Desrosiers et Gestion Immobilia |
2012 QCCLP 932 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 26 avril 2010, Gestion Immobilia (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 1er avril 2010.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de monsieur Frédéric Desrosiers (le travailleur); infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 septembre 2009 par un conciliateur-décideur; déclare que le travailleur a fait l’objet d’une mesure ou d’une sanction prohibée par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), à savoir qu’il a été mis à pied le 18 juin 2009 en raison de l’exercice d’un droit prévu à la loi; et réserve sa compétence relativement à la réintégration et à la détermination des montants à être versés au travailleur à titre de salaire et autres avantages dont il a pu être privé, à défaut d’entente entre les parties sur ces questions.
[3] L’audience portant sur la présente requête en révision ou révocation a lieu à Joliette le 30 novembre 2011 en présence d’un représentant du travailleur, du procureur de l’employeur et d’un interlocuteur de ce dernier. L’affaire est mise en délibéré le 30 novembre 2011.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Par sa requête, l’employeur demande la révocation de la décision du 1er avril 2010 invoquant qu’il n’a pu se faire entendre lors de l’audience qui a eu lieu 29 janvier 2010, et ce, en application du second alinéa de l’article 429,56 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. Ils estiment que l’employeur n’était pas présent lors de l’audience du 29 janvier 2010 à cause d’un malheureux concours de circonstances, sans qu’il n’ait fait preuve de négligence. Ils considèrent alors que l’employeur n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre et ils révoqueraient la décision du 1er avril 2010.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er avril 2010.
[7] Soulignons que la Commission des lésions professionnelles peut révoquer une décision qu’elle a rendue pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la loi, qui se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Ainsi, pour pouvoir bénéficier de la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, une partie doit démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs prévus par le législateur à la disposition précitée, sans quoi, sa requête doit être rejetée.
[9] Comme l’énonce la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles[2], le pouvoir de révocation prévu à l’article 429.56 de la loi doit être considéré comme une procédure d’exception ayant une portée restreinte.
[10] L’employeur demande la révocation de la décision du 1er avril 2010 en se fondant sur le droit d’être entendu prévu au deuxième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi.
[11] Soulignons que la Commission des lésions professionnelles a décidé à bon droit dans l’affaire Imbeault et S.E.C.A.L.[3], que lorsque le deuxième paragraphe de l’article 429.56 est soulevé par une partie au soutien d’une requête en révocation, il revient à la Commission des lésions professionnelles d’apprécier la preuve et de décider si des raisons suffisantes ont été démontrées pour expliquer que la partie n’a pu se faire entendre. Pour être suffisantes, les raisons invoquées doivent être sérieuses et il ne doit pas y avoir eu négligence de la part de la partie qui prétend n’avoir pu se faire entendre. La règle qui doit toujours guider le tribunal lorsqu’il a à décider de cette question est le respect des règles de justice naturelle.
[12] En l’espèce, l’employeur invoque qu’il n’était pas présent lors de l’audience du 29 janvier 2010 à cause d’un imbroglio administratif. Madame Lise Couillard, adjointe à la gestion des dossiers chez l’employeur, témoigne à l’audience. Elle explique que l’employeur fait affaire avec un avocat pour tous les dossiers litigieux. C’est elle qui informe le procureur lorsqu’une requête est reçue chez l’employeur. À l’époque pertinente, le procureur de l’employeur est maître Michel Dorais. Dans la requête en révision accompagnée d’un affidavit de madame Couillard, les circonstances de l’imbroglio sont décrites comme suit :
Malentendu sur la date d’audience :
6. L’audience étant fixée pour le 29 janvier 2010 et le dossier ayant été remis à Me Michel Dorais pour représentée [sic] Gestion Immobilia, le procureur avisa Gestion Immobilia qu’il était absent pour vacances entre le 15 et le 31 janvier 2010 et qu’il verrait à trouver un procureur disponible pour agir dans ce dossier à la date prévue;
7. Effectivement, en date du 13 janvier 2010, le procureur a contacté Me Natale Screnci, de l’étude Talbot Kingsbury à Terrobonne [sic], lequel avait été référé comme pratiquant dans ce genre de dossiers;
8. Me Screnci ayant reçu l’avis de convocation pour le 29 janvier ainsi que les coordonnées de Gestion Immobilia et les explications sommaires sur le dossier, il devait rencontrer les représentants de Gestion Immobilia afin de préparer l’audience;
9. Toutefois, ayant contacté Mme Lise Couillard, secrétaire de Gestion Immobilia, dans le but de fixer une rencontre avec le représentant de la compagnie, M. Claude Charron, le procureur se fit expliquer que la date du 29 janvier n’était pas la bonne puisque les parties étaient en attente d’une décision pour la fin de février dans ce dossier;
10. En fait, il s’agissait d’un autre dossier traitant des mêmes parties pour la même relation de travail mais portant sur l’existence d’une lésion professionnelle devant la CSST, en révision d’une première décision ayant donné raison également à Gestion Immobilia;
11. Il s’agissait du dossier R-134960392-001, devant le réviseur Julien Bronsard, dont copie du jugement rendu le 25 février est annexée aux présentes sous la cote R-1;
12. Mme Couillard étant convaincue que Me Natale Screnci parlait du même dossier, il y eut confusion quant à la nécessité de la présence du procureur, ce qui explique l’absence de Gestion Immobilia à l’audience du 29 janvier 2010 alors qu’elle fut toujours représentée dans toutes les auditions de tous les dossiers entre les présentes parties;
[13] Madame Couillard ajoute que maître Dorais représentait l’employeur dans tous les dossiers litigieux notamment en matière de santé et de sécurité du travail. Selon la procédure prévue, dès la réception d’un document dans un de ces dossiers litigieux, elle en remettait une copie à maître Dorais et une à monsieur Charron. Puis, elle attendait leurs instructions pour la suite des choses. Elle s’assurait du suivi de chacun des dossiers.
[14] Dans le dossier à l’étude, madame Couillard admet avoir probablement fait une erreur de dossier. Il y avait deux dossiers litigieux pour le même travailleur. Elle croyait que l’audience du 29 janvier 2010 portait sur l’autre dossier dont l’audience avait été remise. Elle savait que maître Screnci remplaçait maître Dorais pendant une courte période en janvier 2010. Elle admet qu’elle aurait dû vérifier ses dossiers avec plus de précision et aurait dû s’assurer que maître Screnci serait présent lors des audiences pendant les vacances de maître Dorais. Il est clair dans son esprit que si elle avait réalisé à temps qu’une audience procédait le 29 janvier 2010, maître Screnci et monsieur Charron auraient été présents, puisqu’elle les aurait certainement avisés.
[15] Monsieur Charron témoigne également à l’audience. Il est le président de l’entreprise et explique qu’il confie les dossiers administratifs litigieux aux procureurs. Il confirme qu’il se serait certainement présenté à l’audience du 29 janvier 2010 s’il l’avait su.
[16] Par ailleurs, le procureur de l’employeur au dossier actuel plaide qu’il se peut également qu’une erreur du représentant ait été commise. Selon lui, maître Screnci aurait dû vérifier par lui-même les dates d’audience et ne pas se fier uniquement à madame Couillard. L’a-t-il fait? La soussignée considère que la preuve est complètement muette de sorte qu’elle ne peut tenir compte de cet argument.
[17] L’employeur dépose une décision de la Commission des lésions professionnelles qui énonce à bon droit que l’erreur de l’avocat ne peut porter préjudice au droit de l’employeur d’être entendu, si ce dernier n’a pas fait preuve de négligence[4] et une autre qui énonce avec justesse le caractère fondamental du droit d’être entendu[5].
[18] Le représentant du travailleur s’oppose quant à lui à la requête de l’employeur plaidant que l’employeur a été dûment convoqué à l’audience du 29 janvier 2010 et que s’il n’était pas présent, il n’a que lui-même à blâmer. Selon lui, l’employeur a été négligent dans la conduite de son dossier.
[19] À la lumière des témoignages de madame Couillard et de monsieur Charron, la soussignée estime que la preuve prépondérante établit que l’employeur avait l’intention de se présenter à l’audience du 29 janvier 2010. Il avait d’ailleurs mandaté son procureur, maître Dorais. Celui-ci s’absente pour vacances et confie le dossier à maître Screnci. Une erreur de date ou de dossier survient de sorte que l’employeur ne se présente pas à l’audience du 29 janvier 2010. Il s’agit probablement d’une méprise de bonne foi de la part de madame Couillard. De plus, une chose est sûre, c’est que l’employeur avait l’intention d’être présent à l’audience. N’eut été la confusion de dossiers, il aurait, en toute probabilité, été présent avec maître Screnci.
[20] La soussignée ajoute que la preuve n’a pas établi que l’employeur avait été négligent dans la conduite de son dossier. Il s’occupe de ses dossiers, il confie les mandats à ses procureurs et attribue la tâche de veiller au suivi des dossiers à madame Couillard. Il a sur pied un système qui a malheureusement failli lors de l’absence du procureur régulier alors qu’il y avait un autre dossier pour le même travailleur qui était actif en même temps. Ainsi, c’est à cause d’un malheureux concours de circonstances, sans qu’il ait fait preuve de négligence de sa part, que l’employeur ne s’est pas présenté à l’audience du 29 janvier 2010.
[21] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre au sens du second paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi. Ainsi, la requête en révocation de la décision du 1er avril 2010 est accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation de Gestion Immobilia;
CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur le fond de la contestation déposée par Gestion Immobilia.
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Marie Langlois |
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M. Jean-Pierre Devost |
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Cabinet-conseil |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marc Laporte |
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Fréchette, Avocats |
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Représentant de la partie intéressée |
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