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Dossier 286170
[1] Le 4 avril 2006, Bas de Nylon Doris ltée (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 22 mars 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme deux décisions initialement rendues les 8 décembre 2005 et 27 février 2006, l’une portant sur l’admissibilité de la lésion professionnelle subie par madame Petronila De Jesus Hernandez-Guerra (la travailleuse) le 16 novembre 2005 et l’autre entérinant un avis du Bureau d’évaluation médicale portant sur le diagnostic et la date de consolidation de la lésion. Les diagnostics retenus sont ceux de contusion dorsale et d’entorse de l’épaule droite et, en date de l’évaluation le 9 février 2006, les lésions n’étaient pas encore consolidées. La CSST déclare que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 16 novembre 2005.
Dossier 286172
[3] Le 4 avril 2006, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une seconde décision rendue le 22 mars 2006 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision en révision, la CSST déclare qu’elle ne traitera pas la demande de révision de l’employeur du 20 décembre 2005 à l’encontre de la décision initiale d’imputation rendue par la CSST.
[5] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles le 12 décembre 2006 à Montréal, l’employeur était présent et représenté. La travailleuse, bien que dûment convoquée, n’était pas représentée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 16 novembre 2005, puisque l’événement ne s'est pas produit à l’occasion du travail.
[7] De manière subsidiaire, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’actualiser la décision rendue à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale et de déclarer, selon le rapport final déposé lors de l’audience, que la lésion professionnelle du 16 novembre 2005 est consolidée depuis le 19 juin 2006 sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles. Le représentant de l’employeur n’a pas de représentation particulière à faire sur la question de l’imputation.
LES FAITS
[8] Madame Hernandez-Guerra occupe un emploi d’emballeuse pour l’employeur depuis le mois d’août 2005.
[9] Son horaire de travail est de 16 h 00 à 24 h 00, cinq jours par semaine. Elle dispose de deux périodes de pause, une à 20 h 15 et l’autre à 22 h 15, et d’une période de 30 minutes pour le repas qu’elle prend à 18 h 00.
[10] Selon les formulaires de réclamation au dossier, le 16 novembre 2005, la travailleuse est tombée après sa pause alors qu’elle retournait à son poste de travail. Elle a continué à travailler jusqu’à minuit, mais le lendemain la douleur était à ce point forte qu’elle a décidé de consulter un médecin.
[11] Ni la survenance ni les circonstances de la chute ne sont contestées par l’employeur. De même, l’employeur ne remet pas en cause que la travailleuse se soit blessée lors de cette chute ni les diagnostics retenus par le Bureau d’évaluation médicale.
[12] Le 9 février 2006, le docteur David Wiltshire du Bureau d’évaluation médicale, après avoir examiné la travailleuse, retient le diagnostic de contusion dorsale droite et, aussi, d’entorse à l’épaule droite. Il juge que la lésion n’est pas encore consolidée.
[13] À l’audience, l’employeur remet copie d’un rapport final du docteur L.N. Nguyen, médecin traitant, dans lequel on peut lire que la lésion professionnelle est consolidée le 19 juin 2006 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[14] La travailleuse a été mise à pied et ne travaille plus chez l’employeur.
[15] Madame Nathalie Laforce, superviseure de la travailleuse et à l’emploi de l’employeur depuis 1984, a témoigné à l’audience. Elle se souvient très bien de la soirée du 16 novembre 2005.
[16] À l’extérieur de l’établissement, l’entrée est couverte par un abri Tempo qui permet aux travailleurs d’aller fumer à l’extérieur de l’établissement. Lors des pauses, elle y rencontre souvent madame Hernandez-Guerra qui fume également.
[17] Le 16 novembre 2005, à la deuxième période de pause, à 22 h 15, elle croise madame Hernandez-Guerra à l’extérieur pendant qu’elles fument toutes les deux durant leur période de pause.
[18] Selon madame Laforce, la travailleuse était à l’extérieur de l’abri.
[19] Madame Laforce est entrée un peu avant la fin de la pause pour faire un appel.
[20] Elle entend la cloche sonner, signe que la pause est terminée et que les employés doivent réintégrer leur poste de travail.
[21] Elle a vu la travailleuse faire une chute dans les marches de l’escalier de la passerelle qu’elle identifie sur le plan des lieux déposé par l’employeur.
[22] Les distances de l’entrée à la passerelle ont été mesurées. La travailleuse devait franchir l’entrée et ensuite marcher respectivement des distances de 55, 70, 25 et 40 pieds, avant d’atteindre l’escalier dans lequel elle est tombée.
[23] C’est en montant l’escalier de la passerelle que la travailleuse a perdu pied. Madame Laforce a constaté que la travailleuse avait les pieds mouillés. Elle explique ce fait par le port des espadrilles dont les semelles prennent du temps à sécher.
[24] L’escalier est composé de marches de métal recouvertes d’un antidérapant.
[25] Madame Laforce s’est rendue près de la travailleuse qui a affirmé être en mesure de continuer son travail.
[26] Toutefois, le lendemain, madame Hernandez-Guerra éprouvait des douleurs et a consulté un médecin.
[27] En argumentation, l’employeur soumet qu’il ne remet pas du tout en cause le fait que la travailleuse ait fait une chute ni de la façon dont elle est tombée. Toutefois, il estime que cette chute n’est pas survenue à l’occasion du travail.
[28] Il soumet de la jurisprudence dans laquelle la Commission des lésions professionnelles a déterminé que le fait de fumer constitue une activité personnelle. Il soumet que le trajet pour se rendre à la pause pour fumer ainsi que celui pour en revenir ne sont pas reliés au travail. Il n’y a pas de lien de connexité et cette activité n’est pas utile à l’employeur.
L’AVIS DES MEMBRES
[29] Le membre issu des associations d’employeurs estime que fumer est une activité personnelle et qu’elle n’est pas reliée au travail. Il ne s’agit pas d’une activité qui est utile à l’employeur. Lorsque la travailleuse prend la décision de prendre sa pause à l’extérieur pour fumer, cette activité fait partie d’une sphère personnelle qui n’est pas reliée au travail.
[30] Le membre issu des associations syndicales estime au contraire que l’activité de fumer n’est pas ici pertinente, puisque la chute n’a pas eu lieu durant la pause lorsque la travailleuse est à l’extérieur, mais bien lorsqu’elle revenait de la pause après que la cloche ait sonné et qu’elle se rendait à son poste de travail. Le fait de se rendre à un poste de travail après une pause constitue une activité utile à l’employeur qui se rapproche davantage de la sphère professionnelle que de la sphère personnelle. Pour cette raison, il estime que l’accident est survenu à l’occasion du travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 16 novembre 2005. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) donne les définitions suivantes de lésion professionnelle et d’accident du travail :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[32] Étant donné que l’événement n’est pas survenu lorsque la travailleuse était à son travail, alors qu’elle exécutait ses tâches, la présomption de l’article 28 de la loi ne peut pas s’appliquer.
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[33] L’employeur ne remet pas du tout en question que la travailleuse ait chuté et qu’il se soit produit un événement imprévu et soudain. De même, il ne remet pas en cause que la blessure qu’a subie la travailleuse soit en lien avec la chute survenue sur les lieux du travail.
[34] Toutefois, le représentant de l’employeur soumet que cette chute n’est pas survenue à l’occasion du travail. C’est donc sur ce critère de « à l’occasion du travail » que la Commission des lésions professionnelles rendra sa décision.
[35] Avec respect, la Commission des lésions professionnelles ne peut faire droit aux arguments de l’employeur pour les motifs qui suivent.
[36] Dans l’affaire Plomberie & Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps[2], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) a énuméré certains éléments à prendre en considération dans l’analyse de la preuve pour déterminer si un accident est survenu à l’occasion du travail. Ces éléments sont les suivants :
La Commission d'appel tient cependant à souligner les principaux éléments susceptibles de permettre de qualifier un événement d'«accident survenu à l'occasion du travail» : a) le lieu de l'événement accidentel; b) le moment de l'événement accidentel; c) la rémunération de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement accidentel; d) l'existence et le degré d'autorité ou de subordination de l'employeur lorsque l'événement accidentel ne survient, ni sur les lieux, ni durant les heures du travail; e) la finalité de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement accidentel, qu'elle soit incidente, accessoire ou facultative à ses conditions de travail; f) le caractère de connexité et d'utilité relative de l'activité du travailleur au regard de l'accomplissement du travail. »
[37] Dans le présent cas, la travailleuse a chuté après sa période de pause et alors qu’elle se rendait à son poste de travail après que la cloche signalant la fin de la pause ait sonné. Elle a chuté sur les lieux du travail à l’intérieur de la bâtisse, ayant franchi la plus grande distance la rapprochant de son poste de travail.
[38] Même si le tribunal est d’accord avec la jurisprudence soumise par le représentant de l’employeur selon laquelle l’activité de fumer est considérée comme une activité purement personnelle, il conclut que, dans le présent cas, la travailleuse n’a justement pas fait sa chute pendant sa pause ni pendant qu’elle fumait. L’activité de fumer ici n’est pas pertinente.
[39] La jurisprudence applicable est plutôt celle portant sur le retour d’une période de pause ou d’un trajet à l’intérieur des lieux de travail.
[40] Selon la jurisprudence, les accidents survenant dans les voies d’accès intérieures et extérieures pour se rendre au travail ou en sortir sont considérés comme étant survenus à l’occasion du travail[3].
[41] Dans la mesure où la chute survient à l’intérieur des lieux de travail après la période de pause au moment où la travailleuse réintègre son poste de travail, où elle est rémunérée et où l’activité de se rendre à son poste est connexe au travail et revêt une utilité pour l’employeur, elle est donc survenue à l’occasion du travail.
[42] Concernant les questions médicales, le tribunal fait droit à l’argument subsidiaire de l’employeur selon lequel la lésion professionnelle est consolidée le 19 juin 2006 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, conformément au rapport final rempli par le médecin traitant.
[43] Quant à l’aspect du dossier portant sur l’imputation, l’employeur n’a pas soumis d’arguments visant à obtenir un partage de coût.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 286170
ACCUEILLE EN PARTIE la requête présentée par Bas de Nylon Doris ltée, l’employeur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 8 décembre 2005;
DÉCLARE que madame Petronila De Jesus Hernandez-Guerra, la travailleuse, a subi une lésion professionnelle le 16 novembre 2005, dont les diagnostics sont ceux de contusion dorsale et d’entorse de l’épaule droite.
DÉCLARE que la lésion professionnelle est consolidée depuis le 19 juin 2006 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles;
Dossier 286172
REJETTE la requête présentée par l’employeur;
CONFIRME pour d’autres motifs la décision rendue le 27 février 2006 par la CSST à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST est bien fondée d’imputer le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par madame Hernandez-Guerra au dossier de l’employeur.
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Anne Vaillancourt |
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Commissaire |
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Me Jean-François Gilbert |
GILBERT, AVOCATS |
Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] C.A.L.P. 51232-64-9305, 17 janvier 1995, B. Lemay
[3] Workmen’s Compensation Board and the Pacific Railway Co. and Noel, [1952] S.C.R. 359; Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et St-Onge, C.A.L.P. 60101-05-9406, 11 décembre 1995, L. Boucher; Dubois et Centre hospitalier Champlain-Marie-Victorin, C.L.P. 188619-62-0207, 9 juillet 2003, S. Mathieu; Marcil et Cité de la santé de Laval, C.L.P. 215332-63-0309, 8 avril 2004, D. Beauregard.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.