LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 18 novembre 1992
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE : Me Margaret Cuddihy
DE MONTRÉAL
RÉGION: Estrie ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR : André Gaudreau, médecin
DOSSIER: 21283-05-9008
DOSSIER CSST: 9582 0254 AUDITION TENUE LE : 1er septembre 1992
À : Sherbrooke
MANON POULIOT
105, rue St-Jacques Ouest
Omerville (Québec)
J1X 4G9
PARTIE APPELANTE
et
IMPRIMERIE MONTRÉAL MAGOG
1500, rue Sherbrooke
Magog (Québec)
J1X 2T3
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 15 août 1990, madame Manon Pouliot (la travailleuse) dépose une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 6 août 1990.
Cette décision fait suite à l'avis de l'arbitre médical, le docteur Jacques Lacoursière, orthopédiste, et conclut que la travailleuse n'a aucune atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle.
OBJET DE L'APPEL
La travailleuse demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision de la Commission et de déclarer qu'elle a une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle.
LES FAITS
La travailleuse travaille dans une imprimerie comme plieuse-emballeuse depuis 1981. Ses tâches exigent qu'elle travaille les bras en extension et elle fait souvent des flexions du tronc pour manipuler des piles de magazines pesant de 10 à 12 livres.
Le 9 avril 1987, en manipulant un tel poids, elle ressent un «craquement dans le dos». Elle est vue par le docteur A. Dugas le 13 avril 1987 qui pose comme diagnostic: «entorse lombaire» et fixe la date de consolidation au 20 avril 1987.
À cette dernière date, elle est vue par le docteur L. Berger qui prolonge la période de consolidation au 27 avril 1987. Par la suite, le docteur Berger prolonge la période de consolidation au 4 mai 1987.
La travailleuse recevra des traitements de physiothérapie du 15 mai 1987 au 29 mai 1987 à quel moment, le physiothérapeute indiquera qu'il y a une amélioration de 85% avec diminution de douleurs au segment lombaire et à la cuisse droite et augmentation de la mobilité lombaire et pas de spasme para-vertébral. Il suggère que la travailleuse continue à utiliser de la glace et indique qu'elle peut reprendre le travail le 1er juin 1987.
Le docteur Berger, dans son rapport final du 12 juin 1987, indique: «Présente lombalgie basse qui ne l'empêche pas de travailler mais l'informons de prévoir un emploi où elle n'aura pas à forcer son dos». Il fixe la date de consolidation au 1er juin 1987 et indique que la lésion entraîne encore des limitations fonctionnelles et une atteinte permanente.
La travailleuse est évaluée par le docteur François Morin le 9 janvier 1990. Celui-ci dans son rapport du 9 février 1990, rapporte ce qui suit:
«[...]
...Le Dr Berger fixa sa date de consolidation le 1er juin 1987 avec la mention d'atteinte permanente à l'intégrité physique. Depuis ce temps elle a toujours conservé des douleurs lombaires récidivantes et des douleurs dans la fesse droite. Ces douleurs sont parfois très légères mais il vient des périodes de deux ou trois semaines environ quatre fois par année où elle est très symptomatique. Elle a alors de la difficulté à se pencher ne peut rester assise longtemps, ni lever de poids. Elle note que ses douleurs ont été empirées par ses deux grossesses et actuellement elle est en congé de maternité et présente des douleurs importantes. Son retour au travail est prévu pour mars '90. Elle voit son médecin régulièrement pour des traitements ce qui la soulage en général assez bien.
[...]»
À son examen, il note ce qui suit:
«[...]
5.Examen physique en rapport avec la lésion professionnelle:
En position debout, on note une flexion de la colonne dorso-lombaire à 80E. Les autres mouvements sont normaux. Le bassin est équilibré et les épines iliaques se déplacent normalement à la flexion. En position assise, on note une flexion latérale gauche à 15E et une flexion latérale droite à 20E de la colonne dorso-lombaire. Au niveau neurologique, la sensibilité cutanée démontre une légère hypoesthésie mal définie au mollet et à la cuisse droite. Les réflexes ostéotendineux rotuliens et achilléens sont vifs et symétriques. Les signes de lasègue sont négatifs. Les forces musculaires sont normales. En décubitus ventral, on note une sensibilité paravertébrale droite au niveau L4-L5. L'examen de la colonne dorso-lombaire est par ailleurs normal.
[...]
9.Séquelles gênant la travailleuse:
Il est certain que le travail actuel de Mme Pouliot est très exigeant pour sa colonne. Cependant, ses problèmes se retrouvent principalement au niveau de la colonne dorsale et du cou ainsi que de la région sacro-iliaque. Au niveau de la colonne lombaire nous pouvons recommander de ne pas lever de poids excédant 30 livres ou de ne pas travailler en position de flexion antérieure prononcée de la colonne dorso-lombaire.
[...]»
Selon le docteur Morin, la travailleuse a une atteinte permanente de l'ordre de 2% selon le code 204004: entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées.
Il appert au dossier, que la travailleuse aurait eu une entorse lombaire le 13 février 1990. Elle aurait fait de la physiothérapie à compter du 6 mars 1990 et le 20 mars 1990, le rapport de physiothérapie indique qu'elle n'a plus de douleurs et que la mobilité est normale.
La Commission, dans une décision du 25 avril 1990, fixe l'atteinte permanente de la travailleuse à 2.2%.
Le 9 mai 1990, l'employeur adresse une lettre à la Commission demandant à celle-ci de faire parvenir l'évaluation médicale d'où origine la décision du 25 avril 1990 reconnaissant à la travailleuse un pourcentage d'atteinte permanente de 2.2% à leur médecin, le docteur André Mathieu.
À la demande de l'employeur, la travailleuse est examinée le 15 mai 1990 par le docteur Mathieu. Celui-ci dans un rapport du 22 mai 1990, rapporte que la travailleuse lui indique qu'elle ressent toujours des douleurs lombaires basses et variables, lesquelles surviennent de façon épisodique tant la semaine que la fin de semaine. D'ailleurs, elle lui dit que lors de ses grossesses, elle a ressenti une légère réexacerbation de cette lombalgie et même en congé de maternité, elle ressentait celle-ci. Elle peut faire son travail à la maison sans problème et au travail, elle ne présente pas de problème particulier sauf que son dos «craque» à son dire, à l'occasion. La douleur est surtout mise en évidence lors de la flexion antérieure et la rotation du tronc.
Le docteur Mathieu rapporte l'examen physique suivant:
«[...]
À LA PALPATION:On ne peut mettre en évidence aucune sensibilité tant à la palpation profonde que superficielle des régions paravertébrales lombaires, des deux régions sacro-iliaques ainsi que des épines sciatiques.
À LA MOBILISATION:On ne peut mettre en évidence aucune limitation des mouvements du rachis dorso-lombaire: la flexion antérieure se faisant normalement de 0 à 90E, l'extension de 0 à 30E, la flexion latérale droite et gauche de 0 à 30E, la rotation droite et gauche de 0 à 30E. Tous ces mouvements se font avec aise sauf la flexion antérieure et latérale droite qui aux dires de la travailleuse provoquent une légère sensibilité.
L'EXAMEN NEUROLOGIQUE: Démontre des forces musculaires, des sensibilités et des réflexes ostéo- tendineux normaux et symétriques. Les lasègues sont négatifs bilatéralement.
[...]»
Le docteur Mathieu émet l'opinion suivante:
«[...]
1- Opinion sur le diagnostic:
Je suis d'avis que l'examen du rachis dorso-lombaire de cette travailleuse est normal. Les malaises subjectifs que la travailleuse présente sont d'ordre de lombalgie fruste et ne découlant pas d'une instabilité lombaire post-traumatique.
2- Opinion sur l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique de cette travailleuse:
N'ayant pu mettre en évidence aucune limitation fonctionnelle lors de mon examen il n'y a pas lieu ici d'émettre aucune atteinte permanente à l'intégrité physique.
Le code qui devrait être utilisé serait donc: 203997 - Entorse dorso-lombaire sans séquelle fonctionnelle objectivée - 0%.
3- Opinion sur l'existence de limitations fonctionnelles chez cette travailleuse:
Je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu d'émettre de restriction fonctionnelle chez cette travailleuse compte tenu du fait qu'à son poste de travail elle ne manipule des poids. tel que décrit, d'environ 10 à 14 lbs; ce qui correspond à une charge très respectable. N'oublions pas non plus qu'il y a rotation au niveau de ces postes de travail.
Il n'y a donc pas lieu d'émettre de limitations fonctionnelles spécifiques chez cette travailleuse. Elle occupe d'ailleurs son poste depuis février 1990 sans autre rechute ou récidive. De plus, les malaises subjectifs qu'elle nous raconte semblent survenir à son dire autant à l'extérieur du travail qu'au moment du travail.»
Le dossier de la travailleuse est soumis à l'arbitrage médical devant le docteur Lacoursière, lequel examine la travailleuse le 4 juillet 1990. Dans son rapport de même date, il rapporte l'examen objectif suivant:
«[...]
Colonne lombo-sacrée:
Les mouvements au niveau de la charnière lombo-sacrée sont les suivants: une flexion antérieure à 90 degrés, une extension à 30 degrés, des flexions latérales à 30 degrés et des rotations à 45 degrés. Il est à noter que la flexion antérieure est douloureuse à la limite.
Il peut circuler sur la pointe des pieds et sur les talons sans difficulté.
En position agenouillée sur une chaise, les réflexes achilléens sont normaux et les cutanés plantaires sont en flexion.
En position couchée sur une table, il n'existe aucune diminution de la dorsi-flexion du gros orteil ni de l'éversion des chevilles. Il n'existe aucun signe de Lasègue ni de la corde d'arc.
En position ventrale, on déclenche une douleur inter-épineuse au niveau de L5-S1. Les points de Valleix sont silencieux au niveau des membres inférieurs. Il n'existe aucun spasme musculaire para-vertébral.»
Le docteur Lacoursière émet l'avis suivant:
«Après avoir révisé le dossier, questionné et examiné madame Pouliot, nous en sommes venus aux conclusions suivantes: suite à l'événement au travail du 9 avril 1987, madame Pouliot a présenté une entorse lombaire simple qui a laissé des phénomènes douloureux mais aucune séquelle fonctionnelle.
EXISTENCE OU POURCENTAGE D'ATTEINTE PERMANENTE À L'INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE DU TRAVAILLEUR:
Dans le règlement sur le barème des dommages corporels, ceci correspond au code 203997, soit entorse lombaire sans séquelles fonctionnelles objectivées pour un DAP de 0%.
EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES DU TRAVAILLEUR:
Comme nous l'avons dit, il n'en existe pas. Les phénomènes douloureux ne constituent pas des limitations fonctionnelles.»
La Commission donne suite à l'avis de l'arbitre médical et conclut que la travailleuse n'a aucune atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles, d'où l'appel de la travailleuse devant la Commission d'appel.
La travailleuse fut examinée par le docteur Peter G. Marosi, orthopédiste, le 9 novembre 1990. Celui-ci dans un rapport du 12 novembre 1990 écrit ce qui suit:
«EXAMEN PHYSIQUE:
L'examen révèle qu'il y a un léger spasme des muscles para-lombaires à droite; la flexion antérieure est limitée à 75E; extension 30E légèrement douloureuse; flexion latérale droite et gauche 30E chacune; rotation gauche et droite 30E chacune. La patiente peut marcher sur le bout des orteils et sur les talons. Le Lasègue est essentiellement négatif; les réflexes, force motrice et sensibilité sont normaux.
OPINION ET RECOMMANDATION:
Il s'agit d'une femme qui a eu une entorse lombaire directement reliée à son travail. Je pense qu'il y a bien une relation entre cause et effet entre la tâche qu'elle fait et la description de son accident et le diagnostic d'entorse lombaire.
Il y a bien des séquelles fonctionnelles objectivées, i.e. une perte de 15E de flexion de la colonne à l'examen physique et d'après les barèmes de la CSST il y aurait lieu ici d'accorder un déficit anatomo-physiologique de 2%.
Il n'y a aucun préjudice esthétique majeur. Il n'y a aucune indication ici pour des restrictions fonctionnelles au travail.»
La travailleuse a témoigné à l'audience. Elle explique que lors de son accident survenu le 9 avril 1987, elle a pris des anti-inflammatoires qui l'ont soulagé. L'accident a entraîné une absence de 3 semaines. Elle a eu un deuxième arrêt et aurait fait de la physiothérapie. Elle est de retour au travail depuis le 1er juin 1987 et peut l'accomplir sans difficulté ses tâches d'autant plus qu'elle a, à sa disposition, un «lift» hydraulique pour soulever les poids. Elle explique que lors de son examen, le docteur Morin aurait utilisé un goniomètre pour mesurer l'amplitude des mouvements de la colonne.
Elle a eu un premier enfant le 7 décembre 1985 et dit ne pas avoir eu de problème à son dos durant ou après cette grossesse. Son deuxième enfant est né le 21 octobre 1989.
MOYEN PRÉLIMINAIRE
Le procureur de la travailleuse prétend que le rapport du docteur Mathieu du 22 mai 1990 avait été obtenu plus de 30 jours suivant le rapport du docteur Morin du 9 février 1990. Suite à la preuve offerte par le procureur de l'employeur à l'effet que celui-ci aurait transmis le rapport de son médecin à la Commission dans les 30 jours de sa connaissance du rapport du docteur Morin (soit suite à la décision de la Commission du 25 avril 1990), le procureur de la travailleuse a retiré son argument. La preuve a révélé que le rapport du docteur Morin était le premier rapport qui faisait état d'un pourcentage d'atteinte permanente.
Sur le deuxième moyen préliminaire, la Commission d'appel ne retient pas l'argument du procureur de la travailleuse à l'effet que la Commission aurait, par sa décision du 6 août 1990, reconsidéré illégalement sa décision du 25 avril 1990. La décision de la Commission du 6 août 1990 fait suite à l'avis d'un arbitre médical et en vertu de l'article 224 de la L.A.T.M.P., la Commission était liée par cet avis et devait modifier sa décision en conséquence.
À titre de troisième moyen préliminaire, le procureur de la travailleuse prétend que l'existence de l'atteinte permanente ne pouvait plus être contestée par l'employeur au moment où il a contesté le rapport du docteur Morin parce qu'il existait un rapport final du docteur Berger daté du 12 juin 1987 sur lequel ce médecin avait coché «oui» à la question: «Y-a-t-il une atteinte permanente?» et «oui» à la question: «La lésion entraîne-t-elle encore des limitations fonctionnelles?».
La Commission d'appel ne peut accepter cet argument et ce, pour les raisons suivantes:
D'abord il y a lieu de remarquer que ledit rapport final daté de juin 1987 comporte la mention suivante: «Si vous avez répondu «oui» à l'une des questions 1, 2 ou 3, remplir le rapport d'évaluation médicale approprié». Or, c'est ce rapport d'évaluation médicale que le docteur Morin a rempli près de trois ans plus tard soit le 9 février 1990. Il appert donc qu'en pratique, il y a deux formulaires soit le rapport final et le rapport d'évaluation médicale et la raison s'explique bien: le Règlement sur le barème des dommages corporels n'avait pas encore été adopté; celui-ci fut adopté en octobre 1987 et le formulaire intitulé «Rapport d'évaluation médicale» ne fut disponible qu'en juillet 1987.
Par contre, la L.A.T.M.P. prévoit que le rapport final doit indiquer le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique et la description des limitations fonctionnelles d'après le barème des dommages corporels:
203. Dans le cas du paragraphe 1E du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2E du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1E le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des dommages corporels adopté par règlement.
2E la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3E l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport. (Nos soulignés)
Il est clair, d'après la lecture de cet article, que le «rapport final» qui ne prévoit que l'affirmation ou la négation de l'existence d'une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles ne rencontre pas les exigences de l'article 203 qui prévoit que le médecin ayant charge du travailleur doit préciser le pourcentage d'atteinte permanente d'après le barème des dommages corporels adopté par règlement et décrire les limitations fonctionnelles. Vu que la Commission est liée par l'avis du médecin qui a charge, il va de soi que l'avis sur lequel la Commission est liée, correspond à un sujet sur lequel la loi demande au médecin ayant charge de se prononcer. Or, l'article 203 de la loi prévoit que le médecin qui a charge du travailleur doit se prononcer sur le pourcentage de l'atteinte permanente d'après le barème et décrire les limitations. De plus, au point de vue pratique, il est très difficile de contester l'existence d'une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles si celles-ci ne sont pas précisées. En l'occurrence, le Règlement sur le barème des dommages corporels n'avait pas encore été adopté d'où l'impossibilité pour le médecin ayant charge de la travailleuse d'indiquer le pourcentage de l'atteinte permanente d'après le barème d'où le fait qu'un deuxième rapport d'évaluation a suivi et ce, plusieurs années après.
Ce n'est que le 5 septembre 1989 soit plus de deux ans après la consolidation de la lésion de la travailleuse, que la Commission avise la travailleuse de l'entrée en vigueur du Règlement sur le barème et qu'il est maintenant possible pour la Commission de traiter son dossier. Elle l'informe qu'elle doit prendre rendez-vous avec son médecin traitant pour qu'il fasse l'évaluation de ses séquelles.
Le 3 octobre 1989, la Commission rappelle à la travailleuse qu'elle n'a pas donné suite à sa lettre du 5 septembre 1989. La travailleuse n'ayant toujours pas donné suite aux lettres de la Commission, celle-ci lui donne un délai de 30 jours pour lui faire parvenir les renseignements qu'elle a demandé.
Le 9 février 1990, la travailleuse se fera examiner par le docteur Morin et ce rapport sera reçu par la Commission le 14 février 1990. Il y a donc un silence complet au dossier au point de vue médical ou autre entre 1987 et 1990 et ce n'est qu'en février 1990 que les parties pourront prendre connaissance des informations médicales requises par l'article 203 de la loi.
Par conséquent, la Commission d'appel considère qu'en l'occurrence, l'employeur pouvait, par l'entremise du rapport du docteur Mathieu, valablement contester ce rapport du docteur Morin tant sur l'existence et l'évaluation de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
À cet égard, la Commission d'appel s'est déjà prononcé dans la décision Colgan et C.A. Champlain Marie-Victorin et C.S.S.T.[1], où madame le commissaire Joëlle L'Heureux s'est exprimé comme suit aux pages 17 et suivantes:
«La Commission d'appel a déjà décidé que l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles consécutives à une lésion devaient être déterminées après la date de consolidation de cette lésion. La Commission n'est donc pas liée par l'opinion du médecin ayant charge du travailleur sur les «possibilités» de séquelles permanentes avancées dans les rapports d'évolution soumis tout au long du suivi médical du travailleur. Ce sujet, sur lequel le médecin ayant charge du travailleur est invité, dans la mesure où il peut se prononcer à cet égard à émettre son avis, n'est d'ailleurs pas énuméré aux cinq paragraphes de l'article 212.
Aux fins de transmettre les avis médicaux à la suite de la consolidation de la lésion du travailleur, la Commission a mis en circulation deux formulaires pour obtenir l'opinion du médecin traitant sur les sujets prescrits par la loi, formulaires appelés respectivement «rapport final» et «rapport d'évaluation médicale». Il ressort toutefois que le formulaire appelé «rapport final» ne rencontre pas les prescriptions de l'article 203 qui prévoit l'existence légale d'un rapport final et en détermine le contenu.
L'affirmation ou la négation pure et simple de l'existence d'une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, demandée au formulaire de «rapport final» par la Commission, ne correspond à aucune des étapes de la procédure d'évaluation médicale prévue à la loi. L'article 203, 2ième et 3ième paragraphes, prévoit spécifiquement qu'à la suite de la consolidation de la lésion, le médecin ayant charge du travailleur doit indiquer le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des dommages corporels adopté par règlement et doit décrire les limitations fonctionnelles du travailleur résultant de cette lésion.
Le geste demandé par la Commission au médecin, par le biais du «rapport final», ne correspond pas au geste demandé par le législateur à l'article 203.
Comme le législateur a aussi prévu que la Commission est liée par l'avis du médecin ayant charge du travailleur, il apparaît normal à la Commission d'appel que l'avis sur lequel la Commission devienne liée corresponde à un sujet sur lequel la loi demande au médecin ayant charge du travailleur de se prononcer.
De plus, l'absence de spécification sur la nature de la limitation fonctionnelle accordée, ou sur l'atteinte permanente dont est affligé le travailleur, rend ces séquelles abstraites. La limitation fonctionnelle, tout comme l'atteinte permanente, ne devient réelle, et donc applicable, ou encore contestable, que lorsqu'elle est décrite dans sa nature.
En conséquence, la Commission d'appel déclare que la Commission a validement contesté l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique de la travailleuse, et l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles, à partir du rapport d'évaluation médicale du 23 avril 1989, qui fournit, pour la première fois, les références et informations minimales nécessaires pour considérer que le médecin ayant charge du travailleur a agi de façon à lier la Commission, conformément à la loi. L'objection préliminaire est donc rejetée et l'arbitrage médical est déclaré valide.»
MOTIFS
La Commission d'appel doit décider si la travailleuse a une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles résultant de son accident du 9 avril 1987.
Il est vrai que le docteur Morin accorde une atteinte permanente soit une diminution de la flexion de 10 degrés et des limitations fonctionnelles. Par contre, la Commission d'appel note que son examen fut fait alors que la travailleuse venait d'accoucher de son deuxième enfant quelques mois auparavant. Le docteur Morin rapporte que la travailleuse note que «ses douleurs ont été empirées par ses deux grossesses...».
On se le rappelle, sa première grossesse eut lieu avant l'accident de travail. La travailleuse lors de son témoignage dit n'avoir jamais eu de problème au dos avant l'accident.
Le docteur Morin poursuit et il dit: «il est certain que le travail actuel de Mme Pouliot est très exigeant pour sa colonne». La travailleuse étant en congé de maternité à l'époque et ayant témoigné à l'effet qu'elle n'avait pas de difficulté à accomplir ses tâches au travail vu qu'elle avait, à sa disposition, un «lift hydraulique», on peut se demander à quel travail réfère le docteur: celui chez l'employeur ou celui de s'occuper de ses deux enfants? De plus, le docteur Morin dit que les problèmes de la travailleuse se retrouvent principalement au niveau de la colonne dorsale et du cou ainsi qu'à la région sacro-iliaque. Or, on se le rappelle, le diagnostic associé à l'accident du travail concerne la région lombaire. Quant aux limitations fonctionnelles, il est le seul médecin qui recommande que la travailleuse ne soulève pas des poids excédant 30 livres ni de travailler en position de flexion antérieure prononcée de la colonne dorso-lombaire.
Pendant qu'elle est toujours en congé de maternité, elle fait une entorse lombaire le 13 février 1990 et le rapport de physiothérapie indique, au 20 mars 1990, qu'elle n'a plus de douleur et que sa mobilité est normale.
Quant à l'opinion du docteur Marosi, il est vrai qu'il relie l'entorse lombaire directement à son travail ce qui est tout à fait logique dans les circonstances vu qu'il rapporte également que la travailleuse lui affirme n'avoir jamais eu de douleurs lombaires avant l'accident alors qu'elle aurait dit le contraire au docteur Morin. Quant aux limitations fonctionnelles, le docteur Marosi n'en précise aucune.
Le docteur Lacoursière émet l'avis que la travailleuse a présenté une entorse lombaire simple qui a laissé des phénomènes douloureux mais aucune séquelle fonctionnelle. Il fixe alors le déficit anatomo-physiologique à 0%.
Le docteur Mathieu en arrive à la même conclusion n'ayant pu mettre en évidence aucune séquelle fonctionnelle lors de son examen. Selon lui, la travailleuse se plaint d'une lombalgie qui ne découle pas d'une instabilité lombaire post-traumatique. Il n'émet donc pas de limitations fonctionnelles.
Dans les circonstances, la Commission d'appel, parce qu'elle doute de la véracité du témoignage de la travailleuse et ce, à cause de la contradiction qui existe en ce qu'elle a dit devant le tribunal et ce que rapporte le docteur Morin, favorise les opinions émises par les docteurs Mathieu et Lacoursière.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
REJETTE l'appel de la travailleuse, madame Manon Pouliot;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 août 1990;
DÉCLARE que madame Pouliot n'a pas d'atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles découlant de sa lésion professionnelle du 9 avril 1987.
Margaret Cuddihy,
Commissaire
Morissette, Downs & Associés
a/s: Me Richard Guérette, avocat
407, boul. Saint-Laurent
Suite 200
Montréal (Québec)
H2Y 2Y5
Représentant de la partie appelante
St-Arnaud, Sasseville & Associés
a/s: Me Julie Tremblay, avocate
612, rue St-Jacques Ouest
Montréal (Québec)
H3C 4M8
Représentante de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.