Mercier et Charles-Auguste Fortier inc. |
2011 QCCLP 4404 |
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[1] Le 7 mai 2010, monsieur Denis Mercier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 avril 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 mars 2010 donnant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale selon lequel les traitements sur la dent 22 ainsi que la consultation et le traitement requis en orthophonie son justifiés, mais qu’il ne voit pas la possibilité d’imputer à l’accident la thérapie orthodontique, la thérapie implantaire et la thérapie parodontale.
[3] La CSST déclare qu’elle est justifiée d’effectuer le paiement des traitements sur la dent 22 et de permettre une consultation en orthophonie et que les thérapies orthodontique, implantaire et parodontale ne sont pas imputables à la lésion professionnelle du 9 juin 2008.
[4] L’audience s’est tenue le 17 juin 2011 à Gatineau en présence du travailleur et de son représentant. Charles-Auguste Fortier inc. (l’employeur) est absent à l’audience et n’y est pas représenté. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 17 juin 2011.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande uniquement à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a droit au remboursement des frais de soins et de pose d’implants des dents 15 et 16.
LES FAITS
[6] Le 9 juin 2008, le travailleur, opérateur de machineries lourdes chez l’employeur, subit un accident du travail. Alors qu’il recule au volant d’un camion de 35 tonnes sur un chantier de construction et qu’il s’apprête à vider son chargement, le sol s’est soudainement affaissé entraînant ainsi le camion à basculer à la renverse.
[7] Le travailleur subi des fractures dorsolombaires D-12, D-4 et L-3, une fracture bilatérale des 5es côtes avec une embolie pulmonaire, une fracture du radius distal du poignet gauche, des fractures multiples du massif facial au niveau de l’arcade zygomatique gauche, de la paroi latérale de l’orbite gauche, des parois internes du sinus maxillaire gauche et de la portion postérieure du maxillaire supérieur gauche et une fracture de type LeFort 1, en ce qui concerne le palais. Au niveau de la main gauche, le travailleur reste aux prises avec un doigt à ressort du 5e doigt. Au niveau buccodentaire, il subit une fracture de la dent 22 et une plaie au niveau de la lèvre inférieure.
[8] La docteure Mélissa Mercier, dentiste, prend en charge le travailleur et, le 18 février 2009, elle fait parvenir à la CSST un plan de traitement qu’elle a élaboré avec la collaboration de la docteure Marilou Landry, prosthodontiste, et le docteur Mario Dumas, chirurgien maxillo-facial, qui avait procédé à la chirurgie orthognatique.
[9] Elle écrit que le travailleur souffre d’une certaine paresthésie du côté gauche maxillaire ainsi qu’au niveau de la peau du visage. Pour rétablir le plan occlusal du travailleur, elle estime qu’il faut mettre en place des implants dans la région 15 et 16. Elle précise que :
Docteur Dumas fera cette chirurgie suite à votre décision si ce plan de traitement est accepté par la C.S.S.T. Même si les dents de ce côté étaient absentes avant l’accident le patient n’avait pas de problème d’occlusion comme en ce moment. En lien avec ce point, le patient s’était donc habitué au fil des ans à manger du côté gauche seulement. Mais voilà maintenant avec son degré de paresthésie du côté gauche, monsieur Mercier nous parle d’un inconfort lors de la mastication.
[10] Le 30 mars 2009, le docteur Rodier St-Louis, dentiste, produit un avis dentaire à la demande de la CSST. Il estime qu’il est nécessaire pour le travailleur d’avoir des traitements pour rétablir l’harmonie occlusale telle qu’elle était présente au moment de l’évènement. Il ajoute que :
La façon d’y parvenir avec des couronnes fixées à des implants est peut-être une solution mais d’autres avenues existent pour rendre le travailleur avec une dentition comparable à celle qui prévalait au moment de l’évènement. Un traitement orthodontique devrait en premier lieu être considéré puisqu’il s’agit de rétablir l’occlusion du [sic] à un déplacement des structures et non de remplacer des dents manquantes. La différence entre ces deux approches l’une prosthodontique, l’autre orthodontique, a beaucoup d’importance pour les traitements futurs et celle qui devait être préférée, si elle est réalisable, c’est l’approche orthodontique puisque est entièrement en lien avec l’évènement alors que l’approche prosthodontique cherche à corriger une condition personnelle, soit l’absence des dents 15 et 16 absentes au moment de l’évènement.
[11] Le 27 mai 2009, la CSST demande un avis au docteur André Fournier, orthodontiste. Il estime qu’un traitement d’orthodontie est indiqué pour rétablir l’occlusion postérieure et rétablir le plan occlusal antérieur si cette correction ne se fait pas d’elle-même. Il attendrait toutefois que le traitement d’orthophonie soit terminé avant de débuter le traitement d’orthodontie, cela permettrait de mieux évaluer la nécessité de ce dernier traitement tout en permettant idéalement à la paresthésie supérieure gauche de se résorber partiellement ou complètement.
[12] Le 9 septembre 2009, la docteure Mercier se dit en désaccord avec le plan de traitement suggéré par les docteurs St-Louis et Fournier quant à la nécessité de la pose d’implants et le dossier est dirigé vers le Bureau d’évaluation médicale.
[13] Le 29 septembre 2009, le docteur Hubert Labelle, dentiste, membre du Bureau d’évaluation médicale, donne son avis sur la nature et la nécessité des soins ou traitements. Il écrit dans son avis que :
Enfin, je suis entièrement de l’opinion du Dr St-Louis en regard des implants. Les dents absentes au sextant 03 sont manquantes depuis plus de 10 ans et ne sont aucunement le fait de l’accident. Il en est de même pour les traitements éventuels et potentiels de parodontite qui était latente avant l’accident.
Comme dit Béry2 dans L’expertise dentaire et maxillo-facial [sic]
« Le dommage doit être réparé pas plus, pas moins »
Nous ne croyons pas que l’état antérieur concernant les dents absentes a été modifié par l’accident.
Il ne doit pas y avoir enrichissement de la personne du fait de l’évènement.
Les reconstitutions prothétiques requises par le travailleur n’ont aucun rapport avec l’accident.
[14] Il estime donc que les traitements sur la dent 22 ainsi que la consultation et le traitement requis en orthophonie sont justifiés, mais qu’il ne voit pas la possibilité d’imputer à l’accident la thérapie orthodontique, la thérapie implantaire et la thérapie parodontale.
[15] Le 25 mars 2010, la CSST entérine cet avis et déclare que le traitement de la dent 22 est justifié ainsi que la consultation et le traitement en orthophonie. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où la présente contestation.
[16] Le 12 mai 2010, le docteur Dumas produit un rapport médical dans lequel il explique qu’il est nécessaire de procéder à la pose d’un implant des dents 15 et 16 (côté droit) étant donné que le travailleur ne se sent pas à l’aise de mastiquer du côté gauche parce qu’il est maintenant engourdi de ce côté. Il précise que la proprioception est importante lors de la mastication et que le travailleur est désavantagé par la paresthésie dont il souffre.
[17] Le 14 octobre 2010, la CSST conclut qu’il y a une relation entre le diagnostic de paresthésie et l’accident du travail.
[18] Le 15 juin 2011, la docteure Mercier écrit que le travailleur a de la difficulté à mastiquer du côté gauche étant donné la paresthésie qu’il éprouve à ce niveau. Elle ajoute que la condition parodontale des dents postérieures du quadrant 2 s’est détériorée depuis l’accident; le travailleur ne détectant pas les problèmes à leur début.
[19] Elle ajoute que :
Vu cette situation, il est recommandé au patient de mastiquer de l’autre côté. Étant donné l’absence des dents #15 et #16, il se trouve impossible de mastiquer à droite. C’est la raison pour laquelle nous recommandons toujours la mise en place d’implant en position #15 et #16 (vue la présence de dents saines de part et d’autre de l’espace édentée) pour permettre un bon processus de digestion.
[20] Le travailleur témoigne à l’audience qu’il souffre de paresthésie. Il ne sent pas ses gencives, sa lèvre supérieure et sa paupière du côté gauche. Il ne peut mastiquer du côté droit étant donné les dents manquantes, mais lors qu’il tente de mastiquer du côté gauche, il se blesse sans s’en rendre compte.
L’AVIS DES MEMBRES
[21] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête du travailleur puisque, selon eux, la preuve prépondérante démontre que la pose d’implants est nécessaire et est en lien avec la lésion professionnelle étant donné la paresthésie du côté gauche dont souffre le travailleur et qui rend difficile, voire impossible, la mastication de ce côté.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[22] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais de soins et de pose d’implants des dents 15 et 16.
[23] Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son étant en vertu de l’article 188 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]. Cet article se lit ainsi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
[24] Cette assistance médicale comprend, entre autres, les frais dentaires et les prothèses selon l’article 189 de la loi.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[25] Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Thibault et Domtar inc. Division E.B. Eddy[2], la pose d’implants est visée par le premier alinéa de l’article 189. La juge administratif Marie Langlois s’exprime ainsi :
[20] En l’espèce, le tribunal considère que les traitements dentaires, y compris la pose d’implants, sont visés par le premier alinéa de l’article 189, soit les services des professionnels de la santé dont les dentistes font partie au sens de la Loi sur l’assurance-maladie2. Ces traitements constituent de l’assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur lorsque cette assistance répond aux deux conditions énoncées à l’article 188, soit que le travailleur a subi une lésion professionnelle et que l’assistance médicale réclamée est requise par son état de santé en raison de sa lésion professionnelle.
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2 L.R.Q., c. A-29
[26] Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante démontre que la pose d’implants aux dents 15 et 16 est nécessaire et est en lien avec la lésion professionnelle du 9 juin 2008.
[27] En effet, la CSST reconnaît que la paresthésie du côté gauche dont souffre le travailleur est en lien avec l’évènement d’origine. Or, étant donné cette paresthésie, le travailleur se blesse lorsqu’il tente de mastiquer. Il se voit donc dans l’obligation de mastiquer du côté droit, mais étant donné l’absence des dents 15 et 16, cela lui est aussi impossible.
[28] Tant les docteurs Mercier que Dumas sont d’avis que la pose d’implants est nécessaire étant donné que le travailleur n’est pas à l’aise de mastiquer du côté gauche, puisqu’il est maintenant engourdi de ce côté et qu’il ne peut mastiquer du côté droit vu l’absence des dents 15 et 16.
[29] Le docteur St-Louis estime que la pose d’implants est une façon de parvenir au rétablissement de l’harmonie occlusale telle qu’elle était présente au moment de l’évènement, mais ne privilégie pas cette approche parce qu’elle chercherait à corriger une condition personnelle, soit l’absence des dents 15 et 16 absentes au moment de l’évènement.
[30] Or, comme l’écrit la docteure Mercier :
Même si les dents de ce côté étaient absentes avant l’accident le patient n’avait pas de problème d’occlusion comme en ce moment. En lien avec ce point, le patient s’était donc habitué au fil des ans à manger du côté gauche seulement. Mais voilà maintenant avec son degré de paresthésie du côté gauche, monsieur Mercier nous parle d’un inconfort lors de la mastication.
[31] Le docteur Labelle écrit que les dents sont manquantes depuis plus de dix ans et ne sont pas le fait de l’accident. Il ajoute qu’il ne doit pas y avoir enrichissement de la personne du fait de l’évènement.
[32] Le tribunal s’étonne de cette dernière affirmation. Il aurait été préférable que le docteur Labelle s’en tienne à ce que la loi lui demande, soit de donner son avis conformément à l’article 221 de la loi :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[33] À tout évènement, le tribunal estime que la pose d’implants aux dents 15 et 16, dents manquantes avant l’accident du travail du 9 juin 2008, est rendue nécessaire à cause de cet évènement qui a causé une paresthésie empêchant le travailleur de mastiquer adéquatement du côté gauche. La façon de remédier à cette difficulté découlant de la lésion professionnelle est de procéder à la pose d’implants du côté droit.
[34] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur a droit au remboursement des frais de soins et de pose d’implants des dents 15 et 16.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Denis Mercier, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 avril 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais de soins et de pose d’implants des dents 15 et 16.
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Suzanne Séguin |
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Me Brian Beauchamp |
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Représentant de la partie requérante |
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