Décision

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Julien et Construction Nationar inc. (Fermée)

2009 QCCLP 58

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

7 janvier 2009

 

Région :

Québec

 

Dossier :

355009-31-0808

 

Dossier CSST :

099804023

 

Commissaire :

Jean-Luc Rivard, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Sydney Bilodeau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Robert Julien

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Construction Nationar inc. (fermée)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 août 2008, monsieur Robert Julien (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues les 21 février 2008 et 4 juin 2008.

[3]                Dans un premier temps, par sa décision du 21 février 2008, la CSST refusait de rembourser au travailleur la somme réclamée de 8 390,40 $ en rapport avec l’achat d’un véhicule adapté à sa condition en 1990.

[4]                Dans un deuxième temps, la CSST confirmait également la décision du 4 juin 2008 refusant le remboursement au travailleur des frais relatifs au changement du recouvrement de plancher de la salle de bain de sa résidence.

[5]                À l’audience tenue à Québec le 12 décembre 2008, le travailleur était présent. L’entreprise Construction Nationar inc. (l’employeur) est, pour sa part, fermée. La CSST était représentée par Me Sonia Grenier.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]                Le travailleur demande, dans un premier temps, le remboursement d’une somme de 8 390,40 $ en relation avec l’achat de son premier véhicule adapté, en 1990, à titre de mesure de réadaptation.

[7]                Dans un deuxième temps, le travailleur réclame une somme de 530,67 $ représentant 28,6 % des coûts de la facture totale de 1 855,49 $ visant des frais reliés au remplacement du couvre-plancher de sa salle de bain pour lui permettre de se déplacer à l’intérieur à l’aide de son fauteuil roulant.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Le membre issu des associations syndicales de même que le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis, dans un premier temps, que la contestation du travailleur visant le remboursement du coût d’acquisition de son véhicule adapté en 1990, est irrecevable. En effet, les membres sont d’avis que la CSST avait rendu, en 1990, une décision accordant au travailleur une somme relative aux frais d’adaptation de son véhicule.

[9]                Le travailleur n’a aucunement contesté cette décision à l’époque, soit en 1990, et sa demande logée en 2008 visant le remboursement du coût d’acquisition du véhicule constitue une demande de révision logée au-delà du délai de 30 jours prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Le travailleur n’a par ailleurs démontré l’existence d’aucun motif raisonnable permettant d’expliquer les 17 années de retard à soumettre sa contestation à la CSST.

[10]           Par ailleurs, quant au remboursement des frais concernant le changement du couvre-plancher de la salle de bain, les membres sont d’avis qu’une somme de 530,67 $ doit être remboursée au travailleur. En effet, les membres constatent que la CSST a accepté antérieurement de défrayer les coûts de recouvrement de sa salle de bain à titre d’adaptation de son domicile. Les membres sont d’avis que le remplacement et l’entretien du recouvrement de plancher doivent être également défrayés par la CSST dans le cadre des articles 156 et 157 de la loi.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[11]           Le tribunal traitera, dans un premier temps, la demande de remboursement du travailleur visant l’acquisition du véhicule en 1990 et, dans un deuxième temps, les frais de recouvrement du plancher de sa salle de bain.

1.         MOYEN PRÉALABLE SOULEVÉ PAR LA CSST RELATIVEMENT À LA CONTESTATION DU TRAVAILLEUR RELATIVE AU REMBOURSEMENT DU VÉHICULE DE 1990

[12]           La CSST a soulevé d’emblée devant le tribunal qu’elle avait rendu le 24 avril 1990 une décision relative à l’adaptation du véhicule acquis par le travailleur en 1990.

[13]           En réclamant le remboursement du coût d’acquisition de ce véhicule pour une somme de 8 390,40 $, le 11 juin 2007, le travailleur conteste ainsi, environ 17 ans plus tard, une décision qu’il n’avait pas contestée initialement en 1990.

[14]           La contestation du travailleur est irrecevable selon la CSST, d’autant plus que le travailleur n’a produit aucun motif raisonnable permettant d’expliquer son retard à contester cette décision initiale rendue en 1990 par la CSST.

[15]           Rappelons que le travailleur a subi le 5 mai 1988 un grave accident du travail alors qu’il occupait un emploi de contremaître de chantier pour son employeur. Le bras d’une pompe à béton tombe sur lui et par la suite le travailleur demeure quadriplégique avec atteinte permanente à l'intégrité physique de 429 %. Le travailleur avait, à cette occasion, subi une fracture de la colonne cervicale au niveau C5-C6 et une lésion médullaire au même niveau. Le travailleur a évidemment été admis à la réadaptation de la CSST, laquelle a défrayé le remboursement de nombreuses demandes du travailleur relatives à l’adaptation de son domicile et de son véhicule principal.

[16]           Le dossier révèle que le 24 avril 1990, la CSST rendait la décision suivante relativement au véhicule du travailleur :

«          Dans le cadre de votre programme de réadaptation sociale, nous désirons vous informer QU’UNE SOMME DE $20901.55 VOUS EST ACCORDEE EN REMBOURSEMENT DES FRAIS D’ADAPTATION DE VOTRE VEHICULE.

 

[…]  »

 

 

[17]           Le 8 juin 2007, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[2] et déclare que le travailleur a droit au remboursement d’une somme correspondant à la différence entre le coût d’achat du type de véhicule principal requis par sa condition (caractéristique spécifique afin de permettre les adaptations) et le coût moyen d’un véhicule standard. Cette décision faisait suite à une demande initiale du travailleur faite à la CSST le 30 mai 2005 afin qu’elle puisse combler l’écart du prix d’achat pour le remplacement de sa camionnette (de plus grande dimension), comparativement à l’achat d’un véhicule standard.

[18]           Le 11 juin 2007, le travailleur demande à la CSST de lui rembourser une somme de 8 390,40 $ en application de la décision précitée de la Commission des lésions professionnelles et ce, en regard du prix qu’il avait dû débourser pour l’achat de sa première camionnette en 1990. Le travailleur écrit :

«                                             Objet :  Jugement de la CLP

 

Madame,

           

            Suite au jugement de la commission des lésions professionnelles, je constate que les conclusions de la commissaire Mme Marie Beaudoin sont claires. Elle a démontré clairement que ma demande était fondée. Donc, l’espace que requière l’installation des équipements ainsi que l’espace nécessaire pour que j’accède dans un véhicule afin que je puisse conduire, sont l’entière responsabilité de la CSST.

 

            Cette revendication a été faite le 30 mai 2005 et toute l’argumentation et la preuve présentée lors de l’audience reposait sur le véhicule que j’utilise aujourd’hui. Cela va de soi que ce jugement s’applique tout d’abord à ce véhicule. Or, il a été établi que les espaces en litige représentaient 40% du prix de base du véhicule en 1990. Alors, il est normal que la commission me rembourse ces frais soit 40% du prix d’achat après remboursement d’équipements.

 

PRIX D’ACHAT DU VÉHICULE 1 MARS 1990                                        :  $ 27904

REMBOURSEMENT D’ÉQUIPEMENTS par la commission                   :  $ -6928

                                                                                                            ________

 

                                                                                  Prix d’achat      $ 20976

                                                                                                          x  40%

                                                                                                          _________

                                                                                                          $8390.40  »  [sic]

 

 

[19]           Le 21 février 2008, la CSST refuse de donner suite à la demande du travailleur pour les motifs suivants :

«          Objet :  Décision concernant le paiement de frais de réadaptation

 

Monsieur,

 

       En réponse à votre demande, nous vous informons que nous ne pouvons payer les sommes que vous réclamez concernant le véhicule adapté en 1990. En effet, d’une part, les somm es auxquelles vous aviez droit concernant le véhicule acquis en 1990 ont été payées depuis fort longtemps et aucune contestation n’a été logée à l’encontre des paiements effectués à cette époque.

 

              D’autre part, la décision rendue le 08 j uin ne portait pas sur le véhicule de 1990. La Commission n’est donc pas tenue de vous rembourser toutes autres sommes relatives au véhicule adapté précédent.

 

[…]  »  [sic]

 

 

[20]           La CSST soulève, comme moyen préalable, que la décision rendue par la CSST le 24 avril 1990 déterminait les droits du travailleur relativement à l’adaptation de son véhicule acquis en 1990.

[21]           Le travailleur disposait d’un délai de 30 jours pour contester cette décision du 24 avril 1990. Or, le travailleur n’a aucunement contesté cette décision à l’époque. Ce n’est qu’en juin 2007 que le travailleur réclame le remboursement du coût d’acquisition de sa camionnette acquise en 1990 et ce, suite à une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles peu de temps auparavant.

[22]           Le travailleur n’a établi par ailleurs l’existence d’aucun motif raisonnable permettant d’expliquer son retard d’environ 17 ans à contester cette décision.

[23]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’argument préalable soumis par la CSST est bien fondé.

[24]           En effet, la CSST a rendu une décision initiale le 24 avril 1990 statuant sur les droits du travailleur relativement aux frais d’adaptation de son véhicule acquis en 1990. Selon la décision rendue à l’époque, le travailleur disposait d’un délai de 30 jours pour contester celle-ci devant les instances existantes à cette époque.

[25]           Le travailleur n’a aucunement contesté cette décision dans le délai requis. Ce n’est que 17 ans plus tard environ qu’il soumet sa demande, en juin 2007, à la CSST visant le remboursement du coût d’acquisition du véhicule obtenu en 1990.

[26]           Le tribunal est d’avis qu’il s’agit ici manifestement d’une contestation tardive d’une décision rendue par la CSST le 24 avril 1990.

[27]           Dans ce contexte, le travailleur devait démontrer l’existence d’un motif raisonnable permettant d’expliquer son retard à contester la décision du 24 avril 1990.

[28]           La notion de « motif raisonnable » n’étant pas définie à la loi, la jurisprudence retient qu’il doit s’agir d’un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure, de réflexion et de bon jugement et qu’à cet égard le comportement de la personne s’appréciera en fonction d’une personne prudente et diligente[3].

[29]           À l’audience, le travailleur a témoigné à l’effet que le délai d’environ 17 ans s’explique par le fait qu’il ne disposait pas des connaissances appropriées pour faire valoir sa demande à la CSST. Ce n’est qu’au fil des ans qu’il a pris l’expérience nécessaire pour comprendre comment fonctionnait le processus de réadaptation auprès de l’organisme.

[30]           Le travailleur explique également qu’il n’a pas les compétences d’un avocat pour bien comprendre la procédure de contestation.

[31]           Le tribunal est d’avis que les explications du travailleur ne sont aucunement raisonnables dans le contexte du présent dossier.

[32]           Le tribunal fait d’abord le constat que la demande de remboursement du coût d’acquisition de sa camionnette de 1990 a été faite suite à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 8 juin 2007. Il appert, en conséquence, que le travailleur a, tel qu’il appert de sa lettre datée du 11 juin 2007, cru bon de réclamer les frais rétroactifs à 1990 suite à l’obtention d’une décision favorable de la Commission des lésions professionnelles. Or, ce n’est aucunement ici un motif raisonnable de réaliser 17 ans plus tard qu’il aurait dû contester une décision rendue dès 1990.

[33]           Par ailleurs, le travailleur invoque sa méconnaissance de la loi et du processus de réadaptation.

[34]           Le tribunal est d’avis que le dossier révèle que le travailleur a logé plusieurs contestations, seul ou à l’aide d’un avocat, dans le cours de l’administration de son dossier et qu’il pouvait sans difficulté obtenir l’avis éclairé d’une personne compétente pour connaître son droit relatif à la réadaptation.

[35]           Le tribunal est, en conséquence, d’avis que la contestation déposée en juin 2007 par le travailleur à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 24 avril 1990 est irrecevable.

2.                  RÉCLAMATION DES FRAIS VISANT LE CHANGEMENT DU RECOUVREMENT DE PLANCHER DE SA SALLE DE BAIN

[36]           Le tribunal est d’avis d’emblée que le travailleur a droit au remboursement d’une somme de 530,67 $ représentant la partie remboursable des frais de remplacement du recouvrement de plancher de sa salle de bain dans le cadre de l’adaptation de son domicile.

[37]           Rappelons, selon les faits du dossier, que le travailleur est propriétaire d’une résidence qui a fait l’objet d’aménagements particuliers afin de rendre la propriété accessible à ce dernier en raison de ses déplacements en fauteuil roulant.

[38]           Le dossier révèle qu’en 1989, une analyse commandée par la CSST établissait que le travailleur avait besoin d’une adaptation de son domicile pour lui permettre de circuler en fauteuil roulant. Dans ce contexte, les pièces de son domicile nécessitaient un espace supplémentaire pour la circulation et l’autonomie du travailleur par l’addition, dans chacune des pièces, d’une aire supplémentaire totale de 15,7 mètres carrés. Le travailleur a bénéficié notamment d’un élargissement de 4,7 mètres carrés pour accéder à sa salle de bain.

[39]           Cette adaptation du domicile du travailleur a été effectuée dans le contexte des articles 156 et 157 de la loi :

156.  La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.

__________

1985, c. 6, a. 156.

 

 

157.  Lorsque la Commission assume le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal d'un travailleur, elle assume aussi le coût additionnel d'assurance et d'entretien du domicile ou du véhicule qu'entraîne cette adaptation.

__________

1985, c. 6, a. 157.

 

 

 

[40]           Le tribunal constate, conformément à ces articles, que le travailleur qui est victime d’une lésion professionnelle entraînant des atteintes permanentes graves à son intégrité physique peut obtenir les remboursements appropriés aux travaux d’adaptation de son domicile ainsi que les coûts additionnels d’assurance et d’entretien du domicile.

[41]           Les frais réclamés par le travailleur s’élevant à 530,67 $ représentent 28,6 % des coûts de la facture totale de 1 855,49 $ déboursée par le travailleur pour la réfection de certaines aires de son domicile. Le travailleur réclame, en conséquence, seulement la portion relative au remplacement du couvre-plancher de sa salle de bain dans les mêmes proportions initialement reconnues par la CSST en 1989.

[42]           Le travailleur a établi que ce recouvrement de plancher de sa salle de bain devait être refait en raison de l’usure et de la détérioration après environ 20 ans d’utilisation.

[43]           Le tribunal est d’avis que cette adaptation de la salle de bain du travailleur avait été reconnue par la CSST. Le remplacement, suite à l’usure du recouvrement de plancher, doit également être défrayé par la CSST.

[44]           Le tribunal voit mal comment la CSST peut reconnaître le bien-fondé de l’adaptation du domicile du travailleur et payer les frais de cette adaptation pour ensuite refuser d’en rembourser le coût de remplacement suite à une usure normale.

[45]           Le travailleur a donc droit au remboursement de la somme de 530,67 $ telle que réclamée à la CSST.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la contestation de monsieur Robert Julien déposée le 4 août 2008;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE irrecevable la contestation de monsieur Robert Julien relative à la demande de remboursement du coût d’acquisition de son véhicule en 1990;

 

DÉCLARE que monsieur Robert Julien a droit au remboursement d’une somme de 530,67 $ visant le recouvrement de l’espace approprié de sa salle de bain.

 

 

__________________________________

 

 

JEAN-LUC RIVARD

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Sonia Grenier

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 287920-31-0604, 8 juin 2007, M. Beaudoin.

[3]           Viault et Le Bifthèque, C.L.P. 242031-32-0408, 18 janvier 2005, L. Langlois.

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