Décision

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Gabarit EDJ

Barabé c. Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)

2012 QCCS 2372

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

 

 

N° :

540-17-003624-094

 

 

 

DATE :

 30 mai 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LINE BARABÉ

Demanderesse

c.

LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (CSST)

et

LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES (CLP)

Défenderesses

et

ANNABEL CANADA INC.

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Le litige

[1]           La demanderesse se pourvoit en révision judiciaire de trois (3) décisions de la Commission des lésions professionnelles («CLP») rendues les 2 juillet 2002 (CLP-1), 5 février 2003 (CLP-2) et 3 septembre 2009 (CLP-3).

Les faits

[2]           Lundi, le 30 octobre 2000, la demanderesse informe son employeur, la mise en cause Annabel Canada Inc., qu'elle a subi une lésion professionnelle dans la soirée du 27 octobre 2000.[1]

[3]           Elle décrit comme suit l'événement dans cet avis:

« En poussant une boîte de matériel, une roue a bloquée (sic) dans un trou, causant un choc dans le coup (sic). Un dérangement cervicale (sic) est apparu.»

[4]           Le 30 novembre 2000, la Commission de la santé et de la sécurité du travail («CSST») accepte la réclamation pour une cervico dorsalgie.[2]

[5]           Suite à la réception d'un rapport médical mentionnant deux (2) nouveaux diagnostics, la CSST conclut, le 18 décembre 2000, qu'il y a une relation entre la myalgie du trapèze droit et l'événement du 27 octobre 2000, mais refuse le diagnostic de la capsulite du coude gauche, car elle était existante avant l'accident.[3]

[6]           Le 22 décembre 2000, l'employeur demande la révision de la décision rendue le 30 novembre 2000.

[7]           À la même date, la demanderesse conteste le refus du diagnostic de la capsulite et demande une révision administrative. Le 22 mai 2001, la CSST rejette les contestations et confirme la décision du 18 décembre 2000.[4]

[8]           La demanderesse et l'employeur contestent cette décision devant la CLP.

[9]           Les 30 avril et 6 juin 2002, une audience a lieu devant la commissaire Me Francine Mercure de la CLP. La demanderesse est représentée par Denis Faucher du syndicat SCFP, alors que l'employeur est représenté par Me Richard Ledoux.

[10]        Dix (10) témoins sont entendus, dont la demanderesse.[5]

[11]        Le 2 juillet 2002, la CLP accueille la contestation de l'employeur, infirme la décision de la CSST rendue le 22 mai 2001 et décide que la demanderesse n'a pas été victime d'un accident de travail le 27 octobre 2000.

[12]        La CLP déclare, de plus, sans objet la contestation de la demanderesse quant au refus de la CSST d'accepter le diagnostic de capsulite du coude gauche, considérant le refus de la reconnaissance de la survenance d'un accident de travail le 27 octobre 2000.

[13]        La CSST cesse de verser des indemnités à la demanderesse, celle-ci n'étant pas admissible aux avantages de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP).[6]

[14]        Le 12 juillet 2002, la demanderesse est congédiée par l'employeur au motif que la demanderesse a fait une fausse déclaration, puisqu'elle avait déclaré à Shirley Asselin «non pas que vous vous soyez blessé(sic) au travail mais plutôt lors de la fin de semaine précédente, en procédant à un changement de pneu».[7]

[15]        L'employeur lui reproche d'avoir simulé un accident de travail dans le but de recevoir des indemnités de remplacement de revenus de la CSST, qu'elle a touchées durant près de 20 mois.

[16]        Le 5 août 2002, la demanderesse dépose un grief à l'encontre du congédiement.[8]

[17]        Le 22 août 2002, le représentant de la demanderesse demande la révision de la décision CLP-1 du 2 juillet 2002.[9]

[18]        Le 5 février 2003, la commissaire Marie Beaudoin rejette la demande de révision: c'est la décision CLP-2.

[19]        Le 13 juin 2003, l'arbitre de grief Me Richard Marcheterre accueille le grief et annule le congédiement au motif que le congédiement n'avait pas été imposé dans le délai prévu à l'article 10.07 de la convention collective.[10]

[20]        Le 2 juillet 2003, la demanderesse transmet une nouvelle demande de révision à la CLP qui répond qu'elle ne peut traiter cette requête «fondée sur les mêmes motifs qui font l'objet de la décision CLP-2 rendue le 5 février 2003».[11]

[21]        Le 30 juin 2005, la demanderesse dépose une requête introductive d'instance devant la Cour supérieure, district de Laval et réclame de l'Union-Vie Assurance («Union-Vie») et du syndicat SCFP, Section locale 720, la somme de 71 400 $ en vertu du contrat d'assurance collective.[12]

[22]        Elle invoque alors un diagnostic de fibromyalgie, soit une nouvelle pathologie qu'elle décrit: «il s'agissait plutôt d'une condition personnelle associée à un diagnostic de fibromyalgie».[13]

[23]        Elle réclame aussi une somme de 25 000 $ au syndicat pour l'avoir mal représentée devant la CLP, ainsi que dans son dossier de congédiement.

[24]        L'employeur est mis en cause, mais il n'y a aucune conclusion à son égard.

[25]        Aux paragraphes 1 à 4 de sa requête, la demanderesse allègue avoir subi un accident de travail le 27 octobre 2000 et ajoute qu'elle a perdu sa cause devant la CLP «puisque cette dernière était mal représentée par son syndicat».

[26]        Le 12 septembre 2005, la demanderesse se désiste de sa poursuite à l'égard de son employeur.[14]

[27]        En janvier 2006, la demanderesse dépose une déclaration de règlement hors cour entre elle et le syndicat SCFP.[15]

[28]        Dans son plaidoyer du 29 mars 2006, Union-Vie invoque les aveux de la demanderesse qu'elle a eu un accident de travail le 27 octobre 2000 dans le cadre de ses fonctions et qu'elle n'assure pas l'invalidité découlant d'un accident de travail. Elle demande donc le rejet de la poursuite.

[29]        Le juge Jacques R. Fournier, alors à la Cour supérieure, rend jugement le 17 juin 2008 et rejette l'action de la demanderesse sans frais. Voici ce qu'il écrit:[16]

« [26]   Les deux médecins concluent que la fibromyalgie est une suite du traumatisme du 27 octobre 2000. C'est un fait non contredit.

[27]   La seule conclusion possible est donc que le mal dont souffre la demanderesse est une suite de l'accident du 27 octobre 2000.

[28]   Il n'y a pas lieu d'alourdir les difficultés de la demanderesse dont l'indigence est une conséquence d'un accident de travail selon ce que révèle la preuve produite au présent dossier. Il n'y aura pas de frais d'adjugés.»

[30]        Le 2 juillet 2008, la demanderesse dépose une nouvelle réclamation auprès de la CSST pour une récidive, rechute ou aggravation (RRA) et produit les deux (2) expertises qui avaient été déposées devant la Cour supérieure et le jugement de la Cour supérieure du 17 juin 2008.[17]

[31]        Cette réclamation est successivement rejetée par la CSST le 23 juillet 2008[18] et par la DRA, soit la Décision de la révision administrative, le 17 décembre 2008[19].

[32]        La demanderesse conteste cette décision devant la CLP.[20]

[33]        Le 24 juillet 2009, la CLP entend la demanderesse qui lui demande de réviser la décision CLP-1 rendue le 2 juillet 2002 au motif que le jugement de la Cour supérieure constitue un fait nouveau.

[34]        Le commissaire Daniel Martin («Martin») informe l'employeur le 27 juillet 2009 et la CSST les 24 et 28 juillet 2009 de la demande de révision.[21]

[35]        Le 12 août 2009, l'employeur écrit à la CLP et demande le rejet et la fermeture définitive du dossier.[22]

[36]        Le 3 septembre 2009, le commissaire Martin rend la décision CLP-3 et rejette la requête en révision de la demanderesse.[23]

[37]        Le 2 octobre 2009, la demanderesse dépose sa requête en révision judiciaire et demande de corriger la décision CLP-3 du 3 septembre 2009 et d'ordonner à la CSST et à la CLP de reconnaître qu'elle a été victime d'un accident de travail le 17 octobre 2000.

[38]        Le 10 juin 2010, l'audition sur cette requête en révision judiciaire débute devant le juge Robert Castiglio qui la reporte sine die pour permettre à la demanderesse de l'amender[24] pour ajouter à sa requête la révision des décisions CLP-1 ET CLP-2, ce que la demanderesse fait le 12 janvier 2011.

[39]        Le 31 mars 2011, la CSST signifie un avis de dénonciation de moyens d'irrecevabilité pour le motif qu'il y au moins neuf (9) ans entre la requête amendée et les décisions CLP-1 et CLP-2.

La position des parties

A)        La demanderesse

[40]        La CSST et la CLP doivent se conformer au jugement de la Cour supérieure et prendre en considération cet élément nouveau: elles sont liées par ce jugement.

[41]        En refusant d'entendre les témoins Claude Roy et Shirley Asselin, la CLP-2 n'a pas respecté la règle audi alteram partem.

[42]        La demanderesse a toujours agi dans un délai raisonnable.

[43]        La demanderesse subit une injustice flagrante puisqu'elle se voit refuser une indemnisation, tant par l'assureur Union-Vie que par la CSST, pour son accident de travail du 27 octobre 2000.

B)        La CSST

[44]        Le jugement de la Cour supérieure n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard de la CSST et de la CLP.

[45]        Le jugement de la Cour supérieure n'aborde pas la question de l'autorité de la chose jugée découlant des décisions CLP-1 et CLP-2.

[46]        Les décisions CLP-1 et CLP-2 ont l'autorité de la chose jugée.

[47]        La CSST n'avait pas à demander la rétractation du jugement rendu par la Cour supérieure.

[48]        En révision judiciaire, la Cour supérieure ne peut «corriger» les décisions rendues par un tribunal administratif agissant dans l'exercice de sa compétence exclusive.

[49]        La requête amendée du 12 janvier 2011 visant la révision des décisions CLP-1 et CLP-2 est hors délai.

[50]        La norme de la décision raisonnable doit s'appliquer sur le fond du litige.

[51]        Si la règle audi alteram partem n'est pas respectée, la norme de la décision correcte s'applique, tout en ajoutant qu'une telle erreur n'est pas démontrée.

 

 

 

C)        La CLP

[52]        La norme de la décision raisonnable s'applique.

[53]        La demanderesse n'a pas demandé la remise de l'audition devant la CLP-1 pour faire entendre deux (2) témoins, de sorte que la règle audi alteram partem n'a pas été violée: il s'agit d'un nouvel argument présenté en révision judiciaire.

[54]        La révision judiciaire n'est pas le forum pour bonifier sa preuve ou changer sa stratégie.

Les décisions en cause

1-         CLP-1 - Décision du 2 juillet 2002

[55]        La question en litige devant la CLP est de décider si la demanderesse a été victime d'un accident de travail le 27 octobre 2000 et si le diagnostic de capsulite du coude gauche était en relation avec cet accident de travail.

[56]        La CLP énonce, dans un premier temps, que la demanderesse ne satisfait pas aux conditions de l'article 28 de la LATMP. Le tribunal considère que les diagnostics posés de façon contemporaine à l'événement du 27 octobre 2000, soit dérangement intervertébral mineur cervicodorsal et certicodorsalgie, ne sont pas des blessures donnant ouverture à la présomption de lésion professionnelle. Par ailleurs, selon la CLP, la preuve ne démontre pas que la lésion serait survenue sur les lieux du travail alors que la demanderesse était à son travail.

[57]        La CLP retient aussi que la demanderesse n'a pas fait la démonstration prépondérante qu'elle a subi un accident de travail au sens de la LATMP. Le tribunal considère que la crédibilité de la demanderesse est mise en doute par la preuve qui lui a été présentée, soit notamment des témoignages, des rapports de filature et des vidéos déposés par l'employeur.

2-         CLP-2 - Décision du 5 février 2003

[58]        La demanderesse demande la révision de la décision CLP-1, alléguant des erreurs de fait et de droit manifestes et déterminantes. Elle prétend également qu'un fait nouveau a été découvert, soit qu'un témoin important a été retracé, ce qui pourrait amener une conclusion différente du tribunal.

[59]        La demanderesse soumet, au surplus, qu'un des témoignages est en partie basé sur du ouï-dire. Elle allègue aussi que la CLP ajoute à la loi en laissant croire que la demanderesse a perdu son droit aux prestations prévues par la loi en ne dénonçant pas l'événement le jour même.

[60]        La CLP siégeant en révision judiciaire considère que la demanderesse désire obtenir une nouvelle appréciation de la preuve. Le tribunal souligne que le ouï-dire est un moyen de preuve admissible devant les tribunaux administratifs et que le témoignage est l'un des éléments que la CLP avait pour analyser la crédibilité de la demanderesse. Par ailleurs, les conclusions de CLP-1 sont loin d'être fondées exclusivement sur cet élément. La CLP rejette aussi l'argument fondé sur l'ajout à la LATMP, puisque le délai de déclaration de l'événement du 27 octobre 2000 n'a été qu'un indice utilisé par le tribunal pour évaluer la vraisemblance de la survenance de l'événement.

[61]        Quant au fait nouveau, en l'espèce un nouveau témoin, la CLP indique que la demanderesse n'a pas démontré que le témoin n'était pas disponible au moment de l'audience devant CLP-1. Par ailleurs, le témoignage de ce dernier n'aurait pas eu un effet déterminant sur l'issue du litige en considérant le résumé du témoignage que celui-ci aurait rendu selon un affidavit de celui-ci et qui est reproduit dans la décision CLP-2.

3-         CLP-3 - Décision du 3 septembre 2009

[62]        La demanderesse demande de nouveau la révision de la décision du 2 juillet 2002 à la suite d'un jugement rendu par la Cour supérieure le 17 juin 2008. Dans cette décision, la Cour supérieure rejette la demande de la demanderesse qui voulait obtenir des prestations d'assurance invalidité. Le juge Jacques R. Fournier affirme que la situation dans laquelle se trouve la demanderesse est une conséquence d'un «accident de travail» subi le 27 octobre 2000, risque exclu de la convention d'assurance.

[63]        La demanderesse prétend que le jugement constitue un fait nouveau donnant ouverture à la décision du 2 juillet 2002.

[64]        Elle présente parallèlement une requête pour une récidive, rechute et aggravation de l'événement du 27 octobre 2000.

[65]        La CLP considère que le jugement de la Cour supérieure ne constitue pas un fait nouveau déterminant sur le sort du litige. Il a été rendu dans le cadre d'un recours exercé par la demanderesse pour recevoir des prestations d'assurance invalidité et les commentaires du juge de la Cour supérieure sur l'existence d'un accident de travail ne sauraient lier la CLP.

[66]        Quant à la réclamation de la demanderesse pour une récidive, rechute ou aggravation, compte tenu qu'elle n'a pas été victime d'une lésion professionnelle le 27 octobre 2000, elle ne peut être acceptée.

 

 

 

 

Les questions en litige

[67]        Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes:

A-        Le moyen d'irrecevabilité de la CSST quant aux décisions CLP-1 et CLP-2.

B-        La norme de contrôle.

C-        La raisonnabilité des décisions.

Analyse

A-        Le moyen d'irrecevabilité de la CSST quant aux décisions CLP-1 et CLP-2

[68]        L'article 835.1 C.p.c. stipule qu'une requête en révision judiciaire doit être signifiée dans un délai raisonnable:

835.1. La requête doit être signifiée dans un délai raisonnable à partir du jugement, de l'ordonnance, de la décision, de la procédure attaquée ou du fait ou de l'événement qui donne ouverture au recours.

[69]        La jurisprudence établit clairement qu'un délai de trente (30) jours est habituellement retenu par les tribunaux, comme le rappelle la Cour d'appel dans Bruni:[25]

« [18]        Aux paragraphes 61 à 66 de la défense qu'elle produit le 20 décembre 2007, l'intimée allègue l'irrecevabilité de la demande de révision judiciaire, et ce, pour cause de tardiveté. L'intimée soutient que la requête en révision n'a pas été déposée dans un délai raisonnable, ainsi que l'exige l'article 835.1 C.p.c., mais bien 129 jours après la date de la décision attaquée. Cela dépasse, et de loin, le délai de 30 jours usuellement prescrit par les tribunaux.

[…]

[46]        La juge a eu raison également de statuer, par contraste, que le délai d'un peu plus de 90 jours entre la seconde décision de l'intimée, le 5 février 2008, et la demande de révision judiciaire (par voie d'amendement à la requête initiale, le 6 mai 2008) était, cette fois, déraisonnable.

[…]

[48]        Bref, l'appelant n'a pas fait diligence, ce manque de diligence est fatal à sa prétention et la juge de première instance, en statuant comme elle l'a fait dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, n'a pas erré. Le délai qui s'est écoulé entre le 5 février 2008, date de la décision de l'intimée, et le 6 mai, date de la demande de révision judiciaire de cette décision, est déraisonnable au sens de l'article 835.1 C.p.c.»

[70]        La demanderesse allègue avoir amendé sa requête le 18 janvier 2011 pour demander également la révision des décisions du 2 juillet 2002 - CLP-1 et du 5 février 2002 - CLP-2 à la suggestion du juge Robert Castiglio.

[71]        Le juge Castiglio, voyant que ces décisions de base n'étaient pas attaquées dans la requête en révision judiciaire du 30 septembre 2009, a eu raison de faire cette suggestion, tout en se gardant bien de se prononcer sur la recevabilité de cette demande de révision et en ajoutant: «je ne vous dis pas que vous n'avez pas une côte à remonter en terme de délai raisonnable».[26]

[72]        Cette suggestion ne constitue pas un motif pour expliquer le retard indu de la demanderesse: un délai de presque huit (8) ans s'écoule entre la décision CLP-2 et la requête de janvier 2011, alors que plus de huit (8) ans s'écoulent entre la décision CLP-1 et la requête.

[73]        Ce délai est nettement déraisonnable.

[74]        Le dossier démontre que parallèlement à son recours devant la CSST et la CLP, la demanderesse tente d'être indemnisée par l'assureur Union-Vie, et ce, peu après son congédiement qui intervient après la décision CLP-1 du 2 juillet 2002.[27]

[75]        La demanderesse, au lieu de demander la révision judiciaire des décisions CLP-1 et CLP-2, concentre ses énergies à tenter d'obtenir une indemnité de l'assureur.

[76]        Elle intente son recours contre Union-Vie le 30 juin 2005, plus de deux (2) ans après la décision CLP-2 datée du 5 février 2003.

[77]        La CSST invoque l'arrêt Boucher c. Stelco Inc.[28] de la Cour suprême pour démontrer que la demanderesse, en ne contestant pas les décisions administratives CLP-1 et CLP-2 et en choisissant d'intenter un recours civil en Cour supérieure, fait en sorte que ces deux décisions ont maintenant atteint l'autorité de la chose jugée.

[78]        Dans l'affaire Boucher, les appelants ont intenté un recours civil au Québec contre Stelco Inc. afin d'obtenir des prestations de retraite. Or, le surintendant des régimes de retraite de l'Ontario avait antérieurement décidé et approuvé un rapport de liquidation partielle qui ne prévoit l'octroi d'une pension anticipée qu'aux participants employés de l'Ontario. Ils intentent donc le recours civil au Québec au lieu de contester la décision administrative du surintendant.

[79]        La Cour suprême décide que la décision du surintendant avait atteint l'autorité de la chose jugée, règle qui s'applique non seulement aux décisions des tribunaux judiciaires, mais aussi à celles des tribunaux ou organismes administratifs.

[80]        Voici ce qu'écrit le juge LeBel dans cet arrêt:[29]

«          (…) Je le rappelle, aucune procédure d’appel ou de contrôle judiciaire n’a été engagée en Ontario.  Pour examiner au fond la validité de la demande des appelants, il faudrait maintenant que les tribunaux québécois traitent cette décision comme si elle était déjà inexistante ou invalide ou qu’ils l’annulent eux-mêmes.

 

 

            Dans l’état actuel des procédures, au regard du droit québécois, il s’agit d’un problème de chose jugée.  Les trois identités nécessaires de cause, d’objet et de parties existent.  Les conditions d’application de ce principe sont remplies conformément à l’art. 2848 C.c.Q. et à la jurisprudence (voir Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440 ).  Le surintendant avait compétence pour rendre la décision.  L’action québécoise exige implicitement un nouvel examen de la question du droit aux prestations de retraite que le surintendant a déjà tranchée.  De plus, les appelants étaient parties à la procédure devant le surintendant.  Le contenu du rapport de liquidation et le calcul des prestations leur ont été communiqués et ils pouvaient soulever des objections, s’ils en avaient.  Enfin, la règle de la chose jugée s’applique non seulement aux décisions des tribunaux judiciaires, mais aussi à celles des tribunaux ou organismes administratifs (voir J.-C. Royer, La preuve civile (3e éd. 2003), p. 567-568).  En  l’espèce, le débat principal entre les parties porterait ainsi sur une question déjà tranchée par le surintendant, puisqu’il ne pourrait être fait droit à l’action sans réviser ou annuler la décision de ce dernier. (…)

[…]

(…) La stabilité et le caractère définitif des jugements constituent des objectifs fondamentaux et des conditions de l’efficacité de l’action judiciaire comme de l’effectivité des droits des intéressés.  Le droit judiciaire et le droit administratif modernes ont graduellement établi des mécanismes d’appel divers, voire des procédures élaborées de contrôle judiciaire, pour réduire les possibilités d’erreur ou d’injustice.  Encore faut-il que les parties sachent les utiliser à bon escient et en temps opportun.  À défaut, la jurisprudence ne permettra pas, en règle générale, la contestation indirecte d’une décision devenue finale (Ville de Toronto, par. 33-34), que la juge Arbour assimilait d’ailleurs à une forme d’abus de procédure (par. 34) (voir aussi : Québec (Procureur général) c. Laroche, [2002] 3 R.C.S. 708 , 2002 CSC 72 , par. 73-76).  En l’espèce, le type de recours exercé par les appelants emportait nécessairement la contestation indirecte inadmissible de la décision du surintendant, comme le montre d’ailleurs l’analyse relative à l’autorité de la chose jugée.  En conséquence, le recours était irrecevable.»

[81]        Le moyen d'irrecevabilité soulevé par la CSST est bien fondé à l'égard des décisions CLP-1 et CLP-2.

[82]        En effet, la requête est intentée hors délai, de sorte que les deux (2) décisions ont atteint l'autorité de la chose jugée.

B-        La norme de contrôle

[83]        Depuis l'arrêt Dunsmuir[30], il est reconnu que lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle s'appliquant à la décision attaquée, il n'est pas nécessaire de faire l'analyse relative à cette norme.

[84]        La retenue s'impose habituellement d'emblée aux questions de fait, à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, à la mise en œuvre d'une politique, ainsi que lorsque le droit et les faits et le droit s'entrelacent de façon indissociable.

[85]        Lorsqu'on est en présence de pures questions de droit, l'examen de la jurisprudence amène la Cour suprême à distinguer différents types de questions de droit et à proposer une analyse à trois (3) facteurs pour les situations où la jurisprudence ne fournit pas de réponse satisfaisante à la question de la norme applicable au type de question de droit soumise, soit:

1-         l'existence d'une clause privative;

2-          l'existence d'un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le tribunal administratif possède une expertise spécialisée;

3-          la nature de la question de droit en litige.

[86]        Pour les fins de l'application du troisième facteur, il s'agit de répondre à l'interrogation suivante: la question de droit a-t-elle une importance capitale pour le système juridique et est-elle étrangère au domaine d'expertise du tribunal administratif? Ce dernier critère est très exigeant.

[87]        Dans le cas où, ensemble, ces trois (3) facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, la déférence s'impose.

[88]        La jurisprudence a clairement établi la norme de contrôle qui s'applique aux décisions de la CLP portant sur la reconnaissance d'une lésion professionnelle.

[89]        En l'espèce, la CLP devait analyser les faits pour déterminer si la demanderesse a été victime d'une lésion professionnelle le 27 octobre 2000. L'examen de la notion de lésion professionnelle au sens de la LATMP est donc une question mixte de fait et de droit dans la mesure où l'appréciation d'une telle notion nécessite l'application d'un principe de droit à un ensemble de faits.

[90]        Dans tous les cas, la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

C-        La raisonnabilité des décisions

i)          Les décisions CLP-1 et CLP-2

[91]        Malgré la conclusion relative au moyen d'irrecevabilité, le Tribunal est d'avis que ces deux (2) décisions rencontrent le critère de la raisonnabilité.

[92]        Devant CLP-1, la demanderesse ne demande pas de remise pour faire entendre les deux (2) témoins Claude Roy et Shirley Asselin.

[93]        Ce n'est que dans CLP-2 qu'elle fait la demande de les faire entendre.

[94]        Agissant en révision, la CLP est soumise aux dispositions de la LATMP quant à son pouvoir de révision, tel que prévu à l'article 429.56 qui énonce:

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

1°  lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°  lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3°  lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Restriction.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

[95]        CLP-2 refuse d'entendre ces deux (2) témoins; cependant, elle prend en considération l'affidavit de Claude Roy qui résume l'essentiel du témoignage qu'il aurait rendu.[31]

 

 

[96]        Voici ce que la CLP-2 écrit quant à ce témoin:[32]

« [36]   Le représentant de la travailleuse explique à l'audience que, dès le début de la préparation du dossier (août 2001), monsieur Claude Roy est identifié comme un témoin incontournable. Il a été impossible de le retracer avant l'audience du 30 avril 2002. À cette occasion, la présence essentielle de monsieur C. Roy a été soulevée devant la première commissaire.

[37]   Selon une lettre du 10 mai 2002 déposée à la reprise de l'audience le 6 juin 2002, l'employeur aurait fait des recherches pour retracer monsieur Roy. Ces recherches ont été vaines. Il n'a pas été question du témoignage de monsieur Roy au moment de l'ajournement du 6 juin 2002. L'affaire a été prise en délibéré le 21 juin 2002, date à laquelle la Commission des lésions professionnelles avait en main l'argumentation des deux parties.

[38]   La Commission des lésions professionnelles doit s'en remettre à trois critères pour décider de l'application du premier paragraphe de l'article 429.56 de la loi: la découverte postérieure d'un fait nouveau, la non-disponibilité de cet élément au moment où s'est tenue l'audience initiale et son caractère déterminant sur le sort du litige.

[39]   En l'espèce, il est clair que la travailleuse bien avant le début de la première audience identifie monsieur C. Roy comme témoin potentiel. D'ailleurs, la décision dont on demande la révision nomme monsieur Roy à plus d'une reprise et discute de son implication dans l'événement allégué par la travailleuse. Il ne s'agit donc pas d'un témoin dont on aurait découvert l'existence après l'audience.

[40]   Par ailleurs, la responsabilité d'assigner ce témoin appartient à la travailleuse. C'est elle qui doit fournir une preuve prépondérante qu'il est survenu un événement imprévu et soudain à l'occasion de son travail, ce qui a entraîné les lésions diagnostiquées. Cette preuve elle doit la faire à l'occasion de l'audience sur le fond du litige. Les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Il n'y a donc pas d'autres occasions que celle de l'audience sur le fond du litige pour faire entendre des témoins afin de convaincre la Commission des lésions professionnelles du bien-fondé d'une réclamation.

[41]   Ainsi, si après avoir entendu tous les témoignages le 6 juin 2002, celui de monsieur C. Roy était toujours nécessaire aux yeux de la travailleuse, il lui appartenait d'expliquer la situation à la première commissaire, de lui faire savoir qu'elle poursuivait les démarches pour retracer monsieur Roy, qu'elle était insatisfaite des démarches de l'employeur et de demander un délai pour compléter sa preuve. L'affaire a été prise en délibéré sans que cette demande ait été faite.

[42]   En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d'avis qu'il n'a pas été démontré que ce témoin n'était pas disponible au moment de l'audience initiale.

[43]   Enfin, le témoignage de monsieur Roy aurait-il pu avoir un effet déterminant sur le litige?

[44]   Monsieur C. Roy n'a pas été entendu. Il a toutefois produit un affidavit qui énonce les principaux faits du témoignage qu'il aurait rendu.

[45]   La Commission des lésions professionnelles devait décider si un événement imprévu et soudain était survenu le 27 octobre 2000. La seule personne qui en a été témoin est la travailleuse. Or, la Commission des lésions professionnelles pour des motifs clairement exprimés, ne la croit pas.

[46]   Dans ces circonstances, le témoignage de monsieur Roy, qui affirme ne pas avoir été témoin de l'accident, n'aurait pas pu justifier une décision différente. Au surplus, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que le témoignage de monsieur Roy n'aurait rien changé à l'analyse qu'a fait (sic) cette instance de la crédibilité qu'elle a accordée à la travailleuse. Elle n'aurait rien changé ni à la conclusion retenue par la Commission des lésions professionnelles, selon laquelle la travailleuse a demandé à monsieur Poliquin de témoigner en sa faveur, ni à ce que la filature a permis de constater. En conséquence, ce motif est sans fondement.

[47]   Enfin, la Commission des lésions professionnelles remarque que l'affidavit de monsieur Roy ne corrobore pas certains propos de la travailleuse. Ainsi, il affirme qu'il aurait sorti la boîte du trou alors qu'au paragraphe 16 de la décision dont on demande la révision, on peut lire:

«Elle (la travailleuse) témoigne que monsieur Claude Roy, un nouvel employé qu'elle formait cette journée-là, l'a aidée à déprendre la boîte du trou et qu'elle a elle-même poussé cette boîte avec son dos pour la sortir du trou et a dû forcer pour décoller la boîte du plancher en la poussant avec les deux bras en extension. La travailleuse dit qu'elle a ensuite ressenti de la douleur, mais pensait qu'elle n'était qu'endolorie. Elle ajoute qu'il n'y a pas de témoin de l'événement. Elle finit son quart de travail à 23 heures sans mentionner à son employeur de la survenance de l'événement.»

[48]   Monsieur Roy affirme également que la travailleuse lui a dit qu'elle avait mal dans l'épaule et dans le haut du dos. Or, il n'est pas rapporté dans la décision que la travailleuse aurait parlé de ses douleurs à monsieur Roy le 27 octobre 2000.»

[97]        Ce raisonnement est sans reproche.

[98]        Lorsque la CLP doit décider si un travailleur a été victime d'un accident de travail, elle agit au coeur de son expertise.

[99]        Les conclusions de la CLP dans les deux décisions CLP-1 et CLP-2 sont justifiées, motivées, transparentes et intelligibles et appartiennent aux issues possibles acceptables.

[100]     La CLP n'a aucunement violé la règle audi alteram partem.

[101]     Il y a lieu de noter que la décision CLP-2 est unanime, comme on peut le lire au paragraphe 6:

« [6]  Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis qu'aucun motif justifiant la révocation de la décision rendue le 2 juillet 2002 n'a été démontré. La travailleuse demande une nouvelle appréciation de la preuve étant insatisfaite des conclusions tirées par la Commission des lésions professionnelles. Quant au témoignage de monsieur Roy, ils estiment qu'il ne s'agit pas d'un fait nouveau et, qu'au surplus, considérant l'affidavit déposé au soutien de la présente requête, son témoignage n'aurait pas pu justifier une décision différente.»

[102]     Cela confirme le caractère de raisonnabilité. Le Tribunal fait siens les propos du juge Clément Gascon, alors à la Cour supérieure, dans l'affaire Restaurant L'Étoile de Rigaud:[33]

« [45]   Sur ce point, dans l'arrêt Ambellidis, la Cour d'appel souligne que dans un cas où les deux membres qui assistent la commissaire partagent son avis voulant qu'il y ait lieu de rejeter la demande de révision, cela confirme que des personnes raisonnables et bien informées des faits peuvent en venir à la même conclusion factuelle que le juge décideur de la CLP.»

ii)         La décision CLP-3[34]

[103]     Le 24 juillet 2009, la demanderesse demande à la CLP de réviser la décision CLP-1 du 8 juillet 2002.

[104]     La demanderesse invoque comme fait nouveau, aux termes de l'article 429.56 LATMP cité plus haut, le jugement de la Cour supérieure du 17 juin 2008.

[105]     Le commissaire Daniel Martin rappelle que l'article 429.57 de la loi prévoit qu'une requête en révision doit être déposée dans un délai raisonnable:

429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.

Copie de la requête.

La Commission des lésions professionnelles transmet copie de la requête aux autres parties qui peuvent y répondre, par écrit, dans un délai de 30 jours de sa réception.

Procédure sur dossier.

La Commission des lésions professionnelles procède sur dossier, sauf si l'une des parties demande d'être entendue ou si, de sa propre initiative, elle le juge approprié.

[106]     Le commissaire constate que la requête n'est pas déposée dans un délai raisonnable que la jurisprudence établit à quarante-cinq (45) jours.

[107]     La CLP devait décider si le jugement de la Cour supérieure constituait un fait nouveau.

[108]     Après avoir référé à de la jurisprudence, la CLP répond par la négative:[35]

« [23]   Certes, le jugement rendu par la Cour supérieure est postérieur à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles et n'était pas disponible avant qu'il ne soit rendu. Toutefois, la travailleuse devait démontrer le caractère déterminant de ce fait nouveau.

[24]   Or, ce jugement a été rendu dans le cadre d'un recours exercé par la travailleuse pour des prestations d'assurance invalidité, et ce, à l'encontre de son assureur, L'Union-Vie assurance. Les commentaires du juge de la Cour supérieure qui a rejeté son recours ne sauraient lier le présent tribunal.

[25]   Il importe de souligner que la CSST a compétence exclusive quant à tout aspect qui concerne l'application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, et ce, tel que le prévoit l'article 349 de la loi. Ce principe a été reconnu par la Cour d'appel dans l'affaire Chaput c. S.T.C.U.M. Dans son jugement, la Cour d'appel reconnaissait par le fait même la compétence exclusive en cette matière de l'instance de révision de la CSST ainsi que de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles.

[…]

[28]   En raison de la compétence exclusive dévolue tant à la CSST qu'à la Commission des lésions professionnelles, un énoncé se trouvant dans un jugement de la Cour supérieure ne saurait lier le présent tribunal. Dans son jugement, la Cour supérieure n'a émis aucune conclusion à l'encontre de la CSST. Certes, elle a souligné que le mal dont souffrait la travailleuse résultait d'un accident de travail, mais un tel énoncé ne saurait constituer un fait nouveau donnant ouverture à une révision au sens de l'article 429.56. Il ne s'agit pas là d'un fait ayant un caractère déterminant sur le sort du litige.

[29]   Dans de telles circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la requête en révision déposée par la travailleuse n'est pas fondée. Elle n'a pas soumis un fait nouveau tel que le requiert l'article 429.56 de la loi.»

[109]     Encore une fois, il s'agit d'une décision unanime, comme on peut le lire:

« L'AVIS DES MEMBRES

[9]     La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis de rejeter la requête de la travailleuse. Ils estiment que la travailleuse n'a pas soumis un fait nouveau donnant ouverture à une révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 juillet 2002. Ils constatent que la travailleuse n'a pas été victime d'une lésion professionnelle le 27 octobre 2000 et qu'en conséquence elle ne peut se voir reconnaître une récidive, rechute ou aggravation en date du 2 juillet 2008. Pour ces raisons, ils sont d'avis que sa contestation ne devrait pas être accueillie.»

[110]     Il est clair que le jugement de la Cour supérieure n'a pas l'autorité de la chose jugée à l'égard de la CSST et de la CLP et ne rencontre pas les règles prévues à l'article 2848 C.c.Q. qui stipule ce qui suit:

2848. L'autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.

Cependant, le jugement qui dispose d'un recours collectif a l'autorité de la chose jugée à l'égard des parties et des membres du groupe qui ne s'en sont pas exclus.

[111]     En effet, les parties ne sont pas les mêmes.

[112]     La réclamation de la demanderesse devant la Cour supérieure est fondée sur un contrat d'assurance invalidité, alors que le présent recours est fondé sur l'application de la LATMP, loi d'ordre public comme le prévoit l'article 4.

[113]     Le juge Fournier ne s'est aucunement prononcé sur le droit de la demanderesse de bénéficier des indemnités de la LATMP. Il n'a pas discuté du caractère raisonnable ou déraisonnable des décisions rendues par la CLP. Personne ne lui a soumis le dossier et la preuve sur lesquels la CLP s'était appuyée pour rendre ses décisions. Personne ne lui a soumis d'argument quant au caractère final conféré par la loi à ces décisions.

[114]     Par le présent recours, la demanderesse demande à la Cour supérieure de lui reconnaître des droits en vertu du régime d'indemnisation institué par la LATMP. Or, cette question se situe au coeur de l'expertise de la CLP.

[115]     Contrairement au litige porté devant le juge Fournier, le présent recours a pour objet le droit de la demanderesse aux indemnités prévues par la LATMP. Il est indéniable que cette question relève de la compétence exclusive et spécialisée des instances instituées par le législateur. Depuis la création de la CSST, les tribunaux de droit commun n'ont plus compétence pour décider des questions prévues par la LATMP, ce qui comprend la question de savoir si une personne a subi une lésion professionnelle et si elle a droit aux indemnités prévues par la loi.

[116]     Rappelons que la CLP a rendu sa première décision après deux (2) jours d'audience où plusieurs témoins ont été entendus. La preuve de l'existence de l'accident du travail était contradictoire. L'employeur invoquait le fait qu'il n'y avait aucun témoin direct de l'événement et que la demanderesse ne l'avait pas rapporté immédiatement à l'encontre d'une directive claire à cet effet. La CLP a apprécié cette preuve selon la règle de la prépondérance, ce qui est au coeur de sa compétence spécialisée. Le juge Fournier n'a pas entendu cette preuve et ne disposait pas d'une transcription des enregistrements de l'audience. Il est donc difficile de prétendre que la CLP aurait erré dans l'appréciation de la preuve parce qu'elle parvient à une conclusion différente de la Cour supérieure, cette dernière n'ayant aucunement évalué cette preuve qu'elle n'avait pas.

[117]     En aucun temps, le débat devant le juge Fournier n'a porté sur le caractère raisonnable ou déraisonnable des décisions rendues par la CLP dont personne ne demandait la révision judiciaire. N'étant pas saisi de ces questions et en l'absence des principaux intéressés (la CSST et la CLP), il est facile de comprendre que le juge Fournier n'a rendu aucune conclusion contre la CSST et ne s'est aucunement prononcé sur le caractère raisonnable ou déraisonnable des décisions rendues par la CLP.

[118]     La CLP n'est donc pas liée par le jugement de la Cour supérieure rendu le 17 juin 2008.

[119]     Enfin, le Tribunal est d'avis que la CSST n'avait pas à demander la rétractation du jugement puisqu'il n'affecte aucunement ses intérêts au sens de l'article 489 C.p.c. qui stipule:

489. Toute personne dont les intérêts sont affectés par un jugement rendu dans une instance où ni elle ni ses représentants n'ont été appelés, peut, par requête au tribunal qui l'a rendu, demander qu'il soit rétracté en autant qu'il préjudicie à ses droits.

La requête doit être signifiée à toutes les parties en cause, ou, si elle est faite moins d'une année après le jugement, aux procureurs qui les représentaient dans l'instance; elle n'opère sursis de l'exécution que si un juge l'ordonne.



[120]     En effet, la CSST n'était pas partie au litige et aucune conclusion au jugement ne lui est applicable.

[121]     Ce jugement ne porte pas sur l'interprétation de la LATMP.

[122]     Surtout, la Cour supérieure n'était pas saisie d'une requête en révision judiciaire des décisions CLP-1 et CLP-2.

[123]     En somme, la CLP-3 devait décider si le jugement de la Cour supérieure constituait un fait nouveau. Elle devait donc appliquer l'article 429.56 de la loi et agissait aussi au coeur de sa juridiction.

[124]     Peu importe que l'on soit d'accord ou non avec la conclusion du commissaire Martin, elle se qualifie de raisonnable en regard des critères d'intervention applicables.

[125]     Selon le critère de la raisonnabilité, la retenue s'impose.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE le moyen d'irrecevabilité de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

REJETTE la requête amendée en révision judiciaire des trois (3) décisions de la Commission des lésions professionnelles;

LE TOUT AVEC DÉPENS.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

Michel Déziel, j.c.s.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Florent Philibert

Procureur de la demanderesse

 

Me Lucille Giard

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Procureure de la défenderesse CSST

 

Me Isabelle Gagnon

VERGE BERNIER

Procureure de la défenderesse CLP

 

Dates d’audience :

26 et 27 avril 2012

 



[1] Pièce C-1, p. 34 - Avis de l'employeur et demande de remboursement.

[2] Ibidem, p. 167 - Décision d'admissibilité.

[3] Ibidem, p. 168 - Décision liée à un nouveau diagnostic.

[4] Ibidem, p. 171 à 173.

[5] Ibidem, p. 455, par. 11.

[6] L.R.Q., c. a-3.001.

[7] Pièce C-3, onglet 2, P. 2.

[8] Pièce C-2, p. 14.

[9] Pièce C-1, pp. 413 à 416.

[10] Pièce C-3, onglet 3, par. 2 à 5 et 80 à 83.

[11] Pièce C-1, pp. 465 à 469.

[12] Pièce C-2, pp. 1 à 3.

[13] Ibidem, p. 19 - Requête introductive d'instance #540-17-001747-053, par. 4.2.

[14] Ibidem, p. 8.

[15] Ibidem, p. 27.

[16] Pièce R-1, par. 26, 27, 28.

[17] Pièce C-1, p. 230.

[18] Ibidem, p. 227.

[19] Ibidem, pp. 230, 231.

[20] Ibidem, p. 233.

[21] Ibidem, pp. 521, 525, 526.

[22] Ibidem, pp. 527, 528.

[23] Pièce R-4.

[24] Pièce C-7, p. 44.

[25] Bruni c. Autorité des marchés financiers, 2011 QCCA 994 , par. 18, 46, 48.

[26] Pièce C-7, p. 12, l. 10 à 12.

[27] Pièce C-2, p. 1, par. 6 et 9.

[28] [2005] 3 R.C.S. 279 .

[29] Supra, note 28, pp. 297 et 299.

[30] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 .

[31] Pièce R-7, par. 35.

[32] Supra, note 31, par. 36 à 48.

[33] Restaurant l'Étoile de Rigaud (2007) (6735762 Canada inc.) c. Commission des lésions professionnelles, 2011 QCCS 5436 , par. 45.

[34]   Pièce R-5

[35] Pièce R-4, par. 23, 24, 25, 28 et 29.

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