Côté et DL Sanitation enr. |
2012 QCCLP 2269 |
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[1] Le 13 juin 2011, madame Chantal Côté (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 11 mai 2011 rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues le 18 novembre 2010 et déclare d’une part que le versement de l’allocation d’aide personnelle à domicile que reçoit la travailleuse prend fin le 17 novembre 2010 et d’autre part que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements constitue un emploi convenable, que la travailleuse est capable d’occuper cet emploi à compter du 17 novembre 2010, que cet emploi peut lui procurer un revenu annuel estimé à 19 813,20 $, et que le versement des indemnités de remplacement du revenu se poursuivra jusqu’à ce qu’elle occupe cet emploi ou au plus tard le 16 novembre 2011.
[3] À l’audience tenue le 12 décembre 2011, à Drummondville, la travailleuse est présente et représentée. La compagnie DL Sanitation enr. (l’employeur) ne s’est pas présentée à l’audience bien qu’elle ait été convoquée. La CSST, dûment intervenue, a avisé par écrit de son absence à l’audience.
[4] Aux termes de l’audience, la représentante de l’employeur a fait parvenir des documents supplémentaires à la demande du tribunal.
[5] Le dossier est mis en délibéré le 12 décembre 2011.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le versement de l’allocation d’aide personnelle à domicile doit être repris rétroactivement au 18 novembre 2010.
[7] Elle demande également au tribunal de déclarer d’une part que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements ne constitue pas un emploi convenable et d’autre part de déterminer qu’elle n’a plus la capacité d’exercer un emploi à temps plein. Ce faisant, elle demande au tribunal de déclarer qu’elle conserve le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[8] En se basant sur l’ensemble de la preuve offerte, le tribunal retient les faits suivants comme étant pertinents au présent litige.
[9] À l’époque pertinente, la travailleuse âgée de 36 ans occupe un emploi de préposée à l’entretien sanitaire depuis 2002 pour le compte de l’employeur.
[10] Elle déclare un événement survenu le 23 novembre 2003 alors qu’elle s’est tourné la cheville en sortant des sacs à poubelle et une chaise de l’ascenseur. La chaise est restée coincée. Elle se blesse alors au pied gauche en faisant un mouvement d’élongation vers l’arrière.
[11] Elle travaille de soir, à raison de 15 heures/semaine.
[12] La travailleuse consulte le docteur Pierre Deshaies. Ce dernier pose un diagnostic de déchirure partielle du tendon d’Achille gauche. Un arrêt de travail est prescrit et une consultation en orthopédie est demandée auprès de la docteure Pascale Larochelle, chirurgienne orthopédiste.
[13] La travailleuse est examinée par la docteure Larochelle le jour même. Cette dernière conclut à un diagnostic de CRPS[1] au membre inférieur gauche post-trauma. Des médicaments sont prescrits et la travailleuse est référée à la clinique de la douleur pour des blocs intraveineux ainsi qu’en neurologie. L’arrêt de travail est prescrit. La travailleuse ne reprendra jamais le travail.
[14] À compter du mois de mars 2005, la travailleuse est suivie à la clinique de la douleur de Lévis par le docteur Pierre Dolbec.
[15] Après plusieurs tentatives thérapeutiques et différents examens spécialisés, la travailleuse est examinée le 22 août 2006 par le docteur Jean-Maurice d’Anjou, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. L’avis médical est rendu le 28 août 2006.
[16] Suite à son examen objectif, le docteur d’Anjou retient un diagnostic de syndrome douloureux régional complexe du membre inférieur gauche. Il ajoute que la travailleuse est porteuse d’une polyneuropathie familiale de type Charcot-Marie-Tooth qui représente une condition personnelle sans relation avec l’événement du 21 novembre 2003. Selon le docteur d’Anjou, cette polyneuropathie explique la déformation des deux pieds, avec pieds creux et l’aréflexie des membres inférieurs.
[17] La date de consolidation est fixée au 22 août 2006. Il souligne que le médecin traitant devra continuer d’apporter un support psychologique important à la travailleuse. Un déficit anatomophysiologique de 9 % est octroyé à la travailleuse ainsi que des limitations fonctionnelles. À ce titre, les limitations fonctionnelles sont décrites de la façon suivante :
[,,,]
En plus des restrictions de classe I et II pour le membre inférieur gauche, éviter les activités qui impliquent de :
Ø Rester debout ou garder l’articulation en cause dans la même position plus de 30 à 60 minutes.
Ø Effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents, même sans effet, de l’articulation en cause.
[18] Suite à cet avis, la CSST requiert des informations supplémentaires de la part du docteur d’Anjou en regard de l’utilisation du fauteuil roulant et des béquilles. Le 26 septembre 2006, le docteur d’Anjou émet un rapport complémentaire dont les conclusions sont les suivantes :
[…]
Il faut d’abord préciser que madame Côté présente un problème complexe de douleur au membre inférieur gauche suite à un traumatisme survenu le 21 novembre 2003. Le diagnostic retenu est un diagnostic de syndrome douloureux régional complexe de type 1 pour le membre inférieur gauche. À ma connaissance, madame Côté utilise des béquilles depuis le 23 novembre 2003. Il y aurait eu une courte période où elle aurait été en mesure de marcher sans béquilles en avril 2004.
Par ailleurs, suite à un bloc veineux fait le 27 avril 2004, il y a eu exacerbation du tableau douloureux et depuis ce temps, madame Côté se déplace soit avec béquilles soit en fauteuil roulant.
Lors de ma rencontre avec madame Côté le 22 août 2006, cette dernière passe la majorité du temps en fauteuil roulant car les déplacements en béquilles et la jambe gauche en position déclive accentuent sa douleur au membre inférieur gauche.
Considérant que madame Côté utilise déjà un fauteuil roulant depuis avril 2004 et qu’elle se déplace sur de courtes distances avec béquilles depuis la même période, je considère que l’utilisation des béquilles et du fauteuil roulant seront permanentes.
[19] Le 6 octobre 2006, la CSST rend une décision à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 28 août 2006. Elle confirme la relation entre l’événement du 21 novembre 2003 et le diagnostic établi de syndrome douloureux régional complexe du membre inférieur gauche. La lésion est consolidée au 22 août 2006. En regard des traitements, elle spécifie qu’elle continuera de payer pour l’achat des béquilles, l’achat du fauteuil roulant et le support psychologique. Elle confirme la présence d’une atteinte permanente dont le pourcentage et l’indemnité pour dommages corporels feront l’objet d’une autre décision. Elle confirme également que des limitations fonctionnelles sont reconnues et qu’en conséquence, la travailleuse continuera de recevoir des indemnités de remplacement du revenu. La travailleuse conteste cette décision n’étant pas d’accord avec la nature des limitations fonctionnelles octroyées.[2]
[20] À la même date, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine qu’à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 28 août 2006, la travailleuse conserve un déficit anatomophysiologique de 9 % auquel s’ajoute un pourcentage de 1,35 % à titre de douleurs et perte de jouissance de la vie pour un total de 10,35 %.
[21] Le 9 novembre 2006, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme la décision initiale du 6 octobre 2006.
[22] La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles pour contester la décision du 9 novembre 2006 (dossier 303868-04B-0611).
[23] Le 14 mars 2007, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision de la CSST du 9 novembre 2006 et déclare que la lésion professionnelle est consolidée le 22 août 2006 et que la travailleuse demeure avec des limitations fonctionnelles de classe III selon l’IRSST[3].
[24] Au dossier constitué du tribunal, on retrouve une énumération des limitations fonctionnelles qui se lit comme suit :[4]
Limitations classe III de l’IRSST
CLASSE 1 : Restrictions légères
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de
- soulever, porter, pousser, tirer des charges dépassant environ 25 kg
- travailler en position accroupie
- ramper, grimper
- effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de l’articulation en cause
CLASSE 2 : Restrictions modérées
En plus des restrictions de la classe 1, éviter les activités qui impliquent de
- soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15kg effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents avec effort, de l’articulation en cause
(comme pour l’actionnement d’un pédalier ou pour la marche prolongée)
- rester debout plusieurs heures
- pivoter sur le membre inférieur en cause
- monter fréquemment plusieurs escaliers
- marcher en terrain accidenté ou glissant
- travailler dans une position instable ( ex. : dans des échafaudages, échelles, escaliers)
CLASSE 3 : Restrictions sévères
En plus des restrictions des classes 1 et 2, éviter les activités qui impliquent de :
- rester debout ou garder l’articulation en cause dans la même position pendant plus de 30 à 60 minutes
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents, même sans effort, de l’articulation en cause
[25] Le 3 avril 2007, la CSST réfère la travailleuse à l’organisme appelé SEMO qui est un service externe de main-d’oeuvre en vue d’évaluer et de faciliter la transition de carrière de la travailleuse.
[26] La travailleuse est également dirigée vers un service psychologique, le tout en conformité avec l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale le 28 août 2006.
[27] Le 17 mai 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de verser une allocation d’aide personnelle à domicile à la travailleuse. Elle estime en effet que la travailleuse est en mesure de prendre soin d’elle-même. La travailleuse conteste cette décision.
[28] Le 13 juillet 2007, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme la décision initiale du 17 mai 2007 et déclare que la travailleuse n’est pas admissible à une allocation d’aide personnelle à domicile malgré son incapacité à exécuter l’entretien de l’intérieur de sa résidence puisqu’elle est capable de prendre soin d’elle-même.
[29] La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles pour contester la décision du 13 juillet 2007 (dossier 324785-04B-0708).
[30] Le 23 octobre 2007, la Commission des lésions professionnelles rend une décision par laquelle elle conclut que la travailleuse rencontre les deux conditions qui permettent de lui accorder le paiement des frais pour l’aide personnelle à domicile dont elle a besoin[5].
[31] En décembre 2007, en application de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, la CSST mandate un ergothérapeute pour évaluer les aides techniques qui pourront rendre la travailleuse le plus autonome possible.
[32] Elle mandate pour ce faire, monsieur Jasmin Belhumeur, ergothérapeute. Ce dernier complète la grille d’évaluation initiale prévue à cette fin et évalue les besoins de la travailleuse. Ainsi, il appert que la travailleuse requiert de l’assistance pour plusieurs des activités énumérées à la grille.
[33] Pour certaines de ces activités, il recommande l’acquisition des aides techniques suivantes :
1. Achat d’un banc à roulettes
2. Achat d’une rallonge de main de 26¨fixée avec un aimant à sa béquille
3. Modification de la cuisine (achat d’un réfrigérateur avec un congélateur au bas, four encastré, installation d’une plaque Jenn-Air, modification de l’emplacement du lave-vaisselle)
4. Installation d’une plate-forme élévatrice
5. Modification au fauteuil roulant.
[34] En avril 2008, le médecin aborde la question de réduire la médication avec la travailleuse.
[35] En août 2008, le suivi psychologique prend fin. Le rapport final conclut à une amélioration du processus de deuil et de l’humeur de la travailleuse. On y constate que les différents problèmes rencontrés par la travailleuse ont trouvé une solution, ce qui lui permet d’envisager un retour aux études. Il est également convenu que la travailleuse pourra revoir la thérapeute au besoin.
[36] Le 17 février 2009, monsieur Belhumeur revoit la travailleuse afin de procéder à une réévaluation de ses besoins. Il conclut, entre autres, qu’en ce qui a trait à la préparation du dîner et du souper, la travailleuse demeure avec un besoin d’assistance partielle. Après avoir discuté de chacun des besoins de la travailleuse et en faisant référence à son rapport du 12 février 2008, il termine par la recommandation suivante :
[…]
Nous suggérons de réévaluer dans un délais d’un an au maximum Mme Chantal Côté afin de s’assurer qu’elle ait les aides techniques ainsi que l’aide personnelle nécessaire. Nous demeurons disponible et l’agent au dossier pourra communiqué avec nous s’il désire nos services. [sic]
[37] Le 24 février 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle réévalue les besoins d’aide personnelle à domicile de la travailleuse et met fin à l’allocation qui lui est accordée en date du 13 février 2009. La travailleuse conteste cette décision.
[38] Le 12 mars 2009, le docteur Deshaies complète, à titre de médecin traitant, un formulaire d’Emploi Québec intitulé « Rapport sur la déficience et l’incapacité ». Dans ce formulaire, il indique que la travailleuse n’est pas en mesure d’occuper un emploi sans nuire à sa condition physique ou psychologique. Il précise son opinion de la façon suivante :
Je ne vois pas comment un travail peut s’inscrire dans sa vie. Elle suffit à peine à faire un peu AVQ AVD chez elle; elle est en béquille ou en fauteuil roulant. Si elle fait quelques activités, elle doit se reposer par suite pour récupérer. Chaque tâche demande une préparation inhabituellement longue. Je ne vois pas le réalisme de tenter de lui dénicher un emploi.
[39] Le 28 avril 2009, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Après une réévaluation des besoins de la travailleuse, elle modifie la décision du 24 février 2009 et accorde une allocation pour des besoins d’aide personnelle à domicile. Toutefois, étant donné que les besoins sont moindres, le pourcentage attribué en application de la grille d’évaluation de l’aide personnelle est moindre.
[40] Le 30 avril 2009, madame Lucie Thibodeau, conseillère en main-d’œuvre chez SEMO, produit un rapport. Elle relate avoir ciblé avec la travailleuse ses intérêts, ses aptitudes, ses capacités tout en tenant compte de sa scolarité. Certaines pistes d’emplois en sont ressorties, mais une formation est nécessaire. Les recommandations sont soumises au conseiller en réadaptation de la CSST qui refuse cette avenue.
[41] Il est par la suite décidé avec la CSST d’explorer le service à la clientèle, en particulier celui de préposée à la vente de billets (kiosque de loterie) et préposée au service à la clientèle dans les grands magasins (Zellers, Sears). Madame Thibodeau se rend sur place avec la travailleuse afin de visualiser et recueillir de l’information sur ces postes de travail ainsi que sur l’accessibilité des lieux.
[42] Dans son rapport, elle dresse le constat suivant de ces visites :
[...]
Suite à ces visites, nous constatons qu’il serait difficile actuellement pour madame Côté d’exercer ces types d’emplois sans adapter le poste de travail et rendre les lieux accessibles. Par ailleurs, malgré les adaptations, certains mouvements qu’exigent ses emplois pourraient provoquer de l’inconfort, des douleurs au dos et à la jambe.
[43] Elle conclut en ces termes :
Recommandation :
En tenant compte des limitations de la cliente, des informations et observations recueillies ainsi que des intérêts de la cliente, nous privilégions un retour en formation dans le domaine de la comptabilité tel que décrit ci-haut. Cette formation permettrait à Mme Côté d’augmenter son employabilité et ainsi lui permettre d’être plus compétitive face à la réalité du marché du travail.
En terminant, nous tenons à souligner la bonne collaboration de Mme Côté tout au long de la démarche. Celle-ci a toujours été ponctuelle et assidue aux rencontres proposées. Elle a démontré de l’intérêt et du sérieux dans l’exploration des solutions possibles.
[44] Le 12 mai 2009, la CSST rend une décision ayant pour effet de déterminer que la travailleuse est capable, à compter du 9 mai 2009, d’occuper l’emploi convenable de « préposée à l’accueil et aux renseignements ». La travailleuse conteste cette décision.
[45] Au dossier constitué, on retrouve la grille de détermination de l’emploi convenable complétée par la CSST, le titre de l’emploi est celui de préposée à l’accueil et aux renseignements. Un document émanant de la monographie Repères[6] pour l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements est consigné au dossier.
[46] La fiche Repères correspondant à l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements établit que le candidat doit être capable de travailler principalement en position assise. Toutefois, la fiche spécifie que le travail dans le domaine du tourisme ou dans celui du commerce de détail peut comporter de longues heures debout.
[47] Au dossier constitué, on retrouve un rapport d’étude de marché effectué en date du 26 novembre 2008 par « Le groupe Linda Cameron inc ». Ce rapport est caviardé de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de valider qui est la personne visée par ce rapport. On retrouve toutefois une indication à l’effet que la personne demeure à Hérouxville. Ce document constitue une énumération de plusieurs entreprises qui emploient déjà ou qui entrevoient embaucher une préposée à l’accueil et aux renseignements. La majorité de ces postes se situe dans la région de Shawinigan. Une vérification de la distance séparant le domicile de la travailleuse à Victoriaville et les postes répertoriés à Shawinigan révèle qu’un déplacement variant entre 100 et 120 kilomètres est nécessaire.
[48] L’étude de marché conclut qu’une formation informatique de base est requise pour se qualifier en emploi au poste de préposée à l’accueil.
[49] Deux offres d’emplois provenant de Placement en ligne du site d’Emploi Québec sont également consignées au dossier. Ces postes sont situés à Drummondville. La distance approximative qui sépare le domicile de la travailleuse de Drummondville est d’environ 56 kilomètres.
[50] Le 23 septembre 2009, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle déclare que la décision rendue le 12 mai 2009 est nulle et prématurée. Le réviseur explique sa décision en ces termes :
[…]
Dans ce dossier, la Révision administrative conclut que la détermination de l’emploi convenable de préposée l’accueil et aux renseignements est prématurée.
Malgré tous les efforts que la Commission a apportés à la travailleuse pour maximiser ses capacités fonctionnelles, la Révision administrative constate qu’à la fin de ce programme, en mai 2005, la travailleuse a démontré que quelques acquis aux niveaux physique et fonctionnel et à la fin des traitements, en clinique de la douleur, elle ne présentait que peu d’amélioration.
La Révision administrative considère qu’une travailleuse à qui on reconnait un diagnostic d’un syndrome douloureux régional complexe doit vivre en permanence avec des douleurs chroniques et elle doit s’adapter à son rythme et de façon réaliste à une perspective de retour au travail en ayant la possibilité d’augmenter sa capacité de travail.
Dans ce dossier, si l’on veut que la travailleuse réintègre le marché du travail d’une façon réaliste, il y aurait lieu d’envisager un processus permettant à la travailleuse de maximiser une augmentation de sa capacité de travail tout en gérant ses douleurs chronique [sic]. Il faut considérer que la travailleuse n’est pas retournée sur le marché du travail depuis 2003 et qu’elle doit modifier ses habitudes de vie quotidienne avant d’envisager un retour au travail.
La Commission doit prendre en considération le rapport de l’organisme SEMO qui ne recommande pas une orientation dans le domaine des services à la clientèle et aux renseignements. D’après l’évaluation que l’organisme a fait, il serait difficile pour la travailleuse d’exerce [sic] ce type d’emploi sans adapter le poste de travail pour le rendre accessible et, malgré certaines adaptations, il serait difficile pour la travailleuse de faire ces emplois compte tenu des conséquences sur le plan de la douleur au dos et aux jambes.
À notre avis, il y a lieu de valider les conclusions de cet organisme en effectuant une évaluation ergonomique de ce type d’emploi d’autant plus qu’il s’agit d’une travailleuse qui doit se déplacer en chaise roulante et en béquilles de façon permanente et que dans une position assise prolongée, elle doit avoir le membre inférieur surélevé.
De plus, il faut prendre en considération, que le processus actuel d’adaptation du domicile doit être terminé pour que la travailleuse maximise son autonomie, ses capacités résiduelles, avant de la responsabiliser à réintégrer de façon autonome le marché du travail. Il faut tenir compte que la Commission des lésions professionnelles considère que les capacités résiduelles de la travailleuse ne lui permettent pas de s’occuper d’elle-même à son domicile et qu’elle nécessite de l’aide pour ses besoins d’aide personnelle. Il faut prendre en considération de l’impact de la condition générale de la travailleuse qui doit faire face à un marché du travail régulier et compétitif.
Finalement, la Révision administrative constate que la travailleuse n’avait pas obtenu, au moment de la décision de capacité, certaines adaptations ‘quick release’ pour lui permettre de se déplacer avec sa chaise roulante, afin d’occuper l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements.
[51] En octobre 2009, le docteur Benoit Tousignant remplace le docteur Dolbec et assure le suivi médical de la travailleuse à la clinique de la douleur de Lévis.
[52] En octobre 2009, la CSST autorise une formation académique visant à permettre à la travailleuse d’obtenir ses équivalences du secondaire V.
[53] La travailleuse a ainsi obtenu son équivalence de secondaire V en mai 2010.
[54] En mai 2010, la travailleuse est référée par la CSST au Centre de réadaptation InterVal en ergothérapie. Cette référence vise à effectuer auprès de la travailleuse une évaluation fonctionnelle ainsi qu’un test sur route permettant d’évaluer ses capacités à conduire un véhicule routier régulier et évaluer le système de chargement pour son fauteuil roulant manuel.
[55] L’épreuve du test sur route est relativement laborieuse puisque la travailleuse éprouve des douleurs importantes qui l’empêchent de positionner convenablement son membre inférieur gauche. Lors de la reprise du test dans son milieu, soit à Victoriaville, avec un véhicule appartenant au centre, la travailleuse est en mesure de conduire de façon sécuritaire sans difficulté.
[56] Toutefois, l’évaluateur en vient à la conclusion suivante :
Il est donc recommandé de mettre une limite de territoire dans son milieu étant donné que madame peut avoir des douleurs à tout moment à son pied gauche qui peuvent être difficilement contrôlables et déconcentrer madame sur la route.
[...]
La distance recommandée est de 25 Km et enlever les autoroutes
[57] Selon le dossier constitué, il appert que le 3 juillet 2010, la CSST est informée de l’existence de cette limitation.
[58] Suite à cette évaluation, le véhicule automobile de la travailleuse est adapté.
[59] Le 23 août 2010, la Société de l’assurance automobile rend une décision ayant pour effet de modifier le permis de conduire de la travailleuse, en raison de sa condition médicale. Les nouvelles conditions sont les suivantes :
Selon les renseignements inscrits à votre dossier, votre condition médicale vous permet d’avoir un permis de conduire de classe 5, 6D et 8. Ce permis est autorisé avec les conditions suivantes :
· J : Doit conduire un véhicule muni d’une transmission automatique
· S :Peut conduire dans un rayon de 25 kilomètres du 59, rue Laurence-Foisy, Victoriaville, et ne peut conduire sur les autoroutes
[60] Le 17 novembre 2010, la CSST réévalue les besoins d’aide personnelle à domicile de la travailleuse. Aux notes évolutives du dossier constitué, on constate que la CSST motive sa décision de la façon suivante :
[…]
L’adaptation de la cuisine étant terminée, Mme nous dit être maintenant en mesure de faire la préparation des repas malgré qu’à la fin de la journée son MIG est plus douloureux dit-elle. Nous mentionnons à Mme que les adaptations sont accordées en fonction de ses LFs et non en fonction de la douleur. Il faut aussi mentionner que son fils, sa belle-fille et leur fillette de 2 ans, sa fille et son bébé de 6 mois ainsi que son fils de 9 ans habitent avec la T et son conjoint.
Comme l’aide personnelle lui avait été accordée pour la préparation des repas suite à une décision de la CLP du 23 octobre 2007, après vérification des adaptations de la cuisine, Mme est apte à préparer les repas de façon autonome, il y a donc lieu de mettre fin à l’aide personnelle. Mme comprend que cette mesure était temporaire et directement liée à l’adaptation de la cuisine.
[61] La CSST rend une décision le 18 novembre 2010 par laquelle elle avise la travailleuse que son allocation pour aide personnelle à domicile prend fin le 17 novembre 2010, étant donné que son état de santé et sa situation personnelle se sont améliorés. La travailleuse conteste cette décision.
[62] À la même date, la CSST rend une autre décision par laquelle elle retient l’emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements qui pourrait procurer un revenu annuel de 19 813,20 $ à la travailleuse. Elle détermine également que la travailleuse est capable d’exercer cet emploi à compter du 17 novembre 2010. Suivant cette décision, la travailleuse reçoit des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle occupe cet emploi ou au plus tard le 16 novembre 2011. La travailleuse conteste cette décision.
[63] Une analyse de la grille de détermination d’un emploi convenable permet de constater que la limitation de conduire dans un rayon de 25 kilomètres du domicile n’y apparaît pas.
[64] Dans une note de consultation du 30 novembre 2010, le docteur Tousignant indique qu’il est illogique de penser retourner la travailleuse dans un travail à 40 heures/semaine. Selon lui, la travailleuse a besoin d’horaires adaptés.
[65] Le 11 mai 2011, la CSST rend une décision suite à une révision administrative. Par cette décision, elle confirme les deux décisions précédemment rendues le 18 novembre 2010.
[66] La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision, d’où le présent litige.
[67] À l’audience, la travailleuse dépose une lettre du 14 octobre 2011 du docteur Tousignant dans laquelle il s’exprime de la façon suivante :
[…]
Madame Côté présente toujours les critères diagnostiques reconnus par l’IASP ( International Association for the Study of Pain) concernant le SDRC type 1 dont notamment la douleur, l’allodynie, l’hyperalgésie et des changements vasomoteurs au niveau de son membre inférieur gauche.
Je crois que Madame Côté garde une capacité de retour au travail. Dans le cadre de ma pratique en douleur chronique, j’encourage tous les patients qui me consulte [sic] et qui présente [sic] une capacité de travailler à retourner au travail. Ce retour au travail, bénévole ou rémunéré, doit être fait de façon progressive et doit surtout être adapté à la condition médicale du patient.
Compte tenu de la pathologie qui demeure très active, il est utopique de croire que Madame Côté puisse occuper un emploi à temps plein. En effet, la perte de mobilité et la douleur constante limitent ses activités domestiques et quotidiennes de façon marquée. La mise en charge complète étant impossible, elle ne peut tenir une position debout de façon prolongée. Elle doit maintenir sa jambe gauche allongée et même surélevée afin de limiter les symptômes douloureux et vasomoteurs. Les déplacements sont toujours difficiles, que se soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison. Madame Côté prend parfois plusieurs heures pour effectuer des tâches ménagères simples comme la préparation d’un repas ou faire la lessive. Elle doit fractionner les tâches par des périodes de repos afin de pouvoir les compléter. Finalement, les tâches complexes nécessitant une concentration élevée sont également ardues en raison de la douleur constante et de la prise de médicaments affectant les fonctions cognitives telles la mémoire, la concentration et l’attention.
[68] À l’appui de son opinion, le docteur Tousignant joint de la littérature médicale[7] qui démontre que le pronostic de la condition médicale de la travailleuse demeure mauvais.
[69] La travailleuse témoigne à l’audience. Elle dépose d’abord une liste exhaustive des médicaments qu’elle doit prendre chaque jour afin de contrer la douleur. Elle explique qu’elle ne peut oublier de prendre sa médication puisque les douleurs deviennent très intenses. Elle décrit une impression de pied gelé et glacé. Elle ressent une douleur qui monte dans le genou et la fesse et son pied peut faire des spasmes. La médication diminue et contrôle la douleur. Par contre, la douleur ne se résorbe jamais totalement.
[70] Elle explique avoir une prescription d’oxycodone qu’elle prend au besoin. Selon la prescription, elle doit prendre un comprimé aux trois heures. En réalité, lorsque nécessaire, elle prend trois comprimés et témoigne qu’elle n’est pas soulagée à 100 %. Cependant, elle tente d’endurer son mal pour ne pas avoir à prendre ces comprimés, car elle ne veut pas créer une dépendance.
[71] Étant donné que sa médication est stable, elle explique que le suivi médical est maintenant assuré uniquement par son médecin traitant. Le suivi en clinique de la douleur a été interrompu par le docteur Tousignant en accord avec la travailleuse.
[72] Dans ses activités de la vie quotidienne, la travailleuse explique au tribunal qu’elle doit calculer tout ce qu’elle fait. Elle entrecoupe chacune des activités par une période de repos. Ainsi, pour la préparation d’un repas, la travailleuse doit arrêter à plusieurs reprises, ce qui fait en sorte qu’elle peut prendre une journée à préparer quelques éléments d’un repas. Elle n’est pas en mesure de préparer un repas complet.
[73] Son mari s’occupe de faire ce qu’elle n’a pas été capable d’accomplir dans la journée en lien avec le repas. Par exemple, il s’occupe toujours de faire cuire la viande.
[74] Pour le dîner, comme elle est seule à la maison, elle mange les « restes » du repas de la veille, s’il y en a. Il lui arrive parfois de ne rien manger, étant aux prises avec des douleurs intenses.
[75] Elle précise également au tribunal que si elle s’adonne à une autre tâche ménagère dans la journée, elle ne prépare rien pour le repas. Elle se dit incapable de cumuler deux activités de la vie quotidienne par jour. Hormis ces tentatives d’accomplir quelques activités de la vie quotidienne, son mari s’occupe de tout.
[76] Elle explique au tribunal que contrairement à ce qui est avancé dans le dossier constitué, elle ne fait pas le lavage. Elle réussit tant bien que mal à effectuer son lavage personnel (lingerie et autres vêtements délicats), mais ne peut faire le lavage de la maisonnée se disant incapable entre autres de lever un panier de linge.
[77] En après-midi, elle se couche et dort. Elle se dit « brûlée ». Plus la journée avance, plus la douleur devient importante. Le soir, à 19 h, elle est couchée. Elle réussit à dormir au maximum quatre heures par nuit.
[78] Elle explique en ce qui a trait aux soins corporels qu’elle prend des douches, assise sur un banc. Une douche peut lui demander une heure à une heure trente. L’activité de se vêtir peut prendre entre sept et huit minutes.
[79] À titre d’activités qui requièrent de la concentration, elle arrive à faire un peu de lecture entre cinq à dix minutes au maximum. Elle a noté des pertes de mémoire qui l’obligent à tout noter.
[80] En regard de la démarche entreprise en réadaptation, la travailleuse fait état des actions entreprises avec l’organisme SEMO. Ces démarches n’ont pas porté fruit.
[81] De son côté, elle a exploré certains milieux de travail et a transmis son curriculum vitae. À nouveau, ces démarches sont demeurées vaines. Les employeurs lui ont signifié qu’avec les limitations fonctionnelles qu’elle présente, ils ne peuvent lui offrir un emploi. Certains ont même fait mention que le poste de travail ne pouvait être adapté pour répondre à sa condition.
[82] Elle témoigne être inscrite sur le site d’Emploi Québec. Quatre employeurs ont consulté son curriculum vitae sans résultat.
[83] Elle exhibe également une lettre de Progesco, une firme-conseil en ressources humaines qui offre des services de recrutement et de sélection de personnel aux entreprises. Par cette lettre, Progesco confirme que madame a démontré de l’intérêt pour différents postes à combler, à savoir coordonnatrice à la logistique, préposée aux ventes internes et préposée au service à la clientèle. La candidature de la travailleuse n’a pas été retenue, étant donné qu’elle ne présente pas les qualifications requises pour ces emplois.
[84] Dans les démarches qu’elle a effectuées personnellement, elle précise que celles-ci respectaient sa limitation de déplacement à 25 km. Par contre, au moment où elle a déposé ces candidatures, elle ne savait pas si les lieux physiques étaient adéquats et accessibles.
[85] Elle témoigne sur le fait que dans la démarche de réadaptation, la CSST n’a pas visité de poste de travail avec elle et n’a mandaté personne, sauf SEMO, pour vérifier les postes de travail et évaluer les modifications et adaptations nécessaires le cas échéant. À ce sujet, la travailleuse exhibe une prescription de son médecin pour une consultation en ergothérapie datée du 10 mai 2011. Le motif de cette consultation est une « évaluation de positionnement ». Elle est toujours en attente de cette évaluation auprès d’un ergothérapeute du CLSC.
[86] Elle explique à ce sujet que sa condition l’oblige à adopter des positions particulières afin de tenter d’être confortable. Se pencher vers l’avant crée une douleur. Elle est toujours à bout de bras et développe ainsi des douleurs à d’autres niveaux. Elle n’est jamais debout puisqu’elle doit déposer son pied sur un banc. Elle ne peut garder son pied vers le bas. Après cinq minutes, le pied devient bleu et la douleur devient très intense.
[87] La meilleure position est dans son lit. Elle place un coussin sous la jambe en prenant soin de ne rien mettre sur son talon, car la douleur devient insupportable.
[88] Elle explique que l’hiver, elle n’est pas capable de déneiger sa voiture. Son mari s’occupe de déneiger sa voiture le matin avant de partir, au cas où elle aurait une urgence dans la journée.
[89] Elle a obtenu son équivalent de secondaire V. Elle explique que ce fut pour elle une étape très difficile. Elle recevait sa formation à raison de deux heures/semaine avec un professeur qui se rendait à la maison. L’étude et la préparation des cours se faisaient à partir de son lit.
[90] Elle explique au tribunal avoir une connaissance très limitée de l’informatique. Elle réussit à se débrouiller avec l’aide de ses enfants. Elle a demandé à la CSST de lui fournir une formation de base en informatique. Étant donné sa condition médicale, cette formation devait se donner à distance. La CSST a refusé puisque ce cours était trop dispendieux.
[91] Questionnée sur la possibilité d’occuper un emploi à la maison, elle précise qu’il faut être capable d’investir beaucoup de temps. Étant donné qu’elle doit constamment entrecouper ses activités de périodes de repos, elle ne voit pas comment elle pourrait réussir à occuper un tel emploi et être compétitive.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[92] La représentante de la travailleuse plaide que la travailleuse n’a pas la capacité pour exercer l’emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements. Elle prétend que la CSST n’a pas tenu compte de l’ensemble des capacités résiduelles de la travailleuse.
[93] Elle soulève que la travailleuse n’est pas capable d’exercer à plein temps un emploi convenable. Elle prétend que les douleurs chroniques ressenties par la travailleuse font en sorte qu’elle adopte des positions qui peuvent être à risques pour sa santé. Il faut également considérer que la travailleuse présente des restrictions sévères en emploi et arrive à peine à fonctionner à la maison. Il est donc utopique de penser qu’elle peut occuper un emploi à plein temps, voir même tout emploi.
L’AVIS DES MEMBRES
[94] En ce qui a trait à l’allocation pour aide personnelle à domicile, la membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse. Ils estiment que la CSST ne pouvait pas mettre fin au droit de la travailleuse sans procéder à une nouvelle évaluation de ses besoins suivant les normes et la grille prévue au règlement.
[95] De la même façon, ils estiment que la preuve prépondérante permet de conclure que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements n’est pas approprié pour la travailleuse et qu'elle n'a pas la capacité de l’exercer.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[96] Avant d’aborder chacune des décisions de la CSST contestées par la travailleuse, le tribunal constate qu’il ressort de la preuve que les deux médecins qui décrivent le mieux l’impact important de la maladie de la travailleuse sur ses activités quotidiennes (AVQ) et domestiques (AVD) sont les deux médecins qui assurent son suivi médical, soit les docteurs Deshaies et Tousignant.
[97] La preuve prépondérante démontre que ces deux médecins sont ceux qui sont en l’espèce les mieux placés pour juger de sa qualité de vie et de sa capacité à pouvoir exercer un emploi, compte tenu des limitations fonctionnelles inhérentes à son syndrome de douleur régional complexe.
[98] Bien que l’élément central du dossier soit subjectif puisqu’il traduit ici un tableau de douleur chronique, le tribunal considère que la travailleuse a offert un témoignage crédible et sincère.
[99] Certes, tout ce qui découle de cette maladie (fatigue, trouble du sommeil, difficultés dans les activités de la vie quotidienne et domestique, prises de médicaments, troubles cognitifs de mémoire et de concentration) peut être qualifié de subjectif.
[100] Par contre, la froideur du pied, la couleur cyanotique et l’importante atrophie de 4,5 cm rapportées par les médecins ne sont pas des symptômes subjectifs et viennent objectiver les plaintes de la travailleuse.
Aide personnelle à domicile
[101] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de cesser le versement de l’aide personnelle à domicile.
[102] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[8] (la loi) au sujet du droit à l’aide personnelle à domicile sont les suivantes :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
__________
1985, c. 6, a. 158.
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 159.
160. Le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.
__________
1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.
161. Le montant de l'aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
__________
1985, c. 6, a. 161.
[103] Le Règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile[9] prévoit que l’évaluation de l’aide personnelle à domicile se fait suivant les normes prévues au règlement et selon la grille d’évaluation prévue par son annexe I. L’article 5 du règlement est ainsi libellé :
5. Les besoins d’aide personnelle à domicile sont évalués par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en tenant compte de la situation du travailleur avant la lésion professionnelle, des changements qui en découlent et des conséquences de celle-ci sur l’autonomie du travailleur.
Ces besoins peuvent être évalués à l’aide de consultations auprès de la famille immédiate du travailleur, du médecin qui en a charge ou d’autres personnes-ressources.
Cette évaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d’évaluation prévue à l’annexe I.
[104] La grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile décrit une série de besoins d’assistance pour 16 activités. Chacune est évaluée selon trois cotes : la cote A signifie un besoin d’assistance complète pour réaliser l’activité en question, la cote B signifie un besoin d’assistance partiel et C équivaut à aucun besoin d’assistance. À chaque cote correspond un certain nombre de points pour un maximum de 48 points au total. Le pointage total obtenu correspond à un pourcentage du montant maximum mensuel d’aide prévu à la loi et revalorisé annuellement.
[105] Suite à la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 23 octobre 2007, la CSST procède à l’évaluation des besoins de la travailleuse à partir de la grille d’évaluation.
[106] Il appert du dossier constitué que lorsque la CSST met fin à l’aide personnelle en 2010, elle n’a obtenu aucune nouvelle évaluation de la condition de la travailleuse.
[107] En effet, le tribunal ne retrouve, au dossier constitué, aucune nouvelle évaluation effectuée à partir de la grille d’évaluation. Il appert plutôt des notes évolutives que la conseillère en réadaptation a procédé à un bref questionnaire lors de sa visite du 17 novembre 2010 chez la travailleuse. Sur la base de ces constatations, en particulier sur le fait que l’ensemble des aménagements recommandés est complété et que la travailleuse déclare être en mesure de préparer les repas, la conseillère décide que cette dernière n’a plus de besoins d’aide personnelle.
[108] Le tribunal demeure perplexe quant à la capacité de la travailleuse de préparer les repas en novembre 2010. La preuve entendue à l’audience est plutôt contraire à cette affirmation. En effet, le tribunal retient que la travailleuse n’est pas en mesure de préparer un repas complet et que souvent au dîner, elle se contente de « restes » de la veille ou de mets surgelés, quand elle mange. De même, l’épicerie est effectuée par son mari.
[109] Tel qu’il a déjà été mentionné, le tribunal considère que la travailleuse a livré un témoignage crédible et sincère.
[110] La Commission des lésions professionnelles estime que la CSST n’était pas autorisée à agir de la façon dont elle l’a fait pour interrompre l’allocation d’aide personnelle à domicile. Elle devait procéder à la réévaluation par le biais de la grille d’évaluation prévue à cette fin.
[111] Les articles 7 et 8 du règlement prévoient ce qui suit concernant la réévaluation de l’aide personnelle à domicile :
7. L’aide personnelle à domicile est réévaluée périodiquement, conformément à l’article 161 de la loi, pour tenir compte de l’évolution de l’état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
8. Cette réévaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d’évaluation prévue à l’annexe 1.
[nos soulignements]
[112] Quant à la cessation de l’aide personnelle à domicile, l’article 10 du règlement reprend les termes des articles 162 et 163 de la loi. Les trois articles se lisent comme suit :
10. L'aide personnelle à domicile cesse, conformément aux articles 162 et 163 de la Loi, lorsque survient l'un des événements suivants :
1° le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° le travailleur est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (L.R.Q., c. S-5).
Le montant de l'aide est annulé à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu à l'annulation.
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :
1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).
__________
1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
163. Le montant de l'aide personnelle à domicile est versé une fois par deux semaines au travailleur.
Ce montant est rajusté ou annulé, selon le cas, à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu au rajustement ou à l'annulation.
__________
1985, c. 6, a. 163.
[113] Dans l’affaire à l’étude, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST ne peut mettre fin à l’aide personnelle à domicile sans procéder à une nouvelle évaluation des besoins de la travailleuse. Les dispositions législatives et réglementaires exigent une réévaluation périodique des besoins[10].
[114] En l’espèce, il s’agit d’un cas d’application du premier paragraphe de l’article 162. Pour conclure en vertu du premier paragraphe que la travailleuse est redevenue capable de prendre soin d’elle-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques, la CSST doit procéder à une évaluation de sa condition suivant les normes et la grille d’évaluation prévues au règlement[11].
[115] Il ressort clairement de la preuve que les activités de la vie domestique sont minimales et que la participation de madame aux repas, au ménage et plus globalement à l’entretien de la résidence sont infiniment réduites.
[116] Les activités de la vie quotidienne, tels se laver, s’habiller, circuler dans la maison sont très nettement diminuées et témoignent d’une certaine perte d’autonomie dans les fonctions les plus simples.
[117] Une nouvelle évaluation est nécessaire dans le présent dossier si l’on considère qu’à partir de l’automne 2010, l’ensemble des adaptations et aides techniques recommandées est mis en place. Par contre, le tribunal constate qu’il eut été indiqué que la travailleuse puisse revoir monsieur Belhumeur ou quelque autre intervenant qualifié afin de s’assurer qu’elle puisse fonctionner le plus normalement possible avec ces nouvelles aides techniques. D'ailleurs, le médecin traitant a demandé une évaluation en ergothérapie en 2011 spécifiquement pour une « évaluation de positionnement ».
[118] La Commission des lésions professionnelles a reconnu en octobre 2007 que la travailleuse rencontrait les conditions d’admissibilité. En conséquence, le tribunal estime que la preuve présentée démontre que la CSST ne pouvait mettre fin à l’allocation allouée sans procéder à une nouvelle évaluation sérieuse des besoins de la travailleuse. Une réévaluation de l’état de santé de la travailleuse, de son évolution et des besoins qui en découlent est nécessaire. Le tout doit être fait selon les normes prévues au règlement et en remplissant la grille d’évaluation prévue à l’annexe 1 du règlement prévue à cette fin.
[119] La Commission des lésions professionnelles annule par conséquent le volet de la décision rendue le 11 mai 2011 relatif à l’aide personnelle à domicile. Le tribunal rétablit le droit à l’aide personnelle à domicile et retourne le dossier à la CSST pour qu’elle procède à une nouvelle évaluation des besoins de la travailleuse en conformité avec la loi et le règlement.
Détermination de l’emploi convenable
[120] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’emploi de « préposée à l’accueil et aux renseignements » constitue un emploi convenable pour la travailleuse. La CSST a déterminé cet emploi à l’issu d’un plan de réadaptation, mis en place pour elle suite à la lésion professionnelle du 23 novembre 2003.
[121] Le droit à la réadaptation est prévu aux articles 145 et suivants de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[122] La réadaptation offerte peut être physique, sociale ou professionnelle.
[123] Dans le cas à l’étude, la travailleuse a bénéficié, dans un premier temps, de la réadaptation physique, tel que prévu aux articles 148 et suivants de la loi :
148. La réadaptation physique a pour but d'éliminer ou d'atténuer l'incapacité physique du travailleur et de lui permettre de développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 148.
149. Un programme de réadaptation physique peut comprendre notamment des soins médicaux et infirmiers, des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie, des exercices d'adaptation à une prothèse ou une orthèse et tous autres soins et traitements jugés nécessaires par le médecin qui a charge du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 149.
[…]
[124] Par cette mesure, la CSST a tenté d’atténuer les difficultés occasionnées par les douleurs chroniques découlant du syndrome de douleur régional complexe. La preuve démontre que cette démarche de réadaptation n’a pas permis d’obtenir des résultats significatifs puisque la travailleuse demeure avec des douleurs chroniques importantes et nettement invalidantes.
[125] La travailleuse a également bénéficié d’un programme de réadaptation sociale tel que prévu aux articles 151 et suivants :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[…]
[126] À ce sujet, la travailleuse a entre autres bénéficié de l’intervention d’un ergothérapeute. Des modifications majeures ont été apportées à son domicile et à son véhicule. Elle a également pu bénéficier d’une aide personnelle à domicile pour une certaine période.
[127] Enfin, la réadaptation professionnelle est prévue aux articles 166 et suivants :
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 167.
[…]
[128] Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que la travailleuse soit incapable d’exercer à nouveau son emploi ou un emploi convenable chez l’employeur suite à la lésion professionnelle. La CSST a donc abordé la réadaptation professionnelle en conformité avec l’article 171 qui se lit comme suit :
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
__________
1985, c. 6, a. 171.
[129] Les articles 172 et suivants de la loi prévoient, quant à eux, les différents services auxquels la travailleuse avait droit pour la formation et la recherche d’un nouvel emploi.
[130] Bien que plusieurs mesures de réadaptation aient été mises à la disposition de la travailleuse, la décision de la CSST qui détermine la capacité de la travailleuse à exercer un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements est-elle pour autant bien fondée?
[131] La définition d’emploi convenable se retrouve à l’article 2 de la loi et impose les conditions à respecter. Lorsqu’elle statue sur un emploi convenable, la CSST doit veiller à ce que chacun des critères mentionnés dans la définition soit rencontré. Cet article stipule que :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[132] Ainsi, un emploi sera déterminé convenable seulement s’il rencontre chacune des conditions de la définition[12].
[50] Comme première condition, l’emploi d’agent de sécurité doit être un emploi approprié pour le travailleur. Selon la jurisprudence, cette caractéristique vise à tenir compte des diverses réalités individuelles qui ont pour effet de particulariser la situation d’un travailleur et qui ne peuvent être couvertes par les autres caractéristiques servant à qualifier un emploi de convenable.
[51] L’emploi doit aussi permettre au travailleur d’utiliser ses capacités résiduelles. Dans l’analyse de sa capacité résiduelle, le tribunal doit prendre en considération les conditions personnelles qui affectent le travailleur.
[52] Comme troisième condition, l’emploi doit permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles. Il s’agit ici, non seulement de s’assurer que le travailleur possède la formation académique nécessaire pour occuper l’emploi proposé, mais également que cet emploi correspond au profil professionnel du travailleur. On examine également sous cette condition le statut linguistique du travailleur, ses connaissances informatiques lorsque requises et toute autre condition préalable à l’exercice de l’emploi.
[53] L’emploi doit aussi présenter une possibilité raisonnable d’embauche. L’emploi ne doit pas nécessairement être disponible, mais il doit possiblement pouvoir l’être pour le travailleur.
[54] Finalement, l’emploi ne doit pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur, compte tenu de sa lésion. On se demande alors si l’emploi peut présenter un danger d’aggravation de l’état du travailleur en raison de ses limitations fonctionnelles ou poser un risque pour la survenance d’un accident.
[133] La jurisprudence[13] reconnaît qu’au moment de déterminer la capacité à exercer un emploi convenable, la CSST ne doit pas limiter son analyse de la capacité résiduelle d’un travailleur en faisant uniquement référence aux limitations fonctionnelles reconnues en relation avec la lésion professionnelle. La CSST doit aussi tenir compte de la condition globale d’un travailleur dans la mesure où cette condition peut influencer la détermination de l'emploi convenable.
[134] Plus particulièrement, il a déjà été décidé[14] que la prise de médication analgésique et les effets secondaires occasionnés sont des facteurs qui doivent être considérés par la CSST dans l’analyse de la condition globale d’un travailleur.
[135] Au chapitre de l’utilisation de la capacité résiduelle, le tribunal estime que la preuve prépondérante est à l’effet que la CSST n’a pas tenu compte de l’ensemble de la condition globale de la travailleuse.
[136] D’emblée, le tribunal souligne qu’il s’agit en l’espèce d’une travailleuse qui n’a pas été sur le marché du travail depuis 2003.
[137] En matière de réadaptation professionnelle, la seule mesure significative que la CSST a offerte à la travailleuse est de la référer à l’organisme SEMO. Ainsi, la travailleuse a exploré en compagnie de madame Thibodeau, conseillère en main-d’œuvre, le poste de préposée à la vente de billets (kiosque de loterie) et le poste de préposée au service à la clientèle dans les grands magasins (Zellers, Sears).
[138] Suite à ces démarches, madame Thibodeau conclut qu’il serait difficile pour la travailleuse d’exercer ce type d’emploi sans que le poste soit adapté et que l’on s’assure que les lieux sont accessibles. Même avec de telles adaptations, madame Thibodeau émet des réserves sur le fait que certains mouvements demeureraient problématiques et qu’ils pourraient causer un inconfort ainsi que des douleurs au dos et à la jambe.
[139] Elle recommande plutôt un retour en formation dans le domaine de la comptabilité.
[140] Malgré cette recommandation, la CSST persiste et détermine un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements.
[141] Cette décision sera infirmée par la révision administrative qui la déclarera prématurée. Le réviseur revient alors sur les conclusions de madame Thibodeau et indique que la CSST doit tenir compte de ces recommandations. Il recommande également que les conclusions émises dans ce rapport soient validées par un expert en ergothérapie. Les conclusions de cette décision n’ont jamais été appliquées par le conseiller en réadaptation.
[142] Force est de constater que la CSST a mandaté des ressources externes pour évaluer la capacité résiduelle de la travailleuse et qu’elle n’a nullement tenu compte des recommandations formulées.
[143] Au même chapitre, le tribunal constate que la travailleuse est fortement médicamentée et qu’elle éprouve, selon la preuve, des problèmes de concentration et de mémoire. Or, cette baisse de concentration peut s’expliquer par les douleurs chroniques et les effets secondaires de la médication. À nouveau, la CSST ne semble pas avoir tenu compte de cette problématique.
[144] Malgré ces inconvénients importants, le tribunal constate qu’au lieu de se soumettre passivement aux traitements, la travailleuse essaie tant que bien mal de contrôler sa prise de médicaments, ce qui témoigne, selon le tribunal, d’une autocritique présente et justifiée et d’un certain désir de demeurer alerte malgré sa condition.
[145] Le tribunal considère par conséquent que la preuve démontre que l’emploi convenable identifié par la CSST ne respecte pas les capacités résiduelles de la travailleuse. Il y a donc lieu de reprendre la démarche en tenant compte cette fois-ci des conclusions émises par les experts mandatés et en prenant également en considération les difficultés éprouvées par la travailleuse, eu égard aux douleurs chroniques et aux effets secondaires de la médication.
[146] Mais il y a plus.
[147] En ce qui a trait aux qualifications professionnelles, la CSST a permis à la travailleuse de suivre une formation en vue d’obtenir une équivalence de secondaire V.
[148] La preuve démontre que cette formation a été très difficile pour la travailleuse. Que la travailleuse ait complété un secondaire V dans les conditions décrites lors de son témoignage démontre une force de caractère peu commune et donne poids à son vœu de retourner travailler un jour.
[149] Par contre, au chapitre de la formation académique, madame Thibodeau de SEMO avait recommandé une formation dans le domaine de la comptabilité. À nouveau, cette recommandation n’a pas été retenue par la CSST.
[150] Il appert également que selon les différentes descriptions de l’emploi, une connaissance de base en informatique est nécessaire. Or, la travailleuse a témoigné sur le fait qu’elle n’a pas cette formation de base et qu’elle en a avisé la CSST sans qu’aucune mesure ne soit entreprise afin de pallier à cette lacune.
[151] Le tribunal en vient donc à la conclusion que l’emploi convenable ne respecte pas les qualifications professionnelles de la travailleuse.
[152] Finalement, le tribunal ne peut conclure de la preuve soumise que l’emploi convenable offre une possibilité raisonnable d’embauche. En effet, la travailleuse doit respecter une limitation à son permis de conduire émise par la Société d’assurance automobile qui déclare qu’elle ne peut conduire à plus de 25 kilomètres de son domicile.
[153] Cette restriction était connue de la CSST et n’a pas été respectée. Or, la preuve démontre, d’une part, que la CSST s’est inspirée d’une étude de marché disponible dans un autre dossier. Cette étude faisait référence à des postes se trouvant à des distances nettement supérieures à 25 kilomètres. D’autre part, la travailleuse a de son côté transmis des curriculum vitae qui respectaient cette limitation, sans savoir toutefois si les lieux étaient accessibles, car faut-il le rappeler, elle se déplace en fauteuil roulant ou au mieux en béquilles.
[154] Tel que déjà mentionné, le tribunal accorde une valeur probante aux deux médecins de la travailleuse qui concluent qu’il est totalement utopique de tenter un retour au travail surtout à temps plein. Or, ces deux médecins jugent la travailleuse inapte à travailler dans les présentes circonstances du moins sans avoir reçu au préalable un certain support.
[155] Toutefois, le tribunal prend également note des recommandations du docteur Tousignant à l’effet que la travailleuse garde une capacité de retour au travail. Il encourage, de ce fait, un retour au travail de façon progressive et surtout adapté à la condition de la travailleuse, ce qui exclut, de l’avis du tribunal et selon la preuve, un travail à plein temps.
[156] Le dossier est par conséquent retourné à la CSST afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation en tenant compte des particularités de la travailleuse et surtout en respectant l’ensemble de ses capacités résiduelles incluant la limitation du permis de conduire. La travailleuse a ainsi droit à la reprise des indemnités de remplacement du revenu selon l’article 47 de la loi :
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 47.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par la travailleuse, madame Chantal Côté;
INFIRME la décision rendue par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 mai 2011;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à l’aide personnelle à domicile;
DÉCLARE que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements n’est pas un emploi convenable et que la travailleuse n’a pas la capacité de l’exercer;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle procède à une nouvelle évaluation des besoins d’aide à domicile de la travailleuse;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle reprenne le processus de réadaptation;
ET
DÉCLARE que la travailleuse a droit au versement des indemnités de remplacement de revenu.
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Renée-Claude Bélanger |
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Me Claude Traversy |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Évelyne Julien |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] Complex regional pain syndrome.
[2] Elle demande des limitations fonctionnelles de classe IV selon l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (IRSST).
[3] C.L.P. 303868-04B-0611, 14 mars 2007, A. Quigley.
[4] Voir la page 78 du dossier constitué.
[5] C.L.P. 324785-04B-0708, 23 octobre 2007, J.-M. Dubois.
[6] Système de recherche et de référence de données en informations scolaire et professionnelle présentant notamment les descriptions et les perspectives d’emploi.
[7] The Natural History of Complex Regional Pain Syndrome, Clin J Pain. 2009 May; 25(4) : 273-80 et Outcome of the Complex Regional Pain Syndrome, Clin J Pain, 2009 sep; 25 (7) : 590-7.
[8] L.R.Q., c. A-3.001.
[9] (1997) 129 G.O. II, 7365.
[10] Villeneuve et Commission scolaire de Montréal, 2008 QCCLP 1317 , L. Nadeau.
[11] Précitée note 10.
[12] St-Arnaud et Transport GS inc., 2011 QCCLP 2161 .
[13] Boulianne et Les Transports Chaumont inc., C.L.P. 292602-63-0606, 16 août 2007, D. Besse. Voir également Martineau et CSSSAE et CSST, C.L.P. 403055-04B-1002, 1er juin 2011, V. Lizotte
[14] Côté et Scierie Leduc, division Stadacona, C.L.P. 305434-02-0612, 4 mai 2007, P. Simard; Lapierre et Para-Net Buanderie-Nettoyage à sec, C.L.P. 315211-31-0704, 5 décembre 2007, J-L. Rivard, (07LP-225). Voir également Martineau et CSSSAE et CSST, C.L.P. 403055-04B-1002, 1er juin 2011, V. Lizotte.
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