Décision

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Ruel et Resto Bar Bonsai

2009 QCCLP 1864

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

St-Hyacinthe

17 mars 2009

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

352187-62B-0806

 

Dossier CSST :

115769077

 

Commissaire :

Marie-Danielle Lampron, juge administratif

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Gilles Prud’homme, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Suzanne Ruel

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Resto Bar Bonsai

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 30 juin 2008, madame Suzanne Ruel (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 26 juin 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative de deux décisions.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 8 février 2008 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement de frais pour grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile. La CSST confirme une autre décision rendue le 15 mai 2008 qui refuse de reconnaître le diagnostic de fibromyalgie et déclare que la travailleuse n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en regard de ce diagnostic.

[3]                La travailleuse et son représentant sont présents à l’audience du 10 février 2009. Le dossier a été pris en délibéré le 17 février 2009, après réception des documents requis à l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La travailleuse demande de déclarer que le diagnostic de fibromyalgie est en relation avec son accident du travail et qu’elle a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic. Elle demande également de déclarer qu’elle a droit au remboursement des coûts de grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d'avis que la preuve, tant factuelle que médicale, n’est pas prépondérante pour relier le diagnostic de fibromyalgie à l’accident du travail de 1998 ou aux rechutes qui ont suivi, même le médecin de la travailleuse dit ne pouvoir faire la relation : la travailleuse n’a pas droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic.

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des coûts de grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165 de la loi, puisqu’elle bénéficie déjà d’une aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi qui tient compte d’un pointage pour le ménage lourd (donc grand ménage), de sorte qu’elle ne peut bénéficier d’une double indemnité en regard des coûts du grand ménage.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles, en premier lieu, doit décider si le diagnostic de fibromyalgie est en relation avec l’accident du travail survenu en 1998 et les récidives, rechutes ou aggravations qui ont suivi, et si la travailleuse a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic.

[8]                Le tribunal considère, pour les motifs ci-après exposés, qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic de fibromyalgie et l’accident survenu en 1998 et les récidives, rechutes ou aggravations qui ont suivi.

[9]                Pour en venir à cette conclusion, le tribunal a tenu compte des faits pertinents suivants.

[10]           Le 3 décembre 1998, la travailleuse subit un accident du travail lorsqu’elle glisse et se blesse au dos en tentant d’éviter une chute. Elle subit une discoïdectomie L4-L5 et L5-S1 en septembre 1999 en raison d’une hernie discale L5-S1 droite greffée sur un spondylolisthésis L5-S1 avec hernie discale L4-L5 latéralisée à gauche. Malgré les soins et traitements qui se poursuivent, la travailleuse n’est pas mieux. Elle subira une seconde chirurgie en novembre 2000, consistant en une greffe lombo-sacrée de L4 à S1 autogène provenant de la crête iliaque droite avec plaque et vis, ainsi qu’une révision L5-S1 droite et une libération d’adhérences.

[11]           À la suite de ces chirurgies, le docteur Ferron consolide la lésion professionnelle initiale au 25 mai 2001 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Le 29 mai 2001, dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Ferron retient les diagnostics suivants : « hernies discales L4-L5 et L5-S1; Failed Back Syndrome; instabilité lombo-sacrée; pachyméningite; ainsi qu’une condition personnelle préexistante de spondylolyse-listhésis L5-S1 de grade I ». 

[12]           La CSST fait suite à l’évaluation du médecin de la travailleuse et détermine que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (atteinte permanente) totalisant 35,60%, incluant le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[13]           Le 11 février 2002, la travailleuse subit une récidive, rechute ou aggravation, qui consiste en une troisième opération : elle subit une « fusion antérieure intersomatique autogène L4 à S1, instrumentation par cage de Synthes, greffe Allomatrix avec os spongieux. Ponction de moelle osseuse de la crête iliaque gauche » en raison du diagnostic suivant : « Failed Back Syndrome. Maladie discale dégénérative L4 à S1, pachyméningite, instabilité lombo-sacrée; non-union de greffe postérieure L4 à S1; spondylolisthésis L5-S1 ».

[14]           Le docteur Ferron consolide cette lésion 1er août 2002 sans atteinte permanente supplémentaire mais avec augmentation des limitations fonctionnelles.

[15]           Le 10 novembre 2002, la travailleuse subit une autre récidive, rechute ou aggravation pour laquelle il y a augmentation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[16]           Dans son rapport d’évaluation médicale d’août 2003, le docteur Dahan conclut que la travailleuse souffre d’un « Failed Back Surgery Syndrome » sévère et incapacitant qui rend impossible toute réinsertion à l’emploi. Il note la présence de « douleurs mécaniques et neurogènes sévères et imprévisibles de la patiente nécessitant un traitement par doses significatives de médicaments narcotiques combinés à Neurontin, ce qui peut causer des effets secondaires cognitifs significatifs ».

[17]           Le docteur Dahan détermine ainsi qu’il suit l’atteinte permanente qui résulte de la lésion professionnelle au niveau dorso-lombo-sacré :

   DAP ou PE

Préjudice esthétique :           

                                                                     

Plaie abdominale qui mesure 28,5 cm2

qui est attribuable à la 3e intervention                                                                14,25 

 

Deux plaies lombaires

attribuables aux 2 premières chirurgies

Première plaie mesurant 9 cm x 0,5 cm                                                            2,5 %

Deuxième plaie lombaire

attribuable à la première chirurgie

qui se trouve avec la plaie citée plus haut

en direction des fesses mesurant 7 cm x 0,3 cm                                                           1,05 %

 

Séquelles spinales :

 

Discoidectomie avec séquelles fonctionnelles

au niveau des deux espaces, soit L4-L5 et L5-S1                                               6 %

Laminectomie partielle exploratrice ou décompressive L5-S1 droit                       1 %

Greffe lombo-sacrée au niveau des espaces L4-L5 et L5-S1                                6 %

Pachyméningite ou fibrose périneurale objectivée par tests spécifiques                2 %

 

Perte de mobilité au niveau du rachis dorso-lombaire :

 

Perte de 40° de flexion dorsolombaire                                                               5 %

Perte de 20° d’extension dorsolombaire                                                             2 %

Perte de 15° de latéroflexion droite                                                                    2 %

Perte de 15° de latéroflexion gauche                                                                 2 %

Perte de 15° de rotation droite                                                                          3 %

Perte de 15° de rotation gauche                                                            3 %

 

Atteinte du système nerveux périphérique polyradiculaire :

 

Atteinte motrice territoire L3 droit classe 2

avec faiblesse démontrée à l’examen clinique

et unités polyphasiques démontrées à l’examen électrodiagnostique                   3 %

 

Atteinte motrice territoire L4 droit classe 2

avec faiblesse démontrée à l’examen clinique

et unités polyphasiques démontrées à l’examen électrodiagnostique                   3 %

 

Atteinte motrice territoire L5 droit classe 2

avec faiblesse démontrée à l’examen clinique

contribuant à un pied tombant intermittent

pour lequel la patiente doit porter une orthèse tibiotibiale

et dans lequel il y a des anomalies à l’examen électrodiagnostique                     5 %

 

Atteinte motrice territoire S1 classe 2

pour laquelle l’évaluation électrodiagnostique

aurait confirmé l’atteinte radiculaire

et l’examen clinique montre une atténuation du réflexe achilléen

et une diminution de la force à la contraction motrice                                          3 %

 

Atteintes sensitives :

 

Atteinte sensitive classe 2 territoire L3 droit                                                       1 %

Atteinte sensitive classe 2 territoire L4 droit                                                       1 %

Atteinte sensitive classe 2 territoire L5 droit                                                       1 %

Atteinte sensitive classe 2 territoire S1 droit                                                      1 %

 

 

 

[18]           Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Dahan réfère la travailleuse pour une évaluation en psychiatrie, en urologie ainsi que pour syndrome de tunnel carpien. Il émet des limitations fonctionnelles de classe IV, à savoir les plus sévères de la catégorie :

Classe 4 :  Restrictions très sévères

      En plus des restrictions des classes 1, 2 et 3 :

Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier.  On peut toutefois envisager une activité dont le travailleur peut contrôler lui-même le rythme et l’horaire.

 

Classe 1 :  Restrictions légères

      Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

Soulevez, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg, travailler en position accroupie, ramper, grimper, effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspension).

 

Classe 2 :  Restrictions modérées

       En plus des restrictions de la classe 1, éviter les activités qui impliquent de :

Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 à 15 kg, effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude, monter fréquemment plusieurs escaliers et marcher en terrain accidenté ou glissant.

 

Classe 3 :  Restrictions sévères

      En plus des restrictions des classes 1 et 2, éviter les activités qui impliquent de :

Soulever, porter, pousser tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 5 kg, marcher longtemps, garder la même posture (debout ou assis) plus de 30 à 60 minutes, travailler en position instable (échafaudages, échelles, escaliers) et effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs (actionner des pédales).

 

 

 

[19]           Le 22 octobre 2003, dans son rapport final, le docteur St-Hilaire, psychiatre, consolide la lésion identifiée comme étant un « trouble d’adaptation sévère » avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Dans son rapport d’évaluation médicale du même jour, le médecin retient un déficit anatomo-physiologique de 15 % en raison d’une « névrose modérée, groupe II ».

[20]           En novembre 2003 (côté gauche) et en avril 2004 (côté droit), la travailleuse subit des chirurgies de décompression de canal carpien, ayant subi un syndrome de canal carpien bilatéral en raison du port de sa canne.

[21]           Le 22 juin 2004, dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Nicolaidis, chirurgien plasticien, indique qu’après les chirurgies de décompression de canal carpien  il en résulte un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour chaque côté, plus un pourcentage de 1 % pour bilatéralité. Il ne retient aucune limitation fonctionnelle.

[22]           Le 8 décembre 2004, dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Corcos, urologue, indique que la travailleuse présente une « dysfonction vésicale », que cette condition était consolidée le 9 juillet 2004, et qu’il en résulte un déficit anatomo-physiologique de 30 % (code 217296).

[23]           Le 24 février 2005, la CSST détermine qu’à la suite de l’évaluation des médecins de la travailleuse concernant les séquelles de la lésion d’octobre 2002, il en résulte une atteinte permanente de 130,60 %, incluant le pourcentage de 46,15 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[24]           Le même jour, la CSST détermine qu’en raison des limitations fonctionnelles qui découlent de la lésion professionnelle, il est impossible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer à temps plein. La CSST fait droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la travailleuse ait 68 ans, et l’avis qu’il y aura une diminution de celle-ci à compter de 65 ans, comme prévu à la loi.

[25]           De la date de consolidation par le docteur Dahan jusqu’en 2008, il n’y a pas au dossier de rapport médical CSST qui fasse état du diagnostic de fibromyalgie. L’on retrouve cependant ce diagnostic dans certaines notes médicales cliniques qui se retrouvent au dossier: en décembre 2006 ainsi qu’en février et mars 2007.  Précisons que le médecin qui complète ces notes, ne se prononce pas sur le lien de causalité entre ce diagnostic et l’événement de 1998.

[26]           Il ressort du témoignage de la travailleuse qu’elle est suivie par le docteur De Médicis depuis quelques années en raison d’un diagnostic de fibromyalgie et qu’elle ne reçoit pas actuellement de traitement en regard de cette pathologie.  Jusqu’à la demande par son représentant en 2008, la travailleuse n’avait pas demandé à la CSST de se prononcer sur l’admissibilité de ce diagnostic.

[27]           Au soutien de ses prétentions quant au lien de causalité entre le diagnostic de fibromyalgie et l’événement de 1998, le représentant de la travailleuse soumet une décision rendue dans Maillette et Bombardier Aéronautique inc. et CSST[2] où la Commission des lésions professionnelles, après avoir entendu deux médecins lors de l’audience, a accepté une réclamation à titre de récidive, rechute ou aggravation et reconnu le lien de causalité entre le diagnostic de fibromyalgie et un traumatisme initial.

[28]           Concernant la notion de « récidive, rechute ou aggravation », il est pertinent à ce stade de préciser que cette notion n’est pas définie à la loi, mais que l’on se réfère au sens courant de ces termes, selon les définitions données dans les différents dictionnaires de langue française, à savoir : « une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion initiale ».

[29]           Pour réussir à établir l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation, la travailleuse doit démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il y a un changement de sa condition par rapport à la condition antérieure et qu’il existe une relation entre l’événement initial et la récidive, rechute ou aggravation alléguée.

[30]           Au fil des années, la jurisprudence a identifié certains critères qui permettent de déterminer l’existence (ou non) d’une telle relation et de décider du bien-fondé d’une réclamation à titre de récidive, rechute ou aggravation. On précise toutefois qu’aucun de ces critères n’est à lui seul décisif ou fatal[3]. Voici les principaux critères ainsi retenus : la gravité et l’importance de l’événement initial et de la lésion initiale, la nature de la symptomatologie observée après l’événement initial, le suivi et la nature des traitements, la présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, le type de retour au travail, la continuité des symptômes, le suivi médical, la proximité dans le temps des lésions, la nature et la compatibilité des diagnostics, la présence d’une condition personnelle, etc.

[31]           Dans le présent cas, contrairement à la décision Maillette ci-dessus mentionnée, aucun témoin expert n’a été entendu afin d’établir le lien de causalité, et qui plus est, la preuve au dossier, incluant l’opinion du médecin de la travailleuse, ne permet pas de conclure à un lien de causalité probable entre le diagnostic de fibromyalgie et le traumatisme initial.

[32]           En avril 2008, le médecin de la CSST écrit au médecin de la travailleuse, le docteur De Médicis, pour demander des informations additionnelles afin d’être en mesure de rendre une décision éclairée concernant la reconnaissance du diagnostic de fibromyalgie :

[…]

Vous avez posé le diagnostic de fibromyalgie chez cette patiente.  Par contre, suite à l’étude de vos notes cliniques, nous ne retrouvons pas les éléments tant au niveau subjectif qu’objectif pouvant nous aider à prendre une décision sur l’existence de la pathologie chez notre travailleuse et dans un deuxième temps, d’établir le lien avec l’événement CSST.  C’est pourquoi, nous vous demandons de nous faire parvenir ces éléments essentiels pour que nous puissions prendre la meilleure décision pour votre patiente.

[…]

 

 

[33]           Le 20 avril 2008, le docteur De Médicis répond qu’il ne remet pas en question le diagnostic de fibromyalgie, précisant, par ailleurs, ne pouvoir se prononcer sur la cause de ce diagnostic :

Patiente évaluée une première fois le 2005/03/24;

Pas fibromyalgie notée

 

Réévaluée le 2008-12-20 Fibromyalgie détectée à l’examen physique

 

Suivi, rapport de l’EMG (07-02-22) : «La patiente présente également des douleurs plus diffuses, surtout articulaires migratrices au niveau des épaules et des genoux ainsi que des spasmes un peu diffus et non spécifiques», ce qui est compatible avec de la fibromyalgie.

 

Je ne crois pas qu’il y ait des doutes quant à l’existence de la fibromyalgie. Je ne peux prononcer sur sa cause.

                                                                                  (nos soulignés)

 

 

 

[34]           Le 29 avril 2009, sur réception de la réponse du docteur De Médicis, le médecin de la CSST conclut qu’il n’y a pas de lien entre le diagnostic de fibromyalgie et l’événement d’origine. Il retient qu’il s’agit d’une condition personnelle sans lien de causalité.

[35]           Comme le médecin de la travailleuse précise qu’il ne peut se prononcer sur le lien de causalité entre le diagnostic de fibromyalgie et les faits au dossier, et qu’avec les mêmes faits que ceux dont dispose le tribunal, le médecin de la CSST conclut à une absence de lien de causalité, la Commission des lésions professionnelles considère que la travailleuse n’a pas satisfait à son fardeau de preuve : elle n’a pas réussi à démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il y a un lien de causalité entre le diagnostic de fibromyalgie et le traumatisme de 1998 ou avec les lésions professionnelles qui en ont découlé. Cette partie de la requête est donc rejetée.

 

[36]           Le tribunal doit maintenant décider si la travailleuse a droit au remboursement des coûts de grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile.

[37]           Le représentant de la travailleuse soumet que les travaux de grand ménage demandés sont des travaux de lavage des vitres, murs et plafonds, murs extérieurs de la maison mobile où habite la travailleuse, et que ce type de travaux est considéré par la jurisprudence comme étant des travaux d’entretien courant du domicile[4].

[38]           Le tribunal considère, pour les motifs ci-après exposés, que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des coûts de grand ménage à titre de travaux d’entretien courant de son domicile.

[39]           L’article 165 de la loi se lit comme suit :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

 

[40]           Il ressort de l’article 165 de la loi, que pour avoir droit au remboursement des frais encourus à titre de travaux d’entretien courant du domicile, la travailleuse doit démontrer qu’elle a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique découlant de sa lésion professionnelle, qu’elle est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait elle-même si ce n’était de sa lésion professionnelle, et que le total des frais réclamés ne dépasse pas le montant prévu à l’article 165 pour l’année en cause (2 713 $ en 2007 et 2 767 $ en 2008).

[41]           Comme on peut le constater à la lecture des séquelles ci-dessus mentionnées, la travailleuse a subi une atteinte permanente « grave » en raison d’une lésion professionnelle et elle est porteuse de limitations fonctionnelles très sévères, la classe IV référant aux restrictions les plus sévères de la catégorie.

[42]           Il ressort du témoignage de la travailleuse que la CSST a accepté de lui rembourser le coût des frais encourus pour la tonte du gazon et le déneigement, et ce à titre de travaux d’entretien courant de son domicile, au motif que la travailleuse ne peut plus effectuer ces travaux elle-même.

[43]           La CSST a toutefois refusé de rembourser à la travailleuse les coûts de « grand ménage » considérant que ces coûts faisaient déjà partie des sommes déjà octroyées à la travailleuse à titre d’aide personnelle à domicile. Voici ce qu’indique la CSST, en révision administrative, dans la décision contestée :

Dans le présent cas, il est établi que la grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile qui justifie le quantum de l’allocation versée totalise 8,5 points, parmi lesquels le pointage maximal de 1 accordé pour les besoins d’assistance complète en regard du ménage lourd. Les éléments évalués à cet égard sont définis comme la capacité de faire seul, les activités de ménage telles que nettoyer le four et le réfrigérateur, laver les planchers et les fenêtres, et de faire le grand ménage annuel.

 

Les politiques de la CSST prévoient que les travaux de grand ménage ne peuvent être admissibles à titre de travaux d’entretien courant du domicile lorsqu’ils sont déjà accordés dans le cadre de l’aide personnelle à domicile.

 

Après étude du dossier, la Révision administrative constate que c’est ici le cas et que par conséquent, il n’y a pas lieu pour la CSST de rembourser le grand ménage comme travaux d’entretien courant du domicile. En effet, il fait déjà l’objet d’une aide financière comprise dans l’allocation pour l’aide personnelle versée à la travailleuse.

 

En regard des observations présentées, la Révision administrative constate que la décision de la CSST est conforme à ses politiques et respecte les dispositions de la Loi et ne peut retenir comme critères d’attribution certaines décisions des tribunaux administratifs.

 

 

 

[44]           C’est aussi ce qu’écrivait la CSST dans ses notes évolutives du 7 février 2008 :

Demande de grand ménage

-considérant l’application de la décision de la CLP sur l’Aide personnelle à domicile basée sur l’évaluation de l’ergothérapeute Johanne Dumas qui accorde un besoin d’assistance complète pour le ménage léger et le ménage lourd, donc un point pour chaque thème.

 

La travailleuse reçoit déjà de l’aide financière pour le grand ménage par le biais de l’Aide personnelle à domicile, elle n’est donc pas admissible au grand ménage sous la forme de la mesure des Travaux d’entretien courant du domicile. En effet, en vertu de l’article 165, cette mesure est prévue dans le cas où le travailleur n’est pas admissible à de l’aide personnelle à domicile et qu’il présente des besoins d’assistance pour le ménage lourd.

[…] refus grand ménage […]

 

 

[45]           L’article 158 de la loi, qui traite de l’aide personnelle à domicile se lit comme suit :

158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

 

 

[46]           L'article 160 de la loi précise que le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la CSST adopte par règlement et que le montant ne peut excéder le montant prévu par la loi.  L'évaluation des besoins d'une personne se fait donc en fonction des normes prévues au Règlement sur les normes et barèmes de l'aide personnelle à domicile[5] (le règlement) et l’article 161 de la loi prévoit que le montant de l’aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l’évolution de l’état de santé et des besoins qui en découlent.

[47]           L’article 6 de ce règlement prévoit que le montant de l’aide personnelle à domicile est établi sur une base mensuelle d’après la Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile :

6. Le montant de l’aide personnelle à domicile est établi sur une base mensuelle d’après la grille d’évaluation prévue à l’annexe 1 et il est versé au travailleur une fois par 2 semaines, conformément à l’article 163 de la loi.

 

    Le montant mensuel accordé est, sous réserve du montant maximum d’aide fixé à l’article 160 de la loi, la somme du montant maximum d’aide fixé à l’article 160 de la loi, la somme du montant déterminé suivant le tableau contenu à l’article 2.3 de l’annexe 1 pour les besoins d’assistance personnelle et, le cas échéant, du montant déterminé suivant le tableau de l’article 3.3 de cette annexe pour les besoins de surveillance, dans la mesure où le montant établi pour les besoins d’assistance n’atteint pas le maximum prévu par la loi.

 

 

 

[48]           La Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile (la grille d’évaluation), contenue à l’annexe 1 du règlement, précise que le calcul du pointage se fait à l’aide d’une grille d’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique qui permet d’évaluer les besoins d’assistance de la personne pour l’exécution de seize (16) activités ou tâches différentes, lesquelles se lisent comme suit :

1.       Le lever ;

2.       Le coucher ;

3.       L’hygiène corporelle ;

4.       L’habillage ;

5.       Le déshabillage ;

6.       Les soins médicaux ;

7.       Les soins intestinaux ;

8.       L’alimentation ;

9.       L’utilisation des commodités du domicile ;

10.   La préparation du déjeuner ;

11.   La préparation du dîner ;

12.   La préparation du souper ;

13.   Le ménage léger ;

14.   Le ménage lourd ;

15.   Le lavage du linge ;

16.   L’approvisionnement.

 

 

[49]           Lors de l’évaluation des besoins, un pointage est attribué pour chaque activité selon le besoin ou non d’assistance, soit complet ou partiel. Chaque activité est évaluée selon trois (3) cotes, la cote A pour un besoin d'assistance complète, la cote B pour un besoin d'assistance partielle et la cote C s’il n'y a aucun besoin d'assistance. Chaque cote correspond un certain nombre de points pour un maximum total de 48 points.  Le pointage total obtenu correspond au montant maximum mensuel d'aide prévu à la loi.

[50]           Dans le présent cas, à la suite d’une décision entérinant un accord intervenu entre les parties, la Commission des lésions professionnelles a déclaré que la travailleuse avait droit à une allocation d’aide personnelle à domicile équivalente à 8,5 points à compter du 1er février 2006[6]. Il ressort du contenu de cette décision que le pointage en question fait suite à une évaluation faite en juillet 2007 par madame Dumas, ergothérapeute.

[51]           Il ressort du rapport d’évaluation de madame Dumas, ergothérapeute, qu’elle a attribué 2,5 points pour les besoins d’hygiène personnelle, 2 points pour la préparation du dîner, 2 points pour la préparation du souper, 1 point pour le « ménage léger » et 1 point pour le « ménage lourd ».

[52]           Or, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé dans Charlebois et G-Net Universel ltée[7] qu’il ne saurait y avoir double indemnisation en regard d’une indemnité versée pour effectuer un grand ménage sous le couvert de l’article 165 de la loi alors qu’une indemnité est déjà octroyée à cet égard sous le couvert de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi :

[45] La travailleuse réclame aussi le remboursement de certains frais pour lesquels elle a soumis deux estimations écrites […].  Chacune couvre deux catégories distinctes de services : le ménage régulier aux deux semaines d’une part, et, d’autre part, le lavage des vitres, des murs, plafonds, planchers, etc. du domicile.

 

[46] De l’avis du tribunal, si la travailleuse ne bénéficiait pas déjà d’une allocation d’aide personnelle à domicile en vertu des articles 158 et suivants de la loi, elle aurait droit au remboursement des frais payés pour obtenir les services décrits au paragraphe précédent9, le tout selon l’article 165 : […]

 

[47] Cependant, nonobstant le fait qu’en principe le versement d’une allocation en vertu des articles 158 à 160 ne constitue pas en soi un obstacle au remboursement des travaux d’entretien courant visés par l’article 165[8], il faut éviter la double indemnisation.

 

[48] Clairement, le remboursement des frais payés aux deux semaines pour les services réguliers d’une femme de ménage ne saurait être accordé en sus de l’allocation d’aide à domicile déjà octroyée à la travailleuse laquelle comporte, entre autres, des sommes pour le ménage léger dont l’annexe au règlement sur l’aide à domicile donne la définition suivante :

 

Ménage léger : la capacité de faire seul, les activités d’entretien régulier de son domicile telles que épousseter, balayer, sortir les poubelles, faire son lit.

 

[49] Selon le tribunal, l’énumération contenue dans la définition qui précède n’est pas exhaustive, mais plutôt indicative du genre d’activités visées.  Les services d’une femme de ménage aux deux semaines tombent sous le couvert de cette rubrique d’évaluation des besoins et, par voie de conséquence, d’allocation d’aide personnelle à domicile.

 

[50] Il en va de même pour les services de lavage de vitres, murs, plafonds et planchers qui eux, sont visés par un autre des éléments considérés dans l’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique sous l’empire des articles 158 à 160 de la loi, à savoir le ménage lourd :

 

Ménage lourd : la capacité de faire seul, les activités de ménage telles que nettoyer le four et le réfrigérateur, laver les planchers et les fenêtres, faire le grand ménage annuel.

 

[51] Dans un cas comme celui qui occupe ici le tribunal, il faut réserver l’article 165 de la loi, au remboursement de certaines autres dépenses reconnues par la jurisprudence comme y étant visées et que pourrait encourir la travailleuse, telles : des travaux de peinture, de sablage et de vernissage de planchers, de réparation de boiseries, de terrassement, de tonte de gazon, de déneigement, etc. ; en autant bien sûr, que les conditions afférentes à cet article soient satisfaites.

 

[52] Dans les circonstances présentes, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de remboursement des frais susmentionnés pour lesquels des estimés ont été soumis par la travailleuse car, cette dernière est déjà indemnisée à cet égard par l’allocation d’aide personnelle à domicile que le tribunal lui octroie.

 

9Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi, 124846-01A-9910, 00-06-29, L. Boudreault, (00LP-29) ; Frigault et Commission scolaire de Montréal, 142721-61-0007, 01-05-25, L. Nadeau ; Castonguay et St-Bruno Nissan inc., 137426-62B-0005, 01-11-21, Alain Vaillancourt.

 

 

 

Le règlement ne fait pas non plus de distinction entre la notion de soins et celle de tâches domestiques. Cependant, à la lecture des activités décrites à la grille, il apparaît que les soins réfèrent à toutes activités de la vie quotidienne reliées à la personne même alors qu’une tâche domestique est celle qui permet le fonctionnement normal dans son milieu de vie, c’est-à-dire au domicile du travailleur.

 

 

[53]           C’est aussi ce qui a été décidé récemment dans Leclerc et Construction Roy-Franc[9], où la Commission des lésions professionnelles souscrit à l’interprétation faite dans Charlebois et G.-Net Universel ltée :

[37] Dans la section regardant les tâches domestiques, madame Fraser coche spécifiquement l’item du ménage lourd, augmentant par le fait même le montant d’allocation bimensuelle versée au travailleur.

 

[38] Ainsi, bien que le tribunal adhère au principe avancé par le représentant du travailleur voulant, qu’en certaines occasions, le versement d’une allocation en vertu de l’article 158 de la loi ne constitue pas en soi un obstacle au remboursement des travaux d’entretien courant visés par l’article 165 de la loi, il estime cependant, tel qu’énoncé par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Charlebois et G-Net Universel ltée5, qu’il faut éviter la double indemnisation. Puisqu’à l’évidence la facture présentée par monsieur Leclerc, en mai 2007, concerne la même activité ménagère que celle déjà couverte par l’article 158 de la loi à l’item ménage lourd, le remboursement ne saurait être accordé en sus.

                                                           CLP 232505-64-0401, 9 juin 2005, J.-F. Martel.

 

[…]

 

[43] En conséquence puisqu’il est clair que le travailleur a fait exécuter ses travaux de grand ménage durant la période couverte par l’allocation d’aide personnelle à domicile, il ne peut bénéficier du remboursement du montant de 550 $ encouru.

 

 

 

[54]           Considérant que dans le présent cas, tout comme dans Charlebois et G.-Net Universel ltée Leclerc et dans Construction Roy-Franc, la travailleuse bénéficie déjà en vertu de l’article 158 de la loi d’un montant d’aide personnelle à domicile en raison du pointage de l’activité de « ménage lourd », il nous apparaît que le texte de la loi ainsi que celui de la réglementation applicable sont incompatibles avec une double indemnisation pour « grand ménage » sous le couvert de l’article 165 de la loi.

[55]           Conséquemment, le tribunal rejette la requête de la travailleuse quant à sa demande de remboursement des frais pour grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la travailleuse, madame Suzanne Ruel;

CONFIRME la décision rendue le 26 juin 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le diagnostic de fibromyalgie n’est pas en relation avec l’accident du travail survenu en 1998 ni avec les lésions professionnelles qui découlent de cet événement et que la travailleuse n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ce diagnostic;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des coûts engagés pour grand ménage à titre de travaux d’entretien courant du domicile.

 

 

 

 

 

Marie-Danielle Lampron

 

Monsieur Éric Marsan

LÉGER MARSAN, ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           117028-72-9905 et al., 15 juillet 2005, C.-A. Ducharme.

[3]           Boisvert et Halco inc. 1995 CALP 19

[4]        Lévesque et Mines Northgate inc. [1990] C.A.L.P. 683 ; Boroday et Société canadienne des postes 91417-62-9708, 21 juin 1999, L. Vallières; Tardif et Alimentation Chez-vous, 29828-03-9106, 2 août 1993, J.-M. Dubois; Liburdi et Les spécialistes d'acier Grimco, 124728-63-9910, 9 août 2000, J.-M. Charrette; Rouette et Centre Hospitalier Cooke, 141411-04-0006, 31 mai 2001, S. Sénéchal; Castonguay et St-Bruno Nissan inc. 137426-62B-0005, 21 novembre 2001, Alain Vaillancourt.

[5]           c. A-3.001, r.1 : (1997) G.O. II, 7365.

[6]           290414-62B-0605 et 297878-62B-0609, 12 novembre 2007, J.-M. Dubois.

[7]           [2005] C.L.P. 266 ; 289657-64-0605, 19 avril 2007, S. Moreau (paragraphe 17).

[8]           Quévillon et Industrie James McLaren inc., 105351-72-9809, 99-05-13, R. Langlois, (99LR-25)

[9]           342034-63-0803, 5 février 2009, I. Piché

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