RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu, le 4 juillet 2003, une décision dans le présent dossier.
[2] Cette décision contient une erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier;
[3] À la page frontispice, nous lisons :
ROGER TÉTRAULT (SUCCESSION).
[4] Alors que nous aurions dû lire :
ROBERT TÉTRAULT (SUCCESSION).
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Jean-Marc Charette |
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Commissaire |
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CLERMONT, CANUEL, ROY (AVOCATS) (Me Michel Canuel) |
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Représentant de la partie requérante |
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LEDUC, BÉLANGER & ASS. (Me Gilles Dubé) |
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Représentant de la partie intéressée |
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DÉCISION
[1] Le 13 septembre 2000, la succession de monsieur Robert Tétrault (la succession) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 septembre 2000 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 16 août 1999 et refuse la réclamation pour lésion professionnelle adressée par la succession au motif qu’au moment du décès de monsieur Robert Tétrault (le travailleur), celui-ci n’était pas un travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et ne pouvait être considéré, au moment de l’événement, comme étant à l’emploi du Service de la police de la C.U.M. De plus, la CSST considère qu’il n’y a pas de relation entre l’événement en cause, soit la participation à la course aux flambeaux et le décès du travailleur survenu le 3 octobre 1998.
[3] Le 26 juin 2001, la Commission des lésions professionnelles[2] tient une audience en relation avec le présent litige. À cette occasion, les parties demandent au tribunal de se prononcer uniquement sur la question préliminaire à savoir si, au moment de la course aux flambeaux, monsieur Robert Tétrault était un travailleur au Service de la police de la Communauté Urbaine de Montréal et s’il avait droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[4] Dans sa décision rendue le 16 juillet 2001, la Commission des lésions professionnelles dispose ainsi du litige:
Par ces motifs, la Commission des lésions professionnelles;
REJETTE le moyen préliminaire soulevé par le représentant du Service de la police de la Communauté Urbaine de Montréal.
DÉCLARE que monsieur Robert Tétrault, lors de la course au flambeau, était un travailleur ayant droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001);
DÉCLARE que la course au flambeau à laquelle a participé monsieur Robert Tétrault était un événement connexe au travail de policier;
[5] La décision prévoit finalement que les parties seront convoquées pour être entendues sur la question du lien entre cet événement et la lésion cardiaque ayant entraîné le décès du travailleur.
[6] À l’audience, madame Diane Gervais, épouse de feu Robert Tétrault, est présente au nom de la succession qui est également représentée. L’employeur, Service de la police de la Ville de Montréal, anciennement le Service de police de la C.U.M., est également représenté. La CSST, partie intervenante au dossier, avait informé le tribunal qu’elle ne serait pas présente à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[7] La succession demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que monsieur Robert Tétrault est décédé à la suite d’un accident survenu à l’occasion du travail et demande de reconnaître qu’elle a droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
[8] Les parties conviennent que la décision rendue précédemment par la Commission des lésions professionnelles a établi que monsieur Robert Tétrault, lors de sa participation à la course aux flambeaux, était un travailleur ayant droit aux bénéfices de la loi et que cet événement était connexe au travail de policier. Reste à déterminer, tel que circonscrit la Commission des lésions professionnelles dans sa décision initiale, s’il existe un lien entre cet événement et la lésion cardiaque ayant entraîné le décès du travailleur.
LES FAITS
[9] Au moment de l’événement, monsieur Robert Tétrault était âgé de 49 ans et était policier au Service de la police de la Communauté Urbaine de Montréal, maintenant nommé le Service de police de la Ville de Montréal.
[10] Le 3 octobre 1998, monsieur Robert Tétrault participe à une course aux flambeaux organisée par le Service de police de la Communauté Urbaine de Montréal. L’organisation de la course a comme objectif principal le rapprochement du corps policier avec les citoyens et vise à ramasser des fonds pour les Jeux Olympiques spéciaux du Québec.
[11] À titre de représentant syndical pour son unité, monsieur Tétrault avait participé à l’organisation de la course dans le but de motiver ses confrères à participer à l’événement.
[12] Le matin du 3 octobre 1998, monsieur Tétrault se rend à bicyclette au lieu de la course, soit une distance d’environ quinze à vingt kilomètres.
[13] Après avoir participé à la course aux flambeaux, soit une distance de 2.3 kilomètres, monsieur Tétrault s’effondre, foudroyé par une crise cardiaque qui cause son décès.
[14] Le certificat de décès signé par le docteur Moisan confirme que le travailleur est décédé d’une arythmie cardiaque secondaire à une insuffisance coronarienne.
[15] La succession de monsieur Tétrault soumet une réclamation à la CSST.
[16] Dans une décision rendue le 16 août 1999, la CSST refuse la réclamation au motif que l’activité qu’exerçait le travailleur au moment de son décès n’était pas reliée à la tâche de policier et que, sur le plan médical, il n’a pas été établi qu’il y avait relation entre la cause du décès et la course qui l’avait immédiatement précédée.
[17] Cette décision est confirmée par celle rendue à la suite d’une révision administrative le 5 septembre 2000.
[18] Dans une décision rendue le 16 juillet 2001[3], à la demande des parties, la Commission des lésions professionnelles s’interroge à savoir si la course aux flambeaux à laquelle avait participé le travailleur était une activité effectuée à l’occasion du travail. La Commission des lésions professionnelles conclut que la course aux flambeaux à laquelle a participé le travailleur était un événement connexe au travail de policier et que celui-ci était, à cette occasion, un travailleur ayant droit aux bénéfices de la loi. La Commission des lésions professionnelles précise que reste à être entendue la question du lien entre cet événement et la lésion cardiaque ayant entraîné le décès du travailleur.
[19] À la demande de la succession, le docteur Denis Hamel, cardiologue, produit un rapport d’expertise en date du 4 février 1999. Celui-ci rapporte que monsieur Tétrault jouissait d’une excellente santé, qu’il était très sportif et qu’il faisait régulièrement la distance séparant son domicile de son lieu de travail à vélo. Il note de plus que, selon l’épouse de monsieur Tétrault, celui-ci n’aurait pas présenté de malaises évocateurs de maladie coronarienne durant les semaines ou les mois qui ont précédé l’événement fatal. Le docteur Hamel rappelle que, cinq ans auparavant, monsieur Tétrault avait été évalué par le docteur Michel Joyal, cardiologue, en raison de malaises peu spécifiques avec sensation de d’oppression, de nausées et d’éructations. Les différents tests se sont révélés normaux et le docteur Joyal avait conclu que monsieur Tétrault jouissait d’une bonne santé cardio-vasculaire.
[20] Le docteur Hamel conclut de la façon suivante :
[…]
Nous sommes persuadés que Monsieur Tétrault est décédé suite à un infarctus aigu du myocarde probablement compliqué d’arythmie sous forme de tachycardie ventriculaire ou de fibrillation ventriculaire qui ont amené cette mort subite. Nous croyons que le contexte effort, stress d’organisation, désir de bien paraître pour être un modèle vis-à-vis ses confrères et vis-à-vis la population, ont certainement participé à précipiter cet infarctus aigu du myocarde.
[…]
[21] De l’avis du docteur Hamel, de nombreuses études cliniques ou pathologiques ont démontré que l’infarctus du myocarde survient la plupart du temps suite à une rupture d’une plaque athéromateuse. Souvent, ces plaques sont tout à fait asymptomatiques et, lors d’un effort, d’un stress ou de la combinaison des deux, une rupture de cette plaque peut survenir occasionnant un caillot intra-coronarien qui obstrue la coronaire et engendre une privation d’oxygène pouvant causer une ischémie myocardique à l’origine d’arythmie sévère pouvant causer le décès.
[22] Dans un rapport daté du 30 juin 1999, le docteur Jean Binda, médecin-conseil auprès de la Communauté Urbaine de Montréal, commente l’opinion médicale du docteur Denis Hamel. Comme le signale le docteur Hamel, le docteur Binda reconnaît que les études cliniques et pathologiques ont montré que l’infarctus du myocarde survient après une rupture d’une plaque athéromateuse. Il ajoute cependant que cette plaque est témoin d’un dommage épithélial qui existait avant l’événement. Il considère que le patient était donc déjà porteur d’une pathologie coronarienne encore silencieuse qui a évolué dans le temps. Notant que le policier est un adepte d’activités physiques, particulièrement le fait que celui-ci parcourait souvent la distance séparant son domicile de son lieu de travail à bicyclette, le docteur Binda émet l’avis que la course à pied du 3 octobre 1998 n’était pas un effort exceptionnel ni inhabituel. Il conclut que, dans ce cas, l’infarctus est le résultat de l’évolution de la maladie cardiaque athérosclérotique qui s’est manifestée de façon soudaine et que cet événement coronarien est le résultat d’une condition personnelle.
[23] À la demande de l’employeur, le docteur François Sestier, cardiologue, produit un rapport d’expertise en date du 25 octobre 2001. Le docteur Sestier explique la physiopathologie des événements coronariens aigus. En résumé, les événements coronariens aigus sont dus, d’une part, à la rupture ou la fissure d’une plaque athéromateuse qui est alors accompagnée d’un caillot, ce qui peut provoquer une douleur d’angine, un infarctus du myocarde ou, si l’ischémie provoque une arythmie qui dégénère en une fibrillation ventriculaire, peut provoquer la mort subite. Dans le cas de monsieur Tétrault, le docteur Sestier considère qu’il est probable que monsieur Tétrault a présenté une ischémie soudaine par rupture de plaque, sans qu’on puisse parler d’infarctus, l’événement étant trop soudain. Il précise cependant que l’ischémie soudaine est suffisante pour provoquer l’arythmie sans qu’il ait eu à proprement parler d’infarctus du myocarde.
[24] En ce qui a trait particulièrement à la relation entre l’effort physique déployé durant la course et le décès de monsieur Tétrault, le docteur Sestier souligne particulièrement le fait que les ruptures de plaque surviennent surtout durant la matinée et que 80 % des événements coronariens surviennent sans aucun élément déclenchant et semblent liés à la rupture aléatoire d’une plaque d’athérome avec obstruction coronarienne. Il souligne le fait que le patient n’avait aucun facteur de risque connu pour une maladie cardio-vasculaire mais que celui-ci avait fort probablement, comme la plupart des nord-américains, des plaques d’athérome dont une s’est rompue avec thrombus surajouté, arythmie et décès subséquent.
[25] Le docteur Sestier porte à notre connaissance le fait que l’exercice vigoureux diminue le risque de mort subite et que le niveau d’exercice n’est pas en relation avec le risque général de mort subite. Le docteur Sestier conclut que monsieur Tétrault a fait bien d’autres exercices physiques, qu’il était parfaitement entraîné, ce qui diminuait même le risque de mort subite. Il conclut que le décès de monsieur Tétrault est lié à une rupture de plaque avec thrombose, arythmie secondaire et que cette plaque doit être considérée comme étant une condition personnelle.
[26] À l’audience, le docteur Denis Hamel témoigne à la demande de la succession et le docteur Sestier, à la demande de l’employeur. Les deux témoins experts s’entendent sur la physiopathologie de l’événement coronarien aigu subi par monsieur Tétrault, soit une rupture de plaque avec thrombose et arythmie secondaire ayant entraîné le décès. Leurs opinions divergent cependant en ce qui a trait à la relation entre l’effort déployé durant la course et le décès du travailleur.
[27] Le docteur Hamel souligne particulièrement le fait que monsieur Tétrault est décédé dans les minutes qui ont suivi la course à pied. Bien que l’exercice modéré soit une bonne mesure de prévention, l’exercice vigoureux augmente les risques d’accidents coronariens et peut entraîner le décès. Bien que dans 80 % des cas, il ne soit pas possible d’identifier un événement particulier comme étant responsable de la mort subite, dans 20 % des cas, un tel événement peut être identifié, ce qui est le cas dans le présent dossier. Le docteur Hamel émet l’avis que monsieur Tétrault n’effectuait pas régulièrement des activités physiques intenses et considère que le cumul du stress relié à l’organisation de l’événement, le fait de s’être rendu sur le site à vélo et l’effort vigoureux déployé durant la course, sont les causes du bris de plaque qui a entraîné le décès. Un tel exercice intense augmente la pression sanguine qui peut causer un bris de plaque et entraîner un accident coronarien comme celui présenté par monsieur Tétrault.
[28] Pour sa part, le docteur Sestier réitère son avis à l’effet qu’une bonne condition physique et l’exercice physique préviennent les risques cardiaques. Ce qui est dangereux, c’est l’exercice violent chez une personne qui n’est pas entraînée. Monsieur Tétrault présentait une bonne condition physique, le fait qu’il effectuait régulièrement le trajet aller-retour du domicile jusqu’au travail, soit un trajet de 15 à 20 kilomètres pour un aller simple, témoigne de sa bonne condition physique. Dans ce contexte, l’effort effectué dans le cadre d’une course aux flambeaux de quelques kilomètres n’a rien d’inhabituel ni de violent et ne peut avoir causé la rupture de la plaque et avoir entraîné le décès du travailleur. D’ailleurs, dans la très grande majorité des cas, aucun événement déclenchant ne peut être identifié. En ce qui concerne l’effort déployé, une course à allure modérée ou un jogging de quelques kilomètres n’est pas plus exigeant qu’une randonnée à bicyclette. Finalement, les événements coronariens aigus se produisent au cours des trois heures suivant le réveil. Le docteur Sestier réitère son avis à l’effet qu’il n’y a aucun lien de cause à effet entre la course à laquelle a participé monsieur Tétrault et son décès, cette activité ne pouvant être considérée comme un effort violent pour une personne qui présente une bonne forme physique.
[29] Madame Diane Gervais, épouse de feu Robert Tétrault, témoigne à l’audience. Elle confirme que son époux n’a jamais présenté de symptômes d’un quelconque problème cardiaque avant son décès, particulièrement dans les jours et les semaines qui ont précédé l’événement. Elle confirme que, depuis l’année précédente, monsieur Tétrault se rendait régulièrement à son travail à bicyclette selon son horaire de travail, soit environ deux fois par semaine durant la saison estivale. Le trajet aller simple est d’environ 15 à 20 kilomètres. Durant leurs temps libres, ils faisaient occasionnellement des randonnées à vélo et de la marche. Monsieur Tétrault n’effectuait aucun entraînement physique particulier ni ne s’adonnait à des activités sportives intenses. À quelques reprises, avant la course, il avait fait du jogging dans le but de se préparer.
L'AVIS DES MEMBRES
[30] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le travailleur est décédé des conséquences d’une lésion professionnelle. L’effort déployé dans le cadre de la course constitue un effort inhabituel et le fait que le décès soit survenu immédiatement après la course favorise la reconnaissance du lien entre le décès et l’effort déployé durant la course. Le travailleur présentait cependant une condition personnelle le prédisposant à un tel accident coronarien.
[31] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le décès du travailleur constitue une lésion professionnelle compte tenu que l’événement est hors de l’ordinaire, que le travailleur était en bonne forme physique et que le décès est survenu immédiatement après la course. Considérant la preuve médicale présentée par le docteur Hamel, on doit reconnaître que l’infarctus est relié au cumul de trois facteurs importants, soit le fait que le travailleur s’est rendu à bicyclette sur les lieux de l’événement, le stress de l’organisation de l’activité et la course de 2.3 kilomètres.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est décédé suite à une lésion professionnelle survenue le 3 octobre 1998.
[33] Sur le plan médical, les médecins conviennent que le travailleur est décédé d’une rupture de plaque d’athérome ayant provoqué l’arythmie et le décès.
[34] Une telle condition ne réfère pas une blessure mais plutôt à une maladie coronarienne et, pour être reconnue comme étant une lésion professionnelle, cette maladie doit être survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[35] Dans sa décision rendue le 16 juillet 2001[4], la Commission des lésions professionnelles a établi que la course aux flambeaux à laquelle a participé le travailleur était un événement connexe à son travail de policier et, qu’à cette occasion, celui-ci était un travailleur ayant droit aux bénéfices de la loi. Reste à déterminer si la preuve prépondérante permet de reconnaître qu’est survenu un événement imprévu et soudain à l’occasion du travail et s’il existe une relation entre cet événement et la maladie cardiaque qui s’est manifestée à cette occasion.
[36] Sur le plan médical, deux interprétations divergentes se côtoient. Le médecin de l’employeur ne voit aucune relation causale entre l’effort déployé durant la course et la rupture de plaque avec thrombose ayant entraîné le décès, cette maladie devant être considérée comme une condition personnelle. D’autre part, le médecin de la succession considère que l’effort fourni au moment de la course, qui s’ajoute au stress de l’organisation et à la randonnée à bicyclette ayant précédée l’événement, ont participé et contribué à précipiter la rupture de plaque et le décès qui s’en est suivi.
[37] À différentes reprises, la Commission des lésions professionnelles a été confrontée à ces deux thèses dans les cas de lésion cardiaque.
[38] La jurisprudence reconnaît que le fait de fournir un effort physique peut constituer, en certaines circonstances, l’événement imprévu et soudain auquel fait référence la définition d’accident du travail. Dans l’affaire Les entrepreneurs miniers Talpa et André Blanchette,[5] le commissaire Claude Bérubé a ainsi résumé les conditions nécessaires à la reconnaissance du caractère professionnel d’une lésion cardiaque.
[…]
La Commission des lésions professionnelles est plutôt d’avis que la jurisprudence majoritaire sur la question de l’admissibilité du caractère professionnel d’une lésion cardiaque, tel l’infarctus du myocarde, indique que le travailleur doit non seulement avoir fourni un effort physique important, mais encore que cet effort doit revêtir un caractère inhabituel par rapport à l’occupation habituelle du travailleur.
[…]
[39] De même, dans l’affaire June Lallemand, Les autobus Lloyld inc et CSST Laurentides[6], le commissaire Jean-François Martel convient que pour constituer un événement imprévu et soudain au sens de la loi, il faut qu’il s’agisse d’un effort important ou excessif d’une part et, d’autre part, inhabituel pour le travailleur en cause.
[40] Dans la présente affaire, le soussigné est d’avis que lors de la course sur une distance de 2.3 kilomètres, le travailleur a non seulement fourni un effort physique important, mais cet effort était de plus inhabituel par rapport à son occupation ainsi que par rapport à ses activités habituelles. Dans le cadre de son travail de policier, une course de plus de 2 kilomètres est certainement une activité inhabituelle. Même dans le cadre de ses activités de loisir, bien que celui-ci effectuait régulièrement des trajets journaliers de 30 à 40 kilomètres, une telle activité de randonnée à bicyclette ne constitue pas une activité aussi intense pouvant entraîner, sur une courte période, une augmentation aussi importante de la pression sanguine pouvant provoquer le bris d’une plaque athéromateuse à l’origine du décès du travailleur. Bien que le travailleur ait présenté une bonne condition physique, la course est une activité à laquelle il ne s’adonnait pas et une telle course constitue un effort physique important et inhabituel par rapport à son occupation et que ses loisirs habituels.
[41] Reste à déterminer si cet événement, qui peut être qualifié d’imprévu et soudain, est la cause de la lésion cardiaque ayant entraîné le décès.
[42] Le travailleur ne présentait aucune maladie coronarienne préexistante connue. Bien qu’en 1993 il ait consulté en raison de douleurs rétrosternales à l’effort, les rapports de consultation médicale concluent à des malaises atypiques plutôt d’origine digestive. Un électrocardiogramme, une radiographie pulmonaire ainsi qu’une épreuve d’effort graduée à l’Institut de cardiologie de Montréal se sont révélés normaux. De plus, le travailleur était non-fumeur et, au niveau de l’histoire familiale, aucun proche ne présente de maladie coronarienne. L’incident cardiaque survenu au travailleur, n’est donc pas l’aboutissement inévitable d’une maladie coronarienne symptomatique et connue.
[43] Le docteur Sestier considère malgré tout qu’une rupture de plaque avec thrombose doit être considérée comme étant reliée à une condition personnelle puisqu’un tel accident coronarien survient généralement sans aucun élément déclenchant et serait plutôt lié à la rupture aléatoire d’une plaque d’athérome.
[44] Comme le souligne le docteur Hamel, il n’en demeure pas moins que dans 20 % des cas, un élément déclencheur est identifiable et l’exercice vigoureux et inhabituel peut être cet élément déclencheur. Dans le cas présent, l’accident coronarien est survenu immédiatement après la course. Même si cette concomitance dans le temps ne suffit à établir le lien entre l’accident coronarien et la course, cette concomitance favorise la reconnaissance d’un tel lien entre un événement, que le tribunal considère comme étant intense et inhabituel, et le décès survenu dans les minutes qui ont suivi la course.
[45] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve prépondérante au dossier permet de reconnaître que l’effort inhabituel déployé durant la course, qui présente un caractère imprévu et soudain, a constitué le facteur déclenchant et a causé la rupture de plaque avec thrombose et arythmie secondaire ayant entraîné le décès du travailleur. Celui-ci étant décédé des conséquences d’une lésion professionnelle, la succession a droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la succession de monsieur Robert Tétrault;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 septembre 2000 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Robert Tétrault est décédé des conséquences d’une lésion professionnelle subie le 3 octobre 1998 et, qu’en conséquence, la succession a droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
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JEAN-MARC CHARETTE |
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Commissaire |
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CLERMONT, CANUEL, ROY (AVOCATS) |
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(Me Michel Canuel) |
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Représentant de la partie requérante |
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LEDUC, BÉLANGER & ASS. |
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(Me Gilles Dubé) |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Succession Robert Tétrault et Service de police de la Communauté Urbaine de Montréal, C.L.P. 146199-603-0009, 16 juillet 2001, R. Brassard.
[3] Précitée en 2.
[4] Précitée en 2.
[5] Les Entrepreneurs Miniers Talpa et André Blanchette, C.L.P. 90797-08-9708, 20 octobre 1998, C. Bérubé.
[6] June
Lallemand, Les autobus Lloyld inc. et CSST
Laurentides, C.L.P. 131135-64-0002, 9 janvier 2001,
J.-F. Martel.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.