Nadeau et Métallurgie Magnola inc. |
2011 QCCLP 2616 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 30 juillet 2010, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 17 juin 2010 par ce tribunal.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare notamment que monsieur Francis Nadeau (le travailleur) a droit au remboursement de ses frais de kilométrage à 0,41 $ ainsi qu’au remboursement pour l’achat d’un oreiller adapté. La Commission des lésions professionnelles déclare aussi qu’il a droit au remboursement des frais pour les traitements d’autohypnose.
[3] À l’audience en révision, la CSST est représentée. Le travailleur est présent et non représenté. L’employeur Métallurgie Magnola inc. est absent et non représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser en partie la décision du 17 juin 2010 parce qu’il y a erreur de droit. Elle demande de déclarer que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais concernant l’oreiller adapté et les traitements d’autohypnose.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations d'employeurs accueille la requête de la CSST puisqu’elle estime que le premier juge administratif a commis une erreur de droit en n’utilisant pas les bonnes règles tant législatives que règlementaires. Elle estime que cette erreur a un effet déterminant sur l’issu du litige. Il y a donc lieu de réviser en partie la décision. Étant donné qu’aucune disposition législative ne prévoit le remboursement de frais pour un oreiller adapté et pour des traitements d’autohypnose, il y a lieu de conclure que le travailleur n’a pas droit au remboursement de ces frais.
[6]
Le membre issu des associations syndicales rejette la requête de la CSST. Il est d’avis que le premier juge administratif commet une erreur dans l’utilisation
des règles de droit, mais que cette erreur n’a pas un effet déterminant sur
l’issue du litige puisqu’en vertu de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 17 juin 2010.
[8]
L’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[9]
Dans le présent dossier, la CSST évoque le 3e paragraphe du 1er
alinéa de l’article
[10] Cette interprétation a également été retenue par la Cour d’appel qui précise qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision[3].
[11] Ce n’est que si une telle erreur existe que le recours en révision ou en révocation peut réussir, il ne peut donner lieu à une nouvelle appréciation de la preuve parce qu’il ne s’agit pas d’un nouvel appel[4].
[12] La CSST soutient que le premier juge administratif a commis des erreurs de droit en décidant que le travailleur avait droit au remboursement des coûts pour un oreiller adapté et pour des traitements d’autohypnose.
[13] Les faits pertinents à la requête tels que colligés à la décision du premier juge administratif se lisent comme suit :
[10] Le travailleur qui exerçait un emploi d’opérateur de coulée, est victime d’un accident de travail le 19 novembre 2001. Le diagnostic de sa lésion professionnelle est « fracture d’un os acromial partiellement fusionné congénitalement avec tendinite et bursite secondaire ». Cette lésion professionnelle est consolidée le 18 novembre 2003 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[11] Le médecin qui a pris charge du travailleur détermine comme séquelles, au moment de son évaluation du 18 décembre 2003, une atteinte permanente des tissus mous à l’épaule droite avec séquelles fonctionnelles, perte de 90° en abduction épaule droite, perte de 60° en élévation antérieure épaule droite, perte de 30° en rotation externe comparativement à l’épaule contra-latérale en position d’adduction, perte en rotation interne et perte en abduction épaule droite. Le tout correspond à un déficit anatomophysiologique total de 14 %.
[12] De plus, le médecin détermine, en raison des douleurs et de l’ankylose, les limitations fonctionnelles suivantes :
· éviter l’effort physique au dépend du membre supérieur droit,
· éviter les gestes nécessitants des rotations externes et internes extrêmes,
· éviter les gestes avec une évaluation à plus de 80 degrés et à plus de 60 degrés d’abduction.
[13] Le 14 décembre 2006, la Commission accepte une réclamation du travailleur pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 24 octobre 2006 soit « séquelles de la non fusion de l’os acromial droit ». Le 20 décembre 2006, le travailleur est opéré. Il subit une exérèse de vis à l’acromion de l’épaule droite et une exérèse de l’os acromial non-fusionné de l’épaule droite.
[14] Le 29 janvier 2007, le chirurgien orthopédiste qui a pris charge du travailleur, le docteur Fleury, répond à une demande d’information médicale complémentaire écrite et il signifie que le bilan de séquelles pourrait être différent mais que les limitations fonctionnelles permanentes seront, à son point de vue, identiques.
[15] Le 2 avril 2007, le médecin du travailleur, le docteur Melançon, lui diagnostique une dystrophie sympathique réflexe secondaire. Le 4 juin 2007, le médecin maintient le diagnostic de dystrophie, note peu d’effet de la médication et réfère le travailleur à un psychologue qu’il rencontre la première fois le 9 juin 2007.
[...]
[18] Le 16 novembre 2007, le psychologue qui a pris charge du travailleur, monsieur Julien Arès, produit un rapport après 13 rencontres avec le travailleur. Il y retient entre autres que le travailleur manifeste les symptômes typiques d’un trouble anxio-dépressif majeur, sévère et réactionnel. Il recommande une série de dix entrevues pour permettre au travailleur de faire le deuil de ses capacités physiques et retrouver la force d’assimiler cette condition et de s’y accommoder.
[…]
[25] Le 18 juin 2008, la CSST reconnaît les nouveaux diagnostics de dystrophie sympathique réflexe au membre supérieur droit, d’anxiété généralisée secondaire, d’entorse à l’épaule gauche et de trouble du sommeil et cela en relation avec l’événement du 24 octobre 2006.
[26] Le 4 août 2008, la Commission reconnait le nouveau diagnostic de cervicalgie en relation avec l’événement du 24 octobre 2006.
[…]
[31] Le 5 janvier 2009, le travailleur subit, à la clinique de la douleur, une évaluation psychiatrique. Celle-ci révèle qu’il a une anxiété très marquée et des symptômes subjectifs de dépression.
[32] Le 9 janvier 2009, le psychiatre de la clinique de la douleur prescrit, en raison du diagnostic de syndrome douloureux, un apprentissage de l’autohypnose.
[…]
[35] Le 27 janvier 2009, lors d’une rencontre avec des intervenants de la CSST, le travailleur déclare qu’il ne voit aucune évolution, que sa douleur est constante et que le rythme de sa vie est géré par celle-ci et les traitements et médicaments ne sont pas efficaces. Il rappelle qu’il a eu une prescription pour l’autohypnose par le psychiatre de la clinique de la douleur.
[…]
[37] Le 5 février 2009, la CSST contacte monsieur Julien Arès, psychologue, qui suit le travailleur. Celui-ci souligne à la CSST que les traitements d’autohypnose seraient, selon lui, une excellente solution pour le travailleur.
[…]
[49] En ce qui concerne l’oreiller adapté, le travailleur expose que c’est le docteur Melançon ainsi que le docteur Cloutier qui ont recommandé au travailleur un oreiller adapté compte tenu de ses problèmes de sommeil reliés entre autre à la cervicalgie. Il a fait des essais mais n’a pas encore trouvé l’oreiller qui lui conviendrait.
[14]
Spécifiquement, la CSST reproche au premier juge administratif d’avoir
accordé les remboursements pour les traitements d’autohypnose et pour
l’oreiller adapté en appliquant erronément les articles
[15]
Concernant l’oreiller, la Commission des lésions professionnelles
constate que le premier juge administratif, après avoir précisé qu’il avait été
prescrit par le médecin de la Clinique de la douleur (paragraphe 94) et
recommandé par l’ergothérapeute (paragraphe 96), convient qu’il ne s’agit pas
d’une aide technique, mais bien d’une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des
gamètes et des embryons de la disposition des cadavres[6]
(la Loi sur les laboratoires) telle que prévue à l’article
[16] Fort de cette conclusion, le premier juge administratif, se disant lié par les conclusions du médecin traitant quant à cette prescription, fait droit au travailleur et octroie le remboursement de l’oreiller.
[17] La Commission des lésions professionnelles estime que le premier juge administratif fait une erreur de droit dans l’interprétation du terme orthèse tel que défini à la Loi sur les laboratoires en y assimilant l’oreiller adapté.
[18]
De fait, le paragraphe o) de l’article
o) «orthèse» signifie un appareil adapté à un être humain et destiné à préserver la fonction d’un de ses membres ou organes ou à restituer la fonction, à compenser pour les limitations ou à accroître le rendement physiologique d’un de ses membres ou organes qui a perdu sa fonction, ne s’est jamais pleinement développé ou est atteint d’anomalies congénitales.
[19] De cette définition, l’oreiller n’est certes pas un appareil adapté à un être humain. Il n’est pas destiné à préserver la fonction d’un membre ou d’un organe, ni à restituer cette dernière, pas plus à compenser les limitations ou à accroître le rendement physiologique d’un membre ou d’un organe. L’oreiller n’est pas fixé définitivement ni temporairement à l’être humain.
[20] L’oreiller adapté dont il est question est un oreiller que le travailleur se procure pour augmenter sa zone de confort lorsqu’il est couché et pour lui permettre de mieux dormir en raison de l’existence d’une cervicalgie et d’un trouble du sommeil.
[21] Il est de jurisprudence du tribunal[7] que, comme pour le matelas orthopédique, l’oreiller prescrit répond mieux à la définition d’une aide technique tel qu’énuméré à l’article 189, 5° de la loi.
[22]
Outre cette erreur où le premier juge administratif confond l’orthèse
avec l’aide technique, la Commission des lésions professionnelles constate
qu’il fait droit à la demande du travailleur concernant le remboursement des
frais pour l’oreiller adapté parce qu’il estime qu’il a été prescrit par le
médecin traitant (paragraphe 98) alors que la lésion professionnelle n’est pas
consolidée. Le premier juge administratif estime que la CSST est liée par les
conclusions du médecin ayant charge en vertu de l’article
[23]
Or, comme le rappelle le tribunal dans l’affaire Tremblay[8],
l’oreiller orthopédique ne peut être considéré comme un
« traitement » aux fins de la présente loi. Ce terme a, aux fins des
dispositions de l’article
[24] N’étant ni un soin ni un traitement, la Commission des lésions professionnelles estime donc que c’est erronément que le premier juge administratif déclare que la CSST est liée par les conclusions du médecin traitant en regard du paragraphe 3 de l’article 212.
[25] Est-ce que ces erreurs peuvent être qualifiées d’erreurs déterminantes sur l’issue du litige?
[26] La Commission des lésions professionnelles estime que non.
[27]
D’entrée de jeu, au paragraphe 57 de la décision, le premier juge
administratif réfère à l’article
[28] Cependant, au moment de traiter du remboursement de l’oreiller, le premier juge administratif privilégie l’approche voulant que cet oreiller ait été prescrit par le médecin traitant et que la CSST soit liée par cette conclusion.
[29]
En agissant ainsi, il s’éloigne du cadre juridique qu’il a initialement
établi et qui, en vertu de l’article
[30]
Concernant les frais relatifs aux traitements d’autohypnose, selon le
paragraphe 101 de la décision, le même raisonnement s’applique pour le premier juge
administratif. Il note que ces traitements ont été prescrits par le médecin
traitant. Au paragraphe 107 de la décision, il indique que la lésion
professionnelle n’étant pas consolidée, le travailleur conserve le droit à des
soins nécessaires à la consolidation de cette lésion. Aux paragraphes 108 et
suivants de la décision, il précise que les soins sont considérés comme faisant
partie de l’assistance médicale prévue à l’article
[31]
La Commission des lésions professionnelles estime que le premier juge
administratif commet une erreur lorsqu’il indique que les traitements prescrits
font partie de l’assistance médicale prévue à l’article
[32] Rappelons, par ailleurs, que dans le présent dossier, les traitements d’autohypnose sont prodigués par un psycho-éducateur, monsieur Kerouac. Cette personne ne peut être qualifiée « d’intervenant de la santé » au sens prévu par le règlement.
[33] Est-ce que cette erreur a un effet déterminant sur l’issue du litige ?
[34] Encore ici, la Commission des lésions professionnelles ne le croit pas.
[35]
Dans le même souffle, en référant à la jurisprudence[9],
le premier juge administratif indique au paragraphe 115 de la décision que si
la lésion professionnelle avait été consolidée, il aurait autorisé ces traitements,
mais en vertu de l’article
[36] Comme expliqué ci-haut, le travailleur a droit à la réadaptation depuis l’événement de 2001. Au moment de requérir les traitements d’autohypnose, même s’il a subi une rechute, récidive ou aggravation en 2006, le processus de réadaptation n’était pas terminé.
[37] C’est à bon droit que le premier juge administratif peut reconnaître le droit au travailleur au remboursement de ce type de traitements qui ont été jugés nécessaires par le médecin qui a charge de ce dernier.
[38] Or, même si le premier juge administratif n’a pas appuyé son raisonnement sur les bonnes dispositions législatives, les conclusions sont les mêmes.
[39] Bref, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête en révision de la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail 30 juillet 2010.
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Diane Beauregard |
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Me Annie Veillette |
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Vigneault, Thibodeau, Giard |
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Représentante de la partie intervenante |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue et Villeneuve
[3] CSST c. Fontaine
[4] Sivaco et C.A.L.P.
[5] Règlement sur l'assistance médicale, [1993] 125 G.O. II, 1331.
[6] L.R.Q. c. L-0.2.
[7] Ouellet et Société
des alcools du Québec, C.L.P.
[8] Tremblay et ADM
Agri Industries Ltd Candiac, C.L.P.
[9] Chiniara et Commission
scolaire de Montréal, C.L.P.
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