Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

P.L. et Compagnie A

2013 QCCLP 7412

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

27 décembre 2013

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

476055-62C-1206

 

Dossier CSST :

101889673

 

Commissaire :

Suzanne Séguin, juge administrative

 

Membres :

Gaétan Morneau, associations d’employeurs

 

Alain Lefebvre, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

P... L...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

[Compagnie A]

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 13 mai 2013, monsieur P... L... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 8 avril 2013 par la Commission des lésions professionnelles. Cette requête en révision ne vise que le remboursement de la marihuana.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 juin 2012 et rectifiée le 12 juin 2012. Elle déclare, entre autres, que la CSST est bien fondée à assumer pour le travailleur le coût d’achat de la marihuana auprès de Santé Canada jusqu’à la quantité maximale prévue de 15 grammes par jour et qu’elle pourra cesser le remboursement du soutien pharmacologique antalgique et psychotrope lorsqu’il sera remplacé par la marihuana selon les recommandations du médecin traitant.

[3]           L’audience sur la présente requête s’est tenue le 30 octobre 2013 à Sallabery - de-Valleyfield. Le travailleur est présent aux bureaux de la Commission des lésions professionnelles, mais choisit de ne pas entrer dans la salle d’audience. Il y est représenté par maître Monique Petel et la CSST est représentée par maître Sonia Grenier. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           Le travailleur demande de réviser en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 8 avril 2013 et de déclarer qu’il a droit au remboursement de la marihuana achetée sous forme non inhalable ou, subsidiairement, de déclarer que la CSST doit continuer de payer la médication antalgique et psychotrope que le médecin traitant jugera nécessaire tant que le travailleur ne pourra pas se procurer la marihuana sous forme non inhalable et de déclarer que la CSST continuera à rembourser la marihuana achetée en conformité avec la nouvelle réglementation à compter du 1er avril 2014.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales rejetteraient la requête du travailleur, car il sont d’avis qu’il n’a pas démontré que la décision de la première juge administrative est entachée d’une erreur grave et déterminante; il n’y a donc pas lieu à révision.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 8 avril 2013.

[7]           L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]           Par ailleurs, une décision de la Commission des lésions professionnelles pourra être révisée ou révoquée selon les conditions strictes de l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]           Cet article permettant la révision ou la révocation d’une décision a une portée restreinte et doit être interprété restrictivement en tenant compte des objectifs visés à l’article 429.49 de la loi afin d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal[2].

[10]        Donc, afin de réussir dans son recours en révision ou en révocation, la partie devra démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 de la loi.

[11]        Dans la présente affaire, le travailleur invoque le troisième paragraphe de l’article 429.56, soit un vice de fond de nature à invalider la décision.

[12]        Dans l’affaire Bourassa[3], la Cour d’appel rappelle que la notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Elle ajoute que :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)    Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[13]        Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire ou du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente[4].

[14]        Dans l’affaire Franchellini précitée, la Commission des lésions professionnelles précisait que « la révision pour cause n’est pas un appel et il n’est pas permis à un commissaire qui siège en révision de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire »; ce recours ne peut constituer un appel déguisé étant donné le caractère final des décisions du tribunal.

[15]        La jurisprudence énonce aussi que ce recours en révision pour vice de fond ne doit pas être l’occasion pour une partie de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation déjà soumise[5].

[16]        La Cour d’appel souligne que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision[6]. Elle invite donc la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[7] alors qu’elle s’exprime ainsi :

[22]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.

__________

16                   Précitée, note 8

 

 

[17]        Par ailleurs, une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision[8].

[18]        Devant le présent tribunal siégeant en révision, le travailleur allègue que la première juge administrative a commis quatre erreurs de fait ou de droit entachant sa décision d’un vice de fond de nature à l’invalider.

[19]        Pour une meilleure compréhension de la présente affaire, il est utile de rappeler certains faits.

[20]        Le travailleur subit un accident du travail le 8 octobre 1991. La lésion professionnelle est consolidée le 6 février 1995 et entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique. Le travailleur souffre de douleurs importantes.

[21]        En 2004, le docteur Bruno Bélanger, médecin qui a pris charge du travailleur, lui prescrit du Marinol (cannabinoïde, forme synthétique du THC que l’on retrouve dans la marihuana) et en 2005, il lui prescrit de la marihuana séchée pour fins thérapeutiques. Le travailleur est détenteur de cartes officielles délivrées par Santé Canada pour possession et licence de production de cannabis à des fins personnelles. Il est autorisé à posséder et à produire de la marihuana pour des fins médicales en vertu du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales[9] (RAMM).

[22]        Le 26 novembre 2009, le docteur Bélanger écrit à la CSST que la forme non inhalée du cannabis qu’il prescrit au travailleur est préférable pour la gestion efficace du syndrome douloureux sévère chronique dont il souffre. Il recommande « que le soutien pharmacologique antalgique et psychotrope que requiert la condition médicale [du travailleur] soit désormais assuré exclusivement par le cannabis thérapeutique ».

[23]        Le 6 décembre 2011, le travailleur rencontre le psychiatre Jacques Bouchard à la demande de la CSST. Il suggère la prise régulière et à long terme de 15 grammes par jour de marihuana thérapeutique.

[24]        À la suite d’une révision administrative, la CSST rend une décision le 6 juin 2012 qu’elle rectifie le 12 juin 2012; il s’agit de la décision contestée. La CSST déclare qu’elle est bien fondée à assumer le coût d’achat de la marihuana auprès de Santé Canada jusqu’à concurrence de 15 grammes par jour et qu’elle pourra cesser le remboursement du soutien pharmacologique antalgique et psychotrope lorsqu’il sera remplacé par la marihuana selon les recommandations du médecin traitant.

[25]        Il est mis en preuve devant la première juge administrative que le travailleur consomme du cannabis sous forme ingérée, soit sous forme d’huile, de beurre, de biscuits, de pâtisserie, de chocolat, de caroube, de bonbons ou de tisane. Il s’approvisionne auprès de la Société pour l’accès au cannabis médical dont les activités ne sont pas accréditées par le gouvernement fédéral.

[26]        À l’audience devant la première juge administrative qui s’est tenue le 15 janvier 2013, la procureure du travailleur demande de « modifier la sentence pour que la CSST rembourse au travailleur le cannabis qu’il se procure auprès de la Société pour l’accès au cannabis médical » et de « modifier pour que la CSST continue de rembourser les autres médicaments selon ce que le médecin continuera de prescrire ».

[27]        Devant le présent tribunal, le travailleur allègue que la première juge administrative a commis quatre erreurs de fait ou de droit. Qu’en est-il?

La première juge administrative prétend que la Commission des lésions professionnelles a toujours tenu compte de la législation canadienne

[28]        La représentante du travailleur écrit dans sa requête en révision que :

La décision de rejeter la demande de monsieur L... de se faire rembourser la marijuana qu’il se procure sous forme non inhalée est basée sur le fait que la juge administrative prétend, à tort, que la Commission des lésions professionnelles a toujours tenu compte de la législation canadienne en matière de détention et de culture de marijuana à des fins thérapeutiques. Des trois décisions citées, une décision accorde le remboursement de la marijuana achetée auprès du centre compassion de Montréal; une autre accorde que la personne se fasse rembourser les coups [sic] de la culture de la marijuana parce qu’il est impossible pour cette personne vivant en région de s’approvisionner au centre compassion de Montréal; l’enjeu de la troisième décision était le remboursement et non le lieu d’approvisionnement.

 

 

[29]        La première juge administrative écrit au paragraphe 66 de sa décision que :

[66]      Le présent tribunal constate donc que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles tiennent compte de la législation canadienne en vigueur portant sur la possession et la culture de marihuana, y compris le RAMM. Tel est le cas dans l’affaire Brault et Sita Canada inc.13 , rendue récemment, dans le cadre de laquelle la Commission des lésions professionnelles déclare que la CSST doit rembourser à un travailleur le coût de la marihuana en feuilles déjà consommées et autorisé [sic] par Santé Canada, selon les sommes payées et indiquées aux factures.

 

[référence omise]

 

 

[30]        Dans l’affaire Vachon et Saputo Groupe Boulangerie inc.[10] citée par la première juge administrative au paragraphe 63 de sa décision, la Commission des lésions professionnelles précise que pour faire l’objet d’un remboursement par la CSST, l’obtention d’une dérogation par Santé Canada est obligatoire. Elle ajoute que le travailleur témoigne acheter sa consommation de marihuana directement au centre de compassion de Montréal et déclare qu’il est en droit d’être remboursé du coût relatif à la consommation de marihuana pour la période du 8 décembre 2008 au 8 décembre 2009, consommation en lien avec sa lésion professionnelle et suivant la restriction de quantité énoncée par Santé Canada.

[31]        Il n’y a aucune discussion sur la légalité de s’approvisionner dans un centre de compassion alors que dans la présente affaire, la preuve démontre que les activités de la Société pour l’accès au cannabis médical où s’approvisionne le travailleur ne sont pas accréditées par le gouvernement.

[32]        Il appert aussi de la décision J.B. et Compagnie A[11], à laquelle réfère la première juge administrative, que la question de la légalité de l’approvisionnement auprès d’un centre de compassion n’a pas été abordée.

[33]        Il en est de même dans l’affaire Brault et Sita Canada inc.[12] alors que la Commission des lésions professionnelles mentionne que l’utilisation de la marihuana a fait l’objet d’une exemption et d’une autorisation à des fins médicales par Santé Canada et ordonne le remboursement du coût de la marihuana en feuilles que le travailleur s’était procurée. Il n’y a aucune discussion sur la source d’approvisionnement.

[34]        Par contre, dans l’affaire Laberge et Musée national des Beaux-Arts du Québec[13] citée par la première juge administrative au paragraphe 75 de sa décision, la Commission des lésions professionnelles précise que selon le RAMM il y a trois façons possibles d’obtenir de la marihuana légalement, soit :

1.  L’accès à la marihuana séchée produite par Santé Canada par Prairie Plan Systems;

 

2.  L’obtention d’une licence de production auprès de Santé Canada;

 

3. L’obtention d’une licence auprès de Santé Canada pour désigner quelqu’un qui produit de la marihuana pour un utilisateur.

 

 

[35]        Alors, même si la première juge administrative affirme au paragraphe 66 de sa décision que la Commission des lésions professionnelles a toujours tenu compte de la législation canadienne en vigueur portant sur la possession et la culture de la marihuana, dont le RAMM, il appert que dans les décisions qu’elle cite, il n’a pas été question de la légalité de la source d’approvisionnement, et ce, malgré le souci exprimé par la Commission des lésions professionnelles de respecter la législation canadienne en la matière.

[36]        Donc, si erreur il y a, celle-ci n’est pas déterminante, car la première juge administrative conclut que la demande du travailleur doit s’inscrire dans les paramètres du RAMM. C’est ainsi qu’elle s’exprime :

[72]      En l’espèce, le travailleur demande d’ordonner à la CSST de lui rembourser le cannabis non inhalé qu’il se procure auprès de la Société pour l’accès au cannabis médical. La Commission des lésions professionnelles comprend que son médecin, son psychiatre expert et son psychologue estiment que cette forme de cannabis est la meilleure pour lui. Cependant, à l’heure actuelle, la seule façon de se procurer de la marihuana à des fins médicales au Canada est par l’entremise du programme actuel d’accès à ce produit de Santé Canada. Le travailleur bénéficie déjà de ce programme.

 

[73]      La CSST est liée par l’avis du médecin du travailleur en vertu de l’article 224 de la loi, mais cet avis ne peut s’appliquer concrètement à l’heure actuelle. Le produit suggéré par le médecin du travailleur n’est pas encore rendu disponible par les autorités gouvernementales compétentes, même si une nouvelle réglementation concernant la possession de marihuana à des fins thérapeutiques est annoncée.

 

[74]      Le produit suggéré par le médecin du travailleur ferait sans doute l’objet d’une évaluation par les autorités compétentes, pouvant comprendre notamment l’analyse de ses effets thérapeutiques et indésirables, ainsi que son incompatibilité avec d’autres médicaments.

 

[75]      Dans l’affaire Laberge et Musée national des Beaux-Arts du Québec16, la Commission des lésions professionnelles refuse à un travailleur le droit au remboursement des frais réclamés pour l’achat de marihuana obtenue auprès d’une autre source que Santé Canada et rappelle que l’acquisition de ce produit ne peut se faire que légalement, selon les paramètres du règlement du gouvernement fédéral. La demande du travailleur ne s’inscrit pas, actuellement, dans les paramètres de ce règlement.

 

[76]      Le présent tribunal ne peut donc pas ordonner à la CSST de rembourser un organisme autre que Santé Canada, pour un produit non encore rendu disponible par les autorités gouvernementales compétentes, et dont on ignore d’ailleurs la posologie recommandée par le médecin du travailleur.

 

 

[37]        Le raisonnement de la première juge administrative est intelligible et il appert de sa décision qu’elle refuse la demande du travailleur, car cette demande n’est pas conforme à la législation canadienne en vigueur et, en ce sens, la soussignée n’y voit aucune erreur de fait ou de droit.

La première juge administrative n’a pas tenu compte de l’arrêt Smith

[38]        La représentante du travailleur écrit dans sa requête en révision que :

La juge administrative n’a pas tenu compte de la décision Régina C. Owen Edward Smith, 2012 BCSC 455 (CANLII) qui a conclu que restriction imposée par le RAMM de n’utiliser que la forme séchée était contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette décision rendait donc invalide l’article 58 du RAMM qui imposait cette restriction. Cette décision n’a toujours pas été renversée à ce jour.

 

 

[39]        Devant la première juge administrative, la représentante du travailleur dépose la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Regina c. Smith[14]. Dans cette affaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rend un jugement sur un voir dire alors que la défense allègue que le RAMM viole les droits fondamentaux de l’accusé en ce que la restriction de l’accès de la marihuana sous la forme séchée seulement est contraire à l’article 7 de la Chartre canadienne des droits et libertés, puisque la marihuana sous d’autres formes peut aider à traiter les symptômes d’une maladie sévère.

[40]        La Cour suprême de la Colombie-Britannique s’exprime ainsi :

[123]    I conclude that the restriction to dried marihuana unnecessarily, and therefore to an unreasonable degree, impairs the security right to choose how to ingest the medicinal ingredients in the safest and most effective manner. Given these two findings under the second stage of the S. 1 analysis, I also find that it intrudes disproportionaltely on the constitutionally protected rights.

 

[124]    Therefore, the dried marihuana restriction’s infringement of s. 7 rights to liberty and security of the person is not saved by s. 1.

 

[…]

 

[127]    I have reviewed the regulations, including these formulae, and have concluded that it would do no greater violence than necessary to remedy the constitutional breach to delete the word ″dried″ wherever it appears in the MMAR, and I so direct.

 

[128]    As a consequence, the definition of dried marihuana becomes superfluous and is also deleted.

 

[129]    This leaves in place the requirement that one obtain and retain the authorizations provided under the MMAR in order to lawfully access marihuana for medical purposes, but removes the artificial restriction of that lawful use to marihuana in its dried form.

 

 

[41]        La représentante informe le tribunal que cette décision n’a pas été portée en appel, mais que la décision sur le fond portant sur l’acquittement de l’accusé l’a été par la Couronne[15]. Conséquemment, elle plaide que cette décision représente l’état du droit actuel au Canada, que la première juge administrative se devait d’appliquer cette décision et que le fait de ne pas se prononcer à ce sujet équivaut à « ne pas exercer sa compétence ».

[42]        D’entrée de jeu, le présent tribunal tient à souligner que la première juge administrative n’a pas à commenter tous les arguments soulevés par les parties pourvu que sa décision soit intelligible, ce qui est le cas en l’espèce.

[43]        Par ailleurs, il est faux de prétendre que la décision Smith constitue l’état du droit actuellement au motif que cette décision sur un voir dire n’a pas été portée en appel, puisque l’appel d’un jugement interlocutoire n’est pas permis comme le précise les auteurs Pierre Béliveau et Martin Vauclair dans le Traité général de preuve et de procédure pénales[16] :

A. LE DROIT D’APPEL

 

2884. L’appel est un recours de nature statutaire, c’est-à-dire qu’un texte législatif doit le prévoir expressément8860. Le fait qu’on ait pu accorder une autorisation d’appeler ne peut avoir pour effet de créer un droit d’appel par ailleurs inexistant8861. En principe, ce recours ne peut être exercé qu’à l’encontre du jugement final de première instance décidant du procès sur le fond8862. Ce recours est toujours entendu par des juges nommés par le gouvernement fédéral, juges de la cour supérieure siégeant seuls en matière d’infractions sommaires ou juges de la cour d’appel siégeant en formation de trois ou de cinq en matière d’actes criminels ou, en cas d’appel de la décision rendue par la cour supérieure, ne matière sommaire.

 

2885. Il faut donc retenir qu’en matière criminelle, on ne peut pas se pourvoir à l’encontre d’une décision interlocutoire8863 même si elle met en cause un droit fondamental de l’accusé, comme le droit d’être représenté par l’avocat de son choix8864 ou la constitutionnalité de la loi provinciale sur les jurés8865. Le droit reconnaît de facto deux exceptions où la poursuite est autorisée à se pourvoir de manière interlocutoire, mais uniquement si elle démontre qu’elle n’avait aucune alternative viable à la continuation des procédures8866. Un premier cas est l’ordonnance de l’exclusion d’une preuve capitale pour le succès de la poursuite et le second, une ordonnance qui forcerait la divulgation d’un renseignement provilégié8867. À défaut de démontrer cette nécessité absolue de faire appel de la décision interlocutoire, les tribunaux ont indiqué que le recours constituera un abus de procédures8868.

 

[références omises]

 

[soulignements ajoutés]

 

 

[44]        Le jugement sur le fond dans l’affaire Smith ayant été porté en appel et cet appel étant toujours pendant; force est de conclure que la décision interlocutoire dans cette affaire ne constitue pas l’état du droit au Canada.

[45]        De plus, comme le souligne la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Paiva[17] en référant à un texte écrit par l’honorable juge Lamer relativement à la règle de la stare decisis, des juges siégeant en cour provinciale doivent suivre les décisions de la Cour suprême, des cours d’appel de leur province et des cours supérieures siégeant en appel. Toutefois, les juges des cours provinciales ne sont pas tenus de suivre les décisions anglaises, les décisions d’une autre province, les décisions d’une cour d’appel d’une autre province et même des décisions d’un autre juge de première instance de leur province, sauf dans des circonstances particulières.

[46]        La décision interlocutoire dans l’affaire Smith n’est donc pas source de droit et la première juge administrative ne commet pas d’erreur en ne l’appliquant pas à l’affaire dont elle est saisie.

La cessation du remboursement des médicaments antalgiques et psychotropes

 

[47]        La troisième erreur invoquée par le travailleur est exprimée comme suit dans la requête en révision rédigée par sa représentante :

La décision confirme celle de la révision administrative qui affirme que la CSST pourra cesser de rembourser les médicaments antalgiques et psychotropes lorsque monsieur L... commencera à utiliser la marijuana séchée de Santé Canada alors que la juge administrative affirme dans sa décision que la marijuana séchée de Santé Canada ne correspond pas à ce que le médecin prescrit et ne peut donc remplacer les autres médicaments antalgiques et psychotropes.

 

 

[48]        La représentante du travailleur allègue qu’à l’audience devant la première juge administrative, elle a demandé au tribunal de déclarer que le travailleur a droit aux médicaments que son médecin lui prescrirait et que ne s’étant pas prononcé sur ce sujet, cela s’assimile à une absence de motif entachant sa décision d’un vice de fond.

[49]        Elle ajoute que la première juge administrative concluant que la forme séchée n’est pas ce que le médecin du travailleur lui prescrit dans une lettre datant de 2009, il y a un problème d’application de la décision d’autant plus que la première juge administrative semble croire que la CSST rembourse au travailleur 15 grammes de marihuana par jour alors que cela ne serait pas le cas. Elle s’exprime ainsi :

[76]      Le présent tribunal ne peut donc pas ordonner à la CSST de rembourser un organisme autre que Santé Canada, pour un produit non encore rendu disponible par les autorités gouvernementales compétentes, et dont on ignore d’ailleurs la posologie recommandée par le médecin du travailleur.

 

[77]      Il est à noter également que la CSST rembourse déjà au travailleur 15 grammes de marihuana par jour, tel que le suggère le docteur Bouchard, qui reprend une prescription de la clinique de la douleur de McGill. La CSST rembourse également au travailleur le soutien pharmacologique antalgique et psychotrope, précisant qu’elle pourra le cesser lorsqu’il sera remplacé par le produit suggéré par son médecin traitant. Dans le contexte particulier de la présente affaire, suivant l’équité et d’après le mérite réel et la justice du présent cas, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision de la CSST contestée pour retirer au travailleur un remboursement qui lui est déjà accordé. Sa demande principale est cependant refusée, pour les motifs précédemment exprimés.

 

 

[50]        Il est vrai qu’il faudrait plutôt lire « Il est à noter également que la CSST a accepté de rembourser au travailleur 15 grammes de marihuana par jour » comme le précise la procureure de la CSST, mais le présent tribunal estime qu’il ne s’agit pas d’une erreur grave et déterminante; cela ne change en rien la décision de la première juge administrative.

[51]        De plus, il appert de la décision que la première juge administrative traite de la question qui lui a été soumise lorsqu’elle écrit que la CSST rembourse au travailleur le soutien analgésique et psychotrope et qu’il n’y a pas lieu de modifier cette décision pour retirer au travailleur un remboursement qui lui est déjà accordé.

[52]        D’ailleurs, le dispositif de la décision relative à cette question est clair et en dispose alors que la première juge administrative écrit que :

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est bien fondée d’assumer pour monsieur P... L..., le travailleur, le coût d’achat de la marihuana auprès de Santé Canada jusqu’à la quantité maximale prévue de 15 grammes par jour;

 

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail pourra cesser le remboursement du soutien pharmacologique antalgique et psychotrope lorsqu’il sera remplacé par la marihuana selon les recommandations du médecin traitant;

 

[soulignement ajouté]

 

 

[53]        La soussignée n’y voit ni erreur ni difficulté d’interprétation ou d’application et cette conclusion est conforme à la preuve qui a été soumise à la première juge administrative. Le travailleur aurait préféré ne pas voir cette restriction, mais cela n’est pas un motif de révision.

La réglementation à venir

[54]        Finalement, la représentante du travailleur allègue une quatrième erreur de la part de la première juge administrative :

La décision ne tient pas compte que Santé Canada cessera de vendre de la marijuana séchée à compter du 1er avril 2014, selon la documentation déposée et que la décision de ne rembourser que la marijuana séchée achetée auprès de Santé Canada vient nier son droit au remboursement du médicament prescrit par son médecin traitant à compter de cette date.

 

 

[55]        À l’audience devant le présent tribunal, la représentante du travailleur affirme que, dans la lettre qu’elle a fait parvenir à la première juge administrative le 18 janvier 2013, elle demande au tribunal d’enlever l’obligation d'acheter la marihuana auprès de Santé Canada et lui reproche de ne pas avoir statué sur cette demande. Elle demande aussi au présent tribunal de déclarer que la CSST doit continuer de rembourser la marihuana en conformité avec la nouvelle réglementation à compter du 1er avril 2014.

[56]        Or, dans cette lettre adressée à la première juge administrative, elle écrit que :

Par ailleurs, puisque le dossier n’est pas encore en délibéré, je me permets d’ajouter un argument à l’effet que la décision de la CSST de faire dépendre le remboursement de la marijuana qu’à la condition que monsieur L... l’achète auprès de Santé Canada ne peut être maintenue. En effet, à compter du 1er avril 2014, il ne sera plus possible de se procurer de la marijuana auprès de Santé Canada. Je vous réfère au témoignage de M. Adam Greenblatt et au document déposé en T-5 qui le confirment. Maintenir la décision de la CSST intégralement ferait en sorte que la CSST ne serait plus tenue de rembourser à monsieur L... le médicament prescrit par son médecin traitant et qui est en lien avec son accident de travail, alors que la CSST est liée à l’avis du médecin traitant, ce qui est contraire aux obligations de la CSST contenues dans les dispositions sur l’assistance médicale.

[57]        Il s’agit d’un argument, comme l’écrit la représentante du travailleur, et il n’est pas nécessaire de commenter tous les faits mis en preuve ni de trancher tous les arguments que les parties ont présentés, mais il faut que la lecture de la décision permette de comprendre le processus décisionnel du juge administratif et le raisonnement qui la sous-tend; il faut que le lecteur comprenne les fondements de la décision[18].

[58]        En fait, il s’agit du test de l’intelligibilité dont il est fait mention dans l’affaire Hamel et EMCO ltée (Div. Distribution)[19] :

[36]      Le test à appliquer consiste à se demander si les motifs de la décision sont suffisamment intelligibles et permettent à une personne raisonnablement informée de comprendre les fondements de la décision.

 

 

[59]        Le présent tribunal estime que les motifs de la décision de la première juge administrative sont suffisamment intelligibles; le lecteur en comprend aisément les fondements.

[60]        À tout évènement, même si une demande claire en ce sens avait été adressée à la première juge administrative, le présent tribunal ne voit pas d’erreur dans le fait de rendre une décision selon la législation en vigueur et à défaut d’erreur, le tribunal siégeant en révision ne peut modifier le dispositif d’une décision qui n’est pas entachée d’un vice de fond ou de procédure.

[61]        Au surplus, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que cette demande pour le futur est de la nature d’un jugement déclaratoire et qu’elle n’a pas le pouvoir de rendre une telle décision de cette nature[20].

[62]        Dès lors, la soussignée estime que les arguments du travailleur ne peuvent donner ouverture à la révision ou à la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 8 avril 2013, le travailleur n’ayant pas démontré que cette décision est entachée d’une erreur manifeste et déterminante; il n’a pas fait la preuve d’un vice de fond de nature à invalider cette décision.

[63]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la requête en révision doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de monsieur P... L..., le travailleur.

 

 

 

__________________________________

 

Suzanne Séguin

 

 

 

Me Monique Petel

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Sonia Grenier

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.

[5]           Voir notamment : Moschin et Communauté Urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860; Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix, Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. (C.A.).

[7]           C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).

[8]           Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

[9]           DORS/2001-227.

[10]         C.L.P. 390361-03B-0909, 14 juin 2010, M. Cusson.

[11]         2011 QCCLP 3325, requête en révision rejetée.

[12]         2012 QCCLP 3066.

[13]         2012 QCCLP 7716.

[14]         2012 BCSC 544.

[15]         Appel logé le 11 janvier 2013 à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dossier CA040556.

[16]         Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Traité général de preuve et de procédure pénales, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, pp. 1252-1253.

[17]         Ville de Longueuil c. Paiva, C.S. Longueuil, 505-36-000556-003, 14 septembre 2001, j. Barrette-Joncas.

[18]         Emballage Workman inc. (Multisac) et Martinez, C.L.P. 141500-72-0006, 2 mai 2002, L. Landriault.

[19]         C.L.P. 202914-63-0303, 15 décembre 2004, L. Boudreault.

[20]         Voir notamment : Gagnon et Multibois (St-René), C.L.P. 205380-01A-0304, 14 septembre 2004, J.-M. Laliberté; Laliberté et Hydro-Québec, C.L.P. 201667-07-0303, 31 janvier 2005, L. Boucher (décision accueillant en partie la requête en révision).

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