DÉCISION
[1] Le 13 septembre 2000, la Cour supérieure a annulé une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 2000 refusant de reconnaître que madame Jocelyne Beaudet (la travailleuse) avait subi une lésion professionnelle à l’épaule droite en raison d’une surutilisation de cette épaule. La Cour supérieure retourne le dossier à la Commission des lésions professionnelles afin qu’elle se prononce à nouveau sur la requête de la travailleuse.
[2] La compagnie Solutions Airware inc. (l’employeur), quoique dûment convoquée, n’est pas présente à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la direction de la révision administrative rendue le 22 juin 1999 et de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle à l’épaule droite en raison d’une surutilisation de cette épaule et qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).
L'AVIS DES MEMBRES
[4] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse en raison de la preuve unilatérale non contestée et souscrivent aux motifs de la présente décision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5] Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis de ses membres, a étudié l’ensemble de la preuve documentaire qui apparaît au dossier, ainsi que les documents déposés à l’audience et a considéré l’argumentation de la travailleuse.
[6] La Commission des lésions professionnelles, en motivant sa décision, se réfère aux éléments de la preuve qu’elle considère pertinente à la détermination des questions en litige.
[7] Le 31 mars 2000, la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une requête en contestation d’une décision rendue par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 juin 1999. La Commission des lésions professionnelles rejette la requête de la travailleuse et déclare que celle-ci n’a pas subi de lésion professionnelle à l’épaule droite, cette lésion n’étant pas en relation avec l’événement du 7 août 1997.
[8] Cette décision a fait l’objet d’une requête en évocation en vertu des dispositions de l’article 846 du C.P.C..
[9] La Cour supérieure a accueilli la requête en évocation, annulé la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 30 mars 2000 et retourné le dossier à la Commission des lésions professionnelles.
[10] La travailleuse a subi une lésion professionnelle à l’épaule gauche le 8 août 1997 qui a nécessité une intervention chirurgicale le 4 mars 1998.
[11] Selon la preuve non contredite, la travailleuse a continué à vaquer à ses occupations domestiques quotidiennes qui a entraîné une surutilisation de son épaule droite, la travailleuse ne pouvant plus utiliser son bras gauche pour effectuer les tâches qu’elle effectuait normalement des deux bras et principalement à l’aide de son bras gauche, bras dominant.
[12] L’utilisation d’un seul bras pour effectuer des tâches normalement exécutées à l’aide des deux bras constitue certainement une surutilisation du bras «laissé seul» pour effectuer l’ensemble des tâches domestiques accomplies auparavant des deux bras. Cela tombe sous le sens. D’ailleurs, la preuve selon le dossier et les notes sténographiques sont à cet effet. En effet, on peut lire au témoignage de la travailleuse :
«(...)
Q Bon. Vous êtes donc en arrêt de travail, vous attendez vos traitements de physiothérapie. Est-ce que vous vous servez du bras gauche, à ce moment-là?
R Mon bras gauche à ce point-là était... mon bras gauche fonctionnait pas à ce point-là. C’était... il était toujours comme accoté sur mon corps. J’étais pas capable de rien tenir.
Q Donc, ça, c’est avant les traitements de physio?
R Avant les traitements de physio, oui.
Q À ce moment-là, bon, vous faites quand même certaines activités dans la vie de tous les jours, et vous fonctionnez comment?
R Je fonctionnais de mon bras droit. Je faisais ma routine autant que possible à mon domicile mais je me servais plus de mon bras droit que de mon bras gauche.
Q Vous êtes gauchère, maître Beaudet?
R Je suis gauchère.
Q En physiothérapie, bon, pouvez-vous nous dire quel genre de traitements vous avez reçus qui sollicitaient le bras droit?
(...)
R Je faisais de la physiothérapie cinq (5) jours par semaine et la poulie consistait à peu près un bon quinze (15) minutes de travaux.
Q Est-ce que vous aviez à exercer une bonne force avec le bras droit?
R Pour être capable de monter mon bras gauche, il fallait que je force beaucoup mon bras droit parce que le bras gauche ne se levait pas par lui-même.
Q Donc, vous faisiez bouger le bras gauche ne vous servant du droit?
R Oui.
Q Quel autre genre de traitement sollicitait le bras droit, madame?
R J’avais le bâton, c’est comme un bâton de hockey coupé et encore là, ils m’attachaient la main gauche après le bâton encore parce que j’étais pas capable de le retenir par moi-même, et couchée sur le dos, il fallait que je lève le bâton par-dessus ma tête.
Q Avec votre bras droit?
R Avec les deux bras, si possible. Alors, je prenais mon bras droit pour être capable de lever mon bras gauche encore, mais il levait pas, j’allais pas jusqu’en arrière de la tête.
Q Comment vous étiez, vous voulez dire, vous êtes couchée sur le dos?
R Oui.
(...)
À partir de juillet 1998, alors vous avez écrit, on voit dans le dossier, vous expliquez que, bon, vous avez un problème avec l’épaule droite parce que vous surutilisez le bras droit?
R Oui.
Q Pouvez-vous nous expliquer qu’est-ce que vous voulez dire par la surutilisation du bras droit?
R Ma surutilisation du bras droit consiste vraiment que c’était le seul bras qui fonctionnait. Mon bras gauche, j’ai été quand même, une manière de le dire, paralysée pour à peu près un an et demi (1½ ), que j’ai pas été capable de m’en servir comme étant gauchère. Alors, pour moi, la surutilisation de mon bras droit, c’était le seul bras qui était fonctionnel. Je faisais mes travaux à domicile, j’essayais quand même de faire marcher mon domicile en tant de dire, sans non lus rester assise à rien faire; alors, je me servais de mon bras droit.
Q Et avant l’événement d’août1997, est-ce que vous vous en serviez quand même beaucoup du bras droit en étant gauchère?
R Il aidait mon bras gauche.
Q Oui?
R On se sert toujours des deux mais, des deux bras quand on fait les choses. Mais c’était pas mon bras prioritaire, non. Ç’a toujours été mon bras gauche.
Q L’épaule gauche a été opérée en mars 1998.
R Le 4 mars 1998, oui.
Q Qu’est-ce qui s’est passé tout de suite après l’opération?
R Ils m’ont immobilisé le bras à la taille et au poigner pour six (6) semaines et je faisais de la physiothérapie
(...)
Q On voit dans le dossier des notes à l’effet que vous auriez eu plus à faire à cette époque-là parce que votre mari a fait un infarctus?
R Oui.
Q Est-ce qu’effectivement, parce que votre marie a fait un infarctus, vous aviez davantage de tâches à faire?
R Mon mari travaillait de nuit du lundi soir au samedi matin. Et le jour, il dormait. Alors, les tâches que j’ai faites, c’est mes tâches normales, c’est qu’est-ce que je faisais tout le temps. On avait seulement que le dimanche ensemble mais le jardinage, la maison, le pelletage, le lavage, j’ai toujours fait ça; alors, j’ai quand même continué à le faire sauf que je le faisais d'un bras au lieu des deux. C’est ça.
Q Avant juillet 1998, date à laquelle les symptômes débutent au niveau de l’épaule droite, est-ce que vous aviez déjà eu un problème avec l’épaule droite?
R V’là une dizaine d’années, j’avais eu, qu’est-ce que mon médecin avait dit dans le temps, une bursite. Mais j’ai jamais eu de problème, j’ai jamais pris d’anti-inflammatoire pou. Il m’avait juste mais le bras dans une écharpe puis ç’a duré deux jours et après deux jours, j’ai continué à fonctionner de la manière que je fonctionnais.
Q Donc, vous n’aviez pas de problème avec l’épaule droite avant cet événement-là?
R Non, j’ai jamais eu d’autres problèmes que ça. Mon bras droit, il était correct.
Q Je n’ai pas d’autres questions. Merci, madame Beaudet.
R Merci.
(...)
Q Je vous comprends, madame. Et dans la dernière partie de votre témoignage il y a quelques minutes, vous disiez que les tâches ménagères, l’ensemble des tâches de la maison vous appartenait?
R Oui.
Q Ça veut dire lavage, ménage, pelletage, si j’ai bien compris, c’est ça?
R c’est ça, oui. Les enfants, les animaux.
Q Tout ça, ça se fait.... vous avez deux enfants?
R Trois.
Q Trois enfants. Ils ont quel âge?
R 18, 16 et 13.
Q Ils sont tous les trois à la maison.
R Oui.
(...)
Q Donc, on peut dire que les tâches que vous faisiez après qu’il a eu l’infarctus, c’était les mêmes qu’avant?
R c’était les mêmes qu’avant, oui.
Q Le problème, c’est que vous aviez une main, un bras au lieu de deux?
R Exactement.
Q Mais c’était le même type de tâches?
R Exactement.
(...)
Q Donc, vous, la douleur à l’Épaule droite, elle est apparue quand?
R Elle a commencé à apparaître un peu avant ma chirurgie.
Q Au mois de, en février?
R Vers la fin du mois de février mais c’était comme plus la fatigue, pour moi, que n’importe quoi. Approximativement une semaine....
Q Donc, ce n’était pas une vraie douleur?
R Non.
Q Non. c’était pas une vraie douleur?
R Non.
Q Non. c’était plutôt une fatigue dans le bras?
R Oui.
Q À la fin février.
R Après ma chirurgie, à peu près une (1) semaine à deux (2) semaines après ma chirurgie, j’ai eu une grosse douleur dans mon épaule droite. Et mon physiothérapeute dans le temps m’a donné une (1) semaine de traitement sur mon bras.
Q Dites-moi une chose, deux (2) semaines après la chirurgie, est apparu... vous souvenez-vous des circonstances quand la douleur est apparue à l’épaule droite?
R Qu’est-ce que je faisais dans le temps?
Q À ce moment-là précis, vous vous êtes rendu compte que ça faisait la grosse douleur dans quelles circonstances?
R J’étais en train de mettre ma vaisselle dans mon armoire.
Q Vous étiez en train de mettre de la vaisselle, o.k.
R Oui. Oui, sur mes tablettes, mes assiettes, mes verres et j’ai échappé le verre, j’ai cassé beaucoup de vaisselle depuis un bout de temps. Et c’est là que là, j’en pouvais plus. Il a comme lâché complètement. Là, c’est mon mari qui a pris la relève pendant une (1) semaine de temps.
Q Donc, c’était au moment de place les plats, les assiettes dans l’étagère...
R Dans mon armoire.
Q ....dans l’armoire de cuisine?
R Oui.
Q Que vous avez remarqué ces grosses douleurs?
R Oui.
Q Deux (2) semaines après la chirurgie?
R À peu près, une semaine et demie (1½ ), deux (2) semaines après.
Q Une semaine et demie (1½ ) ou deux (2)?
R Oui.
Q Et puis pendant ces deux (2) semaines ou une semaine et demie (1½ ), vous ne faisiez pas de grosses affaires?
R Après que le mal est sorti?
Q Non, non, avant que le mal est sorti, une (1) semaine après la chirurgie, une semaine et demie (1½ ), vous ne faisiez rien?
R Non, je faisais pas grand-chose, non.
Q Le bras était attaché puis vous ne faisiez pas grand-chose?
R Le bras était attaché, non. Mais je faisais quand même, disons, ma cuisson ou... c’est ça.
Q Oui, oui mais aucun effort?
R Aucun effort,
Q Puis là, à ce moment-là donc, fin de février, la fatigue, après la chirurgie donc à la fin du mois de mars, au début d’avril...
R Oui, milieu de mars, fin mars.
Q ... là, ça arrive la grosse douleur?
R Oui.
Q Puis comment ç’a évolué par la suite?
R Après mon traitement, ça s’est passé un peu. J’avais...
Q Vous avez fait certains traitements pour l’épaule droite?
R Oui. Mon physiothérapeute a fait...
Q À la fin de mars?
R Oui, à la fin de mars. Il m’a donné une (1) semaine complète de physiothérapie sur mon bras qui était... moi, à la maison, j’ai un tense, alors je portais le tense dessus mais lui me mettait l’interférentiel, de la glace. Il faisait pas de mobilisation pour, il me disait de reposer mon bras.
Q Et puis?
R Après, ça s’est quand même stabilisé. Au mois de juin, je crois, là j’en pouvais plus encore une fois, j’ai été voir mon médecin de famille.
Q Pourquoi?
R Parce que j’étais plus capable de me servir de mon bras droit.
Q Et en juin, lorsque cette aggravation a eu lieu, la douleur est réapparue, est apparue dans des circonstances dont vous vous souvenez ou tranquillement?
R Je me suis réveillée un matin puis la douleur était là.
(...)
[13] Cette preuve semblait suffisamment évidente pour que la Cour supérieure intervienne et annule la décision rendue par le tribunal le 30 mars 2000.
[14] La preuve démontre que le bras gauche de la travailleuse a été immobilisé pendant une longue période en raison d'une lésion professionnelle et que c’est cette immobilité due à une lésion professionnelle qui a entraîné une surutilisation du bras droit entraînant, par le fait même, une lésion professionnelle à l’épaule droite qui est apparue en raison de la lésion professionnelle à l’épaule gauche; ce qui constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la LATMP (la loi) [1] puisque cette lésion est survenue par le fait des soins et des traitements (immobilisation du bras gauche) en raison d’une lésion professionnelle à l’épaule gauche, entraînant une surutilisation de son épaule droite.
[15] Même si les tâches étaient les tâches que la travailleuse avait habituellement l’occasion d’effectuer, elles devenaient anormales du simple fait que pour les même tâches, elle n’avait plus qu’un seul bras pour les effectuer. De plus, le bras droit de la travailleuse n’est pas le membre dominant, la travailleuse étant gauchère.
[16] La preuve présenté par la travailleuse n’a pas été contredite.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE le recours en contestation de madame Jocelyne Beaudet, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 22 juin 1999;
DÉCLARE que madame Jocelyne Beaudet a subi une lésion professionnelle à l’épaule droite et qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Simon Lemire |
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Commissaire |
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Barrete et associés ( Me Alain Barrette ) 3380, rue Notre-Dame, bureau 200 Lachine (Québec) H8T 1W7 |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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