavabo et sur le support du papier de toilette et que l’entretien extérieur du domicile est effectué par le propriétaire de l’immeuble.
[21] À la section des recommandations, madame Moreau commence en mentionnant :
Il est à noter que monsieur prévoit déménager pour le mois de juillet. Ainsi les recommandations suivantes sont faites en fonction de l’évaluation du domicile actuel de monsieur.
[22] Madame Moreau indique aussi que :
Certaines adaptations pourraient être suggérées pour rendre plus sécuritaires les déplacements dans les escaliers, mais comme monsieur prévoit déménager il est préférable d’attendre et d’évaluer au nouveau domicile.
[23] Madame Moreau conclut en recommandant une évaluation au nouveau logement du travailleur lorsque ce dernier aura déménagé afin de voir pour des barres d’appui murales au bain. Par contre, les aides techniques pourraient lui être fournies actuellement.
[24] Le 20 janvier 2012, la CSST informe le travailleur qu’elle accepte de payer les aides techniques suivantes : une barre d’appui, des appuis-bras, un banc de bain, une brosse éponge et une pince à long manche ainsi que les frais pour l’installation des barres d’appui à domicile.
[25] À la même date, la CSST déclare qu’aucune allocation d’aide personnelle à domicile ne peut être versée au travailleur puisque celui-ci est capable de prendre soin de lui-même ou d’effectuer sans aide ses tâches domestiques. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[26] Au mois de février 2012, le travailleur déménage dans un nouveau logement. À l’audience, le travailleur dépose une copie de la facture du déménagement au montant de 561,94 $. Il est indiqué sur la facture qu’il s’agit d’un déménagement pour les gros meubles seulement. La conjointe du travailleur explique à l’audience qu’elle a déménagé tout le reste à partir de ses propres moyens.
[27] Le 5 mars 2012, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme ses décisions du 7 décembre 2011 et du 20 janvier 2012. Elle déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement d’un matelas orthopédique ni aux frais de déménagement. De plus, le travailleur n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile. Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[28] Le 14 février 2013, madame Hoyeck, ergothérapeute, effectue à la demande du représentant du travailleur, une évaluation des besoins de ce dernier au domicile qu’il occupe depuis le mois de février 2012.
[29] À l’audience, madame Nancy Crevier, la conjointe du travailleur, déclare que la conseillère en réadaptation de la CSST est venue au nouveau domicile du travailleur pour faire l’évaluation de la nécessité de repeindre le logement et qu’elle a dit que de déménager dans ce nouveau logement était une bonne chose pour le travailleur.
[30] Elle déclare aussi que le marchepied rapporté dans l’évaluation de madame Moreau est une partie de la base du solage du logement. Elle ne croit pas que celui-ci puisse être enlevé.
L’AVIS DES MEMBRES
[31] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie en partie.
[32] D’abord concernant le droit au remboursement des frais de déménagement, ils considèrent que la preuve prépondérante démontre que les conditions dans lesquelles se retrouvait le travailleur dans son logement avant le déménagement étaient incompatibles avec sa capacité résiduelle et que la seule solution logique pour remédier à cette situation était de déménager. Les membres considèrent que le travailleur n’a pas à assumer les frais du déménagement uniquement parce que la CSST n’a pas fait faire une étude de la possibilité d’adapter le domicile.
[33] En ce qui concerne l’aide personnelle à domicile, le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie en partie.
[34] Ils considèrent que, puisqu’un déménagement était déjà prévu et connu de la CSST, cette dernière aurait dû attendre que le déménagement soit fait avant de faire l’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur. En effet, les besoins du travailleur peuvent être très différents selon l’accessibilité au domicile, la disposition des pièces et les accommodements à sa disposition.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[35] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement et s’il a droit à l’aide personnelle à domicile.
[36] Afin de disposer de l’objet de la contestation, la Commission des lésions professionnelles réfère aux dispositions suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
154. Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.
À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.
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1985, c. 6, a. 154.
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[37] La Commission des lésions professionnelles comprend de l’article 154 de la loi que pour avoir droit au remboursement des frais de déménagement, la preuve doit démontrer que le domicile ne peut être adapté à la capacité résiduelle du travailleur.
[38] Or, dans le présent dossier, aucune évaluation d’adaptation du domicile n’a été faite puisqu’il était déjà connu par la CSST que le travailleur allait déménager au plus tard en juillet 2012.
[39] Le travailleur se retrouve donc dans une situation dont il ne peut se sortir. Il ne fournit pas de bail de trois ans parce qu’il va déménager donc il n’y a pas d’évaluation des possibilités d’adaptation du domicile et, puisqu’il n’y a pas d’évaluation des possibilités d’adaptation du domicile, il n’y a pas de rapport concluant à l’impossibilité d’adapter le domicile, qui est la porte d’entrée pour obtenir un remboursement des frais de déménagement.
[40] La Commission des lésions professionnelles considère que la CSST devait payer la réclamation du travailleur pour son déménagement au montant aussi peu élevé que 561,94 $ afin de respecter l’objet même de la loi prévu à son article 1 :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
….
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[41] La simple évaluation de la possibilité d’adapter le domicile du travailleur par un professionnel aurait fort probablement couté plus cher que le coût total du déménagement. De plus, puisque la base du solage constituait un premier obstacle, les chances que le rapport d’expert amène à la conclusion de l’incapacité d’adapter le domicile du travailleur ne sont pas farfelues.
[42] Malgré le refus de la CSST de payer les frais du déménagement, le travailleur a tout de même changé de domicile pour améliorer sa situation. Cet état de fait ajoute à la conviction qu’a le tribunal de la justesse de la demande du travailleur.
[43] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST doit rembourser au travailleur les frais de son déménagement au coût de 561,94 $.
[44] En ce qui concerne l’aide personnelle à domicile, la Commission des lésions professionnelles considère que la CSST a, à nouveau, manqué de souplesse dans l’application de la loi en faisant une évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur alors qu’un déménagement était déjà prévu à court terme.
[45] Il ne fait pas de doute pour le tribunal que l’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile est intimement liée aux particularités du logement dans lequel se trouve un accidenté.
[46] Cette conclusion semble tout aussi évidente pour madame Moreau qui, à plusieurs reprises dans son rapport, rappelle qu’un déménagement s’en vient. Elle s’exprime de la façon suivante :
- Il est à noter que monsieur prévoit déménager pour le mois de juillet. Ainsi, les recommandations suivantes sont faites en fonction de l’évaluation du domicile actuel de monsieur.
- Certaines adaptations pourraient être suggérées pour rendre plus sécuritaires les déplacements dans les escaliers, mais comme monsieur prévoit déménager il est préférable d’attendre et d’évaluer au nouveau domicile.
[47] Elle conclut finalement en recommandant une évaluation au nouveau logement du travailleur lorsque ce dernier aura déménagé afin de voir pour des barres d’appui murales au bain.
[48] La Commission des lésions professionnelles trouve significatif que l’ergothérapeute intitule une de ses sections « Description générale du domicile ». Il ne fait pas de doute que l’évaluation de l’aide personnelle à domicile doit tenir compte des particularités du domicile. Ainsi, un besoin peut être identifié dans un logement et ne pas l’être dans un autre.
[49] Madame Moreau en tient d’ailleurs compte dans son évaluation quand elle mentionne qu’il y a peu d’espace de chaque côté du lit, que pour entrer dans le bain, le travailleur attrape la bordure de la fenêtre, que pour les transferts à la toilette, le travailleur prend appui sur le lavabo et sur le support du papier de toilette et que l’entretien extérieur du domicile est effectué par le propriétaire de l’immeuble.
[50] Rien ne dit que dans le nouveau logement l’espace ne sera pas suffisant chaque côté du lit, que le travailleur pourra attraper la bordure de la fenêtre pour entrer dans le bain ou qu’il pourra ou aura besoin de s’appuyer sur le lavabo ou le support du papier de toilette pour les transferts à la toilette.
[51] Devant l’évidence de procéder à l’évaluation des besoins d’aide à domicile du travailleur à son nouveau logement, ce dernier a fait faire cette évaluation à ses frais. La CSST n’est évidemment pas tenue d’en retenir les conclusions, mais une nouvelle évaluation doit être faite.
[52] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST doit reprendre le processus d’évaluation d’aide personnelle à domicile du travailleur au nouveau domicile de ce dernier.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête déposée le 9 mars 2012 par monsieur Jacques Dussault, le travailleur;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 mars 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais de déménagement au montant 561,94 $;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de reprendre le processus d’évaluation d’aide personnelle à domicile du travailleur au nouveau domicile de ce dernier en donnant suite au rapport de madame Hoyeck ou en demandant une nouvelle évaluation à ses frais.
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Fernand Daigneault |
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M. Éric Marsan |
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LÉGER MARSAN, ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Josée Picard |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
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