Bédard et Location A & C inc. |
2010 QCCLP 1784 |
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DOSSIER : 332722
[1] Le 6 novembre 2007, monsieur Gaétan Bédard, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 26 octobre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme celle initialement rendue le 11 juillet 2007 et déclare que la CSST doit rembourser les frais relatifs à la chirurgie d’un jour pratiquée le 19 juillet 2007 dans une clinique privée pour une réparation du sus et du sous-épineux de l’épaule droite. La réviseure ajoute que la CSST doit rembourser le travailleur « suivant les modalités du régime public de la RAMQ » sans toutefois préciser le montant de ce remboursement.
DOSSIER : 358916
[3] Le 24 septembre 2008, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 7 août 2008, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 28 mai 2008 et déclare que le travailleur a droit au remboursement de 1 568,10 $ pour la chirurgie pratiquée en clinique privée le 19 juillet 2007.
[5] Les 15 avril et 4 novembre 2009, la Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Joliette en présence du travailleur qui était représenté, de la représentante de l’employeur, Location A & C inc., et de la représentante de la CSST, partie intervenante.
LES MOTIFS DES CONTESTATIONS
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a droit au remboursement intégral des sommes déboursées pour la chirurgie de l’épaule droite pratiquée le 19 juillet 2007, soit 6 055 $.
LA PREUVE
[7] Pour rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, des documents additionnels déposés dans le cadre de l’audience et entendu le témoignage des personnes suivantes :
Monsieur Gaétan Bédard, le travailleur
Madame Marjolaine Hamel, directrice du personnel chez l’employeur
Madame Hélène Bernier, agente d’indemnisation à la CSST
Dr Luc Marcoux, médecin conseil à la Direction des services médicaux de la CSST.
[8] La Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[9] Le travailleur est administrateur chez l’employeur lorsque, le 2 mai 2007, il tombe dans un trou profond en installant un panneau de protection.
[10] L’attestation médicale initiale est émise le 2 mai 2007 par la docteure Geneviève Garneau qui pose le diagnostic de luxation de l’épaule droite et prescrit un arrêt de travail.
[11] À son rapport médical du 16 mai 2007, le docteur André Desjardins, chirurgien orthopédiste, demande un examen d’imagerie par résonance magnétique de l’épaule droite.
[12] La réclamation du travailleur pour cet événement est acceptée par la CSST le 23 mai 2007 sur la base des diagnostics de luxation de l’épaule droite et d’entorse du genou droit.
[13] Le 30 mai 2007, un examen d’imagerie par résonance magnétique de l’épaule droite est interprété par le docteur Pierre Lacaille-Bélanger comme démontrant une déchirure du sus et du sous-épineux, une tendinose sévère du sous-scapulaire et une atrophie des sous-épineux et du petit rond.
[14] À son rapport médical du 13 juin 2007, le docteur Desjardins pose le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Il indique qu’il réfère le travailleur à différents hôpitaux.
[15] Le 26 juin 2007, le docteur Marc Beauchamp, chirurgien orthopédiste à la clinique privée MédiClub, signe un rapport médical destiné à la CSST et un certificat médical faisant état d’une déchirure massive de l’épaule droite. Il ajoute que le patient doit subir une chirurgie de réparation dans les plus brefs délais en précisant qu’il présente déjà une atrophie musculaire avancée.
[16] Dans une décision rendue le 3 juillet 2007, la CSST reconnaît que le diagnostic de rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite est en relation avec l’événement.
[17] À l’audience, le travailleur explique que le docteur Desjardins l’a référé à cinq hôpitaux parce qu’il n’effectuait pas le type de chirurgie dont il avait besoin. Le docteur Desjardins lui a dit qu’il ferait des démarches auprès de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont où il avait des contacts. Le travailleur a contacté les autres hôpitaux où il a été inscrit sur des listes d’attente. À l’Hôpital de Saint-Eustache, on lui a dit de prévoir un délai de 18 à 24 mois avant d’être opéré et un an plus tard, il a reçu un appel téléphonique lui proposant un rendez-vous avec un orthopédiste. Aucun des autres hôpitaux ne l’a contacté et il ne s’est pas informé des démarches réellement effectuées par le docteur Desjardins à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
[18] C’est par l’entremise de la clinique où il recevait ses traitements de physiothérapie qu’il a obtenu les coordonnées du docteur Beauchamp. Il a ensuite rencontré ce médecin qui lui a expliqué l’importance de procéder rapidement à la chirurgie pour limiter les conséquences de l’accident. Il a alors consulté son médecin de famille qui était du même avis. C’est dans ce contexte qu’il a pris la décision de se faire opérer par le docteur Beauchamp d’autant plus qu’il voulait reprendre rapidement l’ensemble de ses activités au travail compte tenu de son rôle dans l’entreprise.
[19] Le 29 juin 2007, le travailleur transmet à la CSST une description des coûts de la chirurgie à la clinique MédiClub.
[20] Aux notes évolutives de la CSST en date du 11 juillet 2007, madame Hélène Bernier (ci-après l’agente d’indemnisation) indique avoir reçu cet estimé des coûts et informé le travailleur que la CSST ne cautionne pas les chirurgies en clinique privée et qu’il recevrait une lettre à cet effet. Le jour même, elle signe une décision avisant le travailleur que la CSST ne rembourse pas les frais encourus pour une chirurgie en clinique privée, décision que le travailleur conteste.
[21] À l’audience, madame Bernier reconnaît qu’après avoir pris connaissance du rapport du docteur Beauchamp indiquant que la chirurgie devait avoir lieu le plus tôt possible, elle n’a pas vérifié les délais d’attente dans le secteur public pour ce type de chirurgie ni les conséquences d’un long délai. Elle confirme avoir reçu l’estimé des coûts de la chirurgie en clinique privée transmis par le travailleur et avoir consulté sa chef d’équipe à ce sujet. Comme l’estimé n’était pas suffisamment détaillé au niveau de la nature des honoraires et des diverses composantes, elle n’avait pas d’autre choix que de refuser le remboursement demandé.
[22] Le 19 juillet 2007, le docteur Beauchamp procède à une reconstruction de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.
[23] Le même jour, la clinique MédiClub émet une facture au montant de 5 875 $ pour la chirurgie dont les détails sont les suivants :
Honoraires du personnel infirmier et médical 2 820$
Médicaments et anesthésie 455$
Équipements et disposables orthopédiques 1 560$
Frais généraux : salle opératoire et salle de réveil 1 000$
Frais de labo et ECG 40$
[24] Le travailleur soumet de plus une facture de la clinique MédiClub au montant de 180 $ pour la consultation orthopédique du 26 juin 2007 et le protocole opératoire du 19 juillet 2007.
[25] À l’audience, le travailleur confirme la présence d’un anesthésiste et d’infirmières lors de la chirurgie. Il évalue que l’intervention a duré entre 45 et 75 minutes et il est retourné à son domicile le jour même. Suite à la chirurgie, il croit avoir revu le docteur Beauchamp à trois reprises et il a par la suite été pris en charge par le docteur Desjardins.
[26] À son rapport médical du 10 octobre 2007, le docteur Desjardins fait état d’une importante amélioration suite à la chirurgie.
[27] À son rapport final du 23 avril 2008, le docteur Desjardins indique que la lésion à l’épaule droite est consolidée à la date de son examen. Il ajoute qu’il persiste un malaise mécanique et que les amplitudes articulaires sont diminuées. Le rapport d’évaluation médicale sera fait ultérieurement.
[28] À l’audience, madame Marjolaine Hamel affirme qu’après le 2 mai 2007, monsieur Bédard travaillait à temps partiel, uniquement à des tâches administratives. Environ une semaine après la chirurgie, il a repris ce type d’activités et depuis le mois d’avril 2008, il est en mesure d’effectuer l’ensemble de ses tâches, ce que confirme monsieur Bédard.
[29] Aux notes évolutives du 20 mai 2008, le docteur Claude Morel, médecin régional de la CSST, fait l’analyse suivante des frais qui sont remboursables au travailleur suite à sa chirurgie :
Cette note précise et corrige la première note du 12 mai 2008. J’ai rejoint à nouveau la clinique Médiclub aujourd’hui pour une seconde fois afin d’obtenir les précisions nécessaires au traitement de la demande de paiement de la chirurgie de réparation de la coiffe des rotateurs. J’ai rejoint les services de chirurgie pour la première fois le 16 mai 2008. Ce travailleur a reçu une anesthésie loco-régionale avec la présence d’un anesthésiste et d’un inhalothérapeute à la salle d’opération durant toute l’intervention.
Les honoraires d’un anesthésiste se calcule en utilisant les unités de durée avec une valeur unitaire de $13.50 additionnée aux unités de base qui varient selon le type de chirurgie effectuée. Comme l’on m’a indiqué que la chirurgie a duré une heure 15, il est clair que l’anesthésiste fut plus longtemps au chevet de l’opéré car il a dû faire l’anesthésie locale avant que la chirurgie puisse débuter. On peut facilement considérer que l’anesthésiste fut présent une demi-heure avant la chirurgie et une demi-heure après. Donc je retient 2 heures 15 de support anesthésique, ce qui équivaut à 10 unités de durée selon la table de correspondance retrouvée dans le manuel des médecins spécialistes de la RAMQ. L’unité de base inscrite pour une reconstruction de la coiffe est de 6 dans le manuel de la RAMQ, Ce qui fait que nous avons 16 unités à $ 13.50 pour un total de $216.00.
On pourrait ajouter un honoraire pour un bloc (Bloc épidural cervical, code 00250-$75.60 ou Bloc du plexus brachial, code 00269-$42.00); la personne qui m’a répondu à la clinique n’est pas arrivé à lire le type de bloc qui fut effectué. Je recommande donc de mettre le montant le plus élevé, soit $75.60.
L’honoraire total de l’anesthésiste serait de $291.60. Je ne peux savoir s’il y a eu des visites pré-opératoires dans ce cas de la part de l’anesthésiste.
Les honoraires de l’orthopédiste sont de $500 (code 18098) car en relisant le Manuel de la RAMQ, l’arthroscopie est incluse dans ce type de chirurgie. À ceci s’ajoute des honoraires pour la consultation initiale (code 09156-$99) et le rapport médical CSST (code 9927-$17.50) qui sont de $116.50. Les honoraires totales de l’orthopédiste sont de $616.50. Il est possible que certaines visites de suivi auraient pu être payées, cependant je n’ai pas de notion de suivi fait en orthopédie dans ce cas.
Comme le travailleur n’a pas eu de coucher à l’hôpital, la CSST autorise un montant de $660 pour la composante technique d’une chirurgie d’un jour.
Le total des débours serait de $1568.10 en additionnant les montants totaux des paragraphes précédents.
[30] Dans une décision rendue le 7 août 2008, la révision administrative reprend cette analyse du docteur Morel et déclare que le travailleur a droit au remboursement de 1 568,10 $ pour la chirurgie pratiquée le 19 juillet 2007. Cette décision constitue un des litiges dont est saisi le présent tribunal.
[31] Dans une note adressée au travailleur le 22 janvier 2009, le docteur Beauchamp réfère au dossier de monsieur Richard Fortin, un de ses patients à qui la Commission des lésions professionnelles[1] a accepté de rembourser la totalité des frais encourus pour une chirurgie de l’épaule qu’il avait pratiquée à la suite d’un accident du travail. Relativement au dossier du travailleur le docteur Beauchamp apporte les précisions suivantes :
D’un point de vue strictement médical, le dossier de Monsieur Gaétan Bédard est tout à fait superposable à celui de Monsieur Fortin. Ainsi Monsieur Bédard s’est présenté à nous le 26 juin 2007, en rapport avec une chute accidentelle survenue au travail 2 mois auparavant. L’examen physique que nous retrouvons dans nos notes médicales fait état d’une perte complète de fonction pour le sus-épineux, et presque complète pour le sous-épineux. La résonance magnétique qui avait été effectuée (en clinique privée) a confirmé une déchirure transfixiante extrêmement importante de la coiffe des rotateurs.
Il était donc très clair dans le cas de Monsieur Bédard qu’il y avait lieu de faire une chirurgie dans les plus brefs délais de façon à éviter encore une fois l’atrophie permanente et la perte de fonction permanente du membre supérieur droit par déchirure tendineuse sévère. Il va de soi que la chirurgie, qui a été appliquée dans les semaines qui ont suivi, a confirmé l’importance de la déchirure tendineuse, tout comme cela avait été le cas lorsque nous avions effectué la chirurgie pour Monsieur Fortin.
Considérant que l’importance de sa déchirure a été confirmée, ceci confirme en même temps notre jugement à savoir qu’il s’agissait vraiment d’une urgence médicale, et que le report d’une telle chirurgie de plusieurs mois aurait signifié dans le cas de Monsieur Bédard un préjudice significatif pour la fonction de son membre supérieur droit.
(…)
Ainsi pour répondre à votre question initiale sur la comparaison des deux dossiers, il m’apparaît évident qu’ils sont complètement superposables, et j’ajouterais même que le cas de Monsieur Bédard était encore plus sévère, donc avec un potentiel de lésion permanente encore plus élevé que celui de Monsieur Fortin. Ainsi toutes les conclusions qui sont appliquées à l’analyse du dossier de Monsieur Fortin sont tout à fait applicables au dossier de Monsieur Bédard ici.
[32] À l’audience, le docteur Luc Marcoux a apporté les précisions suivantes sur la détermination des sommes qui sont remboursables par la CSST lorsqu’une chirurgie a été pratiquée en clinique privée. Il a de plus commenté l’évaluation des coûts préparée par le docteur Morel.
[33] Le docteur Marcoux explique qu’avant 2006, la CSST acceptait de rembourser uniquement les honoraires professionnels, comme l’acte chirurgical, au tarif payable aux médecins inscrits à la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ), que l’on désigne comme « médecins participants ». La CSST refusait toutefois les demandes de remboursement pour les composantes techniques comprenant entre autres les frais pour la salle d’opération, l’inhalothérapeute, le matériel chirurgical etc.
[34] À compter d’octobre 2006, la CSST accepte de rembourser les services reçus dans une clinique privée, incluant les composantes techniques, aux tarifs prévus dans le secteur public pour les médecins participants. Lorsque cette décision a été prise, la CSST a envoyé une lettre à cet effet à tous les médecins qui n’étaient pas inscrits à la RAMQ et que l’on désigne comme « non participants », dont le docteur Beauchamp qui a ce statut depuis le mois de juillet 2005.
[35] Le docteur Marcoux explique que les médecins « non participants » peuvent facturer ce qu’ils désirent pour leurs services et les patients les paient directement.
[36] Il explique que des ententes sont intervenues entre le Ministère de la santé et des services sociaux et les fédérations des médecins participants pour fixer les tarifs, lesquels sont révisés environ tous les trois ans. Ces tarifs sont inclus dans un document qui prévoit tous les actes médicaux.
[37] Pour déterminer les frais remboursables au travailleur dans le présent dossier, la CSST se base sur la mise à jour en vigueur à compte du 1er octobre 2006 du Manuel des médecins spécialistes (le manuel) pour les honoraires de l’orthopédiste et de l’anesthésiste et sur les taux applicables à compter du 1er mai 2007 à la circulaire 2007-015 Facturation de services externes pour les responsabilités autres que celles du Ministère.
[38] Le docteur Marcoux fait l’évaluation suivante de ces coûts :
1) Composante professionnelle :
Reconstruction de la coiffe des rotateurs par
voie arthroscopique : Code RAMQ 02157 463,00$
2) Composante technique, pour une chirurgie
d’un jour : 681,00$
3) Anesthésie (Composante professionnelle) :
6 unités de base et 10 unités de durée à 13,50$ 216,00$
4) Consultation pré-opératoire du 26-06-07 :
Composante professionnelle : code RAMQ 09170 41,50$
Composante technique : 32,25$
Rapport de prise en charge : code RAMQ 09927 16.00$
5) Examens de laboratoire et ECG :
Électromyogramme, technique et interprétation
code RAMQ 00341 4,40$
_______
Total 1454,15$
[39] Le docteur Marcoux explique la différence entre son évaluation et celle du docteur Morel par les erreurs suivantes faites par son confrère. Concernant l’anesthésiste, le montant de 216 $ est justifié mais celui de 75,60 $ pour un bloc doit être retranché parce que le manuel prévoit un honoraire global pour ce spécialiste dans les termes suivants :
Règle 1.
HONORAIRE GLOBAL
1.1 L’honoraire d’un anesthésiste est un honoraire global : sont compris tous les soins que le médecin anesthésiologiste donne au malade pendant la durée de l’anesthésie, la visite pré-anesthésique ainsi que les visites de contrôle dans les 24 heures suivant l’anesthésie.
[40] Le docteur Morel retient un montant de 500 $ pour la composante professionnelle de l’orthopédiste ce qui correspond au tarif applicable à compter de mai 2008 et non en juillet 2007 pour la chirurgie subie par le travailleur. Le docteur Morel retient un montant de 99 $ pour la consultation initiale alors que le manuel prévoit un montant de 41,50 $ pour la consultation d’un orthopédiste dans son cabinet. Concernant le rapport de prise en charge, le docteur Morel a appliqué le tarif de 17,50 $ qui devenait effectif en juillet 2007 et non celui de 16 $ qui s’appliquait lors de la consultation du 29 juin 2007. Finalement, le docteur Morel retient le montant de 660 $ pour la chirurgie d’un jour alors que depuis le mois de mai 2007 ce montant est de 681 $.
[41] Le docteur Marcoux reconnaît que, comme c’est le cas dans la majorité des dossiers, un délai de deux ans peut être qualifié de long entre la décision de procéder à une chirurgie et la chirurgie elle-même. Cette situation est susceptible de prolonger la période d’indemnisation du travailleur. Il ajoute que dans un monde idéal, il est préférable de procéder rapidement mais il rappelle que la CSST rembourse les frais selon la tarification de la RAMQ et ce peu importe le moment où la chirurgie est pratiquée.
[42] À l’audience, la représentante de la CSST indique que sa cliente ne demandera pas au travailleur de rembourser la différence entre le montant qui lui a été versé suite à l’évaluation des coûts faite par le docteur Morel et celle faite par le docteur Marcoux.
L’AVIS DES MEMBRES
[43] Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis que les requêtes du travailleur devraient être rejetées. Ils retiennent les explications données par le docteur Marcoux relativement aux frais remboursables au travailleur.
[44] Les membres sont d’avis d’appliquer la jurisprudence récente de la Commission des lésions professionnelles qui reconnaît que le travailleur opéré dans une clinique privée a droit au remboursement des frais selon les tarifs applicables par la RAMQ.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[45] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer quelles sommes doivent être remboursées au travailleur en relation avec la chirurgie à l’épaule droite pratiquée en clinique privée le 19 juillet 2007 par le docteur Beauchamp.
[46] Les articles 188 , 189 , 193 ,194, 195 et 196 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) sont pertinents à la solution du présent litige. Ils se lisent comme suit :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
__________
1985, c. 6, a. 192.
193. Le travailleur a droit aux soins de l'établissement de santé de son choix.
Cependant, dans l'intérêt du travailleur, si la Commission estime que les soins requis par l'état de ce dernier ne peuvent être fournis dans un délai raisonnable par l'établissement qu'il a choisi, ce travailleur peut, si le médecin qui en a charge est d'accord, se rendre auprès de l'établissement que lui indique la Commission pour qu'il reçoive plus rapidement les soins requis.
__________
1985, c. 6, a. 193; 1992, c. 21, a. 81.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
__________
1985, c. 6, a. 194.
195. La Commission et le ministre de la Santé et des Services sociaux concluent une entente type au sujet de tout ou partie des soins et des traitements fournis par les établissements visés au paragraphe 2° de l'article 189; cette entente a pour objet la dispensation de ces soins et de ces traitements et précise notamment les montants payables par la Commission pour ceux-ci, les délais applicables à leur prestation par les établissements et les rapports qui doivent être produits à la Commission.
La Commission conclut avec chaque agence visée par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) et avec chaque conseil régional institué par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5) une entente spécifique qui vise à assurer la mise en application de l'entente type sur leur territoire. Cette entente spécifique doit être conforme aux termes et conditions de l'entente type.
Un établissement est réputé accepter de se conformer à l'entente spécifique, à moins de signifier son refus à la Commission et à l'agence ou au conseil régional, selon le cas, dans le délai imparti par cette entente, au moyen d'une résolution de son conseil d'administration; dans ce dernier cas, cet établissement est rémunéré selon ce qui est prévu par l'entente type.
Pour le territoire auquel s'applique la partie IV.2 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, l'entente spécifique est conclue par l'établissement ayant son siège sur ce territoire.
__________
1985, c. 6, a. 195; 1992, c. 11, a. 9; 1994, c. 23, a. 23; 1998, c. 39, a. 174; 1999, c. 40, a. 4; 2005, c. 32, a. 308.
196. Les services rendus par les
professionnels de la santé dans le cadre de la présente loi et visés dans le
quatorzième alinéa de l'article
__________
1985, c. 6, a. 196; 1992, c. 11, a. 10; 1999, c. 89, a. 43, a. 53.
[47] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 2 mai 2007 qui lui a causé une rupture de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite qui a nécessité une chirurgie.
[48] Les circonstances ayant amené le travailleur à se faire opérer dans une clinique privée et rapportées plus haut n’ont pas été contestées. Le tribunal retient que son médecin considérait qu’il devait être opéré rapidement pour limiter les conséquences de la lésion et que la chirurgie envisagée ne pouvait être pratiquée dans le secteur public avant un délai d’attente d’environ deux ans.
[49] La Commission des lésions professionnelles retient aussi que les circonstances du présent dossier ressemblent à celles du dossier Fortin[3] où, dans une décision rendue le 20 juin 2007, le tribunal avait conclu que le travailleur avait droit au remboursement intégral des frais encourus pour une chirurgie à l’épaule pratiquée en clinique privée par le docteur Beauchamp.
[50] Toutefois, comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gagnon et Service Correctionnel du Canada[4], la décision dans l’affaire Fortin concernait une chirurgie pratiquée avant qu’une entente intervienne entre le Ministère de la santé et des services sociaux et la CSST et, dans ces circonstances, cette décision est de peu d’utilité dans les dossiers postérieurs à l’existence d’une telle entente.
[51] Les extraits suivants de la décision rendue dans l’affaire Leguerrier et (P.P.) Denis Leguerrier[5] résument la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles concernant le remboursement des frais pour des soins reçus dans une clinique privée :
[59] Le tribunal constate que, dans la vaste majorité des décisions de la Commission des lésions professionnelles qui accorde le remboursement des frais, ceux-ci avaient été engagés avant que ne survienne une entente décrite à l’article 198 de la loi qui précise :
198. La Commission et la Régie de l'assurance maladie du Québec concluent une entente qui a pour objet les règles régissant le remboursement des sommes que la Régie débourse pour l'application de la présente loi et la détermination des frais d'administration qu'entraîne le paiement des services visés à l'article 196.
__________
1985, c. 6, a. 198; 1996, c. 70, a. 7; 1999, c. 89, a. 53.
[60] C’est en l'absence d'une telle entente, que le remboursement intégral des frais engagés était accordé en fonction de l’article 586 de la loi qui stipule :
586. Malgré le quatorzième alinéa de l'article 3 de la Loi sur l'assurance-maladie (chapitre A-29), édicté par l'article 488, la Commission assume le coût d'un service visé dans cet alinéa tant qu'une entente visée dans le deuxième alinéa de l'article 19 de cette loi, édicté par l'article 489, n'est pas en vigueur relativement à ce service.
La Commission fixe ce coût d'après ce qu'il serait convenable et raisonnable de réclamer du travailleur pour un service semblable s'il devait le payer lui-même.
__________
1985, c. 6, a. 586; 1999, c. 89, a. 44.
[61] Dans le présent dossier, le tribunal constate que les frais engagés le furent en date du 13 mars 2008. Le tribunal ne peut que supposer dans le présent cas qu'une telle entente existe entre la CSST, le Ministère de la santé et des services sociaux et les fédérations médicales, comme le mentionnent la jurisprudence récente du tribunal et la décision rendue en révision administrative dans le présent dossier. Le tribunal n'est pas à même d'interpréter cette entente, ne l'ayant pas en sa possession.
[62] Il ressort ainsi que, dans l'état actuel du dossier et considérant les principes énoncés ci-haut, le tribunal ne dispose d'aucune preuve probante voulant que la décision rendue par la CSST, en révision administrative, soit illégale ou découle d'une mauvaise interprétation de la loi et des articles pertinents au présent litige.
[63] La lecture de la jurisprudence récente amène le tribunal à conclure qu’en présence d'une telle entente, le travailleur aurait ainsi droit au remboursement des frais engagés pour une chirurgie à l'épaule droite, selon les tarifs prévus par la RAMQ pour une telle chirurgie, comme si elle avait eu lieu dans un établissement public de santé.
[52] La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST n’a pas remis en cause le choix du travailleur de se faire opérer par le docteur Beauchamp, médecin non participant.
[53] Le docteur Marcoux a expliqué qu’une entente est intervenue entre la CSST et le Ministère de la santé et des services sociaux comme le prévoit l’article 195 de la loi, ce qui constitue la composante technique des soins ou traitements auxquels fait référence le deuxième alinéa de l’article 189 de la loi. Par ailleurs, l’article 196 de la loi traite de la composante professionnelle des services offerts par les professionnels de la santé et prévoit que la RAMQ assume ces coûts, sommes qui seront ensuite remboursées par la CSST.
[54] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’argument du travailleur qui demande de considérer que le fait qu’il ait été opéré rapidement dans une clinique privée a permis à la CSST de minimiser les frais dans son dossier puisque la période où il a reçu une indemnité de remplacement du revenu a été réduite.
[55] À cet égard, le tribunal fait siens les propos suivants tenus par la juge administrative dans l’affaire Lauzon et Sécurité des incendies de Montréal[6] :
[36] Également, l’argument selon lequel le fait que la travailleuse ait choisi d’être opérée en clinique privée a permis à la CSST d’économiser des sommes considérables ne peut être retenu. En effet, même si cet objectif est louable il reste qu’il n’appartient pas au tribunal de le réaliser si, en ce faisant, la loi qu’il est chargé d’appliquer n’est pas respectée.
[56] Dans l’affaire Leguerrier[7], le juge administratif commente dans les termes suivants un argument de même nature soumis par le travailleur :
(33) À l'audience, le travailleur soutient que cette façon de procéder a permis à la CSST de sauver des coûts, notamment pour le versement de l'indemnité de remplacement du revenu, puisqu'il a pu reprendre son emploi plus tôt considérant que la liste d'attente pour cette chirurgie dans les établissements publics étant d'environ dix à douze mois, et de sauver également des coûts pour les traitements de physiothérapie qu'il aurait suivi durant toute cette période préopératoire. Le travailleur estime qu'il a le droit de ne pas souffrir et de faire en sorte qu'il puisse être fonctionnel le plus tôt possible, considérant qu'il est un travailleur autonome et qu’il doit voir à la bonne marche de son entreprise.
(34) Le tribunal constate qu'il s'agit des seuls éléments dont il dispose pour rendre la décision. Le tribunal ne retrouve aucun autre élément de preuve à la lecture du dossier.
(35) Certes, l’argumentation du travailleur présente une logique financière et économique que l'on pourrait qualifier de valable, mais que le tribunal ne peut toutefois retenir aux fins de rendre la présente décision. D'abord, la preuve ne permet pas de conclure que la CSST sauverait nécessairement des coûts, aucune donnée précise au dossier ne permettant d'en établir les fondements. Par ailleurs, là n'est pas la question puisque la CSST refuse un tel remboursement sur la base d'une équité entre tous à titre d'assureur publique.
[57] À la lumière de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST doit rembourser au travailleur les montants payables conformément aux tarifs en vigueur à la RAMQ à l’époque de la chirurgie pratiquée par le docteur Beauchamp le 19 juillet 2007. À cet égard, le tribunal retient le témoignage documenté et non contredit du docteur Marcoux à l’effet que le travailleur a droit au remboursement de 1454,15 $ pour les frais encourus pour cette chirurgie. En effet, le tribunal considère que la preuve soumise dans le présent dossier ne justifie pas de s’écarter de la jurisprudence récente rapportée plus haut.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIER : 332722
REJETTE la requête de monsieur Gaétan Bédard, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 octobre 2007, à la suite d’une révision administrative et
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit rembourser au travailleur les frais encourus pour la chirurgie du 17 juillet 2007 sur la base des tarifs appliqués par la Régie de l’assurance-maladie du Québec.
DOSSIER : 358916
REJETTE la requête de monsieur Gaétan Bédard, du travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 août 2008, à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit rembourser au travailleur la somme de 1454,15 $ en raison de la chirurgie subie en clinique privée le 17 juillet 2007.
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Diane Besse |
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Me Pierre David |
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David & Beaudoin |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-Anne Lecavalier |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] Fortin et Gestion Berthelot, C.L.P.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Précitée note 1.
[4] C.L.P.
[5] C.L.P.
[6] C.L.P.
[7] Précitée note 4
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
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