Jack Victor ltée et Mok |
2012 QCCLP 137 |
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[1] Le 20 janvier 2011, la compagnie Jack Victor ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 13 janvier 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 septembre 2010 déclarant que la travailleuse a subi une maladie professionnelle le ou vers le 30 avril 2010 dont le diagnostic est celui de syndrome du canal carpien bilatéral. La CSST déclare également que la travailleuse a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Monsieur Jo Leggio, cadre auprès de l’employeur, et son représentant sont présents à l’audience tenue à Montréal le 31 octobre 2011. La travailleuse et sa représentante sont aussi présentes à l’audience.
[4] Lors de l’audience, la travailleuse s’est engagée à fournir des documents complémentaires avec droit de commentaire à l’employeur. Le dossier étant complet le 21 décembre 2011, c’est à cette date que l’affaire est mise en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’est pas atteinte d’une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de syndrome du canal carpien bilatéral.
LES FAITS
[6] La travailleuse, originaire de Hong Kong, est établie au Canada depuis 1992.
[7] Après avoir occupé un emploi pendant environ sept ans dans un café où elle servait du café et des sandwichs, la travailleuse occupe depuis novembre 2001 un emploi d’opératrice de machine à coudre.
[8] La travailleuse est syndiquée et est assujettie à une convention collective. Elle est rémunérée sur la base d’un tarif horaire et non à la pièce.
[9] L’horaire normal de travail de madame Mok est de cinq jours par semaine soit du lundi au vendredi correspondant à 39 heures travaillées. Elle prend une pause de 10 minutes le matin et une autre l’après-midi ainsi qu’une pause repas d’une heure.
[10] La travailleuse, qui est droitière, opère une machine à coudre et manipule le tissu avec les deux mains. Sa principale tâche consiste à coudre des bandes de tissu de renforcement à l’intérieur des manches de veston servant d’échantillon.
[11] La travailleuse est affectée au même travail depuis son embauche.
[12] À l’audience, la travailleuse a produit une bande vidéo qu’elle a faite afin de démontrer ses tâches aux membres de sa famille. On y voit la travailleuse assise à une table sur laquelle est posée une machine à coudre. À sa gauche sont placés les vestons. Elle prend un veston de sa main gauche, l’installe sur la machine à coudre, active le levier du pied de la machine à coudre, le referme et elle coud la bande de tissu de renforcement, le tout en utilisant ses deux mains,.
[13] Sur la bande vidéo, on voit que la main et le poignet gauches sont en légère extension. Le pouce, l’index et le majeur sont en pince digitale. Elle effectue également un mouvement de pronation et de supination de l’avant-bras lorsqu’elle déplace le tissu vers l’avant pour le coudre. De la main droite, la travailleuse effectue une petite déviation cubitale avec une préhension du pouce, de l’index et du majeur pour tenir et manipuler le tissu du veston. Une fois terminée, elle dépose le veston à sa droite.
[14] La travailleuse affirme avoir le souci du détail et elle veut que son travail soit bien accompli. Elle utilise parfois une brochette afin d’insérer le tissu dans la machine à coudre de manière à lui donner l’ampleur nécessaire à la manche. La travailleuse déclare qu’elle doit tenir le tissu de façon serrée pour avoir une belle tension et un point régulier. Selon le tissu utilisé du veston, elle précise que les manipulations sont plus ou moins difficiles à travailler et qu’elle devra plus ou moins forcer.
[15] Selon elle, elle peut coudre les deux manches de 265 à 275 vestons dans une journée.
[16] La travailleuse commente la bande vidéo réalisée par monsieur Jo Leggio sur laquelle on voit la contremaîtresse de plancher, madame Marina Diaz, opérer une machine à coudre en effectuant le même travail que le sien. La travailleuse affirme qu’il s’agit bien du même type de travail, mais qu’elle emploi une méthode de travail différente puisqu’elle place ses mains d’une façon différente.
[17] La travailleuse a commencé à ressentir des engourdissements aux doigts ainsi que des picotements au bout des doigts soit de l’index du majeur et de l’annulaire de la main droite alors qu’elle résidait toujours à Hong Kong. Elle déclare qu’elle n’avait à cette époque aucun problème à la main gauche. À cet effet, elle a consulté un médecin qui lui a indiqué qu’il s’agissait d’un problème cervical pour lequel il lui a montré des exercices de physiothérapie pour la libérer de ses douleurs.
[18] Par la suite, c’est vers 2002, soit environ un an après le début de son nouvel emploi d’opératrice de machine à coudre que la travailleuse a commencé à ressentir des engourdissements dans les mains, d’abord à la main gauche et, par la suite, aux deux mains.
[19] Le 7 mars 2007, le docteur Zigman, le médecin traitant de la travailleuse, rapporte qu’elle ressent des engourdissements et des picotements depuis plus de dix ans au bout des doigts de la main gauche et droite et que depuis trois mois, les douleurs sont plus fortes et plus fréquentes ressemblant à des chocs électriques. À l’examen, le test de Phalen est négatif aux deux mains alors que le test de Tinnel est positif aux deux mains.
[20] L’électromyogramme, réalisé le 11 avril 2007, démontre ce qui suit :
IMPRESSION : There is évidence for severe bilateral entrapment of the median nerves at the carpal tunnel. The patient was referred to occupational therapy for two wrist splints to be worn at night. Ultimately, surgical decompression of the median nerves will be required.
[21] L’examen réalisé en médecine nucléaire, le 19 juillet 2007, dont les informations cliniques indiquent la mention hyperthyroïdie, se révèle compatible avec une thyroïdite.
[22] La travailleuse confirme qu’à partir du mois de février 2010, elle a effectué moins de travail en raison d’une baisse de travail soit entre 14 et 35 heures par semaine.
[23] Le 18 mars 2010, la travailleuse consulte le docteur Zigman à qui elle explique que le syndrome du canal carpien a empiré au cours des mois de janvier et février 2010. Il lui a prescrit un arrêt de travail de deux mois en l’informant que s’il n’avait pas d’amélioration, elle devrait considérer une chirurgie.
[24] Le 12 juillet 2010, le docteur Zigman émet un rapport médical indiquant le diagnostic de syndrome du canal carpien précisant que les symptômes sont pires au travail.
[25] Le 1er septembre 2010, le docteur Florin Zaharia, médecin régional à la CSST, rapporte ce qui suit au dossier :
-ASPECT MÉDICAL :
Dossier révisé et Vidéo. Considérant ;
- une couture de manches aux 30 secondes
- la présence presque exclusive de flexions répétitives des doigts, avec pince assez forte pouce-index, les poignets étant de façon récurrente en déviation cubitale et/ou flexion
donc autant de facteurs de risque pouvant favoriser l’apparition d’un canal carpien bilatéral, le lien est acceptable. [Soulignements ajoutés]
[26] Le 28 janvier 2011, la travailleuse a subi une chirurgie consistant en la décompression du nerf médian de la main gauche. Selon les bilans sanguins de la travailleuse du mois de juillet 2007, la travailleuse avait une phase d’hyperthyroïdie.
[27] La travailleuse a cessé de travailler au mois de mars 2010 et n’a pas repris le travail depuis.
[28] Le 28 août 2011, la travailleuse subit une chirurgie de décompression du canal carpien droit.
Le rapport d’expertise et le témoignage du docteur John W. Osterman
[29] Le 20 octobre 2011, le docteur John W. Osterman, médecin spécialiste en médecine du travail et en santé communautaire, réalise une expertise médicale de la travailleuse qu’il signe le 24 octobre 2011.
[30] Au niveau des antécédents, le docteur Osterman rapporte que la travailleuse a fait une thyroïdite d’Hashimoto lui occasionnant un problème d’hypothyroïdie pour lequel elle prend du Synthroïd et est suivie en endocrinologie.
[31] Tel que la travailleuse l’a elle-même confirmé à l’audience, il indique que la travailleuse considère que sa condition au poignet gauche s’est améliorée d’environ 98 % alors qu’elle considère que le poignet droit s’est amélioré à 50 %.
[32] En opinion, le docteur Osterman retient le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral en état de post-décompression. Il considère que le poignet gauche est consolidé alors que le poignet droit est en voie de consolidation qu’il prévoit dans un délai rapproché.
[33] La même journée, le docteur Osterman émet un avis médico-administratif dans lequel il confirme avoir visionné la bande vidéo tournée chez l’employeur le 26 septembre 2011 avec la collaboration de madame Marina Diaz, contremaîtresse de la travailleuse ainsi que la bande vidéo d’environ 15 secondes que lui a montré la travailleuse. Il confirme qu’il a constaté que les activités effectuées par la travailleuse sur la bande vidéo « sont pour toutes fins identiques à celles du vidéoclip de madame Diaz ». Après une description de la bande vidéo du 26 septembre 2011, le docteur Osterman affirme qu’il n’a vu « aucune activité physiquement exigeante pour les poignets ».
[34] À l’audience, le docteur Osterman décrit l’étiologie du syndrome du canal carpien en expliquant qu’il peut être causé par plusieurs facteurs de risque notamment chez une femme qui accuse des troubles métaboliques tels que des problèmes d’hypothyroïdie qui est une des principales causes du canal carpien.
[35] Au soutien de son témoignage, le docteur Osterman réfère le tribunal à de la littérature médicale[2] dont le tribunal a pris connaissance.
[36] À cet effet, il attire l’attention du tribunal sur un extrait de l’ouvrage Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[3] qui résume une étude réalisée montrant l’hypothyroïdie avec une relation de coexistence mais également d’interaction dans le processus de l’apparition du syndrome du canal carpien.
[37] Le docteur Osterman précise qu’effectivement, il n’est pas toujours possible d’identifier la cause du syndrome du canal carpien.
[38] D’ailleurs, à l’aide de l’ouvrage intitulé le syndrome du canal carpien[4], le docteur Osterman identifie les différentes activités et mouvements à risque susceptibles d’occasionner un syndrome du canal carpien tel que les mouvements répétitifs du poignet ou de la main impliquant l’extension ou la flexion du poignet, la déviation radiale ou cubitale répétée ou continue ainsi que les mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts.
[39] Selon cette étude, les mouvements de préhension et de manutention tels que la préhension répétée d’objet avec pince digitale, la préhension d’objet avec traction répétée ou rotation du poignet, la préhension pleine main, les gestes de cisaillement et l’application d’une pression avec la main sont aussi des facteurs de risque. On y identifie aussi les cofacteurs de risque impliquant un travail avec le membre supérieur en flexion ou en abduction, l’utilisation d’outils vibrants ou à percussion, le port de gant ou l’exposition à froid.
[40] Le docteur Osterman soumet également un résumé du chapitre 5a intitulé Carpal Tunnel Syndrome émanant de l’étude du Niosh[5]. Selon lui, le facteur de risque du canal carpien est une combinaison de mouvements répétitifs, de force et de posture contraignante; facteurs qui ne sont pas démontrés, selon lui, sur la bande vidéo que lui a montré la travailleuse.
[41] Au sujet des mouvements répétitifs, le docteur Osterman réfère le tribunal à un extrait de l’ouvrage des auteurs Bergeron, Fortin et Leclair intitulé Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[6] selon lequel il faut environ 20 répétitions à la minute pour qu’un mouvement soit considéré répétitif et à risque élevé, ce qui n’est pas le cas de la travailleuse.
[42] Selon le docteur Osterman, la travailleuse n’effectue pas un travail impliquant de la force puisque lorsqu’elle pousse sur le tissu plutôt que le tirer, le poids du tissu n’est que de quelques onces.
[43] Il affirme que la travailleuse effectue des gestes anodins sans mouvement répétitif sauf pour la pince digitale de façon à tenir et faire avancer le tissu qui s’éloigne d’elle lorsqu’elle le coud. Si elle tire trop sur le tissu, la tension est irrégulière.
[44] Le docteur Osterman déclare que la travailleuse n’a pas les mains en position contraignante, qu’elles sont plutôt en position neutre bien qu’il concède que la travailleuse effectue des mouvements de pronation et de supination de la main gauche sans aucune déviation cubitale. Pour ce qui est de la main droite, il constate que la travailleuse peut faire des déviations cubitales sans pronation ni supination.
[45] Le docteur Osterman considère qu’un cycle est d’environ 30 secondes, c’est-à- dire le temps nécessaire pour coudre le tissu de renforcement sur une manche lequel consiste à engager le pied de la machine à coudre, faire avancer le tissu, arrêter la machine à coudre et couper les fils. Considérant qu’il y a différentes tâches d’impliquées dans un cycle tel que de mettre le tissu sur la machine à coudre, engager le pied de la machine à coudre, faire avancer le tissu, arrêter la machine à coudre et couper les fils, il est d’avis que la travailleuse a du temps de repos.
[46] Selon le docteur Osterman qui a pris connaissance du dossier médical de la travailleuse notamment des notes cliniques des docteurs Jack Cohen et du docteur Zigman déposées à l’audience, la travailleuse est porteuse d’un syndrome du canal carpien confirmé depuis 2007 et que les problèmes de thyroïde qui se sont développés en hypothyroïdie entre 2009 et 2010 ont eu pour effet d’exacerber les douleurs de la travailleuse reliées au syndrome du canal carpien bilatéral.
L’AVIS DES MEMBRES
[47] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a demandé et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec elle sur les questions faisant l’objet de la contestation ainsi que sur les motifs de cet avis.
[48] Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête de l’employeur doit être accueillie. Selon lui, la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle préexistante de syndrome du canal carpien bilatéral qui s’est manifesté au travail lequel s’est exacerbé pendant une phase d’hypothyroïdie.
[49] Monsieur M. Giroux retient, de plus, le témoignage du docteur Osterman selon lequel les facteurs de risque causant un syndrome du canal carpien sont la posture contraignante, la force et la répétitivité, lesquels ne sont pas présents dans le travail exécuté par la travailleuse.
[50] Selon le membre issu des associations syndicales, la requête de l’employeur doit être rejetée. Il est d’avis que les tâches de la travailleuse comportent les facteurs de risque reliés au syndrome du canal carpien.
[51] À cet effet, monsieur P. Gravel estime que la bande vidéo produite par la travailleuse comme étant probante. Selon cet élément de preuve, la travailleuse effectuait ses tâches en ayant les mains en préhension et en exerçant une pression pour tenir le tissu de manière à faire des points réguliers et constants. Il considère que la phase d’hypothyroïdie accusée par la travailleuse ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance d’une maladie professionnelle reliée aux risques particuliers du travail d’opératrice de machine à coudre.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[52] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi le ou vers le 30 avril 2010 un syndrome du canal carpien constituant une lésion professionnelle et si, conséquemment, elle a droit aux prestations prévues à la loi.
[53] Selon l’employeur, la travailleuse n’est pas atteinte d’une maladie professionnelle.
[54] L’article 2 de la loi définit les termes accident du travail et maladie professionnelle de la manière suivante :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[...]
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[55] En plus de la définition de maladie professionnelle prévue à l’article 2 de la loi, les articles 29 et 30 édictent les règles applicables à l’égard de ce type de lésion professionnelle.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[56] Bien que le syndrome du canal carpien ne soit pas une maladie prévue à l’annexe I de la loi, la représentante de la travailleuse invoque l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi alléguant que la travailleuse est atteinte d’une lésion musculo-squelettique reliée à son travail impliquant des mouvements répétitifs tel que prévu à la section IV de l’annexe I de la loi.
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
[…]
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
|
|
[…] |
[…]
|
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
[…] |
[…] |
__________
1985, c. 6, annexe I.
[57] Le diagnostic de syndrome du canal carpien n’est pas l’un des diagnostics prévus à la section IV de l’annexe I de la loi.
[58] Selon la jurisprudence[7] de la Commission des lésions professionnelles, la liste des maladies énumérées au paragraphe 2 de la section IV de l’annexe I de la loi est exhaustive puisque le caractère exceptionnel du mode de preuve par présomption doit être interprété de manière restrictive.
[59] Bien que le syndrome du canal carpien ne soit pas compris dans cette énumération du paragraphe 2 de la section IV de l’annexe I de la loi, la jurisprudence[8] reconnaît toutefois l’application de la présomption de l’article 29 de la loi au diagnostic du syndrome du canal carpien lorsque la preuve établit qu’il est causé par l’une des maladies prévues par cette énumération, c’est-à-dire soit par une ténosynovite, une tendinite ou une bursite. En l’espèce, la preuve médicale au dossier ne démontre pas que le syndrome du canal carpien bilatéral dont la travailleuse est porteuse est attribuable à l’une de ces maladies comprises dans cette liste exhaustive du paragraphe 2 de la section IV de l’annexe I de la loi.
[60] Dans les circonstances, la travailleuse ne peut bénéficier de l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi.
[61] Le tribunal doit donc déterminer si le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral dont est atteinte la travailleuse est une maladie professionnelle telle que définie par l’article 30 de la loi qui est caractéristique de son travail ou est relié aux risques particuliers de son travail d’opératrice de machine à coudre.
[62] La Commission des lésions professionnelles a interprété à plusieurs reprises l’article 30 de la loi précédemment reproduit, notamment dans l’affaire Bélisle et Restaurant Mikes[9] à l’occasion de laquelle elle s’est exprimée de la manière suivante :
[18] Une maladie est considérée caractéristique d'un travail lorsque la preuve révèle qu'un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables ont contracté cette maladie et que cette maladie est plus présente chez les personnes qui occupent ce type d'emploi que dans la population en général4.
[19] Une maladie est considérée reliée aux risques particuliers d'un travail lorsque l'exercice de celui-ci, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d'exercice, fait encourir à une personne le risque de contracter cette maladie5.
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4. Beaulieu Canada et Laverdière, C.L.P. 112259-62B-9903, 17 avril 2002, A. Vaillancourt ; Gagné et Cormier & Gaudet (fermé), C.L.P. 177087-04B-0201, 23 avril 2003, J.-F. Clément.
5. Colligan et Tricots d’Anjou inc., C.L.P. 172289-63-0111, 18 mars 2002, M. Gauthier; Gagné et Cormier & Gaudet (fermé), précitée, note4.
[63] Tel qu’énoncé dans l’affaire Succession de Tremblay et Alcan inc.[10], la preuve prépondérante doit établir l’existence du risque entre la maladie et le travail, ainsi que la contribution significative de ce risque au développement ou à l’évolution de ladite maladie.
[64] La preuve ne comporte pas d’études, de données ergonomiques ou médicales ni de relevés des réclamations de la CSST auprès de l’employeur démontrant qu’un nombre significatif de personnes effectuant la tâche d’opératrice de machine à coudre sont porteuses d’un syndrome du canal carpien. Le tribunal considère que le diagnostic de syndrome du canal carpien n’est pas caractéristique du travail effectué par la travailleuse. D’ailleurs, la représentante de la travailleuse n’allègue pas que le canal carpien bilatéral est caractéristique du travail d’opératrice de machine à coudre.
[65] Reste à déterminer si le diagnostic de canal carpien bilatéral est directement relié aux risques particuliers du travail d’opératrice de machine à coudre accompli par la travailleuse.
[66] Après examen et considération de la preuve factuelle et médicale, la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve prépondérante lui permet de conclure que la travailleuse est atteinte d’une maladie reliée aux risques particuliers d’opératrice de machine à coudre, et ce, pour les motifs ci-après exposés.
[67] C’est en 1997 lorsque la travailleuse était toujours à Hong Kong que la travailleuse a commencé à ressentir pour la première fois des engourdissements aux doigts et des picotements au bout des doigts, soit à l’index, au majeur et à l’annulaire de la main droite. Or, la preuve non contredite établit que la travailleuse a alors consulté un médecin qui lui a indiqué qu’elle avait un problème cervical et pour lequel il lui a montré des exercices de physiothérapie pour libérer ses douleurs. À cette époque, elle n’avait aucun symptôme à la main gauche. Aucun diagnostic de syndrome du canal carpien n’avait alors été posé.
[68] En 2002, soit un an après avoir commencé son travail d’opératrice de machine à coudre que des symptômes d’engourdissement se sont manifestés à la main droite et par la suite à la main gauche. Encore là, le diagnostic de syndrome du canal carpien n’est pas posé.
[69] Selon la note de consultation rapportée par le docteur Zigman lors de la consultation du 7 mars 2007 en raison d’engourdissement et de picotements aux mains, la travailleuse lui a rapporté ressentir ces symptômes au bout des doigts de la main gauche depuis plus de dix ans et depuis les trois derniers mois à la main droite. Ainsi, la preuve ne permet pas de conclure, de manière prépondérante, que les picotements et les engourdissements à la main droite soit dix ans plus tôt ce qui nous repporterait vers 1997, période où la travailleuse était toujours à Hong Kong, étaient des symptômes reliés à un syndrome du canal carpien, et ce, malgré cette note contenue au dossier du docteur Zigman.
[70] Par ailleurs, l’électromyogramme des mains, réalisé le 11 avril 2007, démontre que la travailleuse est porteuse d’un syndrome du canal carpien bilatéral.
[71] Selon l’examen réalisé en médecine nucléaire, le 19 juillet 2007, la travailleuse souffrait d’hyperthyroïdie et non d’hypothyroïdie. À cet effet, le tribunal retient le témoignage du docteur Osterman selon lequel l’hyperthyroïdie n’est pas un facteur de risque de développement d’un syndrome du canal carpien alors que c’est l’hypothyroïdie qui constitue un facteur de risque.
[72] Dans ce contexte, le tribunal estime que la preuve ne lui permet pas de conclure que le syndrome du canal carpien bilatéral dont la travailleuse est porteuse est attribuable à une condition personnelle d’hypothyroïdie préexistante à 2010.
[73] Selon le témoignage du docteur Osterman, la combinaison de trois facteurs de risque, soit la répétitivité, la force et la position contraignante, est nécessaire pour établir une relation entre le travail exécuté par madame Mok et le diagnostic de syndrome du canal carpien dont elle est porteuse. Il est d’avis que les tâches de la travailleuse n’impliquent pas de force, ni de mouvements répétitifs, ni de position contraignante pouvant avoir causé un syndrome du canal carpien bilatéral. Il attribue plutôt la cause du syndrome du canal carpien bilatéral à la condition personnelle d’hypothyroïdie dont la travailleuse est porteuse.
[74] Après avoir entendu le témoignage de la travailleuse et avoir visionné la bande vidéo préparée par l’employeur sur laquelle apparaît madame Diaz, la contremaitresse de la travailleuse ainsi que le visionnement de la bande vidéo faite par la travailleuse à l’aide de son téléphone cellulaire, le docteur Osterman maintient l’opinion qu’il avait rendue le 24 octobre 2011 voulant que le travail d’opératrice de machine à coudre accompli par la travailleuse ne comporte pas de facteurs de risque. Or, la travailleuse a bien établi que sa méthode de travail n’était pas la même que celle adoptée par madame Diaz; témoignage qui n’a d’ailleurs pas été contredit par l’employeur.
[75] De plus, le docteur Osterman considère que la travailleuse et madame Diaz effectuent la même activité soit de coudre des bandes de renforcement aux manches de veston et ce, sans faire de distinctions entre les méthodes de travail de ces deux personnes ni tenir compte de leurs différences anthropométriques; variables individuelles présentant des difficultés d’évaluation des postes de travail selon l’étude de Niosh précédemment citée.
[76] Il est vrai que le tribunal n’est pas lié par la preuve d’expert. Toutefois, il doit apprécier la valeur probante du témoignage de l’expert de la même manière qu’il doit apprécier la valeur probante d’un témoin ordinaire.
[77] En principe, le tribunal ne peut écarter le témoignage non contredit d’un expert arbitrairement, il se doit de justifier les raisons pour lesquelles il ne retient pas son témoignage. À cet effet, la jurisprudence[11] reconnaît qu’une preuve médicale peut être contredite par une preuve d’une autre nature que médicale. À défaut, il faudrait conclure que lorsqu’il n’y a qu’un seul expert qui a témoigné, le tribunal serait contraint de retenir son témoignage et serait dès lors lié par le témoignage de ce seul témoin expert.
[78] De plus, un médecin expert, qui témoigne, émet une opinion en fonction d’une preuve scientifique; preuve plus exigeante que la prépondérance des probabilités qui doit être appréciée par le tribunal.
[79] Le tribunal estime opportun de rappeler que le fardeau de preuve imposé et applicable est celui de la prépondérance des probabilités et non celui de la preuve scientifique[12]. En effet, la prépondérance des probabilités n’exige pas un niveau de preuve scientifique hors de tout doute raisonnable, bien qu’elle soit plus exigeante que la simple possibilité[13].
[80] Parmi la littérature médicale[14] déposée par le docteur Osterman au soutien de son témoignage, le tribunal retient notamment le résumé du chapitre 5a consacré au syndrome du canal carpien de l’étude de NIOSH qui se lit comme suit :
[…]
There is evidence of a positive association between highly repetitive work alone or in combination with other factors and CTS based on currently available epidemiologic data. There is also evidence of a positive association between forceful work and CTS. There is insufficient evidence of an association between CTS and extreme postures. Individual variability in work methods among workers in similar jobs and the influence of differing anthropometry on posture are among the difficulties noted in measuring postural characteristics of jobs infield studies. There is evidence of a positive association between work involving hand/wrist vibration and CTS,
There is strong evidence of a positive association between exposure to a combination of risk factors (e.g., force and repetition, force and posture) and CTS. Based on the epidemiologic studies reviewed above, especially those with quantitative evaluation of the risk factors, the evidence is clear that exposure to a combination of the job factors studied (repetition, force, posture, etc.) increases the risk for CTS. […] [Soulignements ajoutés]
[81] De ce résumé auquel le docteur Osterman a référé lors de son témoignage, le tribunal comprend ce qui suit :
Ø Les données épidémiologiques disponibles démontrent l’existence d’une relation positive entre le travail hautement répétitif seul ou combiné avec d’autres facteurs et le syndrome du canal carpien;
Ø Une relation positive entre du travail forçant et le syndrome du canal carpien est aussi établie;
Ø La preuve est insuffisante pour établir une relation entre le syndrome du canal carpien et les postures extrêmes;
Ø Les variables individuelles des méthodes de travail de personnes exécutant un travail similaire et l’influence des différences anthropométriques sont parmi les difficultés relevées dans l’évaluation des caractéristiques posturales lors d’évaluation de postes.
Ø La preuve établit une relation positive entre un travailleur, l’implication des vibrations de la main et du poignet et le syndrome du canal carpien;
Ø La preuve établit une forte relation entre le syndrome du canal carpien et l’exposition à une combinaison des facteurs de risque telle que la force et la répétition ou la force et la posture;
Ø Il est clairement établi, selon les études épidémiologiques, que l’exposition à une combinaison de facteurs de risque augmente le risque de développer un syndrome du canal carpien.
[82] En résumé, la répétitivité élevée ainsi que la force sont des facteurs de risque suffisants en soi pour causer un syndrome du canal carpien si l’exposition est suffisante et que la combinaison de ces facteurs augmente le risque de développer cette maladie.
[83] Reprenons chacun de ces facteurs de risque afin de vérifier s’ils sont présents dans le travail d’opératrice de machine à coudre accompli par la travailleuse et si leur présence est suffisante pour causer une telle lésion.
[84] Les mouvements répétitifs se définissent comme étant de courts mouvements sollicitant toujours la même structure sans pause récupératrice ou compensatrice. À cet effet, le tribunal retient l’extrait de l’ouvrage intitulé Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[15] :
Une tâche est considérée répétitive, pour le membre supérieur, lorsque les cycles de travail sont similaires et de durée relativement brève (quelques minutes au maximum) et qu’ils sont exécutés pendant au moins une heure ininterrompue. Une tâche est non répétitive lorsque les actions ne s’effectuent pas à l’intérieur de cycles similaires […].
Selon plusieurs experts, une tâche est considérée hautement répétitive lorsque les cycles de travail sont de moins de 30 secondes ou que la même tâche est exécutée durant plus de 50 % du temps de travail quotidien 10, 36, 40. Ces critères ont été originellement proposés pour établir une classification de postes de travail dans le cadre d’une étude ergonomique et ne constituent pas des valeurs absolues de référence pour l’évaluation du risque de TMS […].
L’appréciation de la répétitivité basée sur l’analyse des gestes ou des mouvements donne une meilleure indication de l’intensité des sollicitations à laquelle est exposé le travailleur. Ce niveau de risque varie en fonction de la fréquence des mouvements réalisés par les diverses régions corporelles. Le tableau 33.3 présente les fréquences de mouvements considérées à risque élevé pour le membre supérieur […].
Tableau 33.3
Fréquence de mouvements représentant au niveau de risque élevé pour diverses régions du membre supérieur […]
[…]
Main/poignet ≥20/min
[…]
Même lorsque des gestes sont en apparence différents, ils doivent être considérés dans l’analyse du risque s’ils sollicitent les mêmes structures. Il peut survenir des situations de travail ne rencontrant pas ces critères pour la répétitivité mais constituant un risque de TMS à cause des exigences posturales ou des efforts requis, ou encore de la durée d’exposition […]. [SIC] [Soulignements ajoutés]
[85] Tel qu’indiqué dans l’extrait de l’ouvrage intitulé le Syndrome du canal carpien[16], les mouvements répétés ou continus de déviation radiale ou cubitale ainsi que les mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts sont des mouvements à risque.
[86] À cet égard, le docteur Zaharia indique le 1er septembre 2010 que l’examen du dossier et le visionnement de la bande vidéo de la travailleuse démontrent la présence de flexion répétitive des doigts, avec pince pouce-index qu’il qualifie d’assez forte et des déviations cubitales et/ou flexion de manière récurrente aux poignets. Il conclut que ce sont des facteurs de risque qui ont pu favoriser l’apparition d’un syndrome du canal carpien.
[87] Tel qu’il appert de la bande vidéo, la travailleuse coud les bandes de renforcement des vestons en ayant le pouce, l’index et le majeur en pince digitale, elle fait une déviation cubitale avec préhension du pouce, de l’index et du majeur pour tenir et manipuler le tissu du veston. Elle effectue ces gestes sur une base continue. On y voit également la travailleuse effectuer des mouvements de pronation et supination de la main gauche alors que la main droite est en déviation cubitale, ce qui distingue la méthode de travail de travailleuse de celle de madame Diaz qui n’effectue aucun mouvement de pronation ni de supination de la main gauche. Bien que la travailleuse ne travaille pas de la même manière que madame Diaz pour effectuer une activité à toute fin similaire sinon identique, le tribunal a pu aussi constater que cette dernière effectue certaines déviations cubitales des deux mains.
[88] Selon le docteur Osterman, la travailleuse n’effectue aucun geste répétitif sauf pour ce qui est de la pince digitale du pouce et de l’index, il ne relève aucune déviation cubitale parmi les gestes exécutés par la travailleuse.
[89] Or, les mouvements effectués par les mains et les poignets de la travailleuse sont, en l’espèce, exécutés sur des cycles de 30 secondes que la travailleuse effectue pendant tout son quart de travail, soit bien au-delà de 50 % du temps de travail quotidien.
[90] En ce qui a trait au temps de repos entre chacune des activités comprises dans le cycle de 30 secondes tel que de couper les fils ou prendre un veston, les mains de la travailleuse sont en préhension. Force est de constater que les mêmes structures des mains et des poignets sont sollicitées.
[91] Même si aucun rythme de travail est imposé à la travailleuse et qu’elle est rémunérée sur la base d’un tarif horaire, le tribunal considère que ces éléments n’écartent pas le caractère répétitif des mouvements effectués par la travailleuse dans le cadre de sa fonction d’opératrice de machine à coudre. Au contraire, la preuve établit de manière prépondérante que la travailleuse accomplit des gestes répétitifs ayant pu contribuer au développement d’un syndrome du canal carpien.
[92] Quant à la force, le docteur Osterman affirme que ce facteur de risque n’est pas présent dans le poste de la travailleuse puisqu’elle manipule du tissu pesant quelques onces et qu’elle pousse le tissu plutôt que de le tirer.
[93] Le tribunal n’adhère pas à cette affirmation du docteur Osterman qui relie la force au poids du tissu manipulé par la travailleuse.
[94] Tel qu’énoncé dans l’affaire Aliments Small Fry inc. et Lester[17], la force est « un concept variable qui s’éloigne du simple soulèvement de poids lourd ». Ainsi, la force ne s’apprécie pas sur la seule fonction du poids manipulé par la travailleuse mais de l’ensemble de la preuve dont l’appréciation revient au tribunal.
[95] Pour sa part, le tribunal a pu constater lors du visionnement de la bande vidéo de la travailleuse, tel que mentionné précédemment, qu’elle tient fort le tissu avec les doigts en pince à un point tel que les tendons fléchisseurs des doigts de la main gauche sont visiblement exposés tant à la base du poignet.
[96] Selon la prépondérance de la preuve, la travailleuse, qui effectue ce travail d’opératrice de machine à coudre et qui a un souci d’accomplir un travail soigné de qualité, doit forcer pour maintenir une tension régulière du tissu qu’elle coud, elle doit parfois utiliser une brochette. Selon l’épaisseur du tissu qu’elle coud, elle doit également exercer plus de pression avec les mains pour tenir le tissu et maintenir une tension régulière.
[97] De surcroît, le docteur Zaharia, qui rapporte avoir visionné la bande vidéo de la travailleuse rapporte dans sa note du 1er septembre 2010, qu’il a constaté « la présence presque exclusive de flexions répétitives des doigts, avec pince assez forte pince-index … ».
[98] À l’égard de la posture, le docteur Osterman affirme que la travailleuse effectue des gestes anodins sans position contraignante. Le tribunal a pu constater, lors du visionnement de la bande vidéo, que la travailleuse accomplit son travail en effectuant des déviations cubitales principalement du poignet droit, ce qui est d’ailleurs aussi constaté par le docteur Zaharia.
[99] Enfin, le tribunal considère que la bilatéralité du syndrome du canal carpien dont la travailleuse est porteuse peut s’expliquer par le fait qu’elle effectue un travail sollicitant de manière relativement symétrique l’usage constant de ses deux mains et deux poignets.
[100] En l’espèce, le tribunal estime que la preuve prépondérante démontre que le travail d’opératrice de machine à coudre tel qu’accompli par la travailleuse présente deux facteurs de risque soit la répétitivité élevée et la force tel que le tribunal a pu l’apprécier; chacun constituant un facteur de risque en soi et dont le risque est augmenté du fait qu’elle est exposée à une combinaison de deux de ces facteurs de risque.
[101] En l’absence de preuve prépondérante à l’effet que le syndrome du canal carpien dont la travailleuse est porteuse est attribuable à sa condition personnelle d’hypothyroïdie et compte tenu de la preuve prépondérante à l’égard des deux facteurs de risque soit la répétitivité ainsi que la force, le tribunal conclut que la travailleuse est porteuse d’une maladie professionnelle.
[102] Enfin, le tribunal a pris connaissance de la jurisprudence[18] déposée par le représentant de l’employeur. Il s’agit de cas d’espèce impliquant des opérateurs de machine à coudre travaillant auprès de différents employeurs.
[103] Le fait que la Commission des lésions professionnelles ait rejeté les réclamations de la travailleuse à l’égard du diagnostic de syndrome du canal carpien dans ces affaires ne permet pas au présent tribunal de conclure que le syndrome du canal carpien bilatéral dont la travailleuse est porteuse ne constitue pas une maladie professionnelle.
[104] En effet, chacune de ces affaires concerne un cas d’espèce bien distinct de celui dont le tribunal est saisi y incluant l’affaire Escalante[19] impliquant une couturière auprès de la compagnie Jack Victor ltée soit le même employeur que celui de la travailleuse. Mentionnons d’abord que la travailleuse impliquée dans cette affaire était porteuse de conditions personnelles distinctes de celle dont Madame Mok est porteuse et que la preuve n’a pas démontré si cette travailleuse effectuait les mêmes tâches que Madame Mok ni si elle les effectuait de la même manière.
[105] Après examen et considération de l’ensemble de la preuve, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse est atteinte d’une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de syndrome de canal carpien bilatéral.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur Jack Victor ltée;
CONFIRME la décision rendue le 13 janvier 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle dont le diagnostic est celui de syndrome du canal carpien bilatéral;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Renée M. Goyette
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Me Jean-François Gilbert |
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GILBERT, AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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Sophie Bourgeois |
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U.T.I.S. - FTQ |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A - 3.001.
[2] Extrait de Daniel BOULET et Richard LECLAIRE, chap. 15: « Syndromes de compression nerveuse du membre supérieur », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, p. 753, 754 et Martine BAILLARGEON et Louis PATRY, chap. 33: « Travailleur. 1re partie : Le travailleur et les troubles musculo-squelettiques liés au travail », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, page 1273; Extrait de Louis PATRY, Michel ROSSIGNOL, Marie-Jeanne COSTA et Martine BAILLARGEON, Guide pour le diagnostic des lésions musculosquelettiques attribuables au travail répétitif, vol. 1, « Le syndrome du canal carpien », Sainte-Foy, Éditions Multimondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Québec, Régie régionale de la santé et des services sociaux, 1997, 33 p; Extrait du Chap. 5A: « Carpal Tunnel Syndrome », dans UNITED STATES, DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE, CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et P. Bruce BERNARD, Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors: A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH, 1997, page 5a-1.
[3] Ibid.
[4] Précité note 2.
[5] Précité note 2.
[6] Précité note 2 à la page 1273.
[7] Green et Société canadienne des postes, [1993] C.A.L.P. 1682 ; Société canadienne des postes et Grégoire-Larivière, [1994] C.A.L.P. 285 , révision rejetée, [1995] C.A.L.P.1120; Paquette et Terminal & câble T.C. inc., [1997] C.A.L.P. 212 .
[8] Hamelin-Brassard et J.M. Asbestos inc., [1989] C.A.L.P. 62 , (décision accueillant la requête en révision); Rinaldi et Tootique inc., [1989] C.A.L.P. 416 ; Jean et Remise à neuf Claude Boileau ltée, 06218-60-8801, 2 février 1990, G. Gendron,; Ménard et Compagniede volailles Maxi ltée, 13128-63-8905, 18 décembre 1991, G. Perreault; Desloges et Hydro-Québec, [1995] C.A.L.P. 1649 : Pagni et Restaurant & Pub Pilsen inc., [1999] C.L.P. 257 ; Ministère du Revenu du Québec et Poitras-Beauvais, 59457-71-9406, 11 mai 1999, R. Brassard, (révision rejetée); Entreprises d'émondage LDL inc. et Rousseau, 214662-04-0308, 4 avril 2005, J.-F. Clément.
[9] Bélisle et Restaurant Mikes, C.L.P. 306932, 24 janvier 2008, M. Montplaisir, Révision rejetée.
[10] [2007] C.L.P. 577.
[11] Pelletier c. CLP, [2002] C.L.P. 207 (C.S.); Côté et W. Côté & Fils ltée, 180994-62C-0203, 8 avril 2005-04-08, C.-A. Ducharme; Bermex International inc. et Rouleau, 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau; Ballin inc., 336507-62A-0712, 30 octobre 2009.
[12] Hardy et Océan Construction inc., [2006] C.L.P. 1006 ; Aliments Small Fry inc. et Lester, [2000] C.L.P. 960 ; Ferjuste et Jet de sable Trans-Canada, [2001] C.L.P. 389 .
[13] Succession Maurice Lemieux et Acmé Asbestos, [2000] C.L.P. 1087 .
[14] Précitée note 2.
[15] Précité note 2 p 1273.
[16] Précité note 2, aux schémas de la page 6.
[17] [2000] C.L.P. 960.
[18] Duperron et Chaussures H. H. Brown Canada ltée, C.L .P. 117517-05-9906, 24 janvier 2000, M. Allard; Doucet et Créations Port-Royal (faillite) et als, C.L.P. 142572-61-0007, 15 février 2001, S. Di Pasquale; Roy et Ballin inc., C.L.P. 144751-62B-0008, 19 juin 2001, A. Vailllancourt; Goldtex Textiles ltée et 3086984 Canada inc., C.L.P. 152227-71-0012, 10 septembre 2001, D. Gruffy; Poulin et Remdel inc., C.L.P. 160558-03B-0104, 12 mars 2002, G. Marquis; Diles et Vêtements Golden Brand (Canada) ltée, C.L.P. 182899-62-0204, 16 avril 2003, É. Harvey; Escalante et Jack Victor ltée, 2898845-61-0609, 12 mars 2009, S. Di Pasquale.
[19] Ibid.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.