Décision

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Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 24 avril 2009

Référence neutre : 2009 QCTAQ 04735

Dossier  : SAS-M-138886-0711

Devant le juge administratif :

CLAUDE OUELLETTE

 

LA GARDERIE A

Partie requérante

c.

MINISTRE DE LA FAMILLE

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]                    Le Tribunal[1] est saisi d’une requête de l’intimée en révision et en sursis de l’audience (articles 154(2) et (3), 155 et 74 de la Loi sur la justice administrative, à l’encontre de la décision interlocutoire rendue par le Tribunal le 6 octobre 2008.

[2]                    Cette décision rendue par le Tribunal administratif du Québec, (le T.A.Q.), est ainsi libellée:

«  DÉCISION ÉCRITE SUR UNE OBJECTION

[1] La partie intimée cherche à introduire en preuve des éléments de faits ne faisant pas partie des plaintes identifiées et indiquées à la décision du 7 novembre 2007.

[2] En Common law, la règle en matière d’admissibilité d’éléments ou de moyens de preuve est celle de la pertinence.

[3] Cette règle a été enchâssée dans la Loi sur la justice administrative1 à son article 139 qui se lit comme suit :

« 139. Le Tribunal peut refuser de recevoir toute preuve qui n’est pas pertinente ou qui n’est pas de nature à servir les intérêts de la justice. »

[4] La décision de l’intimée de retirer le permis de la requérante est fondée sur la base des motifs allégués à sa décision.

[5] L’article 5 de la Loi sur la justice administrative dispose ce qui suit :

« 5. L'autorité administrative ne peut prendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable portant sur un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable:

1avoir informé l’administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée;

2avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent;

3lui avoir donné l’occasion de présenter ses obser­vations et, s’il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.

Il est fait exception à ces obligations préalables lorsque l’ordonnance ou la décision est prise dans un contexte d’urgence ou en vue d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux personnes, à leurs biens ou à l’environnement et que, de plus, la loi autorise l’autorité à réexaminer la situation ou à réviser la décision. »

[6] La décision qu’a rendue la partie intimée était assujettie au devoir d’agir équitablement.

[7] Le Tribunal considère que le débat est cadré par les reproches factuels indiqués dans la décision de la partie intimée datée du 7 novembre 2007 et dans le préavis.

[8] En d’autres mots, les éléments de faits pouvant être introduits en preuve par la partie intimée doivent faire partie des plaintes identifiées et communiquées au soutien de la décision du 7 novembre 2007 et dans le préavis qui l’a précédé.

[9] L’objection de la partie requérante est maintenue.

[10] Tel que je l’ai mentionné à l’audience, j’élaborerai en détails, lors de ma décision sur le fond, tout le cheminement qui m’a amené à maintenir l’objection de la partie requérante.

[11] Cette décision succincte est rédigée dans le but d’accommoder la partie intimée qui désire déposer une révision pour cause de ma décision intérimaire portant sur une objection. »

(Reproduit tel quel)

 

[3]                    La requête en révision de l’intimée, datée du 9 octobre 2008, contient 14 pages et 41 paragraphes. Les 13 premiers paragraphes traitent de « La décision de la ministre faisant l’objet d’un recours en contestation ».

[4]                    Nous ne citerons que les paragraphes 14 à 41, qui se lisent ainsi :

« LA DÉCISION DU T.A.Q. FAISANT L’OBJET DE LA PRÉSENTE REQUÊTE

  14. Le matin même du 6 octobre, avant la reprise de l’interrogatoire du témoin de la partie intimée (C.L.), le T.A.Q. a rendu oralement sa décision sur l’objection soulevée le 8 avril 2008. Le T.A.Q. a décidé que « les éléments de faits que pourra introduire en preuve la partie intimée doivent faire partie des plaintes identifiées et communiquées au soutien de la décision du 7 novembre 2007 et dans le préavis qui l’a précédée »;

15. Essentiellement, le T.A.Q. a décidé que les faits antérieurs à la décision de la ministre ne pouvaient être admis en preuve;

16. Il a précisé que les motifs au soutien de sa décision seraient contenus dans la décision écrite finale sur le fond du litige, tel qu’il appert d’une copie certifiée conforme de la transcription des notes sténographiques de l’audience du 6 octobre 2008, pièce R-3;

17. À ce jour, ces motifs sont encore inconnus de la partie intimée;

18. La partie intimée a alors demandé et obtenu que l’audition soit suspendue le temps nécessaire pour entreprendre le recours approprié à l’encontre de cette décision;

LES MOTIFS INVOQUÉS AU SOUTIEN DU RECOURS EN RÉVISION

19. Le T.A.Q. a le pouvoir de réviser une décision, même interlocutoire, comme le prévoit l’article 154 de la L.J.A. :

      « 154. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’il a rendue;

      (…)

      2o lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

      3o lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision;

      (…) »

A) LA DÉCISION DU T.A.Q. VIOLE LA RÈGLE AUDI ALTERAM PARTEM

20. La décision du T.A.Q. du 6 octobre 2008 a pour effet d’empêcher la partie intimée de faire une preuve pertinente et déterminante à la décision que rendra le T.A.Q. au fond sur la question d’un manquement à une loi d’ordre public;

21. Plus précisément, le T.A.Q. devra décider si la partie requérante s’adonne à des pratiques ou tolère une situation susceptible de compromettre la santé, la sécurité et le bien-être des enfants à qui elle fournit des services de garde;

22. Ce refus du T.A.Q. d’entendre la preuve de la partie intimée constitue une violation de son droit fondamental d’être entendue, un droit pourtant prévu à l’article 10 de la L.J.A. et consacré à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12);

23. Il est nécessaire que cesse cette atteinte au droit fondamental de la partie intimée et que l’audition du recours favorise l’administration de toute preuve pertinente aux questions du litige;

B) LA DÉCISION DU TAQ EST ENTACHÉE D’UN VICE DE FOND OU DE PROCÉDURE DE NATURE À L’INVALIDER

24. Bissant ses arguments, la partie intimée plaide qu’en l’empêchant de faire sa preuve, le T.A.Q. a rendu une décision entachée d’un vice de fond ou de procédure;

25. En outre, ce vice est tel qu’il est de nature à invalider la décision;

26. Le recours en contestation en est un de novo. Le T.A.Q. est appelé à décider s’il doit, ou non, renouveler le permis de la garderie. Il n’est donc pas limité aux motifs de la décision initiale. Au contraire, il peut entendre toute nouvelle preuve pertinente, incluant même la présentation de nouveaux motifs, même si cette preuve n’a pas été prise en considération par la partie intimée lors de la prise de sa décision. Sans limiter la portée de ce qui précède, à plus forte raison doit-il tenir compte de toute preuve portant sur des faits appuyant les motifs invoqués par la ministre et déjà contenus à l’avis de décision;

27. La preuve nouvelle de faits survenus antérieurement à la décision de l’intimé est donc tout à fait admissible pour le tribunal qui aura à décider s’il y a manquement à la Loi et si la requérante s’adonne à des pratiques ou tolère une situation susceptible de compromettre la santé, la sécurité et le bien-être des enfants à qui elle fournit des services de garde (article 28 de la Loi);

28. Cette règle a pourtant toujours été reconnue en droit administratif;

29. À l’évidence, cette preuve nouvelle n’est pas limitée aux seuls éléments factuels auxquels réfère l’avis préalable au non-renouvellement d’un permis et à la décision de la partie intimée au 1er novembre 2007 de ne pas renouveler le permis;

C) ABSENCE DE MOTIVATION DE LA DÉCISION CONTESTÉE

30. L’absence totale de motivation de la décision du T.A.Q., compte tenu de la portée de cette décision sur la poursuite du débat, constitue, dans les circonstances de l'espèce, une erreur de droit ainsi qu'une violation des règles de justice naturelle;

31. La partie intimée ignore complètement pourquoi, sur quelle base et à partir de quels éléments le T.A.Q. a fondé sa décision;

32. Bien qu’elle soit interlocutoire, cette décision a des effets si importants que son absence de motivation va à l’encontre même de l’équité procédurale;

33. Ce manquement à l’équité procédurale et à la justice fondamentale constitue, lui aussi, un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision;

34. En outre, ce manquement est contraire à l’article 13 de la L.J.A.;

35. Cette absence de motivation empêche la partie intimée de comprendre pourquoi elle est empêchée de produire une preuve pertinente à des manquements à une loi d’ordre public;

36. Le T.A.Q. pouvait pourtant, même d’office, tenir compte de toute preuve susceptible de démontrer de telles violations, surtout qu’en l’espèce, l’article 33 du Code civil du Québec précise le poids à accorder à l’intérêt général des enfants;


LES MOTIFS AU SOUTIEN DE LA DEMANDE DE SUSPENSION DE L'AUDIENCE

37. En vertu de l’article 74 alinéa 2 de la L.J.A., le T.A.Q. et ses membres ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leurs fonctions; ils peuvent notamment rendre toutes ordonnances qu’ils estiment propres à la sauvegarde des droits des parties;

38. La décision du T.A.Q. du 6 octobre 2008 a pour effet d’empêcher la partie intimée de faire une preuve pertinente et déterminante pour le T.A.Q. qui aura à décider s’il y a manquement à la Loi et si la partie requérante s’adonne à des pratiques ou tolère une situation susceptible de compromettre la santé, la sécurité et le bien-être des enfants à qui elle fournit des services de garde;

39. Cet empêchement constituant une violation du droit de la partie intimée d’être entendue et de faire cette preuve pertinente, il serait contraire à une saine administration de la justice que de continuer l’audience en attendant le sort de cette requête;

40. En effet, continuer l’audition dans les circonstances pourrait entraîner, si une décision donnait raison à la partie intimée, l’obligation de reprendre l’interrogatoire de témoins déjà entendus et cela afin de mettre en preuve les éléments qui font l’objet de l’objection originale et de la présente demande de révision;

41. Il est dans l’intérêt de la justice d’accueillir la présente requête;

POUR CES MOTIFS, PLAISE AU TRIBUNAL :

        PERMETTRE aux parties qu’elles se présentent devant le T.A.Q. pour faire leurs représentations sur la présente requête;

        RÉVISER la décision du T.A.Q. du 6 octobre 2007 sur l’objection à la preuve de la partie intimée;

        REJETER l’objection à la preuve de la partie intimée;

        SUSPENDRE l’audience dans le dossier portant le numéro SAS-M-138886-0711 jusqu’à ce qu’une décision sur la requête en révision et en sursis de l’audience soit rendue;

        RENDRE toute autre ordonnance jugée appropriée dans les circonstances;

        Le tout, respectueusement soumis.

Montréal, le 9 octobre 2008

Signé : Bernard, Roy (Justice-Québec)

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Procureurs de la partie intimée,

Le Procureur général du Québec »

(Reproduit tel quel)

 

[5]                    L’audience sur cette requête en révision fut tenue le 28 janvier 2009 et les parties y ont déposé et commenté leurs notes et autorités.

 

[6]                    De prime abord, l’audience de cette requête a suscité, chez le soussigné, les questionnements suivants :

1o) les termes « toute décision qu’il a rendue » de l’article 154 de la L.J.A. incluent-ils une décision « interlocutoire » ou seulement une décision « finale »?

      N.B. Il y a lieu de rappeler que dans la L.J.A., il n’y a pas d’appel des décisions rendues par la Section des affaires sociales. L’appel n’existe que pour les décisions rendues par les sections des « affaires immobilières » et de « protection du territoire agricole », en vertu de l’article 159 de la L.J.A.

2o) Si l’article 154 de la L.J.A. permet de réviser une décision « interlocutoire », le législateur ne l’a assujetti à aucune condition, contrairement aux articles 29 et 511 du Code de procédure civile ou même 159 de la L.J.A. qui se lisent comme suit :

         « Article 29 C.P.C. :

Est également sujet à appel, conformément à l’article 511, le jugement interlocutoire de la Cour Supérieure ou celui de la Cour du Québec mais, s’il s’agit de sa compétence dans les matières relatives à la jeunesse, uniquement en matière d’adoption :

  1. lorsqu’il décide en partie du litige;

  2. lorsqu’il ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier; ou

  3. lorsqu’il a pour effet de retarder inutilement l’instruction du procès.

Toutefois, l’interlocutoire rendu au cours de l’instruction n’est pas sujet à appel immédiat et ne peut être mis en question que sur appel du jugement final, à moins qu’il ne rejette une objection à la preuve fondée sur l’article 308 de ce code ou sur l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) ou à moins qu’il ne maintienne une objection à la preuve.

Est interlocutoire le jugement rendu en cours d’instance avant le jugement final.

Article 511 C.P.C. :

L’appel d’un jugement interlocutoire n’a lieu que sur permission accordée par un juge de la Cour d’appel, lorsqu’il estime qu’il s’agit d’un cas visé à l’article 29 et que les fins de la justice requièrent d’accorder la permission; il doit alors ordonner la continuation ou la suspension des procédures de première instance.

Toutefois, l’appel du jugement interlocutoire rejetant une objection à la preuve fondée sur l’article 308 de ce Code ou sur l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., chapitre C-12) n'est pas assujetti à une permission. De plus, cet appel ne suspend pas l’instance, mais le juge de première instance ne peut rendre son jugement final ni entendre la preuve visée par l’objection tant que l’appel du jugement interlocutoire n’est pas décidé …

Article 159 de la L.J.A. :

Les décisions rendues par le Tribunal dans les matières traitées par la section des affaires immobilières, de même que celles rendues en matière de protection de territoire agricole, peuvent, quel que soit le montant en cause, faire l’objet d’un appel à la Cour du Québec, sur permission d’un juge, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour. »

3oCompatibilité de la suspension de l’instance principale avec l’objectif de célérité de l’article 1 de la L.J.A.?

          Le dépôt de la présente requête en révision (article 154 L.J.A.) le 9 octobre 2008 a eu pour effet de suspendre l’audience du recours principal.

          À l’issue de l’audience sur la présente requête en révision tenue le 28 janvier 2009, le soussigné a fortement suggéré aux procureurs de contacter sans délai le juge saisi du dossier principal ou le vice-président de la section afin de fixer une date de continuation de l’enquête dès après le 28 avril 2009 (fin du 3 mois de délibéré) pour ne pas retarder davantage l'audience.

          La suspension de l’instance principale sera d’au moins 7 mois, sinon plus.

Compte tenu que l’un des objectifs spécifiques de la L.J.A. est la CÉLÉRITÉ :

dans l’hypothèse où il a voulu, à l’article 154 L.J.A., permettre la révision d'une décision interlocutoire maintenant une objection à la preuve, le législateur aurait dû assujettir ou encadrer cette requête en révision de conditions comme il l’a fait aux articles 29 et 511   C.P.C. ou 159 L.J.A. précités.

Le Tribunal ne peut que constater qu’il existe une forte apparence d’incompatibilité.

 

[7]                    Après avoir pris connaissance du dossier, entendu les représentations des procureures, lu avec grand intérêt leurs mémoires, et sur le tout délibéré, le Tribunal conclut que la requête en révision doit être rejeté, et ce, pour les motifs suivants:

[8]                    Le Tribunal constate que ses décisions qui ont permis le recours en révision d’une décision interlocutoire n’ont pas considéré, ni n’ont discuté ou distingué l’application de l’article 154 L.J.A. à différentes situations.

[9]                    Le législateur ne précise pas à l’article 154 L.J.A. s’il permet le recours en révision uniquement à l’encontre de toute décision finale du T.A.Q.

[10]                Dans son ouvrage, le professeur Garant écrit :

« La révision est évidemment toujours possible lorsque la décision n’est pas définitive ou n’a qu’un caractère provisoire. »[2]

[11]                Par ailleurs, le Tribunal constate que le législateur n’a pas non plus précisé s’il permettait uniquement l’appel d’une décision finale du T.A.Q., à l’article 159 L.J.A.

[12]                Or, contrairement à l’article 154 L.J.A., cette disposition a fait l’objet d’une interprétation par les tribunaux de droit commun sur cette question spécifique.

[13]                Il ressort de l’ensemble de la jurisprudence sur cette question que l’appel des décisions interlocutoires rendues par la section des affaires immobilières et celles en matière de protection du territoire agricole peuvent faire l’objet d’une permission d’appel.

[14]                Toutefois, il ressort également de cette jurisprudence que la Cour du Québec doit notamment considérer les fins de la justice, voir si la question visée par la décision interlocutoire décide en partie du litige, si la décision ordonne que soit faite une chose à laquelle la décision finale ne pourra remédier ou si elle a pour effet de retarder inutilement l’instruction du recours.[3]

[15]                Par ailleurs, au sujet du recours en révision prévu dans la L.J.A., le professeur Yves Ouellette écrit :

« Aux termes de l’article 154, le réexamen est caractérisé comme un recours et non comme une question de compétence ou un mécanisme d’auto-contrôle ou de prolongement du processus décisionnel initial. Ce recours autonome est alors accordé, non pas dans l’intérêt conjoint du Tribunal administratif et des parties, mais dans le seul intérêt des parties.

Quant au fond, ce recours n’est ouvert que pour trois motifs déterminés : 1o le fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une conclusion différente; 2o l'impossibilité pour une partie de se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes; 3o le vie de fond ou de forme de nature à invalider la décision.

Au surplus, ce véritable recours doit, aux termes de l’article 155, être pris dans un délai raisonnable. Ce libellé suggère que le réexamen est considéré par le législateur, au moins quant aux motifs 2 et 3, comme un substitut au recours en révision judiciaire. »[4]

[16]                S’inspirant du recours en révision judiciaire à l’encontre d’un jugement interlocutoire, le Tribunal retient de la jurisprudence des tribunaux de droit commun que ce recours extraordinaire ne doit être examiné que lorsqu’il s’agit :

« d’une décision interlocutoire à laquelle le jugement final ne pourra remédier ou d’un cas manifeste d’irrecevabilité. En d’autres termes, tant que le processus décisionnel n’est pas définitif, la Cour supérieure se refuse à toute intervention, sauf dans le cas d’absence de compétence et la perspective d’une longue instruction ou si la décision interlocutoire met en jeu une violation sérieuse des règles de justice naturelle ou de principes fondamentaux de notre droit et des chartes. »[5] (références omises)

[17]                Plus précisément, il ressort de la jurisprudence que la requête en révision judiciaire d’une décision interlocutoire qui maintient une objection à la preuve est prématurée et qu’elle doit être rejetée, à moins de circonstances exceptionnelles ou de cas manifestes mettant en cause l’intérêt supérieur de la justice. En effet, le refus d’admettre une preuve ne viole généralement pas les règles de justice naturelle et se situe à l’intérieur de la compétence exclusive du Tribunal.[6]

[18]                Partant des principes ci-avant exprimés, le Tribunal considère que dans le cadre d’une demande de révision d’une décision interlocutoire, la formation en révision ne devrait exercer son pouvoir que si celle-ci apparaît de toute évidence mal fondée et décide en partie du litige ou contient une erreur que la décision finale ne pourra corriger ou qui entraîne des retards inutiles de l’audience.

[19]                Le Tribunal considère que la décision interlocutoire attaquée en l’espèce n’entre pas dans ces catégories.

[20]                De plus, le recours en révision exercé ici, peut même paraître prématuré, puisque, malgré que le Tribunal ait accueilli une objection à la preuve, il n’est pas présumé que la partie qui s’est vue « limiter » sa preuve sera nécessairement insatisfaite de la décision finale.

[21]                Par ailleurs, mentionnons la possibilité qu’il y ait, au cours du débat, d’autres objections à la preuve, et partant, d’autres requêtes en révision. Il vaut mieux, dans ce contexte, éviter la multiplicité des requêtes et permettre aux parties d’obtenir une décision sur le fond le plus rapidement possible.

[22]                Le « juge du fond » est beaucoup mieux placé que la présente formation pour statuer sur une objection à la preuve et pour délimiter le débat.

[23]                Le Tribunal considère qu’en statuant sur une telle objection, « le juge du fond » exerce sa compétence et sa discrétion la plus absolue dans le contexte exprimé par les articles 9 à 12 de la L.J.A.

[24]                Permettre la révision d’une telle décision interlocutoire constitue un accroc aux objectifs exprimés par le législateur à l'article 1 L.J.A. Le législateur a voulu qu'on permette au Tribunal d'agir avec rapidité et de compléter son rôle avec efficacité.

[25]                Ici, on ne peut pas prétendre que la décision interlocutoire rendue par le T.A.Q. décide en partie du litige. Cette décision ne décide rien de déterminant quant à l’issue du recours et ne laisse présager d’aucune direction quant à la décision finale qui interviendra.

[26]                La décision a-t-elle pour effet de retarder inutilement l’instruction du recours? Au contraire, c’est plutôt la présente requête qui retarde l’audience.

[27]                Prenant également en considération les fins de la justice, le Tribunal considère que le recours en révision ne devrait pas être exercé à l’encontre d’une décision interlocutoire, comme celle contestée en l’espèce. Autrement, il suffirait de susciter la prise de décisions interlocutoires dans le cadre d’un recours exercé devant le Tribunal et de multiplier les demandes de révision pour chacune pour paralyser le fonctionnement du Tribunal. Dans ce contexte, il apparaît préférable de privilégier l’épuisement de la compétence de la formation saisie du recours introductif.

[28]                Le Tribunal retient qu’en l’espèce, l’audience était prévue pour 2 semaines et qu’à peine deux journées d’enquête ont été complétées. Il retient aussi et surtout que le décideur a exprimé sommairement les motifs au soutien de sa décision sur l’objection et qu’il se réserve le droit de la motiver dans sa décision finale.

[29]                 Finalement, une fois la décision finale rendue, la partie qui le désire pourra toujours faire contrôler les décisions interlocutoires.[7]

[30]                POUR TOUS CES MOTIFS, le Tribunal

-        REJETTE la requête de l’intimée en révision (article 154 L.J.A.) de la décision interlocutoire rendue par le Tribunal le 6 octobre 2008 et qui maintenait une objection à la preuve.


 

 

CLAUDE OUELLETTE, j.a.t.a.q.


 

Me Nathalie Belley

Procureur de la partie requérante

 

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Me Isabelle Brunet

Procureure de la partie intimée


 

/jj



[1] Il s’agit d’une formation d’un seul membre autorisé par ordonnance rendue en vertu de l’article 82, alinéa 3, de la Loi sur la justice administrative (L.J.A.)

[2] Patrice Garant, Droit administratif, 5e édition, Cowansville, Yvon Blais, 2004 à la page 612.

[3] Voir notamment : Fédération de l’UPA de St-Jean-Valleyfield c. TAQ et al, 2008 QCCQ 4054; Fédération de l’UPA de St-Jean Valleyfield c. ville de Varenne et T.A.Q. et al, 2007 QCCQ 9805.

[4] Yves Ouellette, Les Tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Montréal, Thémis, 1997 à la page 532.

[5] Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, pages 712, 713.

[6] Voir notamment : Montréal (Service de police de la Communauté urbaine) c. Québec (Tribunal des droits de la personne) C.S. Montréal, 500-05-054821-994, j. Guthrie; Mosca c. Lessard, C.S. Montréal, 500-05-037715-974, j. Wery. (Onglet 1 des autorités de la requérante).

[7] Voir notamment : Société de transport de la Communauté urbaine de Québec c. Dubé, REJB 2002-30804 (C.S.)

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