DÉCISION
[1] Le 9 avril 2001, Jacques Grégoire (le travailleur) exerce, par requête, un recours à l’encontre d’une décision rendue le 26 février 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.S.S.T.), en révision administrative d’une décision de la C.S.S.T. rendue le 19 septembre 2000. La décision dont recours refuse de rembourser des frais de traitements de psychothérapie pendant la période du 27 mars 2000 au 31 août 2000.
[2] Les parties sont convoquées à une audience le 13 septembre 2001. Le travailleur est présent et représenté par avocate. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, entendu le témoignage du travailleur et de Martin Veilleux, psychologue, et entendu l’argumentation. La Commission des lésions professionnelles a reçu les notes de consultation du docteur Lamarre, ainsi qu’elle l’avait requis, le 2 octobre 2001. La Commission des lésions professionnelles a délibéré.
OBJET DU RECOURS
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’autoriser le remboursement des frais de traitements de psychothérapie reçus entre mars et août 2000, considérant que ces dépenses ont été encourues dans le but d’éviter une rechute de la lésion professionnelle.
PREUVE
[4] Le travailleur, né le 20 août 1954, est contremaître chez Kronos Canada inc. (l’employeur). Le 18 janvier 1996, durant une manœuvre imprévue, il est massivement éclaboussé par des acides (HCL) au visage et au corps.
[5] La C.S.S.T., le 1er mai 1996, accepte sa réclamation pour un diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur dépressive.
[6] Le travailleur est suivi par le docteur Hans Lamarre, psychiatre. Il récupère lentement de cette lésion professionnelle. L’évolution de la lésion comprend des tentatives de retour au travail et des hospitalisations. Martin Veilleux est appelé à traiter le travailleur.
[7] À compter de mars 1998, le service de réadaptation de la C.S.S.T. examine la possibilité d’une réintégration au travail, en collaboration avec l’employeur et une équipe multidisciplinaire, incluant le docteur Lamarre et Martin Veilleux. Le retour progressif au travail débute à la fin de 1998.
[8] Ce retour au travail progressif est encadré et suivi par le médecin et le psychologue du travailleur. En juin 1999, le travailleur se sent capable de reprendre son travail et son employeur est prêt à le reprendre. La C.S.S.T. autorise alors cinq traitements de psychothérapie dans le but de permettre au travailleur de réintégrer son emploi avec pleines responsabilités, même si ces traitements doivent avoir lieu après la date de consolidation.
[9] La C.S.S.T. met un terme au retour progressif au travail le 6 juillet 1999, l’employeur reprend le travailleur à temps plein et le docteur Lamarre consolide la lésion professionnelle le 5 juillet 1999, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. La décision de la C.S.S.T. à ce sujet n’est pas au dossier, mais le travailleur ne conteste pas cette situation. Il produit à l’audience le rapport final de son médecin.
[10] Dans un rapport du 2 septembre 1999, Martin Veilleux écrit :
« Considérant que Monsieur est encore fragile, il est important de poursuivre la psychothérapie pour encore quelques mois. Monsieur étant tout de même assez fonctionnel, le rythme des rencontres peut être réduit et adapté aux besoins. Nous prévoyons rencontrer Monsieur de une à deux fois par mois jusqu’à la fin décembre. Par la suite, Monsieur ne devrait plus nécessiter de suivi régulier. Nous croyons cependant que des rencontres occasionnelles (thérapie de soutien) pourraient lui être bénéfiques. Nous rediscuterons de ce point avec Monsieur Grégoire. »
[11] Le 19 septembre 1999, les notes évolutives de la C.S.S.T. font état d’une demande du travailleur pour des traitements de support en psychothérapie, compte tenu d’un stress important au travail. La C.S.S.T. autorise cinq traitements supplémentaires afin de prévenir une rechute, récidive ou aggravation. Monsieur Veilleux en est avisé.
[12] Le 8 février 2000, Martin Veilleux présente un document qu’il qualifie de rapport final. Il y fait état de séquelles, bien que le travailleur soit capable d’effectuer son travail. Un besoin de support peut s’avérer nécessaire.
[13] Le 14 septembre 2000, le travailleur rencontre un agent d’indemnisation de la C.S.S.T. Il lui fait part du fait que sa réintégration a été difficile et qu’il a subi un état de dépression pendant quelques mois. Il va mieux depuis environ un mois. Pour arriver à ce résultat, il a fait appel aux services de Martin Veilleux pour dix séances de traitements, entre le 27 mars 2000 et le 31 août 2000. Il demande le remboursement de ces frais, soit 650,00 $. Appelé à expliquer pourquoi il n’a pas fait de réclamation avant de recevoir ces traitements, il déclare qu’il ne voulait pas déclarer une rechute. La C.S.S.T. devrait lui rembourser ces frais car l’anxiété découle de la lésion professionnelle.
[14] Après analyse, la C.S.S.T. refuse de rembourser les frais de psychothérapie.
[15] À l’audience, le travailleur explique les circonstances de l’événement de janvier 1996.
[16] Il savait dès le départ que les cinq traitements psychologiques autorisés en juin 1999 seraient insuffisants et il a tenté d’obtenir d’autres traitements de la part de la C.S.S.T.
[17] Il est encore suivi régulièrement par le docteur Lamarre. Il lui a recommandé, en février 2000, de suivre des traitements de psychothérapie.
[18] Il est d’avis que ces traitements devraient être remboursés par la C.S.S.T. car ils sont une conséquence de la lésion professionnelle et que ce ne sont pas les assurances, au travail, qui devraient supporter ces frais. Les traitements ont donné de bons résultats. S’ils n’avaient pas été efficaces, il n’aurait pas demandé leur remboursement.
[19] La dernière consultation du docteur Lamarre a eu lieu le 8 août 2001. Il le rencontre aux deux mois depuis 1997.
[20] La Commission des lésions professionnelles a ensuite entendu Martin Veilleux. Il est psychologue et a suivi le travailleur. Le travailleur a présenté des symptômes dépressifs résiduels lors de son retour au travail en juillet 1999. Il était en mesure de fonctionner, mais cela lui était difficile. Il a rencontré le travailleur entre février et août 2000 et, après dix séances, il a conclu de mettre un terme aux traitements. Il n’a pas communiqué avec la C.S.S.T. et n’a pas transmis de rapport.
[21] Dans les notes de consultation du docteur Lamarre, transmises après l’audience, on peut lire que le 28 février 2000, il conseille au travailleur de reprendre rendez-vous en psychothérapie. Le travailleur a consulté le docteur Lamarre le 28 février 2000, le 11 mai 2000, le 27 juin 2000 en urgence, le 10 juillet 2000, le 1er août 2000 et le 11 septembre 2000. Les notes de consultation soumises arrêtent à cette date, alors que le docteur Lamarre conclut à un « diagnostic en rémission partielle ».
ARGUMENTATION
[22] L’avocate du travailleur soumet que les dispositions de l’article 184, paragraphe 5, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) autorisent la C.S.S.T. à prendre toute mesure qu’elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle. Le travailleur s’est senti plus fragile et il a jugé bon, sur la recommandation du docteur Lamarre, de consulter un psychologue, celui qui le suit depuis quelque temps déjà. Les dix traitements qu’il a reçus ne constituent pas un abus. Le travailleur s’est senti mieux après ces traitements. Il a pu reprendre son travail normalement et éviter une rechute, récidive ou aggravation. Ces traitements étaient nécessaires et il y a lieu pour la C.S.S.T. de les rembourser.
AVIS DES MEMBRES
[23] Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis que le travailleur devait demander l’autorisation de la C.S.S.T. avant d’encourir les frais pour les traitements de psychothérapie. Par ailleurs, ces traitements n’ont pas été prescrits par le médecin traitant du travailleur.
MOTIFS
[24] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la C.S.S.T. a l’obligation de rembourser les frais encourus par le travailleur pour des traitements de psychothérapie reçus entre mars 2000 et août 2000.
[25] La loi prévoit que le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à la réparation des conséquences qu’elle entraîne. La loi met en place les mécanismes pour encadrer cette réparation. Ainsi, le travailleur qui est victime d’une lésion professionnelle doit faire une réclamation (article 270 de la loi). Il peut choisir son médecin (art. 192 de la loi). L’assistance médicale à laquelle il a droit est prévue à l’article 189 de la loi :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S - 4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S‑5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P‑35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance‑maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements,
les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la
Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et
limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les
autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
(nos caractères gras)
[26] La loi met également en place des mécanismes d’évaluation médicale qui permettent à l’employeur ou à la C.S.S.T. de demander l’avis de professionnels de la santé sur certains sujets :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la
durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
(nos caractères gras)
[27] Les psychologues ne sont pas des professionnels de la santé, au sens de la loi.
[28] La C.S.S.T. agit, dans le cadre de la gestion des réclamations, par des décisions. Ces décisions peuvent faire l’objet de recours par le travailleur ou l’employeur.
[29] L’article 184 prévoit :
184. La Commission peut :
1° développer et soutenir les activités des personnes et des organismes qui s'occupent de réadaptation et coopérer avec eux;
2° évaluer l'efficacité des politiques, des programmes et des services de réadaptation disponibles;
3° effectuer ou faire effectuer des études et des recherches sur la réadaptation;
4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la réinsertion professionnelle du conjoint d'un travailleur décédé en raison d'une lésion professionnelle;
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
[30] En la présente instance, la lésion professionnelle subie par le travailleur est consolidée par son médecin traitant en juillet 1999, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[31] La loi définit ainsi la consolidation :
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible ;
[32] Le travailleur, de l’avis de son médecin, aurait besoin de quelques traitements de support de son psychologue en février 2000. La loi exige que ces traitements soient prescrits par le médecin traitant du travailleur et que la C.S.S.T. les autorise.
[33] Or, en la présente instance, il n’y a pas de prescription de traitements par le médecin du travailleur et la C.S.S.T. ne les a pas autorisés. Cette autorisation de la C.S.S.T. prend la forme d’une décision et permet à l’employeur d’exercer ses droits, s’il le veut.
[34] Un travailleur ne peut placer la C.S.S.T. devant le fait accompli et lui réclamer le remboursement de frais qu’elle devait autoriser au préalable. Cette façon de faire contourne tous les mécanismes mis en place par la loi. Or, les dispositions de la loi sont d’ordre public (art. 4 de la loi).
[35] Considérant ces dispositions de la loi, la Commission des lésions professionnelles ne peut ordonner à la C.S.S.T. de rembourser des frais encourus par le travailleur.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Jacques Grégoire ;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, en révision administrative, rendue le 20 février 2001;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’a pas l’obligation de rembourser les frais de 650,00 $ encourus par le travailleur pour des traitements de psychothérapie.
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Me
Richard L. Beaudoin, commissaire |
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Me Mélanye Tremblay |
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Représentante de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.