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Dossier : 263290-64-0505
[1] Le 20 mai 2005, madame Fiorina Lio-Mascaro (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 avril 2005, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 février 2005 et déclare que la travailleuse devra faire parvenir ses demandes de remboursement en y joignant les factures ou les reçus originaux, qu’il faudra également que ces factures ou reçus détaillent les services rendus et témoignent du fait que les travaux ont été réalisés par des entrepreneurs établis ou, à tout le moins, qu’elles comportent des coordonnées d’entrepreneurs vérifiables, qui permettent d’établir que l’estimation des travaux a été faite officiellement et sérieusement et, enfin, que le conjoint ou tout autre membre de la famille, pour être indemnisé par la CSST pour avoir effectué les travaux d’entretien, devra établir qu’il agit à titre d’entrepreneur établi.
Dossier : 265783-64-0506
[3] Le 9 juin 2005, la travailleuse dépose une seconde requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 27 mai 2005, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme pour d’autres motifs celle qu’elle a initialement rendue le 22 avril 2005 et déclare que la travailleuse ne peut être remboursée pour les travaux d’entretien effectués le 12 avril 2005 puisque le membre de la famille qui a exécuté lesdits travaux n’agissait pas à titre d’entrepreneur établi.
[5] La travailleuse est présente et représentée à l’audience tenue, le 5 avril 2006, à Saint-Jérôme. Bien que dûment convoqué, Rayonese Textile inc. (l’employeur) n’a mandaté aucun représentant.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La travailleuse demande de déclarer qu’elle a droit au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien courant de son domicile, sans être soumise aux formalités que lui impose la CSST.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la contestation devrait être accueillie. Rien dans la loi n’interdit à la travailleuse de confier les travaux en cause à un membre de sa famille, même si ce dernier n’est pas un « entrepreneur établi », car le législateur n’a pas prévu cette dernière exigence. La loi requiert cependant de la travailleuse réclamant remboursement qu’elle prouve que les travaux ont été exécutés, qu’elle a réellement engagé les frais réclamés et que ceux-ci correspondent aux travaux requis. Dans les circonstances particulières mises en preuve, la travailleuse a droit au remboursement des frais engagés sur production d’une preuve de paiement, des reçus détaillés émis par la ou les personnes ayant exécuté les travaux et de deux estimations détaillées.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le droit de la travailleuse, aujourd’hui âgée de 66 ans, de bénéficier de la mesure de réadaptation sociale relative au remboursement du coût des travaux d’entretien courant de son domicile prévue à l’article 165 de la loi n’est nullement remis en question :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[9] Il n’est pas non plus contesté que les travaux pour lesquels elle réclame le remboursement constituent des travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait elle-même si ce n’était de sa lésion, au sens de l’article précité.
[10] Ce sont les modalités assortissant le remboursement réclamé qui font ici l’objet de litige.
[11] À l’occasion d’une demande de remboursement de frais présentée par la travailleuse, la CSST lui adresse, le 7 février 2005, une lettre[2] annonçant un changement par rapport à la coutume établie depuis un certain nombre d’années et dont il convient de reproduire ici l’extrait suivant :
Dorénavant, le travailleur[3] devra faire parvenir ses demandes de remboursement en y joignant la facture ou le reçu original. Il faudra également que ces factures ou reçu détaillent les services rendus et témoignent du fait que les travaux ont été réalisés par des entrepreneurs établis ou, à tout le moins, qu’elle comporte des coordonnées d’entrepreneurs vérifiables, qui permette d’établir que l’estimation des travaux a été faite officiellement et sérieusement.
Veuillez prendre note que la conjointe ou tout membre de la famille ne peut effectuer les travaux d’entretien et être indemniser (sic) par la CSST.
(Le tribunal souligne)
[12] Témoignant devant le tribunal, la travailleuse explique ne pouvoir satisfaire ces nouvelles exigences, pour les raisons suivantes :
- son fils exécute les travaux d’entretien courant de son domicile, à l’intérieur comme à l’extérieur, depuis plus de quinze ans ;
- il ne s’agit pas de « travail au noir », puisque son fils a un emploi à plein temps dans une polyvalente comme professeur d’éducation physique ; il fait cela pour rendre service à sa mère ;
- étant veuve, elle se sent en confiance avec lui et peut lui confier les clés de la maison et du cabanon, même lorsqu’elle s’absente, ce qu’elle ne peut évidemment envisager avec un étranger ;
- elle a déjà, par le passé, confié le déneigement de sa propriété à un entrepreneur ; il en est résulté des dommages à sa maison causés par la machinerie lourde utilisée ;
- aucun entrepreneur ne veut plus accepter le contrat de déneigement, parce qu’il est impossible de le faire sans endommager la propriété vu la configuration des lieux, à moins d’utiliser un équipement spécialisé ce qui rend le coût de l’opération exorbitant ;
- d’ailleurs, plus aucun entrepreneur n’exécute plus de tel contrat sur sa rue ;
- le déneigement doit donc être fait entièrement à la main ;
- quant à la tonte du gazon, la dernière fois qu’elle a fait affaires avec un « contracteur paysagiste », en 2005, celui-ci a encaissé la somme convenue, mais n’a pas rendu les services, de sorte que c’est encore son fils qui l’a dépannée.
[13] La travailleuse reconnaît par ailleurs avoir récemment soumis à la CSST deux estimés dressés par des « entrepreneurs établis » pour travaux de peinture. Elle reconnaît aussi pouvoir payer son fils par chèque, plutôt qu’en argent comptant.
[14] Quant au fait que son fils ne se livre pas à une activité de « travail au noir », le témoignage de la travailleuse est corroboré par les factures des 11 décembre 2004 et 11 avril 2005 présentées à la CSST et dont copies sont reproduites au dossier.
[15] Clairement, certaines conditions au remboursement des frais d’entretien imposées par la CSST excèdent les exigences de la loi et y constituent un ajout injustifié.
[16] Ainsi, la loi ne prohibe nullement l’exécution des travaux en cause par un membre de la famille du travailleur prestataire.
[17] Dans le présent cas, le fils de la travailleuse peut donc effectuer les travaux d’entretien courant du domicile de sa mère, ce qui ne saurait priver cette dernière du remboursement des sommes qu’elle lui verse à cette fin, jusqu’à concurrence évidemment du maximum autorisé par la loi.
[18] La loi n’exige pas non plus que les travaux d’entretien courant du domicile soient exécutés par des entrepreneurs[4]. Lorsque telle exigence a été jugée appropriée par le législateur, il l’a mentionnée explicitement, comme à l’article 156 de la loi par exemple ; ce n’est pas le cas à l’article 165. On conçoit d’ailleurs aisément que des travaux d’entretien courant ne soient pas soumis aux mêmes formalités que des travaux d’adaptation.
[19] Dans le cas particulier de la travailleuse, selon la preuve soumise, le maintien de telle exigence aurait pour conséquence de la priver d’un droit que la loi lui reconnaît. Les travaux dont la travailleuse réclame le remboursement en vertu de l’article 165 de la loi n’ont pas à être effectués par des entrepreneurs.
[20] D’autre part, il découle implicitement des termes de l’article 165 que la présentation de certaines pièces justificatives est requise pour l’obtention d’un remboursement.
[21] Qui dit « remboursement » dit forcément déboursé préalable, dont la preuve doit être offerte[5]. Toute pièce établissant le paiement est suffisante : la copie d’un chèque encaissé ou un reçu en bonne et due forme, par exemple.
[22] De même, la démonstration que les sommes réclamées ont bel et bien servi aux travaux dont le remboursement est autorisé par ledit article, peut se faire par la présentation d’une facture détaillant ceux-ci, précisant l’endroit où ils ont été effectués, permettant d’en identifier l’exécutant et fournissant ses coordonnées (adresse et numéro de téléphone) pour vérification ultérieure, le cas échéant.
[23] Que la somme réclamée soit en proportion de la valeur des travaux exécutés ou des services reçus est également implicite dans le texte de la loi, bien que le législateur n’ait pas jugé opportun de prévoir à l’article 165, la fourniture d’« estimations détaillées », comme il l’a fait aux articles 154 et 156, par exemple[6].
[24] Cette différence s’explique probablement par le fait que les sommes impliquées dans les travaux d’entretien courant sont moindres que celles requises pour le déménagement ou l’adaptation du domicile.
[25] Dans les circonstances particulières de l’espèce, il serait de toute façon inutile de demander à des entrepreneurs des soumissions pour des travaux qu’aucun d’entre eux n’est disposé à exécuter.
[26] La CSST dispose quant à elle de ressources bien plus vastes que celles de la travailleuse. La première aura donc tout loisir de procéder à des vérifications auprès d’entrepreneurs indépendants, s’il s’avère que les sommes réclamées par la seconde lui paraissent exagérées.
[27] Dans le dossier 263290-64-0505, il y a donc lieu de modifier la décision rendue le 28 avril 2005 à la suite d’une révision administrative, pour déclarer qu’afin d’obtenir le remboursement des frais engagés pour les travaux d’entretien courant de son domicile, la travailleuse doit produire des factures ou des reçus donnant le détail desdits travaux, les noms, adresses et numéros de téléphone des personnes qui les ont effectués ainsi que l’endroit où ils l’ont été et doit, de plus, fournir la preuve du paiement à un tiers de la somme dont le remboursement est réclamé.
[28] Dans le dossier 265783-64-0506, la décision, rendue par la CSST le 22 avril 2005 et confirmée le 27 mai suivant à la suite de la révision administrative, refuse le remboursement d’une somme de 854,00 $ réclamée pour des travaux d’entretien à l’intérieur du domicile dont le détail apparaît à la facture numéro 267510 du 11 avril 2005 émise par le fils de la travailleuse.
[29] À la condition que le fils de la travailleuse fournisse ses adresse et numéro de téléphone à la CSST en exécution de la présente décision et jusqu’à concurrence du maximum annuel autorisé en vertu de l’article 165 de la loi, la travailleuse a droit au remboursement de la susdite somme.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier : 263290-64-0505
ACCUEILLE la requête de madame Fiorina Lio-Mascaro, la travailleuse ;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 avril 2005, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que pour obtenir le remboursement des frais engagés pour les travaux d’entretien courant de son domicile, la travailleuse doit produire des factures ou des reçus donnant le détail desdits travaux, les noms, adresses et numéros de téléphone des personnes qui les ont effectués ainsi que l’endroit où ils l’ont été et doit, de plus, fournir la preuve du paiement à un tiers de la somme dont le remboursement est réclamé.
Dossier : 265783-64-0506
ACCUEILLE la requête de la travailleuse ;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 mai 2005, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que sur fourniture de l’adresse et du numéro de téléphone de son fils, Roberto, la travailleuse a droit au remboursement de la somme de 854,00 $, le tout jusqu’à concurrence du montant annuel maximum autorisé par l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Jean-François Martel |
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Commissaire |
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Madame Caroline Gimenez Marquis |
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Desroches, Mongeon, Bonenfant |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C’est en fait la décision initiale faisant l’objet du dossier 263290-64-0505
[3] La lettre est erronément adressée à « monsieur Lio Fiorina », alors que le mari de la travailleuse est décédé depuis 2001.
[4] Voir : Millaire et Sport Motorisé Millaire inc., 252156-64-0412, 05-11-14, F. Poupart
[5] Voir : Cantin et Pointe-Nor (Gravier), 266316-08-0507, 06-03-13, J.-F. Clément ; Bacon et General Motors du Canada ltée, 226939-04-0402, 04-11-17, J.-F. Clément ; Hamelin et Mines Richmont inc. (Division Beaufor), 200318-08-0302, 04-10-07, P. Prégent et l’abondante jurisprudence y citée
[6] Voir : Babeu et Boulangeries Weston Québec ltée, 166478-62B-0108, 03-01-16, N. Blanchard ; Aurucci et Produits Ferro compagnie ltée, 231671-71-0404, 04-10-14, L. Landriault ; Bastien et CHSLDF Plateau Mont-Royal, 226220-71-0401, 2004-07-15, L. Couture ; Boucher et Ventilation Air-Technic inc., 226613-05-0402, 04-06-23, M. Allard
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