Dorval et Alstom Canada inc. |
2012 QCCLP 2201 |
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[1] Le 21 septembre 2011, monsieur Nelson Dorval (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 août 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 24 mai 2011, déclarant que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle et n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue le 16 mars 2012 à Saguenay en présence du travailleur et de sa procureure. Alstom Canada inc., l’un des employeurs, avait avisé la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience. Il n’y avait aucun représentant ni procureur présents pour les employeurs Voith Hydro inc., Canmec Lajoie Somec et Alco-TMI inc. La cause a été mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle, diagnostiquée le 15 juillet 2010 comme étant un syndrome du canal carpien bilatéral, reliée directement aux risques particuliers de son travail de chaudronnier.
LES FAITS
[5] De la preuve documentaire et testimoniale au dossier, le tribunal retient principalement ce qui suit.
[6] Le travailleur, aujourd’hui âgé de 31 ans, pratique le métier de chaudronnier depuis 11 ans. Auparavant, le travailleur était soudeur en atelier.
[7] Le travailleur précise avoir une dominance droitière, mais son travail sollicite la main gauche qui lui vient en aide avec habileté lorsque nécessaire. Annuellement, le travailleur exerce son métier pendant un minimum de six mois. Il explique que la plupart du temps, les chaudronniers sont au travail lors des périodes d’arrêt des machines, aux fins de réparation ou d’installation (shut down). En conséquence, les journées de travail comptent entre 10 et 16 heures. Une pause santé de 15 minutes est prévue dans l’avant-midi. Le travailleur dispose de 30 minutes pour la pause repas du midi et une autre pause de 15 minutes est prévue l’après-midi. S’il arrive qu’une troisième pause de 15 minutes soit offerte, en après-midi, le travailleur préfère ne pas s’en prévaloir et quitter plus tôt. Les semaines de travail s’étirent sur un minimum de six jours, la plupart du temps totalisant sept jours, et ce, sur une période variant entre un et deux mois à chaque contrat.
[8] Lorsqu’il n’est pas au travail, le travailleur reçoit des prestations d’assurance-emploi. Il témoigne avoir constaté que lors des périodes de pause « imposée », la douleur aux poignets diminuait.
[9] À l’audience, le travailleur décrit en quoi consiste son travail de chaudronnier. Il souligne qu’il porte des gants en tout temps, travaillant régulièrement à l’extérieur, le plus souvent au printemps, à l’automne et à l’hiver.
[10] Le travailleur décrit d’abord la fabrication d’un réservoir, en débutant par l’installation des plaques de retenue (key plate) au moyen desquelles sont assemblées les plaques formant les parois du réservoir. Ces ouvrages peuvent mesurer entre cinq et 200 pieds de diamètre et avoir une hauteur variant entre 25 et 80 pieds.
[11] Ces plaques de retenue sont placées sur les joints qui seront soudés. Pour en faire l’ajustement, le travailleur doit frapper sur les tiges de métal de la plaque de retenue à l’aide d’une masse de huit livres qu’il tient d’une main. Parce qu’il est souvent juché sur un échafaud, dans une échelle ou que l’espace de travail est très restreint, le travailleur utilise l’une ou l’autre de ses mains, dépendamment du côté où se trouve la plaque de retenue. La hauteur à laquelle se trouvent les plaques de retenue exige aussi du travailleur qu’il frappe sur des tiges placées bien au-dessus de sa tête. Chaque coup de masse sur la tige de métal provoque une vibration dans la main du travailleur. Pour une seule tige, pas moins de dix coups de masse sont nécessaires. Chaque plaque de retenue compte quatre tiges de métal et le travailleur dénombre minimalement trois plaques de retenue pour assembler les plaques formant la paroi.
[12] Le travailleur doit aussi assembler des échafauds, pour lequel il doit transporter des madriers de 10 à 16 pieds de longueur, pesant entre 25 et 40 livres chacun. Le travailleur doit tenir ces madriers souvent au-dessus de sa tête, les bras et les épaules en extension.
[13] La manipulation des plaques d’acier destinées à former la paroi du réservoir requiert du travailleur qu’il utilise un palan à chaîne. Pour remonter la chaîne au bout de laquelle est attachée la plaque de métal pesant près de 1 000 livres, le travailleur agrippe celle-ci avec ses deux mains bien au-dessus de sa tête, appliquant avec force une préhension pleine main pour ensuite tirer vers le bas. Lorsqu’il tire la chaîne, cela provoque une vibration.
[14] Lorsqu’une première section est fabriquée, le travail recommence sur le niveau suivant. Les outils sont alors amenés au niveau supérieur par le travailleur, au moyen d’une corde à laquelle ils sont suspendus un à un. Certains outils ont un poids considérable, sachant qu’il s’agit par exemple de masses et de meuleuses. La préhension de la corde se fait à pleine main, en utilisant tant la gauche que la droite.
[15] Lorsqu’il doit procéder à la soudure des joints des plaques formant la paroi, le travailleur utilise une soudeuse semi-automatique. L’utilisation de cet outil requiert du travailleur qu’il manipule du fil à souder gainé, qu’il tire avec force de ses deux mains, en préhension pleine main.
[16] Pour faire la soudure proprement dite, le travailleur utilise en premier lieu, une meuleuse pesant entre dix et quinze livres, qu’il tient avec ses deux mains pour poncer la surface à souder. Ensuite, il prend la soudeuse semi-automatique pesant près de 25 livres avec ses deux mains. Ces outils provoquent beaucoup de vibrations. De plus, la position du travailleur est très inconfortable, ses poignets étant la plupart du temps en extension et en flexion, effectuant des déviations radiales ou cubitales répétées. Ce travail de soudure est effectué sans relâche pendant des semaines, voire des mois.
[17] Dans certains cas, le travailleur effectue de la soudure à la baguette, notamment lorsqu’il travaille à la réfection des murs d’eau des chaudières. Lorsqu’il doit changer un des tuyaux formant le mur, il doit effectuer des coupes avec la meuleuse. Il manipule l’outil vibrant avec l’une ou l’autre de ses mains, dépendamment de l’accessibilité du tuyau. Par la suite, le travailleur utilise un outil à chanfreiner lui permettant d’effectuer un biseau (bevel) dans le tuyau qu’il devra souder. Cet outil pèse environ 35 livres et produit de la vibration. Le travailleur l’utilise des deux mains.
[18] Parce que le tuyau à souder est pratiquement appuyé à la paroi de la chaudière, le travailleur ne dispose que d’un espace d’environ un pouce pour effectuer la soudure à l’arrière du tuyau. Le travailleur mime le geste effectué à l’audience : d’une main, il tient la torche à laquelle est attaché le fil à souder, son poignet étant en flexion et en déviation cubitale. L’autre main tient un miroir dans lequel il voit son travail. L’utilisation des mains dépend du côté où doit être exécutée la soudure. Ce genre de travail peut être effectué pendant trois à quatre semaines consécutives.
[19] Le travailleur souligne au tribunal que les ouvrages sur lesquels il est appelé à travailler ont souvent des dimensions gigantesques. Il s’agit par exemple de raffineries de pétrole, comprenant des tours de distillerie pouvant atteindre 300 pieds de hauteur. Ce peut être aussi des bouilloires, comparables à des immeubles de un à dix étages. L’utilisation des échafauds est indispensable et fait en sorte que le travailleur tente de couvrir le plus d’espace possible, ce qui explique qu’il travaille souvent les bras en extension, avant de démonter et de déplacer les échafauds.
[20] Par contre, le travailleur spécifie que dans ces ouvrages géants, il peut être obligé de travailler dans un trou d’homme, où l’espace est très restreint. Il se retrouve donc à genoux, les poignets en extension et en flexion, effectuant des déviations radiales ou cubitales répétées.
[21] L’exiguïté des lieux oblige régulièrement le travailleur à utiliser des échafauds de fortune. Pour fixer l’échafaud en place, le travailleur se sert d’une perceuse pour fixer les ancrages. L’outil pèse environ 30 livres et il doit le tenir à deux mains, dans des positions contraignantes. Pour monter et démonter ce type d’échafauds, le travailleur utilise un tournevis à cliquet, qu’il manie des deux mains, appliquant une grande force. Le travailleur souligne que l’utilisation de cet outil lui occasionne de la douleur aux mains.
[22] Le travail dans les raffineries de pétrole comporte quelques spécificités rapportées par le travailleur. Tout d’abord, les outils électriques sont proscrits. Il s’agit donc d’outils pneumatiques, plus lourds et munis de tuyaux à air. Ces outils sont montés à travers les étages, à la main, par le travailleur.
[23] Dans les tours de distillerie, l’espace est restreint. Le travailleur se retrouve souvent couché sur le dos, les bras en extension, pour manipuler une boulonneuse qu’il tient d’une main, l’autre en pince digitale lui servant à visser sommairement le boulon à fixer. Cet outil cause une vibration importante eu égard à l’effort de serrage requis. Entre 50 et 100 boulons sont posés par pallier, chaque pallier étant distant de 14 à 18 pouces. Une fois un pallier construit, le travailleur en fait son plancher, s’y couche sur le dos et fabrique le suivant. Sachant qu’une tour de distillerie mesure en moyenne 100 pieds, cela fait en moyenne 5 500 boulons. Le travailleur dit effectuer ce genre de travail pendant sept à huit semaines consécutives, environ une fois par période de deux ou trois ans.
[24] Certaines explications concernent le travail dans les échangeurs de chaleur. Le travailleur doit démanteler une grande quantité de boulons de deux à trois pouces, soudés par la chaleur. Pour ce faire, il utilise une masse de 16 livres, tenue des deux mains, avec laquelle il frappe sur les boulons. Chaque impact cause une importante vibration dans les deux mains du travailleur. Par ailleurs, s’agissant d’un espace restreint, la plupart du temps en hauteur, le travailleur est juché sur un échafaud et manie la masse les bras en extension.
[25] En terminant ses explications au sujet des outils qu’il utilise dans son métier de chaudronnier, le travailleur fait mention de la meuleuse pneumatique. Il s’agit d’un outil vibrant, pesant environ 40 livres, utilisé pour poncer l’ensemble des joints de soudure. Muni d’une poignée sur le dessus et d’une autre sur le côté, le travailleur doit appuyer fortement sur l’outil lorsqu’il ponce les joints soudés.
[26] Le travailleur admet qu’il n’a pas de cadence imposée, mais que le rythme est constant.
[27] Au point de vue médical, le travailleur dit avoir commencé à ressentir une douleur au poignet droit vers 2005. S’en est suivi un engourdissement qui gagnait son avant-bras, jusqu’au coude. Le même phénomène s’est fait sentir au bras gauche, mais le travailleur ne peut préciser à partir de quel moment
[28] Alors qu’il travaillait sur un chantier de la région d’Eastman, en juin 2010, le travailleur est incommodé par la douleur aux deux mains, au point de perdre toute dextérité fine. Les anti-inflammatoires en vente libre n’étant plus efficaces, le travailleur consulte l’infirmier qui lui donne des anti-inflammatoires plus puissants pour lui permettre d’accomplir son travail de manutentionnaire de pièces et de soudure.
[29] Dès le retour à son domicile, le travailleur consulte son médecin traitant, le docteur Robin Côté, le 15 juillet 2010. La douleur qu’il ressent aux deux mains est devenue insupportable. Le médecin lui fait une infiltration aux deux poignets et lui recommande d’aller passer un test d’électromyogramme à Verdun, compte tenu des longs délais en région.
[30] Le travailleur revoit le docteur Côté, le 1er septembre 2010. Il rapporte à son médecin que la douleur est présente dès qu’il se sert de ses mains, de même que la nuit.
[31] Le travailleur rencontre dont le docteur Gary Dvorkin, neurologue. L’électromyogramme réalisé le 1er octobre 2010 démontre que le travailleur présente un syndrome du canal carpien bilatéral, chronique et très sévère. Le médecin considère le travailleur comme un bon candidat pour une chirurgie de décompression, compte tenu de l’histoire familiale et du degré de dénervations observé à l’électromyogramme.
[32] À la suite de l’électromyogramme, le travailleur rencontre son médecin traitant, le docteur Côté, le 7 octobre 2010, qui confirme le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral sévère. Le travailleur rapporte toujours un engourdissement à la moindre activité et une douleur constante. En conséquence, le docteur Côté réfère le travailleur au docteur Benoit Laprise, orthopédiste.
[33] Le 12 octobre 2010, a lieu la rencontre du travailleur avec le docteur Laprise. Constatant l’existence d’une symptomatologie de syndrome du canal carpien sévère, le médecin propose au travailleur une chirurgie de décompression.
[34] Le travailleur revoit le docteur Côté, le 15 juillet 2011, qui complète une attestation médicale indiquant un diagnostic de « tunnels carpiens sévères (maladie professionnelle) ». Il ajoute que le travailleur a subi une première chirurgie de décompression, le 22 octobre 2010, pour le poignet droit. La même opération est pratiquée à l’égard de la main gauche, le 4 février 2011. Depuis, le travailleur constate une grande amélioration de son état de santé. Il demeure toutefois avec une certaine sensibilité. Le médecin note qu’il y a eu arrêt de travail entre le 1er octobre 2010 et le 20 mars 2011.
[35] Un rapport médical final est complété ce même 15 juillet 2011, par le docteur Côté. Le médecin reconduit le diagnostic de « tunnels carpiens (sévères) opérés ». Il déclare la lésion consolidée à cette date et ne retient pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[36] Le travailleur ne souffre pas de diabète, pas plus que de problème thyroïdien. Il ne s’est jamais fracturé les poignets. Il pratique la pêche toute l’année, et fait un peu de mycologie, en saison.
[37] Le père et le frère du travailleur ainsi qu’un oncle paternel souffrent aussi de syndrome du canal carpien. Les trois hommes pratiquent eux aussi le métier de chaudronniers.
[38] Une expertise médicale est préparée à la demande du travailleur, par le docteur Naji Abinader, le 31 janvier 2012. Le médecin écrit :
Je constate que [le travailleur] utilise des appareils qui provoquent de la vibration, tel que la meuleuse ou la boulonneuse.
Par ailleurs, il doit tenir ses appareils en préhension, en position fixe soutenue et prolongée. Il doit effectuer des mouvements à répétition, en flexion-extension et en déviation cubitale et radiale du poignet, toujours sous tension.
Il doit travailler de façon régulière dans des espaces restreints, imposant des positions exigentes au niveau des poignets, tel qu’une hyperextension ou des déviations maximales.
Il doit travailler durant l’hiver, sous des températures froides, étant donné que la majorité du travail s’effectue à l’extérieur.
Donc, en conclusion, de façon régulière et fréquente, Monsieur Dorval est exposé durant son travail de chaudronnier à des températures froides, à des appareils provoquant de la vibration ou niveau des deux mains, à des positions extrêmes exigées par les espaces restreints et à des mouvements répétitifs et fréquents avec force de préhension maximale.
[sic]
[39] Le docteur Abinader conclut que les caractéristiques du travail de chaudronnier présentent les facteurs de risque reconnus comme étant en relation avec le syndrome du canal carpien et qu’en l’absence d’antécédents médicaux personnels pouvant expliquer la présence d’un tel syndrome, il y a lieu de conclure que c’est le travail qui est la cause de la pathologie.
[40] En terminant, la procureure du travailleur dépose un extrait de littérature médicale, tiré du volume Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[2], où l’on peut lire que :
Le taux d’incidence maximale [du syndrome du canal carpien ] se retrouve dans la population des 50-59 ans.
[…]
Dans le monde du travail, on reconnaît de plus en plus que les activités nécessitant des mouvements forcés ou répétitifs des mains ou soumettant les mains et les bras à des vibrations sont associés au syndrome du canal carpien.
[…]
Parmi les facteurs occupationnels qui ont été associés avec le syndrome du canal carpien , citons les mouvements forcés et répétitifs des mains, les postures contraignantes des poignets et des mains, la tension mécanique à la base de la paume de la main et la vibration.
[sic]
L’AVIS DES MEMBRES
[41] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur.
[42] Ils considèrent que le travail de chaudronnier, tel qu’exercé par le travailleur, comporte des risques particuliers en lien avec le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[43] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, diagnostiquée le 15 juillet 2010, comme étant un syndrome du canal carpien bilatéral.
[44] Dans l’affaire sous étude, il n’est nullement allégué que le syndrome du canal carpien bilatéral du travailleur provient d’un traumatisme unique. La soussignée analyse donc le présent litige sous l’angle de la maladie professionnelle.
[45] La loi définit ainsi les notions de lésion professionnelle et de maladie professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[46] Par ailleurs, le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral, émis par le docteur Côté, n’ayant pas été remis en question, la présente décision est rendue en fonction de ce diagnostic, conformément à l’article 224 de la loi.
[47] Le législateur a créé une présomption à l’article 29 de la loi, afin de faciliter la preuve de l’existence d’une maladie professionnelle. Deux conditions mènent à l’application de cette présomption, la première étant que la maladie diagnostiquée doit être énumérée à la section IV de l’annexe 1 de la loi. Le syndrome du canal carpien n’est pas une des maladies spécifiée à la dite annexe. En conséquence, la première condition n’étant pas satisfaite, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde.
[48] Ceci étant dit, il revient au travailleur de démontrer que le syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'il est relié directement aux risques particuliers de ce travail, tel que le prévoit l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[49] Le travailleur n’a ni démontré ni prétendu que sa maladie puisse être caractéristique de son travail. En conséquence, et c’est d’ailleurs la prétention du travailleur, le tribunal analysera la preuve présentée à travers le prisme des risques particuliers du travail.
[50] Le tribunal conclut que le syndrome du canal carpien bilatéral du travailleur constitue une maladie professionnelle reliée aux risques particuliers du travail de chaudronnier.
[51] La preuve démontre, de manière prépondérante, que depuis près de 11 ans, le travailleur a fait des mouvements à risque de développer un syndrome du canal carpien. Dans la manipulation des outils, notamment les soudeuses, manuelle ou semi-automatique, le travailleur a pratiqué des activités avec le poignet en extension et en flexion, des déviations radiales ou cubitales répétées. De même, pour prendre les boulons, le travailleur a utilisé une préhension répétée d'objets avec pinces digitales et avec force.
[52] Par ailleurs, la traction des cordes et des fils à souder, ainsi que l’utilisation des outils vibrants, des masses et de la clé à rochet ont nécessité la préhension pleine main avec force, de même que l'application d'une pression avec une ou les deux mains.
[53] De plus, certains cofacteurs de risque reconnus dans la littérature médicale existaient lors de l’exécution, par le travailleur, de son travail de chaudronnier, notamment le fait de travailler dans des postures contraignantes, avec les membres supérieurs en flexion et en abduction, l’utilisation fréquente d’outils vibrants et le port continuel des gants.
[54] Au sujet des outils vibrants, la preuve a démontré que le travailleur utilisait notamment des masses qui, lors de l’impact, produisent une vibration. Les coups de masse étaient répétés, sur de longues périodes de temps. Le travailleur a aussi fréquemment utilisé une soudeuse semi-automatique, des perceuses, des meuleuses, des boulonneuses, un outil à chanfreiner ainsi qu’un palan à chaîne.
[55] Ces mouvements furent répétés de nombreuses fois, nécessitant l’application d’une force certaine et sur des périodes de temps suffisamment prolongées pour conclure que les régions sollicitées ne bénéficiaient pas de temps de récupération satisfaisant.
[56] Le tribunal retient de plus que le travailleur n’est pas dans le groupe d’âge identifié par la littérature médicale comme étant le plus à risque de développer un tel syndrome, n’étant âgé que de 29 ans au moment du diagnostic.
[57] La preuve démontre que les contrats du travailleur sont entrecoupés de périodes de chômage. De l’avis du tribunal, une courte période d’exposition aux facteurs de risque reconnus n’empêche pas la reconnaissance du syndrome du canal carpien comme maladie professionnelle[3].
[58] En conséquence, le tribunal retient que la combinaison de l’ensemble des facteurs et cofacteurs de risque ci-haut mentionnés permet d’établir de façon prépondérante la relation entre le travail de chaudronnier exécuté par le travailleur et le syndrome du canal carpien bilatéral dont il est affligé.
[59] Quant à la bilatéralité du syndrome du canal carpien diagnostiqué, la preuve démontre que le travailleur utilise pratiquement toujours les deux mains. Cela s’explique notamment par le fait que lorsqu’il est juché sur un échafaud, il tente de couvrir la plus grande surface de travail possible. Il en va de même lorsqu’il travaille dans un endroit exigu, requérant qu’il change de main.
[60] Au surplus, la preuve révèle que le travailleur ne présente aucun facteur de risque personnel pouvant être lié à l’apparition d’un syndrome du canal carpien, tel que le diabète, l'hypothyroïdie, ni prédisposition personnelle autrement documentée.
[61] À ce sujet, notre tribunal a déjà déterminé que dans le cas d’une maladie d’origine multifactorielle, telle le syndrome du canal carpien, il importe que le facteur de risque lié au travail soit suffisamment important et qu’il ait joué un rôle déterminant dans l’apparition de la pathologie[4].
[62] Par ailleurs, il n’est pas question, devant le tribunal, de certitude médicale pour conclure à l’existence d’une maladie professionnelle. La preuve doit plutôt démontrer que les facteurs de risque liés au travail ont joué un rôle prépondérant dans l’apparition de la maladie. En l’espèce, en l’absence d’une condition personnelle favorisant l’apparition d’un syndrome du canal carpien chez le travailleur, on peut conclure que c’est le cas.
[63] Rappelons, par ailleurs, qu’en l’absence d’une condition personnelle pouvant expliquer l’étiologie d’une telle pathologie « la Commission des lésions professionnelles n’a pas à chercher la cause ailleurs »[5].
[64] Au surplus, le tribunal retient l’opinion du docteur Abinader, selon laquelle les caractéristiques du travail de chaudronnier présentent les facteurs de risque reconnus comme étant en relation avec le syndrome du canal carpien et qu’en l’absence d’antécédents médicaux personnels pouvant expliquer la présence d’un tel syndrome, il y a lieu de conclure que c’est le travail qui est la cause de la pathologie
[65] En conséquence, le tribunal conclut que le travailleur a contracté une maladie professionnelle dont le diagnostic est un syndrome du canal carpien bilatéral.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Nelson Dorval, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 août 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle diagnostiquée le 15 juillet 2010;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Valérie Lajoie |
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Me Chantale Girardin |
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GAGNON TREMBLAY GIRARDIN, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, 2e éd., Montréal, Édisem, Maloine, 2008, p.699; 753-755.
[3] Société Chabot Métal Tech et Beaulieu, C.L.P. 157163-61-0103, 8 janvier 2002, G. Morin; Hamel Construction inc. et Benoît, C.L.P. 323263-62B-0707, 18 décembre 2009, R. Napert.
[4] Murray et Ampère-heure Néron inc., C.L.P 387877-31-0908-2, 17 mai 2010, C. Lessard.
[5] Galati et Bombardier Aéronautique inc., C.L.P. 168721-72-0109, 1er juin 2005, J. Kushner.