Décision

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COUR D’APPEL

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-013413-034

(500-05-071013-021)

 

DATE :

19 MARS 2004

 

 

CORAM:

LES HONORABLES

ANDRÉ FORGET J.C.A.

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

PIERRETTE RAYLE J.C.A.

 

 

LÉONA LAPOINTE

APPELANTE/Requérante

c.

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

et

DIANE TAILLON, MICHELINE BÉLANGER ET DIANE BEAUREGARD, ès qualités de commissaires de la Commission des lésions professionnelles

INTIMÉES/Intimées

Et

 

SÉCURIBUS INC.

et

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

MISES EN CAUSE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; -Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 23 avril 2003 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Rodolphe Bilodeau), qui a rejeté la requête en révision judiciaire de l'appelante;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs ci-joints du juge Dalphond auxquels souscrivent les juges Forget et Rayle :

[4]                ACCUEILLE l'appel, avec dépens;

[5]                INFIRME le jugement de première instance et procédant à rendre jugement :

-                     ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;

-                     ANNULE les décisions de la Commission des lésions professionnelles des 7 janvier 2000, 29 novembre 2000 et 24 janvier 2002;

-                     RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu'il soit traité conformément à la loi;

-                     ANNULE la décision de la commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

 

ANDRÉ FORGET J.C.A.

 

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 

 

 

 

 

PIERRETTE RAYLE J.C.A.

 

Me Laurent Roy

Trudel, Nadeau

Avocat de l'APPELANTE

 

Me Jacques David

Levasseur Verge

Avocat de l'intimé Commission des lésions professionnelles

 

Me Lucille Giard

Panneton, Lessard

Avocate de la mise en cause Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Date d’audience :

19 février 2004


 

 

MOTIFS DU JUGE DALPHOND

 

 

[6]                La Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) peut-elle considérer qu'un travailleur est lié par le contenu du rapport médical préparé par un spécialiste à la demande du médecin qui en avait charge, lorsque ce rapport contredit le rapport final de ce dernier et qu'il n'a pas été communiqué au travailleur ? À mon avis, non, car cela est contraire à la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la Loi).

LES FAITS

[7]                Le 29 septembre 1997, l'appelante, qui est alors conductrice d'un minibus scolaire, ressent une vive douleur au bras droit en refermant la porte d'accès. Elle consulte le jour même un médecin qui prescrit un arrêt de travail, puis reçoit de la CSST des indemnités de remplacement de revenu.

[8]                Du 29 septembre au 28 octobre 1997, elle est suivie par le Dr Pham, qui la réfère au Dr Favreau, orthopédiste. Ce dernier complète le 7 novembre 1997 un formulaire de la CSST intitulé «rapport final»[1] consolidant la lésion au 1er décembre 1997 et précisant que l'appelante ne conserve aucune atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ni limitation fonctionnelle.

[9]                Toujours en proie à des douleurs, l'appelante consulte le 20 novembre 1997 le Dr Dubé, omnipraticien. Il devient le médecin qui la verra régulièrement et établira son programme de traitement. Au besoin, il la réfère en physiatrie et en orthopédie; c'est ainsi qu'elle rencontre à quelques reprises le Dr Roy, orthopédiste.

[10]           Le 12 mai 1998, le Dr Dubé complète un rapport final dans lequel il diagnostique une tendinite de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite et une arthrose acromio-claviculaire. Il précise que la lésion est consolidée en date du 12 mai et que l'appelante en conserve une atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles. À la question du formulaire : «Produirez-vous le rapport d'évaluation en conformité avec le barème des dommages corporels ?», il répond «non» et indique que le dossier est référé au Dr Roy.

[11]           Le 1er juin 1998, après avoir examiné l'appelante, le Dr Roy complète un rapport final où il ne retient aucun DAP. En effet, son diagnostic se limite à une entorse cervicale et une entorse de l'épaule droite, consolidées en date du 1er juin 1998. Il ajoute que l'appelante souffre d'arthrose acromio-claviculaire et de tendinose chronique, des conditions personnelles préexistantes, et que les atteintes ou limitations pouvant exister sont reliées à ces conditions et non à la lésion. Le Dr Roy expédie son rapport final directement à la CSST. Il appert du dossier, tel que constitué à ce jour, que ni l'appelante ni le Dr Dubé n'ont été informés du contenu du rapport du Dr Roy avant cette décision.

[12]           Le 10 juin 1998, sur la foi du rapport final du Dr Roy, la CSST déclare l'appelante capable de reprendre son emploi depuis le 2 juin 1998 et cesse de lui verser des indemnités de remplacement de revenu.

[13]           Le 29 juin 1998, l'appelante, informée de la décision et de son motif, en demande la révision. Six mois plus tard, soit le 6 janvier 1999, la direction de la révision administrative de la CSST confirme la décision du 10 juin 1998.

[14]           Entre-temps, le Dr Dubé complète un nouveau rapport final dans lequel il réitère que la lésion était consolidée au 12 juin 1998 et qu'elle a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Toujours incapable de faire l'évaluation du DAP qui résulterait de ces limitations et atteintes, il réfère sa patiente au Dr Caron. Dans les faits, l'évaluation est complétée par le Dr Auger, le 5 octobre 1999. Il y conclut à un DAP de 10,85 %. Ces nouveaux rapports sont envoyés à la CSST.

[15]           Insatisfaite de la décision en révision administrative, l'appelante se pourvoit devant la Commission des lésions professionnelles (CLP). Par décision rendue le 7 janvier 2000, la décision de la révision administrative est confirmée. Le 28 janvier 2000, l'appelante demande à la CLP la révision pour cause; sa requête est rejetée le 29 novembre 2000. Quelques mois plus tard, soit le 24 janvier 2001, l'appelante demande à nouveau une révision pour cause; cette requête est rejetée par la CLP le 24 janvier 2002.

[16]           Considérant qu'il n'y avait plus d'espoir par les mécanismes du tribunal administratif, l'appelante se tourne vers la Cour supérieure. Le 23 avril 2003, sa requête en révision judiciaire est rejetée.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

[17]           Les motifs du premier juge sont succincts. Pour éviter de trahir sa pensée, je les reproduis in extenso :

[10]      Lapointe prétend que le Dr Roy, bien que référé par le Dr Dubé, a outrepassé son mandat en déclarant que la blessure qui avait donné ouverture au paiement de l’indemnité de la CSST était consolidé et que les autres inconvénients ou maladies existantes étaient dus à sa condition personnelle;

[11]      Cette conclusion, d’après la requérante Lapointe, modifie le rapport du Dr Dubé qui est reconnu comme le médecin traitant par la CSST et ce que ne pouvait faire le Dr Roy. Ainsi, la requérante a le droit de confier un nouveau mandat à un autre médecin qui devra établir une évaluation qui consistera à simplement mettre des chiffres quant aux conclusions du premier médecin;

[12]      La CSST réplique en reconnaissant que le Dr Dubé est le médecin traitant dans les circonstances, mais qu’en confiant un mandat au Dr Roy d’établir une évaluation, il lui a délégué ses droits quant à cet aspect du rapport médical;

[13]      Le tribunal ne peut intervenir, à moins que le rapport du médecin mandaté soit tout à fait irresponsable et fantaisiste (déni de justice), ce qui n’est sûrement pas le cas dans l’affaire qui nous est soumise;

[14]      Si le médecin traitant a le droit de déléguer certains de ses pouvoirs et obligations, il ne peut refuser les expertises qui ne le satisfont pas jusqu’à trouver celles qui pourraient lui plaire;

 

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[18]           Selon l'appelante, la CLP a rendu une décision manifestement déraisonnable en concluant que la CSST était bien fondée de rendre sa décision sur la foi du rapport final du Dr Roy. En effet, puisque le médecin qui avait charge de l'appelante était le Dr Dubé, le rapport final devait émaner de lui (art. 203 de la Loi); celui du Dr Roy ne pouvait être qu'un rapport complémentaire portant sur l'évaluation du DAP, lequel ne pouvait remettre en question le diagnostic du médecin en charge qui avait reconnu l'existence d'une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. L'appelante ajoute qu'en substituant le rapport du Dr Roy à celui du Dr Dubé quant à l'existence d'atteintes et de limitations, la CSST a ignoré les mécanismes de protection prévus à la Loi et a rendu une décision manifestement déraisonnable tel que décidé dans l'arrêt Sana Slailaty c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et CSST, [1999] CLP 713 (C.A.).

[19]           L'appelante résume sa position comme suit : les décisions de la CLP sont manifestement déraisonnables et mènent à un résultat inéquitable, ce qui est contraire à l'art. 351 de la Loi qui édicte que «la Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas».

[20]           La CSST, mise en cause mais véritable partie adverse, rétorque que le pourvoi soulève essentiellement la question suivante : Qui était le médecin dont l'avis pouvait lier la CSST aux fins de la détermination de la capacité de l'appelante à exercer son emploi habituel ? Pour elle, il s'agit essentiellement d'une question de fait et la Cour supérieure était bien fondée de ne pas intervenir, puisque le Dr Roy était celui qui avait la charge de l'appelante pour les fins d'évaluation de son DAP. Par conséquent, la CSST était liée par l'opinion du Dr Roy. Elle ajoute que le rapport final du Dr Dubé n'avait pas à être considéré par la CSST car il n'était pas conforme aux exigences de l'art. 203 de la Loi, puisqu'il n'exprimait pas d'opinion sur l'ensemble des questions dont doit traiter un rapport final en vertu de cette disposition. Seul le rapport du Dr Roy était conforme à l'art. 203. La CSST fait aussi valoir que la thèse de l'excès de mandat ne tient pas. En effet, la Loi ne prévoit nullement qu'un médecin peut limiter le mandat qu'il confie à un autre.

[21]           Quant à l'affaire Slailaty, elle doit être distinguée pour deux raisons. Premièrement, selon elle, la CSST avait alors accepté le rapport final du premier médecin, même si incomplet, qui concluait en la présence d'atteintes permanentes; par conséquent, elle ne pouvait accepter un rapport subséquent qui remettait en cause cette décision[2]. Deuxièmement, le médecin qui avait procédé à l'évaluation du DAP n'avait jamais vu le travailleur; on ne pouvait alors retenir qu'il était le médecin qui avait charge du travailleur. En l'instance, le Dr Roy avait déjà vu l'appelante à quelques reprises, connaissait son dossier et était en mesure de rendre un rapport final.

LES DISPOSITIONS STATUTAIRES PERTINENTES

192.  Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.

199.  Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

200.     Dans le cas prévu par le paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 199, le médecin qui a charge du travailleur doit de plus expédier à la Commission, dans les six jours de son premier examen, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport sommaire comportant notamment:

 

 1° la date de l'accident du travail;

 2° le diagnostic principal et les renseignements complémentaires pertinents;

 3° la période prévisible de consolidation de la lésion professionnelle;

 4° le fait que le travailleur est en attente de traitements de physiothérapie ou d'ergothérapie ou en attente d'hospitalisation ou le fait qu'il reçoit de tels traitements ou qu'il est hospitalisé;

 5° dans la mesure où il peut se prononcer à cet égard, la possibilité que des séquelles permanentes subsistent.

Il en est de même pour tout médecin qui en aura charge subséquemment.

201.  Si l'évolution de la pathologie du travailleur modifie de façon significative la nature ou la durée des soins ou des traitements prescrits ou administrés, le médecin qui a charge du travailleur en informe la Commission immédiatement, sur le formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

202.  Dans les 10 jours de la réception d'une demande de la Commission à cet effet, le médecin qui a charge du travailleur doit fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport qui comporte les précisions qu'elle requiert sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

 

 

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

206.  La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

 2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

 

 

215.  L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.

La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.

220.  Le membre du Bureau d'évaluation médicale étudie le dossier soumis. Il peut, s'il le juge à propos, examiner le travailleur ou requérir de la Commission tout renseignement ou document d'ordre médical qu'elle détient ou peut obtenir au sujet du travailleur.

Il doit aussi examiner le travailleur si celui-ci le lui demande.

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

- - - - -

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

429.59.  Sauf sur une question de compétence, aucun des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre la Commission des lésions professionnelles ou l'un de ses membres agissant en sa qualité officielle.

Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler par procédure sommaire les jugements, ordonnances ou injonctions prononcés à l'encontre du présent article.

L'ANALYSE

[22]           Dans l'arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 RCS 345 , la Cour suprême sous la plume du juge Gonthier rappelle que la Loi reflète un compromis historique entre les travailleurs et les employeurs quant aux conséquences des accidents de travail.

[23]           Le caractère éminemment social de cette législation y est reconnu. Le système instauré vise à protéger les travailleurs et à assurer une indemnisation rapide, souple et équitable. Ainsi, l'art. 351 de la Loi rappelle que la CSST doit rendre ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas. En d'autres mots, tout cas qui mérite d'être indemnisé doit l'être.

[24]           Conformément à cette préoccupation, la Loi contient diverses dispositions qui permettent aux travailleurs qui se croient victimes d'une lésion professionnelle ou d'un accident du travail de choisir leur médecin, d'être informés des rapports qui les concernent et de contester les décisions de la CSST qui leur sont défavorables.

[25]           Afin d'assurer un traitement rapide des demandes d'indemnisation, la CSST est liée par le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux par. 1 à 5 du premier al. de l'art. 212 (art. 224), sauf si l'employeur choisi de les contester (art. 212).

[26]           L'approche retenue par les différents décideurs se résume à dire que le dernier rapport final complet reçu du médecin qui a charge du travailleur ou d'un médecin référé par lui, en la possession de la CSST au moment où elle rend sa décision, ne peut être écarté. En d'autres mots, un tel rapport lie toujours le travailleur, indépendamment des circonstances. À mon avis, une telle interprétation est contraire à la Loi et, par conséquent, doit être cassée.

[27]           En effet, ces décisions omettent un élément crucial à savoir la dernière partie de l'art. 203 de la Loi que je reprends ici : «Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport»[3].

[28]           En l'instance, l'appelante allègue, ce qui est avéré pour nous, que ni le Dr Roy ni le Dr Dubé ne l'ont avisée du contenu du rapport final du Dr Roy avant que la décision de la CSST ne soit rendue.

[29]           Avec égards pour les différents décideurs, il m'apparaît ici qu'il n'y avait que deux façons possibles de traiter le dossier. La première était de considérer que le Dr Dubé avait été en tout temps pertinent le médecin qui avait charge du travailleur au sens de l'art. 203 et, par conséquent, de qui le rapport final devait émaner. Si, comme en l'instance, il est incapable de répondre à certaines des questions prévues au «rapport final», il lui est alors loisible de retenir les services d'un autre médecin pour produire un rapport complémentaire[4]. Il demeure cependant que cet autre médecin ne devient pas le médecin qui a charge du travailleur au sens de la Loi, mais uniquement un professionnel qui a mandat de compléter le rapport du médecin qui a charge. Il s'ensuit que si le Dr Dubé était le médecin qui avait charge de l'appelante, il avait l'obligation en vertu de l'art. 203 in fine d'informer cette dernière sans délai du contenu du rapport complémentaire du Dr Roy. Cela implique que le Dr Roy avait l'obligation de lui transmettre copie de son rapport afin que le Dr Dubé puisse remplir son obligation légale d'informer l'appelante. Une fois informée, il appert qu'à l'initiative du Dr Dubé ou de l'appelante, un autre médecin aurait été retenu pour préparer un nouveau rapport complémentaire. En effet, le dossier tel que constitué révèle que le Dr Dubé, malgré le rapport complémentaire du Dr Roy, a maintenu son diagnostic que la lésion professionnelle avait causé des limitations et des atteintes permanentes à l'appelante.

[30]           En retenant cette approche, pour les fins de l'art. 203 de la Loi, le rapport final complet est constitué du rapport du médecin qui a charge du travailleur (Dr Dubé) et du rapport complémentaire demandé au Dr Roy. La décision de la CSST ne peut ensuite écarter le rapport du médecin qui a charge pour retenir le rapport complémentaire (Slailaty, précité). Au mieux, elle peut constater que le rapport du médecin qui a charge du travailleur et celui qui a préparé le rapport complémentaire sont contradictoires et, conformément à l'art. 204, exiger du travailleur qu'il se soumette à un examen auprès d'un médecin désigné par la CSST. Il est alors probable qu'il y aura des diagnostics contradictoires et que l'affaire aboutira devant le bureau de l'évaluation médicale (BEM). Il demeure que la décision du BEM, même si elle liera la CSST, ne liera pas l'appelante qui pourra alors se prévaloir de ses recours devant la CLP et tenter d'établir, par toute preuve appropriée, sa condition médicale véritable.

[31]           En résumé, si l'on retient que le médecin qui avait charge de l'appelante était le Dr Dubé, la procédure suivie par la CSST est irrégulière puisqu'elle a écarté son rapport pour y substituer un rapport complémentaire, ce que ne permet pas l'art. 203 qui exige que le rapport final émane du médecin qui a charge du travailleur. Si ce rapport est incomplet, il revient à ce médecin de le faire compléter ou encore à la CSST de prendre les moyens pour qu'il soit complété. En l'instance, ce n'est pas la procédure qui a été suivie. L'approche retenue par la CSST a pour effet de nier à l'appelante la possibilité d'une indemnisation si le diagnostic du Dr Roy, remis à la CSST à l'insu de l'appelante, est mal fondé. Une telle conclusion ne peut qu'être contraire à l'art. 351 de la Loi et, par conséquent, manifestement déraisonnable.

[32]           La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l'appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l'appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu'elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l'obligation faite à l'art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l'informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l'allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l'appelante en vertu de la Loi, car violant l'art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d'être informé du contenu du rapport final de ce dernier.

[33]           Le refus de reconsidérer la décision du 10 juin en pareilles circonstances revient à stériliser la fin de l'art. 203 et, par conséquent, constitue une décision contraire à la Loi, ce que le législateur n'a pu vouloir. Une décision si contraire à l'intention législative est alors manifestement déraisonnable.

[34]           En résumé, que l'on retienne que le médecin qui avait charge est le Dr Dubé ou, au contraire, le Dr Roy, le dossier tel qu'il nous est présenté révèle une décision manifestement déraisonnable de la part de la CSST lorsqu'elle refuse de reconsidérer la décision du 10 juin 1999 et de la CLP lorsqu'elle confirme cette décision. En présence d'une décision manifestement déraisonnable, contraire à la Loi, l'appelante pouvait demander la révision pour cause (T.A.Q c. Godin, J.E. 2003-1695 (C.A.)). Les décisions de la CLP en révision sont aussi déraisonnables que la décision initiale de CLP; la Cour supérieure aurait dû intervenir.

LE DISPOSITIF

[35]           Pour tous ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel et, procédant à rendre jugement, d'accueillir la requête en révision judiciaire, d'annuler les décisions rendues par la CLP confirmant la décision de la CSST, d'annuler la décision de la CSST et de retourner le dossier à cette dernière pour qu'il soit traité conformément à la Loi.

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND J.C.A.

 



[1]    La CSST demande aux médecins de compléter différents formulaires préparés par elle aux fins d'application de la Loi. Au début, le médecin complète un «rapport médical» qui pourra être suivi d'autres rapports de même nature. Lorsque la lésion est consolidée, il complète un «rapport final»; s'il est alors d'avis que la lésion a causé une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique (APPIP) ou des limitations fonctionnelles, il l'indique. Une évaluation (DAP) résultant du déficit anatono-physiologique de l'APPIP ou des limitations fonctionnelles, établie selon le barème de la CSST, devra suivre, appelée «rapport d'évaluation médicale».

[2]    Il est inexact d'affirmer que dans l'arrêt Slailaty, une décision avait bel et bien été rendue par la CSST. En effet, la lettre adressée à Slailaty ne constituait pas une décision de la CSST. Au contraire, la CSST y demandait à la travailleuse de retourner chez son médecin pour parfaire l'évaluation. De plus, en soutenant cette interprétation de l'arrêt Slailaty, la CSST se contredit. Si la lettre à Slailaty constituait une décision, il en découle nécessairement que la CSST avait reconnu comme constituant un rapport final au sens de l'art. 203, un rapport incomplet, ce qu'elle refuse pourtant de faire en l'instance.

[3]    Il en va de même du rapport complémentaire préparé à la demande de la CSST par le médecin qui a charge du travailleur (art. 205.1).

[4]    Le formulaire «rapport final», préparé par la CSST, envisage expressément cette possibilité. Quant à la Loi, elle n'interdit pas cette façon de faire; au contraire, elle reconnaît la possibilité de rapport complémentaire (voir, par exemple, l'art. 205.1).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.