Décision

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Loparis et Maisons Bellevue inc.

2011 QCCLP 4156

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

15 juin 2011

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

428606-62C-1012

 

Dossier CSST :

132573247

 

Commissaire :

Pascale Gauthier, juge administratif

 

Membres :

Jacques Lesage, associations d’employeurs

 

Nere Dutil, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Pedro Molina-Negro, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Alain Loparis

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Maisons Bellevue inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 31 décembre 2010, monsieur Alain Loparis (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 30 juin 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter la tonte de la pelouse de son domicile.

[3]           À l’audience, tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 2 mai 2011, seul le travailleur est présent. Maisons Bellevue inc. (l’employeur) est absent, quoique dûment convoqué.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande de reconnaître son droit au remboursement des coûts liés à la tonte de la pelouse de son domicile.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête du travailleur.  Il est d’avis que la tonte de la pelouse d’un terrain qui a une superficie de l’ampleur de celui du travailleur ne s’apparente pas à des travaux d’entretien courant d’un domicile. Il estime en outre surprenant que le propriétaire de l’endroit où le travailleur demeure lui demande d’entretenir une telle surface.

[6]           Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête du travailleur. À son avis, ce dernier doit entretenir un terrain inégal, qui comporte plusieurs pentes, bosses et trous. En tondant la pelouse de ce terrain, le travailleur subi des contrecoups à sa colonne vertébrale, ce qui va a l’encontre de ses limitations fonctionnelles.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le travailleur subit une lésion professionnelle le 7 novembre 2007 pour un diagnostic d’entorse lombaire.

[8]           Suivant un examen pratiqué par le docteur Karl Fournier, membre du Bureau d’évaluation médicale, la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 18 septembre 2008.

[9]           Une atteinte permanente de 2 % correspondant au code 204 004 pour une entorse dorsolombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées est retenue, ainsi que des limitations fonctionnelles de classe I, soit d’éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de :

-        Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 25 kg;

-        Travailler en position accroupie;

-        Ramper, grimper;

-        Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

-        Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).

 

 

[10]        Le 2 février 2009, la conseillère en réadaptation responsable du dossier du travailleur procède à l’évaluation de ses besoins en ce qui a trait aux travaux d’entretien courants de son domicile. Par une décision rendue le 12 février 2009, la CSST reconnaît que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter le déneigement de son espace de stationnement.

[11]        Le 13 mai 2009, la conseillère en réadaptation se rend au domicile du travailleur alors qu’il est absent. Sur un formulaire d’évaluation des travaux d’entretien, elle indique qu’il affirme se débrouiller en ce qui concerne la tonte de sa pelouse. Par une décision rendue le 1er juin suivant, la CSST reconnaît que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter le ratissage de son terrain une fois par année.

[12]        Une note évolutive consignée au dossier constitué par la CSST (le dossier) et datée du 29 juin 2010 indique ceci :

2010-06-29 11:05:59

 

Titre : retour d’appel du T

 

- CONTENU :

T voulait savoir si on payait les frais de tonte de pelouse. Message laissé que selon le dossier, seul le déneigement et le ratissage du terrain sont remboursable (Mme […] me confirme même que le T a un tracteur à pelouse)

 

T dit avoir remis une soumission et une facture de 2251,86$. Selon le dossier, nous n’avons reçu aucune facture ou soumission de ce montant. Message laissée à cet effet

 

2010-06-29 14:28:49

 

Titre : refus travaux d’entretien

 

- ASPECT LÉGAL :

coupe de la pelouse pour 2010 au montant de 2251,86$ remboursement refusé. Selon évaluation faite par Mme […] le 12 février 2009 et le 13 mai 2009, seul le ratissage du terrain et le déneigement sont remboursables.

 

[sic]

 

[13]        Le 30 juin 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle informe le travailleur qu’elle ne peut rembourser les frais concernant la tonte de sa pelouse pour l’année 2010 compte tenu des évaluations effectuées les 12 février et 13 mai 2009. Le travailleur demande la révision administrative de cette décision et, le 16 novembre 2010, la CSST confirme cette décision du 30 juin 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter la tonte de la pelouse de son domicile. Le travailleur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles, d’où le présent litige.

[14]        Le travailleur témoigne à l’audience. Il est locataire de la maison dans laquelle il demeure. Selon son témoignage, cette maison est située sur un terrain de 92 000 pieds carrés. Avant la survenance de sa lésion professionnelle, il tondait lui-même la pelouse de ce terrain à l’aide d’un tracteur dont il est propriétaire. Cette tâche, qu’il effectuait 20 ou 22 fois par année, lui prenait cinq ou six heures à chaque fois.

[15]        Après la survenance de sa lésion professionnelle, soit en 2008, la tonte de la pelouse a été effectuée par des membres de sa famille qui ne demeurent plus avec lui le jour de l’audience. Pour sa part, il tondait lui-même la pelouse aux endroits qui lui apparaissaient plus plats.

[16]        Il affirme avoir mentionné à l’agente de la CSST responsable de son dossier, en mai 2009, qu’il croyait être en mesure de tondre la pelouse lui-même. Cependant, en juillet et août 2009, cette tâche lui occasionnait tellement de douleurs qu’il a engagé une personne pour l’effectuer. En effet, son tracteur n’est pas muni d’une suspension efficace. Lorsqu’il effectue lui-même la tonte de la pelouse, il subit des contrecoups et des vibrations et il doit s’arrêter après une heure ou une heure et demie en raison de sa douleur. Le terrain comporte plusieurs pentes, dont certaines sont abruptes et ont plus de 30 degrés. Ce terrain comporte également de nombreux trous et de nombreuses bosses. Le travailleur se retrouve souvent penché d’un côté.

[17]        En 2010, le travailleur engage une entreprise et défraie le coût de la tonte de sa pelouse. Il affirme avoir remis à la CSST la facture de ces travaux.

[18]        À un moment, alors qu’il observe un employé de l’entreprise en train de tondre sa pelouse, le travailleur remarque que le tracteur laisse des traces de terre en raison des trous et des bosses que l’on retrouve sur le terrain.

[19]        Le travailleur dépose à l’audience des photographies du terrain et de son tracteur prises la veille de l’audience. Le tribunal constate que ces photographies démontrent un tracteur penché à plus de 30 degrés, des pentes, des arbres et des trous.

[20]        Le travailleur affirme que sur le terrain se trouvent 23 arbres, dont 12 sont des pommiers non entretenus qui ne procurent aucune source de revenus, que ce soit à lui ou au propriétaire.

[21]        Monsieur Francis Lafrenière témoigne à la demande du travailleur. Il est à l’emploi de l’entreprise qu’a embauché le travailleur en 2010. Il a déjà, lui-même, effectué la tonte de la pelouse du terrain du travailleur, à quelques reprises. Selon monsieur Lafrenière, il s’agit d’une tâche qui prend environ trois heures.

[22]        Pour effectuer cette tâche, monsieur Lafrenière utilise un tracteur hydrostatique. Il affirme que le terrain du travailleur comporte beaucoup de trous et de bosses, si bien qu’en raison de l’état de ce terrain, une pièce du tracteur hydrostatique s’est détachée à deux reprises et a dû être replacée, alors que ce tracteur est muni d’un bon moteur « Kawasaki » et d’un bon siège avec suspension.

[23]        Monsieur Lafrenière ajoute que ce terrain comporte plusieurs pentes, dont certaines sont d’une longueur de 20 pieds et d’autres de 50 pieds. Il estime que ces pentes sont d’environ 45 degrés.

[24]        En ce qui concerne les trous, il estime qu’ils sont de 4 à 6 pouces, et qu’on en retrouve partout sur le terrain.

[25]        Monsieur Lafrenière ajoute que l’entreprise dont il est à l’emploi a soumis « un estimé » de 2 251,86 $ pour l’année 2010, ce qui correspond à environ 100,00 $ par tonte.

[26]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais engagés pour la tonte de la pelouse de son domicile.

[27]        La CSST a déjà reconnu au travailleur le droit au remboursement de certains frais d’entretien courant de son domicile, soit les frais reliés à l’exécution du déneigement de son espace de stationnement et ceux reliés aux frais qu’il engage pour faire exécuter le ratissage de son terrain une fois par année.

[28]        La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a reconnu à maintes reprises que la tonte de la pelouse constitue un travail d’entretien courant au sens de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[29]        Le droit au remboursement des frais reliés à ce travail d’entretien courant est prévu à cet article 165, qui se lit comme suit :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[30]        Ce montant maximal de 1 500 $, établi en 1985, est de 2 847 $ en 2010 et de 2 895 $ en 2011.

[31]        Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, l’atteinte permanente grave s’analyse en regard de la capacité résiduelle du travailleur d’exercer les activités visées par l’article 165 de la loi. Cette capacité résiduelle est conséquente des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle reconnue. Dans ce contexte, le pourcentage d’atteinte permanente retenu n’est pas un critère unique et déterminant dans l’évaluation de la gravité de l’atteinte permanente au sens de l’article 165 de la loi[2].

[32]        En ce qui concerne la capacité du travailleur « d’effectuer les travaux d’entretien courants de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était que sa lésion professionnelle » en raison de 20 à 22 fois par année, malgré la superficie imposante de ce terrain. Il est d’ailleurs propriétaire d’un tracteur.

[33]        Dans le cas du travailleur, même si la superficie de ce terrain est imposante, la tonte de la pelouse constituait un travail d’entretien courant de son domicile, qu’il effectuait en cinq ou six heures. Monsieur Lafrenière, par ailleurs, a indiqué que cette tâche pouvait être accomplie en trois heures. De l’avis du tribunal, la superficie de ce terrain n’enlève pas, en l’espèce, le caractère « courant » de cette tâche.  De plus, il ne s’agit pas d’une terre commerciale générant des revenus pour le travailleur ou le propriétaire.

[34]        Le travailleur s’est vu reconnaître des limitations fonctionnelles en lien avec sa lésion professionnelle, dont celles d’éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).

[35]        De l’avis du présent tribunal, compte tenu du témoignage du travailleur, de monsieur Lafrenière ainsi que des photographies déposées à l’audience, le terrain du travailleur est manifestement inégal, comporte des bosses et est truffé de nombreux trous de 4 à 6 pouces. Une pièce du tracteur hydrostatique de monsieur Lafrenière a même dû être replacée à deux reprises en raison de l’état lamentable de ce terrain.

[36]        Le présent tribunal ne remet pas en doute le témoignage du travailleur à propos des douleurs lombaires qu’il a ressenties après avoir tenté de tondre lui-même la pelouse de son terrain pendant une heure ou une heure et demie. De l’avis du tribunal, il est tout à fait plausible que le travailleur, alors qu’il est assis sur un tracteur pendant la tonte de la pelouse, compte tenu de la présence de toutes ces bosses et de tous ces trous, subit des contrecoups à sa colonne vertébrale, allant directement à l’encontre de l’une de ses limitations fonctionnelles.

[37]        Parmi les limitations fonctionnelles retenues figure celle d’éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.

[38]        En l’espèce, le terrain du travailleur comporte des pentes de 30 à 45 degrés. Par moments, le tracteur est nécessairement placé de côté à des tels angles. Le travailleur est donc obligé d’effectuer un mouvement de flexion de la colonne lombaire pour ne pas tomber. La position que le travailleur est alors obligé d’adopter constitue un mouvement allant donc à l’encontre de l’une de ses limitations fonctionnelles.

[39]        Ainsi, compte tenu de l’entretien courant du domicile dont il est question en l’espèce, le présent tribunal est d’avis que le travailleur présente une atteinte permanente grave au sens de l’article 165 de la loi. Il effectuait cet entretien courant avant la survenance de sa lésion professionnelle. Les critères énoncés à l’article 165 de la loi sont donc rencontrés.

[40]        Le travailleur a donc droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire effectuer la tonte de sa pelouse. Pour l’année 2008, il n’a pas engagé de tels frais. En 2009, le travailleur affirme avoir engagé une personne, mais la preuve est imprécise quant aux travaux qui auraient été effectués et à la somme qui aurait été déboursée.

[41]        Cependant, pour l’année 2010, selon le témoignage de monsieur Lafrenière, le coût de la tonte de la pelouse du travailleur s’élèverait à 2 251,86 $. Il s’agit également du montant rapporté dans les notes évolutives du dossier. Le travailleur affirme à l’audience avoir défrayé ces coûts, et avoir fait parvenir la facture à la CSST. Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le travailleur n’est pas obligé de présenter des soumissions à la CSST, et cette dernière ne peut exiger que les travaux soient effectués par un entrepreneur en règle. Cependant, il doit remettre à la CSST des pièces justificatives qui font état des travaux accomplis et des personnes qui les ont effectués[3].

[42]        La preuve présentée à l’audience permet en outre au présent tribunal de conclure que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire effectuer la tonte de sa pelouse en 2011. Il demeure au même endroit et les photographies de son terrain ont été prises au printemps 2011. Cependant, tel que le mentionne la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, « si de tels travaux d’entretien courant du domicile doivent être effectués, le travailleur doit présenter des pièces justificatives appropriées à la CSST attestant que de tels frais ont été engagés »[4].

[43]        Par ailleurs, il importe de garder en mémoire que dans le présent dossier, d’autres frais d’entretien courant du domicile ont déjà été reconnus au travailleur, soit le droit au remboursement des frais reliés au déneigement et au ratissage annuel du terrain. Or tel que mentionné précédemment, les frais d’entretien courant du domicile sont remboursables jusqu’à concurrence d’un maximum annuel.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Alain Loparis, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la CSST le 16 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il a engagés pour faire exécuter la tonte du gazon de son domicile pour l’année 2010, sur présentation de pièces justificatives et dans le respect du montant annuel remboursable prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il engage en 2011 pour faire exécuter la tonte du gazon de son domicile, sur présentation de pièces justificatives et dans le respect du montant annuel remboursable prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

__________________________________

 

Pascale Gauthier

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Voir par exemple Tremblay et Entreprises PEB ltée, C.L.P. 334032-31-0711, 15 août 2008, C. Lessard.

[3]           Piché et Forage Dominik (1981) inc., C.L.P. 322769-08-0707, 21 janvier 2008, F. Daigneault.

[4]           Bordeleau et Transformation B.F.L., C.L.P., 395545-04-0912, 5 août 2010, S. Sénéchal.

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