Nantais et Sécurité-policiers |
2013 QCCLP 6069 |
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[1] Le 25 mars 2013, madame Geneviève Nantais (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 15 mars 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue le 7 février 2013 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais de consultations médicales et des documents médicaux (comptes d’établissement de santé) assumés auprès de son médecin non participant au régime de l’assurance maladie du Québec.
[3] Lors de l’audience tenue à Joliette le 16 juillet 2013, la travailleuse était présente et représentée. Sécurité-Policiers (l’employeur) avait prévenu le tribunal de son absence. Le dossier a été mis en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse soutient qu’elle a droit au remboursement des frais qu’elle a engagés entre la première visite médicale et la décision de la CSST refusant sa réclamation selon le tarif établi par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la contestation de la travailleuse. En effet, l’article 188 de la loi est clair : le droit à l’assistance médicale est offert à un travailleur ayant subi une lésion professionnelle. Dans le cas où elle est refusée, la CSST ne peut rembourser ce dernier pour les sommes qu’il a déboursées afin de recevoir une assistance médicale. La CSST était donc en droit de ne pas rembourser la travailleuse.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de faire droit à la contestation de la travailleuse. En effet, il estime que si la travailleuse avait consulté un médecin participant au régime public d’assurance maladie, la CSST aurait défrayé les coûts afférents à ces visites médicales selon les tarifs prévus par la RAMQ, et ce, même si elle avait refusé par la suite la réclamation. Il est donc normal que la CSST rembourse à la travailleuse le coût des visites médicales antérieures au refus de sa réclamation, selon les tarifs de la RAMQ.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le tribunal doit décider si la travailleuse a droit aux remboursements des frais qu’elle a encourus pour obtenir les soins médicaux lors de la survenance de l’événement du 1er décembre 2012.
[8] La travailleuse est policière chez l’employeur. Elle allègue la survenance d’une lésion professionnelle le 1er décembre 2012 alors qu’elle se rend au travail malgré qu’elle ressente des symptômes de rhume, de fièvre, de transpiration et de tremblement. Le lendemain, elle ressent de la douleur dans le bas du dos. Le 7 décembre 2012, elle consulte un médecin qui diagnostique une entorse lombaire. Ce diagnostic sera maintenu par la suite.
[9] Le 16 janvier 2013, la CSST refuse la réclamation de la travailleuse et cette décision ne fait pas l’objet d’une demande de révision.
[10] Toutefois, la travailleuse réclame le remboursement de frais qu’elle a assumés pour des consultations médicales et des rapports médicaux (comptes d’établissement de santé) auprès de son médecin non participant au régime de l’assurance maladie du Québec en rapport avec sa réclamation.
[11] La travailleuse affirme qu’elle a tenté sans succès de consulter un médecin au CLSC de son quartier. Elle a donc décidé de consulter son médecin traitant, la docteure Lavergne, qui est désengagée du régime de l’assurance maladie du Québec.
[12] La travailleuse soutient que c’est l’agente de la CSST qui lui a demandé des documents médicaux pour pouvoir étudier son dossier. Elle soumet donc que c’est la CSST qui doit en assumer les frais. Elle soutient également que si son médecin avait facturé la CSST, il aurait pu être remboursé selon le tarif de la RAMQ. Puisque son médecin l’a facturée directement, elle a dû acquitter les frais pour la consultation médicale et il serait inéquitable qu’elle ne puisse obtenir le remboursement de ce que la CSST aurait normalement dû assumer si elle avait consulté un médecin participant au régime public.
[13] Selon l’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le travailleur a droit à l’assistance médicale lorsqu’il subit une lésion professionnelle et selon l’article 194 le coût de l’assistance médicale reliée à cette lésion est assumé par la CSST :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
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1985, c. 6, a. 194.
[14] La loi prévoit également que le travailleur a droit au professionnel de la santé de son choix et à l’établissement de santé de son choix :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
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1985, c. 6, a. 192.
193. Le travailleur a droit aux soins de l'établissement de santé de son choix.
Cependant, dans l'intérêt du travailleur, si la Commission estime que les soins requis par l'état de ce dernier ne peuvent être fournis dans un délai raisonnable par l'établissement qu'il a choisi, ce travailleur peut, si le médecin qui en a charge est d'accord, se rendre auprès de l'établissement que lui indique la Commission pour qu'il reçoive plus rapidement les soins requis.
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1985, c. 6, a. 193; 1992, c. 21, a. 81.
[15] La loi prévoit également que les services rendus par les professionnels de la santé dans le cadre de la loi sont payés à ces professionnels par la RAMQ conformément aux ententes intervenues dans le cadre de l’article 19 de la Loi sur l’assurance maladie[2] et que la CSST rembourse ces coûts à la RAMQ :
196. Les services rendus par les professionnels de la santé dans le cadre de la présente loi et visés dans le quatorzième alinéa de l'article 3 de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29), édicté par l'article 488, y compris ceux d'un membre du Bureau d'évaluation médicale, d'un comité des maladies professionnelles pulmonaires ou d'un comité spécial agissant en vertu du chapitre VI, à l'exception des services rendus par un professionnel de la santé à la demande de l'employeur, sont payés à ces professionnels par la Régie de l'assurance maladie du Québec conformément aux ententes intervenues dans le cadre de l'article 19 de la Loi sur l'assurance maladie.
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1985, c. 6, a. 196; 1992, c. 11, a. 10; 1999, c. 89, a. 43, a. 53.
197. La Commission rembourse à la Régie de l'assurance maladie du Québec le coût des services visés dans l'article 196 et les frais d'administration qui s'y rapportent.
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1985, c. 6, a. 197; 1996, c. 70, a. 6; 1999, c. 89, a. 53.
[16] Finalement, la loi prévoit que la CSST et la RAMQ concluent une entente quant aux frais et modalités entourant ces remboursements :
198. La Commission et la Régie de l'assurance maladie du Québec concluent une entente qui a pour objet les règles régissant le remboursement des sommes que la Régie débourse pour l'application de la présente loi et la détermination des frais d'administration qu'entraîne le paiement des services visés à l'article 196.
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1985, c. 6, a. 198; 1996, c. 70, a. 7; 1999, c. 89, a. 53.
[17] Ainsi, un travailleur victime d’une lésion professionnelle peut choisir d’être traité par un professionnel non participant au régime public d’assurance maladie. Dans ce cas, selon la jurisprudence largement majoritaire[3], il est admis qu’il a le droit d’être remboursé selon le tarif prévu par la RAMQ pour les frais relatifs aux soins ou traitements reçus et qui lui ont été facturés directement par le médecin.
[18] En l'espèce, la CSST refuse de rembourser la travailleuse pour les frais reliés aux visites médicales auprès de médecins non participants au régime public puisque la réclamation a été refusée et que cette décision est devenue finale. Ainsi, la travailleuse n’ayant pas subi de lésion professionnelle, elle n’a pas droit à l’assistance médicale prévue par la loi et la CSST n’a pas à en défrayer les coûts.
[19] Il est vrai que selon l’article 188 de la loi, le droit à l’assistance médicale n’est offert qu’au travailleur qui subit une lésion professionnelle, le texte est clair. Ainsi, dans le cas où une lésion est refusée, un travailleur ne bénéficie pas de ce droit.
[20] Toutefois, lorsqu’un travailleur consulte en premier lieu un médecin et durant toute la période où il continue de le faire et qu’il reçoit divers soins ou traitements, mais préalablement à la décision de la CSST, ces visites médicales et les soins ou traitements reçus, de même que les divers examens sont assumés par la CSST, de par l’effet des articles 196 et 197 de la loi.
[21] En effet, l’article 196 ne conditionne pas le paiement des divers soins ou traitements à l’acceptation d’une réclamation : ce sont tous les services rendus par un professionnel de la santé en application de la loi qui sont visés. Et en vertu de l’article 197 de la loi, c’est le coût des services visés à l’article 196 de la loi qui est remboursé par la CSST à la RAMQ.
[22] De plus, dans le cas où une réclamation est refusée, la loi ne prévoit pas que la RAMQ doit retourner à la CSST le remboursement reçu.
[23] Il en découle qu’un travailleur qui exerce le droit prévu à la loi de produire une réclamation et qui consulte un médecin et reçoit des traitements ou des soins, voit les coûts afférents à ceux-ci assumés par la CSST jusqu’à ce que sa réclamation soit refusée.
[24] Un travailleur qui choisit de consulter un professionnel de la santé non participant au régime public a-t-il droit au même traitement?
[25] Un remboursement selon les tarifs de la RAMQ est accordé aux travailleurs ayant subi une lésion professionnelle et qui décident par la suite de recevoir des soins d'un médecin non participant au régime public. Selon la jurisprudence, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 194, aucun frais pour une prestation d’assistance médicale prévue par la loi ne peut être réclamé au travailleur. Ainsi, un médecin non participant ne devrait pas réclamer au travailleur de tels coûts, mais s’il le fait, ce n’est pas au travailleur de supporter cette contravention à la loi. On accepte donc de lui rembourser directement ce que la CSST aurait eu à assumer.
[26] Lorsque, comme en l’espèce, un travailleur croit qu’il a subi une lésion professionnelle, il consulte un médecin qui lui remet une attestation médicale, selon l’article 199 de la loi :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
[27] C’est le formulaire complété par le médecin en vertu de cet article qui sert à initier la réclamation du travailleur puisqu’il doit être transmis à l’employeur et à la CSST :
267. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui le rend incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion doit remettre à son employeur l'attestation médicale prévue par l'article 199.
Si aucun employeur n'est tenu de verser un salaire à ce travailleur en vertu de l'article 60, celui-ci remet cette attestation à la Commission.
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1985, c. 6, a. 267.
268. L'employeur tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 avise la Commission que le travailleur est incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée la lésion professionnelle et réclame par écrit le montant qui lui est remboursable en vertu de cet article.
L'avis de l'employeur et sa réclamation se font sur le formulaire prescrit par la Commission.
Ce formulaire porte notamment sur :
1° les nom et adresse du travailleur, de même que ses numéros d'assurance sociale et d'assurance maladie;
2° les nom et adresse de l'employeur et de son établissement, de même que le numéro attribué à chacun d'eux par la Commission;
3° la date du début de l'incapacité ou du décès du travailleur;
4° l'endroit et les circonstances de l'accident du travail, s'il y a lieu;
5° le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur;
6° le montant dû en vertu de l'article 60;
7° les nom et adresse du professionnel de la santé que l'employeur désigne pour recevoir communication du dossier médical que la Commission possède au sujet du travailleur; et
8° si l'employeur conteste qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, les motifs de sa contestation.
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1985, c. 6, a. 268; 1999, c. 89, a. 53.
269. L'employeur transmet à la Commission le formulaire prévu par l'article 268, accompagné d'une copie de l'attestation médicale prévue par l'article 199, dans les deux jours suivant :
1° la date du retour au travail du travailleur, si celui-ci revient au travail dans les 14 jours complets suivant le début de son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° les 14 jours complets suivant le début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, si le travailleur n'est pas revenu au travail à la fin de cette période.
Il remet au travailleur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 269.
[28] Ainsi, pour pouvoir faire reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle, le travailleur doit consulter un médecin et celui-ci doit compléter le formulaire prescrit par la loi. Cet acte médical est, en raison de l’article 196 de la loi, défrayé par la RAMQ et en vertu de l’article 197 de la loi, cette dernière est remboursée par la CSST, et ce, même si la réclamation est refusée par la suite.
[29] Les consultations médicales préalables à la décision de la CSST constituent de par les termes de la loi, des prestations d’assistance médicale auxquelles le travailleur a droit. En raison du deuxième alinéa de l’article 194, aucun montant pour une telle prestation d’assistance médicale ne doit être réclamé au travailleur, et ce, même si sa réclamation est ultimement refusée.
[30] Dans le présent dossier, des attestations médicales sur le formulaire prescrit par la CSST ont été complétées par les médecins non participants au régime, consultés par la travailleuse. Cette dernière a été facturée par ceux-ci et elle demande le remboursement d’une partie des frais qu’elle a déboursés, soit ceux correspondant au tarif de la RAMQ.
[31] Le tribunal estime qu’aucune somme n’aurait dû être facturée à la travailleuse pour ces visites médicales et que les factures qu’elle a dû acquitter en raison de celles-ci ont été émises en contravention de la loi. Comme la travailleuse a tout de même dû supporter les coûts afférents à ces visites médicales qui auraient dû être facturées directement à la RAMQ, il y a lieu de lui accorder le remboursement selon le tarif de la RAMQ.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Geneviève Nantais, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 15 mars 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement, selon le tarif prévu par la Régie de l’assurance maladie du Québec pour de tels actes, des frais de consultations médicales et des documents médicaux relatifs à des visites médicales antérieures au refus de sa réclamation, qu’elle a assumés auprès de médecins non participants au régime de l’assurance maladie du Québec.
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Guylaine Moffet |
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Me Jonathan Paré |
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Trudel, Nadeau avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.