Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 21 mars 2005

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

223528-05-0312

 

Dossier CSST :

118247964

 

Commissaire :

Me Micheline Allard

 

Membres :

Émile Provencher, associations d’employeurs

 

Pierre Guertin, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Muguette Dagenais, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Stéphane Michaud

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Plastiques TPI inc. (Les)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 19 décembre 2003, monsieur Stéphane Michaud (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 septembre 2003 donnant suite à l’avis du Comité spécial des présidents formé en vertu de l’article 231 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare que le travailleur n’est pas porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[3]                L’audience s’est tenue le 9 novembre 2004 à Sherbrooke en présence du travailleur. Madame Chantal Dugas était présente pour Les Plastiques TPI inc. (l’employeur).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande de reconnaître que l’asthme dont il est porteur constitue une maladie professionnelle.

LA PREUVE

[5]                Le travailleur est né en 1968. À compter de 1990, il exerce un emploi de préposé à l’équipement au département de la peinture chez l’employeur.

[6]                Le 19 octobre 1995, il consulte à l’urgence du Centre hospitalier Hôtel-Dieu de Sherbrooke. Les diagnostics de bronchite asthmatique et de sinusite sont posés. Des antibiotiques sont prescrits et il lui est recommandé de cesser de fumer.

[7]                Le 19 avril 1998, il consulte pour des difficultés respiratoires. Les diagnostics sont un bronchospasme et une sinusite. On lui prescrit du Ventolin.

[8]                Le 5 janvier 1999, la Dre Carole Bernier, médecin du travailleur, indique qu’il est porteur d’asthme objectivé par des tests de réactivité bronchique. Elle note que cette condition est bien contrôlée avec du Serevent et du Flovent, mais que les symptômes augmentent lorsque le travailleur est exposé aux vapeurs de peinture au travail.

[9]                Au début mars 1999, le travailleur est investigué au Centre universitaire de santé de l’Estrie (CUSE). L’épreuve de provocation bronchique à la méthacoline montre une hyperréactivité bronchique modérée. Les tests de fonction respiratoire révèlent un discret syndrome obstructif localisé au niveau des voies aériennes périphériques.

[10]           Les notes de consultation de la Dre Bernier de mars 1999 sont à l’effet que le travailleur est investigué pour asthme et que ses symptômes ont diminué depuis son arrêt de travail.

[11]           Le 4 août 1999, la Dre Bernier note une augmentation de symptômes depuis le retour au travail.

[12]           Le 3 septembre 1999, le Dr Pierre Larivée, pneumologue, voit le travailleur en consultation à la demande de la Dre Bernier. Il confirme le diagnostic d’asthme et suggère de maintenir la prise de Flovent et de Serevent. Il recommande l’arrêt du tabagisme.

[13]           En février 2000, le travailleur est hospitalisé 48 heures à l’urgence du CUSE par le Dr Larivée dont le diagnostic est un asthme décompensé sur infection bronchique.

[14]           En juin 2000, le travailleur présente une réclamation à la CSST en alléguant être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[15]           Le 11 janvier 2002, il est évalué par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Sherbrooke formé des Drs Raymond Bégin, Robert Boileau et Pierre Larivée, pneumologues.

[16]           Dans un rapport préliminaire du 16 janvier 2002, le Comité s’exprime ainsi au sujet des symptômes respiratoires du travailleur :

[…]

 

Ses problèmes ont débuté vers 1998 sous forme d’asthme pour lequel il prenait un bronchodilatateur et présentait alors principalement de l’essoufflement.

 

En 1999, il a présenté une bronchite asthmatique pour laquelle il a été hospitalisé durant une semaine à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke et une CP20 était alors anormale à 3.5.

 

Présentement il est en arrêt de travail depuis 1999. Il prend Flovent 250 mg 4 fois par jour, Serevent 25 mg 4 fois par jour, Ventolin au besoin.

 

 

[17]           Le Comité en vient à la conclusion suivante :

[…]

 

Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke considère qu’il n’a pas en main les éléments pour établir le diagnostic d’asthme professionnel. Le comité souhaite obtenir une enquête industrielle par la CSST afin d’évaluer la présence de substances sensibilisantes dans le milieu de travail de ce réclamant, à savoir s’il y a utilisation d’isocyanates dans le milieu de travail du réclamant dans les peintures, ce qui ne semble pas présent dans nos fiches signalétiques fournies par la compagnie. Le comité souhaite connaître s’il y a production de matériel plastique et sur quelle base  dans cette usine. Également, le comité souhaiterait obtenir une histoire occupationnelle du réclamant dans son travail à la compagnie Les Plastiques TPI Inc., sur les bases des fiches d’emploi de l’employeur.

 

Finalement, le réclamant dit avoir fait de la peinture en jet avec un durcisseur pendant quatre ans et avoir été exposé au surplus pendant quatre autres années auprès d’autres travailleurs qui faisaient de la peinture en jet avec un durcisseur. Nous souhaitons obtenir spécifiquement l’identification de produits de peinture utilisés au cours de ces années ainsi qu’un décapant du nom de « polystripo ».

 

Lorsque ces informations seront fournies au dossier, le comité des maladies pulmonaires professionnelles sera en mesure d’émettre un avis final sur la réclamation de monsieur Stéphane Michaud.

 

[…]

 

[18]           Dans un avis complémentaire du 29 novembre 2002, le Comité indique :

[…]

 

Le comité revoit aujourd’hui les informations concernant l’enquête industrielle sur l’exposition de ce réclamant au travail et il nous apparaît évident qu’il y a plusieurs sensibilisants potentiels dans cette usine de plastique dont en particulier les résines de polyéthylène et vraisemblablement également les durcisseurs utilisés dans les assemblages avec fibre de verre.

 

Compte tenu que le patient est un asthmatique et que cet asthme a débuté au moment où il travaillait pour la compagnie Les Plastiques TPI Inc. de Coaticook, le comité recommande de procéder avec des tests de provocation spécifique en usine selon le protocole habituel. Le comité reverra donc le dossier de ce réclamant lorsque les tests de provocation spécifique en usine seront réalisés.

 

[…]

 

[19]           Dans un second avis complémentaire du 18 décembre 2002, le Comité mentionne :

[…]

 

Le comité a reçu de l’information en provenance de madame Nancy Faucher du bureau local de la CSST concernant ce réclamant. Il semblerait que monsieur Michaud a des relations de travail plutôt difficiles chez son employeur.

 

Il est clair que les produits sensibilisants utilisés sont les résines de polyéthylène ainsi que les peintures utilisées dans les réservoirs. Comme il s’agit d’un travail occasionnel que le réclamant faisait, le retour en milieu de travail avec tests de bronchoprovocation spécifique ne semble pas le meilleur choix pour évaluer s’il y a présence d’un asthme professionnel chez ce réclamant.

 

Le réclamant est donc référé à la clinique d’asthme professionnel de l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal pour des tests de provocation spécifique en laboratoire aux produits utilisés en usine, soit les peintures et les résines de la compagnie Les Plastiques TPI Inc. de Coaticook.

 

Le comité reverra le dossier de ce réclamant après que les tests de provocation en laboratoire aient été produits.

 

[…]

 

[20]           Par lettre du 20 juin 2003, la Dre Manon Labrecque, pneumologue à la Clinique d’asthme professionnel de l’Hôpital du Sacré-Cœur, informe le Comité qu’il a été impossible d’effectuer des tests de provocation spécifique en laboratoire puisque le travailleur n’arrivait pas à maintenir un VEMS stable. Elle indique avoir noté des symptômes pouvant être compatibles avec de l’hyperventilation.

[21]           Dans un dernier avis du 18 juillet 2003, le Comité émet l’opinion suivante :

[…]

 

Le comité considère que le réclamant présente certainement un certain degré d’hyperréactivité bronchique. Le patient a un tabagisme significatif également et les tests de provocation spécifique ne sont pas réalisables ni au laboratoire ni en usine. Le comité est donc dans l’impossibilité d’établir chez ce réclamant la présence d’une maladie professionnelle.

 

1)    Déficit anatomo-physiologique : aucun.

2)    Limitations fonctionnelles : aucunes.

3)    Tolérance aux contaminants : compte tenu de l’asthme, le réclamant ne devrait pas être exposé aux irritants non spécifiques.

4)    Réévaluation : non nécessaire.

 

[…]

 

[22]           Le 4 septembre 2003, le Comité spécial des présidents composé des Drs Marc Desmeules, Jean-Jacques Gauthier et Gaston Ostiguy, pneumologues, entérinent les conclusions du Comité.

[23]           Témoignant à l’audience, le travailleur déclare que son travail de préposé au département de la peinture chez l’employeur consistait à préparer, installer, entretenir et nettoyer l’équipement de production pour trente employés.

[24]           Il relate qu’il nettoyait les cabines semi-fermées, les résevoirs, les fusils et les moules, notamment au moyen d’un décapant polystripo pour enlever les résidus de peinture. Il préparait et mélangeait la peinture pour les réservoirs.

[25]           Il n’a jamais connu de problèmes d’asthme avant de travailler chez l’employeur. Ceux-ci ont débuté vers 1995.

[26]           Relativement aux tests à l’Hôpital du Sacré-Cœur, le travailleur explique qu’il ne connaissait pas l’environnement, qu’il a eu de la difficulté à trouver l’hôpital et le laboratoire et qu’il y est arrivé essoufflé. En outre, il était stressé lors des tests effectués dans un endroit fermé et il était incapable d’expirer comme on le lui demandait.

[27]           Madame Chantal Dugas, coordonnatrice aux ressources humaines chez l’employeur, réfère la Commission des lésions professionnelles au contenu du dossier, plus précisément au rapport d’absence du travailleur pour l’année 1999.

L’AVIS DES MEMBRES

[28]           Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie. Ils considèrent en effet que le travailleur bénéficie de la présomption de maladie professionnelle prévue à la loi puisqu’il est atteint d’asthme et qu’il a été exposé à des agents spécifiques sensibilisants dans son travail chez l’employeur. Ils estiment de plus qu’aucune preuve ne permet de renverser cette présomption, de sorte que le travailleur doit être reconnu porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[29]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’asthme dont le travailleur est porteur constitue une maladie professionnelle.

[30]           L’article 2 de la loi définit ainsi la maladie professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[31]           Les articles 29 et 30 de la loi déterminent le fardeau de preuve applicable :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[32]           Suivant l’article 29 et l’annexe I de la loi, un travailleur qui souffre d’asthme bronchique et qui a effectué un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant est présumé atteint d’une maladie professionnelle.

[33]           Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur bénéficie de la présomption de maladie professionnelle.

[34]           D’une part, le travailleur est atteint d’asthme. Ce diagnostic a été posé par le médecin du travailleur et confirmé par le pneumologue consultant de même que par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et le Comité spécial des présidents.

[35]           D’autre part, le travailleur a été exposé à des agents spécifiques sensibilisants au cours de son travail de préposé au département de peinture exercé pendant dix ans chez l’employeur. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles retient du témoignage du travailleur que son travail comportait une exposition courante aux produits sensibilisants ciblés par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires dans son avis du 18 décembre 2002, à savoir les résines de polyéthylène et les peintures dans les réservoirs. Le travailleur a en effet indiqué que l’une de ses tâches consistait à préparer et mélanger les peintures dans ces contenants, de même qu’à les nettoyer après usage.

[36]           Il convient de préciser qu’au stade de l’application de la présomption, les tests en usine ou en laboratoire ne sont pas requis. Il suffit que les deux conditions donnant ouverture à la présomption, en l’espèce l’asthme et l’exposition à des agents spécifiques sensibilisants, soient prouvées, ce qui est le cas.

[37]           La Commission des lésions professionnelles tient tout de même à souligner que le travailleur a fourni une explication satisfaisante sur la manifestation d’une hyperventilation rendant impossible l’exécution de tests en laboratoire.

[38]           L’employeur pouvait renverser la présomption en démontrant que l’asthme du travailleur n’est pas relié à son travail de préposé au département de peinture à son établissement.

[39]           Or, il n’a pas offert de preuve à cet effet.

[40]           Il est vrai que le travailleur a cessé de travailler à compter du 20 janvier 1999 ainsi qu’il appert à son rapport d’absence produit au dossier.

[41]           Par ailleurs, cet élément ne permet pas le renversement de la présomption puisque l’asthme a été diagnostiqué chez le travailleur dès 1995.

[42]           L’asthme dont le travailleur est porteur est donc une maladie pulmonaire.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Stéphane Michaud;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 novembre 2003 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’asthme dont est porteur le travailleur constitue une maladie professionnelle;

DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues par la loi

 

 

__________________________________

 

Micheline Allard

 

Commissaire

 

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

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