Giroux et Canadian Tire (Commerce de détail) |
2010 QCCLP 3599 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 11 janvier 2010, madame Lyne Giroux (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 22 décembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 14 septembre 2009 et déclare qu’elle était justifiée de refuser d’autoriser le remboursement du coût d’une paire de sandales de style pantoufles, modifiées pour la nuit avec balancier.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Montréal le 3 mai 2010 à laquelle assistait la travailleuse, qui se représente seule. L’employeur, Canadian Tire, ne s’est pas présenté à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’autoriser le remboursement d’une paire de sandales avec balancier prescrite par son médecin traitant.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de la travailleuse doit être accueillie. Ils estiment que l’ordonnance du médecin traitant de la travailleuse justifie que le remboursement d’une troisième paire de chaussures orthopédiques soit autorisé. Il s’agit de l’assistance médicale visant à atténuer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais d’acquisition d’une paire de sandales modifiées avec balancier.
[7] Pour solutionner le présent litige, la Commission des lésions professionnelles prend en considération les dispositions relatives à l’assistance médicale prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[8] L’article 188 de la loi prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de sa lésion professionnelle.
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
[9] L’article 194 de la loi prévoit que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
__________
1985, c. 6, a. 194.
[10] Par ailleurs, l’article 189 de la loi énonce ce que peut comprendre l’assistance médicale :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[11] Également, l’article 198.1 prévoit que la CSST peut déterminer par règlement les cas, conditions et limites monétaires des paiements reliés à une orthèse visée au paragraphe 4 de l’article 189 de la loi :
198.1. La Commission acquitte le coût de l'achat, de l'ajustement, de la réparation et du remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse visée au paragraphe 4° de l'article 189 selon ce qu'elle détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
Dans le cas où une orthèse ou une prothèse possède des caractéristiques identiques à celles d'une orthèse ou d'une prothèse apparaissant à un programme administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec en vertu de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29) ou la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec (chapitre R-5), le montant payable par la Commission est celui qui est déterminé dans ce programme.
__________
1992, c. 11, a. 11; 1999, c. 89, a. 53.
[12] Ainsi, suivant ces dispositions, le travailleur a droit à l’assistance médicale s’il démontre avoir été victime d’une lésion professionnelle et que l’assistance médicale prescrite est en relation avec sa lésion professionnelle.
[13] En l’espèce, il ressort de la preuve que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 13 novembre 1996. Elle subit alors une fracture luxation bi malléolaire de la cheville droite. Elle doit subir une chirurgie le même jour. La lésion est consolidée le 14 août 1997 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[14] La travailleuse subit une rechute de sa lésion le 18 janvier 2001. Elle subit une nouvelle chirurgie le 16 mars 2001. Cette lésion est consolidée le 7 novembre 2002 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles supplémentaires. À cette période, le médecin traitant de la travailleuse lui prescrit une orthèse plantaire.
[15] Il appert du dossier que la travailleuse est aux prises avec une instabilité importante de la cheville droite et qu’elle a de la difficulté à s’adapter à l’orthèse prescrite par son médecin.
[16] Une nouvelle récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle survient le 15 janvier 2004. L’instabilité chronique de la cheville dont souffre la travailleuse mène le médecin traitant de celle-ci, le docteur G. Berry, à procéder à une nouvelle chirurgie le 24 avril 2007. Le médecin procède alors à une arthrodèse tibio-astragalienne. Il prescrit par la suite des souliers adaptés à la fusion de l’articulation.
[17] Le 10 mars 2008, le docteur Berry prévoit procéder à une autre chirurgie chez la travailleuse. Celle-ci aura lieu le 28 avril 2009 alors qu’il effectue une arthrodèse sous-astragalienne de la cheville droite. À la suite de la chirurgie, la travailleuse reçoit un plâtre qui sera enlevé au mois d’août 2009. Le docteur Berry prescrit des chaussures orthopédiques, soit des bottes ou des souliers, avec balancier.
[18] Il appert de la prescription du 14 août 2009, que le médecin prescrit une orthèse plantaire, une paire de souliers et une paire de bottes d’hiver.
[19] Le 26 août 2009, la CSST autorise le remboursement du coût d’achat de deux paires de chaussures orthopédiques pour la travailleuse. Il s’agit d’une paire de bottillons d’automne sur mesure avec renfort bilatéral et berceau et une paire de bottes d’hiver doublées sur mesure avec renfort et berceau.
[20] Le 4 septembre 2009, le docteur Berry émet une nouvelle prescription pour la travailleuse pour une paire de sandales avec balancier en raison de l’arthrodèse sous-astragalienne de la cheville.
[21] Le 11 septembre 2009, tel qu’il appert des notes évolutives au dossier, la CSST mentionne que la travailleuse veut obtenir une paire de chaussures ou des sandales pour la maison. La travailleuse indique alors que ses chaussures ne lui font plus depuis la chirurgie du 28 avril 2009. La CSST refuse le remboursement du coût d’acquisition de ces chaussures ou ces sandales puisque la CSST a déjà remboursé le nombre maximal de chaussures orthopédiques prévu à son Recueil des politiques en matière de réadaptation-indemnisation[2] (le Recueil des politiques).
[22] Considérant le refus de la CSST, la travailleuse retourne voir le docteur Berry pour obtenir une confirmation de la prescription des sandales. Le 29 janvier 2010, le médecin réitère sa prescription de bottes lacées d’hiver, de bottes lacées de printemps et d’une paire de souliers.
[23] Également, la travailleuse rencontre le docteur J.-M. Lévesque, chirurgien orthopédiste, le 28 avril 2010, qui confirme la nécessité d’une paire de sandales avec balancier.
[24] Lors de l’audience, la travailleuse mentionne qu’elle a obtenu les dernières prescriptions du docteur Berry et du docteur Lévesque pour démontrer à la CSST son besoin réel d’une paire de sandales pour la maison. Elle mentionne qu’elle est incapable de marcher pieds nus et qu’elle a besoin de cette paire de chaussures pour se déplacer à l’intérieur et particulièrement la nuit lorsqu’elle doit se lever pour se rendre à la salle de bain. La travailleuse explique qu’elle porte constamment les bottes d’intérieur, et qu’il lui est difficile de les enfiler la nuit puisqu’il s’agit de bottes lacées jusqu’aux mollets. Il en va de même lorsqu’elle sort du bain et qu’elle doit se déplacer dans la maison.
[25] Considérant ces éléments de la preuve. la Commission des lésions professionnelles constate que la prescription de chaussures et bottes orthopédiques émise par le docteur Berry vise à atténuer les conséquences de la lésion professionnelle subie par la travailleuse.
[26] La preuve démontre clairement une relation entre le besoin de chaussures orthopédiques et les conséquences de la lésion professionnelle. Cet élément n’est d’ailleurs pas contesté par la CSST qui a refusé de rembourser à la travailleuse le coût d’acquisition de sandales avec balancier non pas en l’absence de relation avec la lésion professionnelle, mais plutôt parce qu’elle avait déjà remboursé les deux paires de chaussures orthopédiques prescrites au mois d’août 2009 et qu’il s’agit du nombre maximal de chaussures orthopédiques que peut rembourser la CSST à chaque année pour le travailleur qui ne travaille pas, suivant son Recueil des politiques.
[27] Même si l’article 198.1 de la loi prévoit que dans certains cas, il peut y avoir des conditions et des limites monétaires aux paiements qui peuvent être effectués par la CSST en raison d’une détermination par règlement, il appert qu’à ce jour, la CSST n’a pas adopté de règlement visant à établir des conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués concernant les chaussures orthopédiques.
[28] La CSST a plutôt choisi d’établir des conditions pour l’acquisition de chaussures orthopédiques par le biais de la politique 5.04 du Recueil des politiques adoptée par la CSST en application du Règlement sur l’assistance médicale[3]. La politique 5.04 prévoit que pour un travailleur qui est au travail, la CSST assume le coût d’un maximum de trois paires de chaussures ou bottes orthopédiques par année. Pour un travailleur qui ne travaille pas ou qui est à la retraite, la CSST assume un maximum de deux paires de chaussures orthopédiques par année.
[29] On y précise toutefois que ces coûts sont défrayés par la CSST selon les modalités prévues par la politique, à moins d’une ordonnance du médecin à l’effet contraire.
[30] La Commission des lésions professionnelles précise qu’elle n’est pas liée par les politiques établies par la CSST.
[31] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles peut tout de même s’en inspirer dans la mesure où celles-ci ne constituent pas une contrainte qui limite le droit d’un travailleur à l’assistance médicale. En effet, les dispositions de la loi en cette matière visent à atténuer les conséquences d’une lésion professionnelle.
[32] En ce sens, la Commission des lésions professionnelles estime que la demande de la travailleuse peut lui être accordée en raison de l’ordonnance de son médecin. Cette demande s’inscrit à l’intérieur du cadre des politiques établies par la CSST.
[33] En l’espèce, à la suite de la chirurgie du 28 avril 2009, le docteur Berry prescrit trois paires de chaussures. De ces trois paires, il prescrit une paire de sandales pour l’intérieur avec balancier. Cette ordonnance est réitérée par le docteur Berry le 29 janvier 2010 et confirmée par l’ordonnance émise par le docteur Lévesque le 28 avril 2010.
[34] Il appert de la preuve, à tout le moins pour le docteur Berry, que les deux paires de bottes qu’il a prescrites à la travailleuse ne sont pas suffisantes.
[35] De plus, la Commission des lésions professionnelles retient les explications de la travailleuse sur la nécessité de la paire de sandales pour l’intérieur puisque les bottes lacées jusqu’aux mollets ne sont pas appropriées pour les déplacements à l’intérieur et surtout les déplacements la nuit.
[36] Considérant l’ordonnance des médecins de la travailleuse qui confirme la nécessité d’une troisième paire de chaussures orthopédiques pour l’intérieur, et la relation entre cette ordonnance et la lésion professionnelle de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il y a lieu de faire droit à la demande de la travailleuse. Cette demande respecte les exigences imposées par la loi et vise à atténuer les conséquences de la lésion professionnelle de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du 11 janvier 2010 de madame Lyne Giroux, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 22 décembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement du coût d’acquisition d’une paire de sandales modifiées avec balancier dont le coût doit être assumé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
|
|
|
Francine Juteau |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.