Décision

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Compagnie A et F.C.

2008 QCCLP 5725

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

7 octobre 2008

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

290556-62A-0605-R

 

Dossier CSST :

128410784

 

Commissaire :

Richard L. Beaudoin, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

[Compagnie A]

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

F... C...

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 juillet 2008, [la Compagnie A] (l’employeur) demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer une ordonnance rendue le 20 juin 2008.

[2]           Cette ordonnance décide de « séparer les parties en deux endroits distincts pour les journées d’audience restantes. » L’employeur et son procureur se rendront à Montréal, au bureau de la Commission des lésions professionnelles, alors que F... C... (le travailleur) sera à Saint-Jean-sur-Richelieu, en présence de la formation saisie de la contestation de l’employeur.

[3]           Les parties sont convoquées à une audience, à Saint-Jean-sur-Richelieu, le 28 août 2008. L’employeur est représenté et le travailleur ne s’est pas présenté.

OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer l’ordonnance rendue le 20 juin 2008. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier et entendu les représentations de l’employeur.

[5]           La Commission des lésions professionnelles a soulevé la question de la suspension de l’audience par la présentation d’une requête en récusation du premier commissaire et a demandé à l’employeur de plaider sur cette question. Un délai lui a été accordé afin de vérifier la jurisprudence sur ce sujet. La Commission des lésions professionnelles a tout de même entendu les représentations de l’employeur sur le fond de sa requête, mais sous réserve de disposer tout d’abord de la question de la suspension du déroulement de l’instance. La Commission des lésions professionnelles a reçu l’argumentation de l’employeur puis a délibéré. Le juge administratif en chef, en sa qualité de président, a rejeté la demande de récusation le 1er octobre 2008. Il n’y a donc plus lieu de se prononcer sur la suspension de l’instance en attendant le résultat de la requête en récusation.

PREUVE

[6]           La réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle est acceptée par la CSST. Cette décision est confirmée à la suite d’une révision administrative. L’employeur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles.

[7]           Le diagnostic posé par le médecin du travailleur est une dépression majeure, dans un contexte de harcèlement.

[8]           L’audience débute le 29 janvier 2007. Cette audience est ajournée au 20 septembre 2007. Au cours de cette audience, le premier commissaire maintient une décision qu’il avait prise, soit que le représentant de l’employeur à l’audience est G... L....

[9]           Selon le travailleur, G... L... serait l’une des personnes qui l’a harcelé. Cette audience est ajournée au 16 juin 2008.

[10]        Le travailleur, au cours de cette audience, a un comportement inapproprié dans une salle d’audience. Il attribue ce comportement à la présence de G... L.... La lecture des notes sténographiques de l’audience tenue ce 16 juin 2008, produites avec la requête de l’employeur, permet de conclure que des mesures doivent être prises pour permettre une saine administration de la preuve. Il y a lieu de rapporter intégralement les propos tenus à la fin de cette audience afin d’en bien situer le climat ainsi que les conclusions retenues par le premier commissaire :

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Alors, on peut peut-être aller plus loin en disant d’installer une vidéo-conférence et que vous puissiez le consulter régulièrement.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY [représentant du travailleur] :

C’est ça.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY [avocat de l'employeur] :

Sur ça…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Je suis prêt à faire une démarche, mais je suis, soyez tout à fait confortable, je vais respecter la décision de votre commettant.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Parce que c’est certain que mes clients vont devoir déterminer s’il est nécessaire de faire un accroc aux règles habituelles dans le présent dossier. C’est eux qui vont le décider.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Alors, je vous laisse le tout.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Oui.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Écoutez, vous êtez conscient dans quelle optique je vous demande ça.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Bien sûr.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Et vous êtes conscient aussi que, peu importe la décision que votre commettant prendra, le Tribunal la respectera.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Mais vous comprendrez aussi…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Avec les conséquences que ça pourra…

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

… vous comprendrez aussi que mes clients vont me dire est-ce que, ce faisant, on ne (inaudible) pas implicitement que de ce dont on l’accuse est vrai?

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Ça, là-dessus, monsieur le Commissaire, on est prêt à faire un…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Mais je dois vous dire que le Tribunal, tant qu’à lui, ne pensera jamais ça.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

O.k.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Nous non plus.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Le Tribunal propose une solution pour pouvoir procéder et avancer dans le dossier et soyez absolument assuré que le Tribunal n’a aucune espèce de préjudice ni pour un ni pour l’autre, il est tout à fait objectif dans sa façon de penser.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Je n’en ai jamais douté.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

On est d’accord avec ça, monsieur le Commissaire. Je vous remercie beaucoup.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Vous êtes d’accord avec ça?

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

On est d’accord avec ça, je pense que le simple fait que la victime…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Bien, il faudra…

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

… ne voit pas le visage de la personne (inaudible)…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Oui, mais il faut que vous soyez conscient que…

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

… ça va lui permettre d’éviter la (inaudible) tout ça, puis ça va lui faciliter la tâche.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Il faut que vous soyez conscient que, si jamais la décision est que l'employeur exige la présence, que le Tribunal n’ira pas à l’encontre non plus.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Par contre, monsieur le Commissaire, est-ce que à ce moment-là, ce que je vous suggérerais, de façon très humble, c’est que si, par hypothèse, la victime fait son témoignage du mieux qu’il peut, il y a d’autres… à cause de la présence…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Est-ce que vous auriez objection à ce que, par exemple, le travailleur ne soit pas dans la salle, puis qu’il soit, que nous on le voit sur vidéo-conférence, avec votre commettant avec vous?

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Moi je pense, monsieur le Commissaire, que toute… moi ce que je vais dire à mes clients c’est qu’à mon avis, tout traitement préférentiel est inapproprié dans le présent dossier parce que c’est trop facile. C’est trop facile, quand on n’obtient pas ce qu’on veut, de prendre une attitude particulière.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Non, maître Beaudry, je vous en prie. Vous voyez bien, ce n’est quand même pas du «fake». Vous avez dix (10) expertises qui parlent, à un moment donné, de la, que cette personne-là a vécu..

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Non, mais je vous suggère toutes les alternatives et on attend, j’attends une communication qui sera prise en toute quiétude.

Me CHRISTIAN J. BEAUDRY :

Oui.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Ce qui pourrait être fait, ce que je veux dire, c’est simplement, si vous faites un témoignage, le témoignage ne sera que complété par (inaudible). C’est une adaptation…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Je pense que je ne peux pas aller plus loin.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

C’est une adaptation raisonnable…

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Je ne peux pas aller plus loin.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

(Inaudible).

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Et soyez assuré que l'employeur n’en subira aucun préjudice.

M. PIERRE-GILLES TREMBLAY :

Et la victime aussi, j’espère.

Me DENIS RIVARD, Commissaire :

Non.

VOIX NON IDENTIFIÉE :

Les parties ne subiront pas un préjudice si monsieur n’est pas là, il le demande. Vous n’avez pas besoin de rajouter ça.

_______________________

 

(nos italiques)

 

 

[11]        C’est donc ainsi que se termine cette audience. L’employeur doit informer le premier commissaire de sa décision quant au représentant qui doit assister à l’audience ou sur des modalités de l‘administration de la preuve.

[12]        Le premier commissaire, le 20 juin 2008, rend l’ordonnance qui fait maintenant l’objet d’une requête en révocation. Le dossier ne révèle pas qu’il y ait eu communication entre le premier commissaire et les parties entre le 16 et le 20 juin 2008.

[13]        Le 26 juin 2008, le travailleur demande la récusation du premier commissaire.

[14]        Le 10 juillet 2008, l’employeur présente la requête en révision ou révocation de l’ordonnance rendue le 20 juin 2008.

[15]        Le 16 juillet 2008, le premier commissaire refuse de se récuser.

[16]        Le 1er octobre 2008, le  juge administratif en chef, en sa qualité de président, rejette la demande de récusation du premier commissaire.

ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[17]        L’employeur soumet que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, en matière de requête en révocation, autorise ce recours, même en présence de décisions interlocutoires[1].

[18]        L’employeur soutient que la décision rendue le 20 juin 2008 l’a été en violation de son droit d’être entendu sur le sujet. Cette contravention à son droit d’être entendu donne ouverture aux dispositions de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi). Il avait le droit fondamental d’être avisé que le premier commissaire allait se prononcer sur le sujet et le droit fondamental de faire des représentations sur cette question.

[19]        L’employeur soumet, par ailleurs, de la jurisprudence portant sur d’autres aspects de son argumentation[3].

AVIS DES MEMBRES

[20]        Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête de l’employeur et de révoquer l’ordonnance rendue le 20 juin 2008, l’employeur n’ayant pas eu l’occasion de se faire entendre.

MOTIFS

[21]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de révoquer l’ordonnance rendue le 20 juin 2008.

[22]        La loi, à l’article 429.56, détermine les motifs qui permettent de révoquer une décision :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

 

 

[23]        L’employeur invoque principalement les dispositions du paragraphe 3 de cet article, soit que la décision rendue par le premier commissaire est entachée d’un vice de procédure de nature à invalider cette décision, soit le non-respect de la règle audi alteram partem.

[24]        Cependant, avant de se prononcer sur le fond, il y a lieu d’examiner l’opportunité d’intervenir sur une décision interlocutoire portant sur l’administration de la preuve, en cours d’instance.

[25]        Dans la décision Desrochers[4], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit sur ce sujet :

[23.]     En second lieu, l'employeur soumet que la présente requête en révision est prématurée en ce que la travailleuse n'a pas un intérêt actuel à la loger aussi longtemps que la décision finale disposant de la contestation de l'employeur n'a pas été rendue.

 

[24.]     À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles considère que, dans le [sic] mesure où l'article 429.56 de la LATMP donne ouverture à demander la révision ou révocation d'une décision, ordre ou ordonnance rendu par la Commission des lésions professionnelles, il n'y a pas lieu de restreindre ce recours aux seules décisions finales et d'en interdire l'exercice à l'encontre d'une décision interlocutoire.

 

[25.]     Quant à l'intérêt actuel de la travailleuse à loger la présente requête, il réside manifestement dans l'intérêt même de la question de droit qu'elle soulève, laquelle en est une qui porte sur la compétence juridictionnelle de la Commission des lésions professionnelles en l'instance et qui est de ce fait déterminante.

 

[26.]     Par ailleurs, dans les circonstances présentes, la Commission des lésions professionnelles voit tout avantage et aucun inconvénient à disposer sans délai de cette question qui est en fait préliminaire à l'exercice de la compétence juridictionnelle de la Commission des lésions professionnelles aux fins de disposer de la contestation dont la Commission d'appel a été saisie le 22 août 1997.

 

 

[26]        Dans la décision Mazzaferro et Confection de vêtements Nadia inc.[5], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :

[21]      La Commission des lésions professionnelles3 a déjà décidé qu’une requête en révision peut être présentée à l’encontre d’une décision interlocutoire.  Dans cette affaire, un employeur soumet que la requête en révision est prématurée en ce que la travailleuse n’a pas un intérêt actuel à la loger aussi longtemps que la décision finale disposant de la contestation de l’employeur n’a pas été rendue.  La Commission des lésions professionnelles considère que, dans la mesure où l’article 429.56 de la loi donne ouverture à demande la révision ou révocation d’une décision, ordre ou ordonnance rendu par la Commission des lésions professionnelles, il n’y a pas lieu de restreindre ce recours aux seules décisions finales et d’en interdire l’exercice à l’encontre d’une décision interlocutoire.  En l’instance, la CSST ne peut donc opposer le caractère interlocutoire de la décision du 24 avril 2001 pour dire qu’elle ne pouvait, à ce moment, introduire sa requête en révision. 

________________

3           Desrochers et Marché Bel-Air inc., 90831-63-9708, 99-12-13, P. Brazeau.

 

 

[27]        Depuis ces décisions, il est acquis que des décisions interlocutoires rendues par la Commission des lésions professionnelles peuvent faire l’objet d’une requête en révocation.

[28]        Le recours en révocation doit être utilisé avec parcimonie, la Commission des lésions professionnelles étant un tribunal de dernier recours en matière de lésions professionnelles. Ses décisions sont finales :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

 

 

[29]        La norme d’intervention, en révision ou révocation, a été décrite ainsi par la Cour d’appel[6], en ce qui concerne un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision :

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un «defect so fundamental as to render [the decision] invalid»[46], «a fatal error»[47]. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa[48], est «entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige». Le juge Dalphond, dans l’arrêt Batiscan[49], effectue le rapprochement avec l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc. de la Cour suprême du Canada, où le juge Iacobucci apportait plusieurs éclaircissements utiles sur les attributs de deux notions voisines, l’erreur manifeste et la décision déraison¬nable. Il s’exprimait en ces termes[50] :

 

Même d'un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l'application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable.

 

On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».

 

[51]           En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»[52].  L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»[53] mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»[54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)[55].  Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision[56].

 

(références omises)

 

 

[30]        Sommes-nous, en l’instance, en présence d’une « erreur fatale » ? Les faits mis en preuve en l’instance justifient-ils l’intervention de la Commission des lésions professionnelles en révocation ?

[31]        Rappelons que l’audience tenue le 16 juin 2008 se termine à la suite d’événements disgracieux. Le premier commissaire prend l’engagement de se conformer à la décision de l’employeur quant à la désignation de son représentant ou à des modalités d’administration de la preuve. Il a certes été question de témoignage à distance ou de l’utilisation de la technique de la visio-conférence au cours des discussions qui ont précédé la fin de cette journée d’audience. Cependant, il n’est pas question, au moment de l’ajournement, de rendre une décision sur le sujet, sans avoir obtenu le point de vue de l’employeur.

[32]        Or, sans avoir reçu l’avis de l’employeur sur le sujet, le premier commissaire rend l’ordonnance du 20 juin 2008.

[33]        L’employeur fait valoir, en argumentation, des motifs pour lesquels, sur le fond, cette ordonnance devrait être révisée. La Commission des lésions professionnelles ne les retient pas. Il appartiendra au premier commissaire, s’il y a lieu, d’entendre ces arguments et d’en disposer s’il doit se prononcer à nouveau sur le sujet ou un sujet similaire quant aux modalités de l’administration de la preuve.

[34]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le premier commissaire n’a pas donné à l’employeur l’occasion de se faire entendre sur la mesure qu’il entendait prendre pour résoudre un problème survenu au cours du déroulement de l’instance. L’ordonnance est rendue alors que l’employeur ne s’y attend pas. Il est acquis qu’avant de rendre une décision, un tribunal doit donner aux parties l’occasion de se faire entendre. Il s’agit d’une règle de justice naturelle qui n’a pas besoin d’être longuement démontrée.

[35]        La Commission des lésions professionnelles, dans la décision Pierre-Louis et Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal[7] reconnaît facilement ce principe et n’en discute même pas :

[31]      Le procureur actuel de la travailleuse rappelle que celle-ci s’attendait à témoigner justement sur ces éléments de faits. Le tribunal doit convenir que cette preuve aurait été pertinente et, en ne permettant pas à la travailleuse de se faire entendre et en décidant du premier dossier, même en partie, la Commission des lésions professionnelles a porté atteinte à son droit d’être entendue. Cela constitue un vice de fond qui justifie la révocation de cette partie de la décision qui traite du premier dossier.

 

 

[36]        En l’instance, pour le seul motif que l’employeur n’a pas été entendu sur le sujet, il y a lieu de révoquer cette ordonnance et de retourner le dossier au premier commissaire pour qu’il continue d’entendre la preuve. La Commission des lésions professionnelles n’entend pas discuter de l’opportunité ou de la légalité de l’ordonnance rendue.

[37]        La présente décision n’empêche certes pas le premier commissaire de prendre toutes les décisions qu’il estime nécessaires pour une saine administration de la preuve, devant lui, dans un dossier dont la gestion s’avère difficile.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révocation de [la Compagnie A], l'employeur;

RÉVOQUE l’ordonnance rendue le 20 juin 2008 par la Commission des lésions professionnelles;

RETOURNE le dossier à la formation saisie du recours de l’employeur pour continuer l’audience.

 

 

__________________________________

 

Richard L. Beaudoin

 

 

 

 

Me Alexis-François Charrette

Ogilvy, Renault

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Claude Lanctôt

Panneton, Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           Desrochers et Marché Bel-Air inc., CLP 90831-63-9708, 13 décembre 1999, P. Brazeau, juge administratif.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           Immeubles Jutland ltée, Finance Gosford inc. vs Da Costa Charron, CA 500-09-000736-793, 20 mars 1980, jj. Dubé, Bernier, Nolan; Bénard c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et al., CS 500-05-012259-956, 11 mars 1996, j. Croteau; Carta c. Lavita et al., CS 500-05-036067-971, 29 mai 1998, j. LeBel; Gionet et Construction Ilario Giugovaz inc., CLP 94749-72-9803-R, 13 octobre 1999, D. Lévesque, juge administratif; Marois c.  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2006] QCCRT 0359 ; Cie d’amarrage ltée et Gladu, CLP 231862-04-0404-2R, 4 mai 2007, M. Carignan, juge administratif; Warman et Commission canadienne des droits de la personne et al., [2007] TCDP 16 ; Bourdonnais et Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et al., CSST 460-05-000164-975, 11 décembre 1997, j. Toth.

[4]           Précitée, note 1.

[5]           CLP 150945-72-0011, 18 décembre 2003, L. Boucher, juge administratif.

[6]           Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, C.A. 500-09-014608-046, 7 septembre 2005, jj. Forget, Morissette et Hilton.

[7]           [2005] CLP 10 .

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