Kotania (Succession de) |
2010 QCCLP 8343 |
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[1] Le 25 novembre 2008, la succession de feu Chester Kotania (le travailleur) dépose une contestation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 octobre 2008, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision antérieure rendue le 20 juin 2008, refusant la réclamation du travailleur pour une maladie pulmonaire professionnelle.
[3] Le 12 août 2010, la Commission des lésions professionnelles tient une audience en présence d’un représentant de la succession du travailleur et de leur procureur.
[4] La Commission des lésions professionnelles note qu’aucun employeur n’a été convoqué au présent dossier puisque après vérification, toutes les entreprises pour lesquelles le travailleur a œuvré sont maintenant fermées.
[5] La Commission des lésions professionnelles a accordé un délai à la requérante pour produire, après l’audience, une expertise médicale et une argumentation écrite. Ces documents ont été reçus à la Commission des lésions professionnelles le 26 octobre 2010. C’est à cette date que le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La succession du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que ce dernier était atteint d’un cancer pulmonaire et que son cancer est une maladie professionnelle causée par son exposition à l’amiante. La succession du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur avait droit aux bénéfices prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), y compris l’indemnité reliée à un déficit anatomo-physiologique. La succession demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le cancer pulmonaire, soit la maladie professionnelle, a entraîné le décès du travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la preuve établit que le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire causé par son exposition à l’amiante. Ils sont d’avis que le décès du travailleur est en relation avec le cancer pulmonaire qui l’affectait et que la requête de la succession du travailleur devrait être accueillie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire et si ce cancer est relié à son exposition à l’amiante.
[9] Aux fins de rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles retient les principaux éléments de preuve suivants.
[10] Le 14 juin 2007, alors que le travailleur est âgé de presque 72 ans, il dépose une réclamation à la CSST. Il écrit qu’il est atteint d’un cancer du poumon et qu’il a travaillé avec de l’amiante au Québec.
[11] Le 14 juin 2007, le docteur James Gruber, pneumologue, émet un rapport médical destiné à la CSST où il diagnostique un cancer du poumon et précise que le travailleur a été exposé à l’amiante. Il note que le travailleur présente des plaques pleurales qui peuvent être liées à de l’amiantose. Ce rapport médical est joint à la réclamation du travailleur.
[12] Le 19 juin 2007, le travailleur écrit à la CSST pour donner le détail des emplois qu’il a occupés de 1964 à 1981 et au cours desquels, il a été exposé à l’amiante.
[13] Au cours de cette période, il a été soudeur, mais dans un domaine particulier. En effet, le travailleur a été le premier au Québec à être formé pour la soudure par aluminothermie. Ce procédé spécifique de soudure utilise de la poudre d’amiante afin d’isoler les pièces à être soudées des produits en fusion. Dans le cas du travailleur, ce procédé était essentiellement utilisé pour souder des rails de train. Nous retrouvons au dossier un article donnant le détail et les étapes du procédé de l’aluminothermie. Ainsi, on peut lire que pour chaque joint de rail soudé, cinq grammes de poudre d’amiante sont utilisés pour éviter que le produit de soudure fonde au contact du métal hautement chauffé, soit les rails elles-mêmes, chauffées jusqu’à ce qu’elles deviennent rouges.
[14] De 1964 à 1965, le travailleur a été à l’emploi de Payette Construction Co., à titre de soudeur pour la construction du métro de Montréal, en utilisant le procédé particulier ci-haut décrit.
[15] De 1965 à 1967, il a fait le même travail pour la compagnie Eastern Railway Siding Construction Co. lors de la construction du mini-rail pour l’Expo ’67. Par la suite, il a travaillé pour ce même employeur jusqu’en 1981, toujours à utiliser ce procédé spécifique de soudure, notamment, dans des mines du Québec.
[16] Compte tenu de la nature du diagnostic posé, la CSST achemine le dossier du travailleur au Comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément à article 226 de la loi:
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[17] Le 14 février 2008, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, composé de trois pneumologues, examine le travailleur. Ils doivent décider s’il y a une relation entre le cancer du poumon et une exposition à l’amiante.
[18] Lors de cet examen, le travailleur est accompagné de son fils Darren Kotania. Monsieur Darren Kotania témoigne. C’est lui qui a trouvé un article sur l’aluminothermie[2] en faisant des recherches sur Internet. Comme il s’agit d’un procédé particulier de soudure, peu de gens sont spécialisés avec ce type de travail. Il a donc fourni une copie de cet article afin que son père puisse adéquatement expliquer aux membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires en quoi consistait son travail de soudeur des rails de train.
[19] À la section histoire professionnelle, les pneumologues de ce comité estiment que l’exposition à l’amiante, selon l’article fourni, était importante. Comme le travailleur était expert dans ce procédé particulier, son exposition était quotidienne et fréquente entre 1964 et 1981.
[20] Le cancer pulmonaire a été découvert en 2007. Le 25 février 2007, le travailleur a subi une biopsie à l’aiguille qui a démontré un cancer du poumon non à petites cellules mal définies. En décembre 2007, d’importantes métastases ont été découvertes au niveau de la colonne vertébrale. À cause de la destruction osseuse, le travailleur a reçu des traitements de radiothérapie ainsi que des injections de ciment.
[21] Les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires notent que le travailleur a commencé à fumer à l’âge de 16 ans et qu’il a fumé un paquet de cigarettes par jour jusqu’au mois d’avril 2007, date à laquelle il a cessé. Son tabagisme est estimé à 55 paquets-année (c’est la valeur utilisée par les pneumologues pour un paquet par jour pendant 55 ans).
[22] Après avoir procédé à l’examen physique, les membres de ce comité sont d’avis, même si le réclamant n’a pas un diagnostic d’amiantose, que l’exposition du travailleur à l’amiante était importante et ils considèrent que son cancer du poumon est d’origine professionnelle. Ils évaluent un déficit anatomo-physiologique totalisant 115 % et considèrent que le travailleur est totalement invalide à cause de sa condition pulmonaire professionnelle.
[23] Le rapport de ce comité est transmis par la CSST à un comité spécial (le Comité spécial des présidents), composé de trois pneumologues, et ce, conformément à l’article 231 de la loi :
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
[24] Le 2 avril 2008, les membres du Comité spécial des présidents ont étudié le dossier du travailleur. Ils ont rédigé leur avis le 3 avril 2008. Ils n’acceptent pas que le cancer métastatique du travailleur soit d’origine professionnelle. Ils reconnaissent que le travailleur a été exposé à de l’amiante en faisant son travail comme soudeur de type aluminothermique. Cependant, devant l’importance du tabagisme du travailleur, ils considèrent que l’exposition à l’amiante en milieu de travail n’était pas d’une intensité suffisante pour conclure que son travail soit la cause de son cancer, retenant plutôt que son tabagisme important en est la cause.
[25] Les membres du Comité spécial des présidents précisent que s’il y avait des tissus disponibles pour faire des analyses tissulaires de fibres d’amiante ou de corps ferrugineux dans le tissu pulmonaire, ils souhaitent dans ce contexte réexaminer le dossier.
[26] L’avis du Comité spécial des présidents est reçu à la CSST le 15 avril 2008, comme l’indique une note du médecin conseil de la CSST.
[27] Entre-temps, le dossier révèle que le travailleur est hospitalisé depuis le 10 mars 2008, en raison d’une détérioration de son état de santé, causée par son cancer.
[28] La conjointe du travailleur téléphone à l’agente de la CSST le 9 avril 2008. Elle s’informe sur la possibilité d’obtenir de l’aide à domicile puisque son mari souhaite revenir à la maison.
[29] Le 21 avril 2008, la conjointe du travailleur téléphone à nouveau à l’agente pour s’informer de la possibilité d’obtenir de l’aide personnelle à domicile si son mari revient à la maison puisqu’il est toujours hospitalisé. L’agente de la CSST lui dit qu’elle doit attendre les résultats des comités des maladies professionnelles pulmonaires avant d’évaluer les besoins d’aide à domicile.
[30] La Commission des lésions professionnelles note, bien que l’avis du Comité spécial des présidents soit reçu à la CSST le 15 avril 2008, manifestement lors de cette conversation téléphonique le 21 avril 2008, l’agente d’indemnisation n’est pas au courant de cet avis.
[31] Le 24 avril 2008, la conjointe du travailleur téléphone à la CSST pour les informer du décès de son mari.
[32] Ni le 21 avril 2008 ni le 24 avril 2008, l’agente d’indemnisation de la CSST informe l’épouse du travailleur de demander une autopsie ou une analyse des tissus pulmonaires, tel que suggéré par le Comité spécial des présidents, afin de déterminer la présence de fibre d’amiante dans les tissus du poumon. Aucune autopsie n’est pratiquée sur le travailleur. La cause du décès ne faisait aucun doute pour la succession. Le décès était lié au cancer.
[33] Le 20 juin 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le cancer métastatique du travailleur n’est pas d’origine professionnelle.
[34] Le 24 octobre 2008, la CSST confirme cette décision à la suite d’une révision administrative. C’est de cette décision dont est saisie la Commission des lésions professionnelles.
[35] L’article 29 de la loi prévoit que certaines maladies sont présumées être en relation avec le travail si le travailleur est atteint d’une maladie visée à l’annexe I de la loi. Cet article est libellé comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
[36] La section V de l’annexe I, à laquelle renvoie l’article 29 de la loi, prévoit spécifiquement certaines maladies reliées à un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante. Le paragraphe 1 de la section V est libellé comme suit :
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MALADIES GENRES DE TRAVAIL
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1. Amiantose, cancer un travail impliquant une exposition
pulmonaire ou à la fibre d’amiante;
mésothéliome causé
par l’amiante :
[37] Ainsi, si la preuve établit que le travailleur a effectué un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante et qu’il est atteint d’une des maladies prévues à la section V de l’annexe I, il bénéficie alors de la présomption de maladie professionnelle, telle que prévue à l’article 29 de la loi. En effet, l’application de la présomption de l’article 29 fait présumer et conclure à un lien de causalité entre le travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante et la maladie prévue à l’annexe I, dont est atteint le travailleur.
[38] Dans la présente cause, la preuve établit, et elle est reconnue de tous les intervenants, que le travailleur a effectué un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante.
[39] La Commission des lésions professionnelles retient cette conclusion à partir des éléments de preuve suivants.
[40] La technique de l’aluminothermie, décrite dans un article contenu au dossier du travailleur, démontre clairement l’utilisation de la poudre d’amiante lors de ce procédé de soudure particulier, utilisé pour les rails de chemin de fer.
[41] La Commission des lésions professionnelles a entendu comme témoin monsieur Pierre Bonaventure, ancien collègue de travail du travailleur. Monsieur Bonaventure est un technicien en arpentage maintenant à la retraite. Il a travaillé pendant de nombreuses années en équipe avec le travailleur à la pose de rails du métro de Montréal. Il a confirmé la particularité du procédé de soudure de l’aluminothermie que faisait le travailleur. Il mentionne que le travailleur portait des lunettes protectrices mais aucune protection pour la respiration.
[42] Lors de leur examen le 14 février 2008, les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires ont eu le bénéfice de la lecture de l’article concernant le procédé d’aluminothermie et des explications du travailleur quant à ce procédé. Ils ont conclu que le travailleur a eu une exposition à l’amiante importante.
[43] Lors de l’étude du dossier du travailleur par le Comité spécial des présidents, les membres ont également reconnu, dans leur avis, que le travailleur a été exposé à de l’amiante en faisant son travail comme soudeur de type aluminothermique.
[44] Dans une expertise datée du 19 octobre 2010, reçue à la Commission des lésions professionnelles le 26 octobre 2010, le docteur James Gruber, pneumologue traitant du travailleur, rapporte que le travailleur a été exposé à l’amiante régulièrement dans son travailleur de soudeur par la technique de l’aluminothermie.
[45] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur a fait un travail l’ayant exposé à la fibre d’amiante. Reste maintenant à déterminer la maladie dont était atteint le travailleur pour décider si la présomption prévue à l’article 29 de la loi trouve application.
[46] Dès le 14 juin 2007, le docteur Gruber diagnostique un cancer pulmonaire et précise que le travailleur a travaillé avec l’amiante et présente des plaques pleurales sans doute reliées à l’amiante.
[47] Dans son avis, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires conclut que le travailleur présente un cancer du poumon qui est d’origine professionnelle.
[48] Quant au Comité spécial des présidents, il est d’avis que le cancer métastatique du travailleur n’est pas d’origine professionnelle mais plutôt attribuable à son tabagisme important.
[49] Dans son expertise, le docteur Gruber conclut qu’il ne fait aucun doute pour lui que le travailleur était atteint d’un cancer de type primaire au lobe supérieur du poumon gauche qui, par la suite, a causé des métastases. Il tire cette conclusion de l’analyse de différents examens pratiqués chez le travailleur au début de son suivi médical au printemps 2007. Il retient, notamment, les résultats d’un PET Scan pratiqué le 29 mai 2007 qui conclut à un néoplasme primaire au poumon gauche. D’autres examens et tests pratiqués l’amènent également à conclure incontestablement à un cancer primaire du poumon chez le travailleur.
[50] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve prépondérante établit au dossier que le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire primaire au poumon gauche ayant par la suite donné une maladie métastatique. Cette précision a son importance dans la mesure où le Comité spécial des présidents concluait à un cancer métastatique chez le travailleur. Il devenait dès lors important de préciser l’origine primaire du cancer dont était atteint le travailleur.
[51] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire qui a par la suite causé une maladie métastatique. Subsidiairement, la Commission des lésions professionnelles ajoute que pour bénéficier de l’application de la présomption édictée à l’article 29, un travailleur n’a pas à établir comme diagnostic « un cancer pulmonaire causé par l’amiante ». En effet, l’analyse grammaticale du paragraphe 1 de la section V de l’annexe I et cette conclusion ont déjà été faites par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, prédécesseur de la présente Commission des lésions professionnelles (Succession Clément Guillemette et J.M. Asbestos inc.[3]). Ainsi, la preuve révèle que le travailleur était atteint d’un cancer pulmonaire et qu’il a eu une exposition à l’amiante dans son travail. Ces éléments suffisent à l’application de la présomption édictée à l’article 29 de la loi. Le travailleur est donc présumé avoir été atteint d’une maladie professionnelle.
[52] Cette présomption peut être renversée. Les membres du Comité spécial des présidents ont laissé entendre qu’une analyse des tissus pulmonaires montrant la présence ou l’absence de fibre d’amiante aurait pu les amener à une conclusion différente ou confirmer la leur. Dans la présente cause, il n’y a pas eu d’autopsie pratiquée chez le travailleur, la CSST ayant omis d’informer la succession de cette ouverture de la part du Comité spécial des présidents. Les résultats de l’analyse des tissus pulmonaires du travailleur auraient pu conduire à un débat d’experts comme ce fut le cas dans l’affaire Gaétan Veillette[4].
[53] La Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucun élément de preuve basé sur une analyse des tissus pulmonaires du travailleur afin de repousser l’application de la présomption.
[54] En fait, le seul élément de preuve au dossier qu’a retenu le Comité spécial des présidents pour conclure à l’absence de relation causale entre le cancer du poumon du travailleur et l’exposition à l’amiante au travail, est le tabagisme du travailleur. Sur cet aspect précis, la Commission des lésions professionnelles retient que les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires étaient parfaitement au courant du tabagisme du travailleur puisqu’ils en font état dans leur avis du 14 février 2008. Or, en raison de l’histoire professionnelle du travailleur, ils ont conclu, même en l’absence d’un diagnostic d’amiantose, que le cancer du poumon du travailleur est dû à son exposition importante à l’amiante. C’est également la conclusion à laquelle arrive le docteur Gruber dans son expertise du 19 octobre 2010. L’histoire professionnelle du travailleur, ainsi que les résultats de radiologie, l’amène à conclure que le travailleur a été exposé à une quantité d’amiante semblable à d’autres de ses patients atteints de cancer pulmonaire pour qui la CSST a reconnu le lien causal, et ce, indépendamment de l’historique de fumeur. À ce titre, il partage entièrement la conclusion du Comité des maladies professionnelles pulmonaires quant à l’exposition à l’amiante importante chez le travailleur.
[55] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la conclusion du Comité spécial des présidents à l’effet que le cancer du poumon chez le travailleur est relié à son tabagisme plutôt qu’à son exposition à l’amiante n’est pas prépondérante.
[56] La Commission des lésions professionnelles retient que pour le Comité spécial des présidents, tout en reconnaissant que le travailleur a été exposé à de l’amiante à son travail, il ne l’a pas été à une intensité suffisante pour imputer à cette exposition son cancer. Les membres de ce comité retiennent plutôt son tabagisme important. Tout en reconnaissant l’expertise des trois pneumologues membres du Comité spécial des présidents, la Commission des lésions professionnelles s’interroge sur le degré d’intensité suffisante auquel font référence les membres de ce comité quant à l’exposition à l’amiante. La Commission des lésions professionnelles n’a aucun indice pour déterminer à partir de quelle intensité d’exposition à l’amiante, les membres de ce comité seraient arrivés à une conclusion contraire.
[57] C’est comme si les membres du Comité spécial des présidents ont retenu que le tabagisme est une cause probable du cancer du poumon du travailleur et qu’ils relient le cancer pulmonaire au tabagisme jusqu’à preuve du contraire. En effet, ils demandent à la CSST que s’il y avait des tissus disponibles pour faire des analyses tissulaires de fibres d’amiante ou de corps ferrugineux dans le tissu pulmonaire du travailleur, ils souhaitent dans ce contexte réexaminer le dossier.
[58] Le tabagisme est une cause connue du développement du cancer pulmonaire. L’exposition à la fibre d’amiante l’est aussi. Le législateur a choisi d’édicter une présomption de maladie professionnelle pour les travailleurs atteints de cancer pulmonaire et ayant eu une exposition à la fibre d’amiante à leur travail. Le législateur n’a pas choisi, dans le libellé de la présomption légale, d’exclure du bénéfice de l’application de cette présomption les travailleurs fumeurs.
[59] Dès lors, afin de renverser la présomption légale de maladie professionnelle dont bénéficie le travailleur dans la présente cause, il faut des éléments de preuve probants et prépondérants que son cancer pulmonaire est attribuable à une autre cause que l’exposition à l’amiante. Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve ne permet pas de conclure que le cancer pulmonaire du travailleur est attribuable, de façon prépondérante, à son tabagisme plutôt qu’à son exposition à l’amiante. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la présomption légale de maladie professionnelle dont bénéficie le travailleur n’a pas été renversée[5].
[60] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a lieu de retenir les conclusions du Comité des maladies professionnelles pulmonaires quant à l’origine du cancer pulmonaire du travailleur ainsi que leur évaluation du déficit anatomo-physiologique, soit 115 %.
[61] La succession du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le décès du travailleur est relié à la maladie professionnelle reconnue.
[62] Dans la présente cause, tel qu’en fait foi l’expertise du docteur Gruber et du suivi médical du travailleur, il ne fait aucun doute que le travailleur est décédé des suites de son cancer pulmonaire.
[63] Tout comme dans l’affaire succession Gaétan Veillette[6], la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle possède la compétence pour se prononcer sur le lien de causalité entre le décès du travailleur et la maladie professionnelle dont il est atteint. Lorsque, comme dans la présente affaire, la CSST a rendu sa décision de refus après que le travailleur soit décédé, il est clair qu’implicitement elle décide également que le décès n’est pas en lien avec une maladie d’origine professionnelle. Dès lors, la Commission des lésions professionnelles doit également se prononcer sur cette question si la demande lui est faite. Voici comment la Commission des lésions professionnelles s’est exprimée à ce sujet dans l’affaire Gaétan Veillette :
[59] Il est vrai que la CSST ne s’est pas prononcée formellement sur le droit de la succession du travailleur aux indemnités de décès prévues à la loi mais elle n’avait nul besoin de le faire, puisqu’elle a conclu que le cancer pulmonaire dont le travailleur est décédé n’est pas une maladie professionnelle.
[60] En l’espèce, nul ne conteste le fait que le travailleur soit décédé des suites de son cancer pulmonaire. Dans les circonstances, il serait contraire à une bonne administration de la justice de renvoyer le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur le droit de la succession du travailleur aux indemnités de décès.
[64] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur était atteint d’une maladie professionnelle qui a entraîné un déficit anatomo-physiologique évalué par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Cette maladie professionnelle a causé le décès du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Chester Kotania (succession);
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, rendue le 24 octobre 2008, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Chester Kotania était atteint d’une maladie professionnelle, soit un cancer pulmonaire;
DÉCLARE que monsieur Chester Kotania avait droit aux bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en relation avec sa maladie professionnelle;
DÉCLARE que le décès de monsieur Chester Kotania résulte sa maladie professionnelle;
DÉCLARE que les bénéficiaires identifiés à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ont droit aux bénéfices prévus par la loi en relation avec le décès.
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Line Vallières |
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Me Robert Guimond |
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F.A.T.A. - MONTRÉAL |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Rajeev SHRIVASTAVA, « Thermit (Aluminothermic) Welding Method for Rail Joints », dans IRFCA the Indian Railways Fan Club, [En ligne], <http://www.irfca.org/docs/thermit-welding.html> (Page consultée le 13 février 2008).
[3] Succession Clément Guillemette et J.M. Asbestos inc. [1991] C.A.L.P. 309 ; requête en révision judiciaire accueillie, [1992] C.A.L.P. 1640 (C.S.); appel rejeté, [1996] C.A.L.P. 1342 (C.A.); pourvoi accueilli, [1998] C.A.L.P. 585 (C.S.C.).
[4] Veillette et John F. Wickenden & cie ltée, C.L.P. 362910-31-0811, 28 octobre 2009, G. Tardif.
[5] Bouchard (succession) et Logistec Arrimage inc., C.L.P. 357429-62-0809, 28 octobre 2010, L. Couture.
[6] Précitée, note 3.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.