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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 15 juillet 2005, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révision d’une décision rendue le 30 mai 2005 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Cette décision[1] infirme celle qu’a prononcée la CSST le 11 mars 2004, à la suite d’une révision administrative, et déclare que madame Cynthia Phillips (la travailleuse) a droit, pour différentes périodes comprises entre les 19 mars 1996 et 13 juin 2003, à des prestations mensuelles d’aide personnelle à domicile et que la travailleuse a droit au paiement d’intérêts sur les montants dus à être versés rétroactivement.
[3] La CSST est représentée à l’audience qui s’est tenue à Joliette le 11 janvier 2006. La travailleuse y est également présente et représentée. L’employeur, le Centre hospitalier régional de Lanaudière, n’est pas représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser en partie la décision rendue le 30 mai 2005 et de déclarer que la travailleuse n’a pas droit au paiement d’intérêts sur les montants qui lui sont dus, à titre de prestations d’aide personnelle à domicile.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête devrait être rejetée. La CSST recherche une interprétation différente de celle qui a été faite par le premier commissaire sur le sens à donner au mot indemnité dont parle l’article 364 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).Rien ne démontre par ailleurs que le premier commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante dans son interprétation.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire. La décision du 30 mai 2005 va à l’encontre d’un courant jurisprudentiel bien établi et le premier commissaire commet une erreur manifeste et déterminante de droit dans son interprétation de l’article 364 de la loi puisqu’il lui fait dire ce qu’il ne dit pas.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider en l’instance s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision qu’elle a prononcée le 30 mai 2005.
[8] Les articles 429.49 et 429.56 de la loi prévoient ce qui suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] L’article 429.49 de la loi énonce clairement le caractère final, exécutoire et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles. Par cet article, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.
[10] Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[11] C’est ainsi qu’un manquement aux règles de justice naturelle et la découverte d’un fait nouveau existant lors de l’audition mais qu’une partie était dans l’impossibilité de fournir et qui serait de nature à modifier la décision rendue sont des motifs qui peuvent donner ouverture à la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[12] Ce n’est pas là ce que la CSST invoque en l’espèce. Elle allègue plutôt que la décision est entachée d’erreurs manifestes de droit équivalant à un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[13] L’orientation depuis plusieurs années de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles sur la notion de «vice de fond» est en ce qu’il doit s’agir d’une erreur de droit ou de faits qui est manifeste et qui a un effet déterminant sur l’objet de la contestation.[3]
[14] Dans l’affaire Bourassa[4], la Cour d’appel énonce la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[15] Plus récemment, la Cour d’appel, dans les arrêts CSST c. Fontaine[5] et CSST c. Touloumi[6], a réitéré qu’une décision attaquée pour le motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle «est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[16] La Cour d’appel n’en est pas demeurée là. Dans l’arrêt Fontaine[7], elle insiste particulièrement sur la primauté ou l’autorité à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. Siégeant en révision, la Commission des lésions professionnelles doit donc faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée.
[17] Cela étant dit, qu’en est-il dans le cas sous étude ?
[18] La CSST ne remet pas en cause les conclusions du premier commissaire sur le droit de la travailleuse à des prestations d’aide personnelle à domicile. Elle soutient par contre que le premier commissaire a commis des erreurs de droit manifestes et déterminantes lorsqu’il décide que la travailleuse a droit à des intérêts sur les montants dus.
[19] Le premier commissaire devait donc se prononcer sur le droit par la travailleuse à des intérêts sur les montants dus à titre d’aide personnelle à domicile. C’est l’article 364 de la loi qui était ainsi concerné et qui se lit comme suit :
364. Si une décision rendue par la Commission, à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358, ou par la Commission des lésions professionnelles reconnaît à un bénéficiaire le droit à une indemnité qui lui avait d'abord été refusée ou augmente le montant d'une indemnité, la Commission lui paie des intérêts à compter de la date de la réclamation.
Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts se capitalisent quotidiennement et font partie de l'indemnité.
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1985, c. 6, a. 364; 1993, c. 5, a. 20; 1997, c. 27, a. 20; 1996, c. 70, a. 42.
[20] Dans sa décision, après avoir correctement identifié la règle de droit applicable en l’espèce, le premier commissaire résume l’interprétation qui en a été faite à ce jour :
[35] En vertu de cet article, il est clair que la victime d’une lésion professionnelle a droit au paiement d’intérêts sur une indemnité versée rétroactivement par la CSST à la suite d’une décision rendue par une instance de décision et ayant pour effet d’établir son droit à une indemnité non reconnue initialement par la CSST ou d’augmenter le montant d’une telle indemnité.
[36] Ce qui cause problème ici, c’est l’interprétation faite par la CSST du mot indemnité. Dans sa décision, la CSST considère que l’article 364 s’applique aux seules indemnités de remplacement de revenu, les prestations d’aide personnelle à domicile n’étant pas, selon elle, des indemnités au sens de l’article 364, suivant en cela la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles5 et la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles6. Cette interprétation est à l’effet que la loi ne définit pas le mot indemnité, mais qu’on retrouve trois sortes d’indemnités dans celle-ci, soit une prestation versée en argent pour le remplacement du revenu, pour compenser un dommage corporel subi ou un décès et, des prestations au sens de l’article 2 de la loi visant l’assistance financière ou un service fourni en vertu de la loi. Le fait que l’article 364 utilise le mot indemnité sans y inclure expressément le mot prestation défini à l’article 2 a été interprété comme excluant les prestations définies à l’article 2 comme étant visée par le droit au paiement d’intérêts.
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5 C.A.L.P. no 70437-03B-9506, 30-10-95, J.-M. Dubois
6 C.L.P. nos 136681-32-0004 et 148148-32-0010, 29-03-01, L. Langlois
[21] C’est effectivement là l’interprétation unanime[8] jusqu’ici retenue par la Commission d’appel en matière de lésion professionnelle et la Commission des lésions professionnelles.
[22] Le premier commissaire décide toutefois de s’en isoler et s’en explique longuement par la suite, dans une dizaine de paragraphes.
[23] Le seul fait par le premier commissaire de se démarquer d’une jurisprudence jusque là unanime constitue-t-il en soi un vice de fond de nature à invalider sa décision ?
[24] Dans l’arrêt Fontaine[9], la Cour d’appel s’est posée la même question et y a finalement répondu par la négative :
[67] La dernière question à considérer consiste donc à se demander si s’écarter de la jurisprudence dominante est en tant que tel déraisonnable, constitue une «erreur manifeste de droit» ou «a fatal error».
[…]
[69] L’expérience démontre cependant que le respect du précédent, s’il est trop intransigeant, peut faire obstacle à la recherche d’une meilleure solution. Aussi ne doit-il pas être conçu comme une fin en soi mais seulement comme un moyen, et non le seul, pour parvenir à la solution appropriée : il invite le décideur à scruter chaque cas afin de déterminer dans quelle mesure les raisons qui antérieurement ont justifié un résultat donné dans une espèce apparemment semblable justifieraient le même résultat dans le cas sous étude. […] Le précédent, ou le principe voulant que des causes similaires soient traitées de façon analogue, ne dispense pas de chercher les raisons pour lesquelles une certaine solution est appropriée. Il facilite simplement l’analyse là où il est vraiment applicable.
[…]
[71] Une décision judiciaire ou quasijudiciaire se situe au point de contact entre le droit et le fait, là où l’interprétation des textes se fait nécessairement à la lumière des circonstances précises de l’espèce. […] La CLP 1 a jugé qu’une accumulation de facteurs présentant une gravité suffisante justifiait que la question de l’emploi convenable soit réexaminée et soit tranchée en faveur de l’intimée.
[72] Ce faisant, elle s’est écartée, semble-t-il, d’une norme jurisprudentielle antérieure; du moins l’a-t-elle sensiblement nuancée. Mais cette norme ne repose que sur une interprétation possible, et certainement pas sur la seule lecture indiscutable, du texte de loi invoqué de part et d’autre. En situant le cas de l’intimée en dehors du champ d’application de la norme jurisprudentielle apparemment applicable, la CLP 1 signale que cette norme telle qu’on la comprend est susceptible de faire obstacle à la solution appropriée du cas sous étude : elle est surdéterminée ou «overinclusive». Confrontée à des faits difficiles, une interprétation qu’on croyait reçue fait voir ses faiblesses. Sans être fréquents, de tels infléchissements sont assez banals en jurisprudence; on leur doit en partie la fécondité du droit. Dans ces conditions, je ne vois pas, pour ma part, comment l’on pourrait qualifier l’interprétation adoptée par la CLP 1, et la décision qui en est résultée, de déraisonnable ou de manifestement erronée. Elle résiste à un examen assez poussé, selon l’expression du juge Iacobucci dans l’arrêt Southam83.
[73] La CLP 2 a-t-elle adopté une interprétation déraisonnable de la LATMP en concluant à l’existence d’un vice de fond dans la décision de la CLP 1? Je crois que oui, car elle s’est contentée pour arriver à ce résultat de renvoyer à quelques décisions antérieures, sans rouvrir la question de fond posée par la caducité apparente en l’espèce de l’«emploi convenable», comme si la règle du stare decisis, qui n’a pas d’application ici, réglait le cas, et sans administrer, raisons à l’appui, la démonstration que la décision de la CLP 1 comportait une erreur de droit manifeste. La situation présentée par ce pourvoi est donc semblable à celle de l’arrêt Godin, à cette différence près que la Cour supérieure, ici, a pu s’appuyer sur le raisonnement déjà développé dans cette décision récente de notre Cour. Elle a eu entièrement raison de le faire. [nos soulignements]
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83 [1997] 1 R.C.S. 748 , p. 56
[25] L’enseignement de la Cour d’appel est donc clair : il ne suffit pas, pour qu’elle soit révisée, d’alléguer qu’une décision s’isole ou se démarque d’une norme jurisprudentielle établie; il faut plutôt qu’il y ait démonstration prépondérante que la décision attaquée comporte une erreur de droit ou de fait manifeste et déterminante.
[26] Le premier commissaire a décidé du droit par la travailleuse à des intérêts sur les prestations d’aide personnelle à domicile, pour les motifs suivants :
[38] Tout d’abord, il est vrai que l’article 364 réfère au mot indemnité sans qu’il ait été défini par le législateur, qui a cependant défini le mot prestation. Quand une expression ou un mot n’est pas précisément défini, le décideur n’a d’autre choix que de l’interpréter en regard de l’intention du législateur et la Loi d’interprétation7, en son article 41 édicte que toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage, qu’une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
[39] Quand un terme n’est pas défini par la loi8, c’est au sens ordinaire qu’il faut se référer, au dictionnaire. Il n’est pas nécessaire, à moins qu’une définition porte à confusion, de chercher l’intention du législateur en interprétant diverses dispositions de la loi. Le dictionnaire Petit Robert définit ce mot comme suit :
INDEMNITÉ n. f. 1° Ce qui est attribué à qqn en réparation d’un dommage, d’un préjudice. V. Compensation, dédommagement, dommages-intérêts, récompense, réparation. 2° Ce qui est attribué en compensation de certains frais. V. Allocation.
[40] On le voit par cette définition ordinaire du mot, une indemnité est tout ce qui est attribué en réparation d’un dommage, et cette définition inclut bien évidemment la prestation versée en argent pour aide personnelle à domicile.
[41] L’interprétation faite par la jurisprudence est fondée sur l’étude des dispositions du chapitre III de la loi traitant des indemnités. Ce chapitre traite de trois sortes d’indemnités, l’indemnité de remplacement du revenu, l’indemnité pour préjudice corporel et les indemnités de décès. Les deux décisions jurisprudentielles en ont conclu qu’il s’agissait des seules indemnités prévues à la loi, une interprétation restrictive. Rien ne permet ici de s’écarter du sens ordinaire du mot indemnité et de voir si le législateur a voulu restreindre sa portée. Quand le législateur veut restreindre un droit, il l’indique précisément, s’il ne le fait pas il faut présumer qu’il n’a pas voulu de restriction au droit, qu’il faut se référer au sens ordinaire des mots.
[42] L’interprétation retenue par la jurisprudence est restrictive et ne tient pas compte de l’intention réelle du législateur, avec égard, le soussigné conclut qu’elle ne rencontre pas les dispositions de la Loi d’interprétation.
[43] L’article 364, on en conviendra, a pour objet de reconnaître au travailleur un droit, celui du paiement d'intérêt par la CSST sur tout montant d’indemnité non versée à la date à laquelle il est dû. L’intention du législateur en utilisant exclusivement le mot indemnité sans utiliser celui de prestation qu’il a défini à l’article 2 de la loi était-il de soustraire l’indemnité versée en argent pour l’aide personnel à domicile? Le soussigné est d’avis qu’au contraire, l’article 364 vise toute prestation versée en argent.
[44] En effet, la définition du mot prestation à l’article 2 de la loi ne peut être prise en considération pour conclure que le législateur a voulu écarter de l’application de l’article 364 tous les éléments qui y sont contenus. Si tel était le cas, on pourrait écarter de l’application de cet article toute indemnité versée en argent, et, rappelons-le, l’indemnité de remplacement du revenu est une indemnité versée en argent.
[45] En effet, il est clair que le mot prestation tel que défini par l’article 2 est une notion plus large que l’indemnité de remplacement du revenu, elle comprend une telle indemnité9 (qui est indemnité versée en argent), mais comprend aussi tout service fourni10 qui ne serait pas relié à une somme versée en argent. La loi dans son ensemble vise des prestations de toute sorte, non seulement l’indemnisation monétaire, mais la réparation des lésions physiques et psychique, d’où la définition du mot prestation englobant l’ensemble de celles-ci.
[46] On ne peut interpréter l’article 364 comme écartant les prestations d’aide personnelle à domicile versées en argent parce que ne s’y retrouve pas le mot prestation. De toute évidence, le législateur utilise le mot indemnité et non celui de prestation non pas pour écarter l’indemnité d’aide personnelle à domicile visée par l’article 158, mais pour y exclure, cela va de soi, toute autre prestation non versée en argent, comme les services médicaux, les services de réadaptation et toute prestation n’étant pas de nature monétaire. Inclure les prestations non monétaires à l’article 364 eût été un non-sens tout simplement parce qu’un service non monétaire non fourni n’encourt pas de perte monétaire, or les intérêts visent à compenser une perte monétaire.
[47] Une prestation d’aide personnelle à domicile est en fait une somme attribuée en compensation de certains frais11. Une telle allocation de nature monétaire est visée par l’article 364. Le soussigné, avec égard, n’adhère pas à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, qui donne une interprétation non seulement restrictive à l’application de l’article 364 ne respectant pas la Loi d’interprétation, mais qui est mal fondée.
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7 L.R.Q., c. I-16
8 Quand le législateur décide de définir un mot ou une expression, c’est généralement pour donner une signification différente du sens ordinaire.
9 D’ailleurs, si on réfère au texte anglais, l’expression « indemnité versée en argent » y est traduite par « compensation ».
10 On peut penser ici aux services médicaux, aux services de physiothérapie, aux services de psychologie, par exemple.
11 Le deuxième sens du mot indemnité au dictionnaire Petit Robert.
[27] La CSST reproche essentiellement au premier décideur d’avoir considéré uniquement une interprétation grammaticale du terme indemnité contenu à l’article 364 de la loi et d’avoir particulièrement ignoré l’article 41.1 de la Loi d’interprétation[10] et d’avoir ainsi ajouté au mot indemnité de l’article 364 de la loi pour qu’on puisse y lire le terme «prestation». Le premier commissaire n’a pas tenu compte du contexte global de la loi avant de tirer ses conclusions au niveau de son interprétation.
[28] Autrement dit, la CSST soutient que l’interprétation que la décision attaquée fait de l’article 364 de la loi est mal fondée et contraire à l’intention du législateur et constitue donc une erreur de droit manifeste et déterminante donnant ouverture à la révision.
[29] Avec respect, le présent tribunal ne saurait partager la position que défend la CSST.
[30] Le premier commissaire était manifestement sensibilisé à la jurisprudence constante voulant que des montants versés à titre d’aide personnelle à domicile ne constituent pas une indemnité au sens de l’article 364 de la loi pouvant donner droit à des intérêts (paragraphe 36). Il constate que la loi ne définit pas le mot indemnité, contrairement au mot prestation qui est défini à l’article 2 de la loi (paragraphe 38). Il cherche par la suite à définir le mot indemnité et pour se faire, adopte la méthode grammaticale qui constitue l’une des méthodes possibles et reconnues d’interprétation d’une loi[11] (paragraphe 39). Il conclut que la définition ordinaire du mot indemnité inclut la prestation versée en argent pour aide personnelle à domicile (paragraphe 40) et en justifiant pourquoi il se dissocie de la jurisprudence (paragraphes 41 et 42), il explique largement son interprétation de l’article 364 (paragraphes 43 à 47), en tenant compte, écrit-il, de l’intention du législateur et de la Loi d’interprétation.
[31] L’interprétation que le premier commissaire fait de l’article 364 de la loi n’apparaît donc pas irrationnelle à sa face même. La CSST ne fait pas la preuve d’une erreur évidente et déterminante dans l’interprétation qui a été faite de l’article 364 de la loi qui ferait échec au bon sens, de nature à créer un déni de justice.
[32] La Commission des lésions professionnelles estime plutôt que, somme toutes, la CSST cherche plutôt ici à rouvrir le débat sur les mêmes arguments de droit qui ont été présentés par la travailleuse devant le premier commissaire. Or, l’article 429.56 de la loi ne permet pas au présent tribunal de substituer son interprétation du droit à celle du premier commissaire.
[33] C’est d’ailleurs là la mise en garde que l’honorable juge Morris Fish de la Cour d’appel a fait dans l’arrêt Tribunal administratif du Québec c. Godin[12] :
[51] Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions. Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails. [nos soulignements]
Put differently, mere disagreement is not among the specified grounds upon which one TAQ panel can revoke the decision of another : A second reasonably sustainable opinion does not invalidate the first, within the meaning of section 154(3) of the ARAJ. When the Tribunal revokes its previous determination on this basis, its decision to do so is therefore vulnerable on judiciable review.
[34] De plus, dans l’arrêt Amar et CSST[13], la Cour d’appel a rappelé que «l’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas au dégagement d’une solution unique». L’exercice d’interprétation consiste à procéder à des choix qui sont sujets à une marge d’appréciation admissible. C’est ainsi que la Cour d’appel a jugé qu’en substituant sa propre interprétation à celle retenue par le premier commissaire, la Commission des lésions professionnelles en révision a prononcé une décision déraisonnable, car elle n’établit aucun vice de fond pouvant l’avoir justifiée d’agir ainsi.
[35] Dans le cas sous étude, la décision du premier commissaire résiste à l’examen. Il fait une interprétation possible et raisonnable du texte de loi de l’article 364 et elle doit prévaloir sur celle que le présent tribunal pourrait avoir. C’est devant la première formation que la CSST aurait dû présenter son argumentation et faire valoir tous ses moyens de droit[14].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision présentée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Bernard Lemay |
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Commissaire |
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Me André Laporte |
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LAPORTE & LAVALLÉE |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Carole Bergeron |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Cette décision a fait l’objet de deux rectifications respectivement les 13 et 20 juin 2005 pour corriger des erreurs cléricales qui avaient été commises. Ces rectifications sont sans importance pour la requête que le présent tribunal doit décider.
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)
[5] [2005] C.L.P. 626 (C.A.)
[6] C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159
[7] Précitée, note 5
[8] Lire aussi : Proulx et Arthur Andersen inc. Syndic et Corporation Raymor ltée, C.L.P. 78766-60A-9604, 10 août 1998, J.-D. Kushner
[9] Précitée, note 5
[10] L.R.Q., c. I-16. L’article 41.1 se lit comme suit : Les dispositions d’une loi s’interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble et qui lui donne effet.
[11] Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, 766 p.
[12] [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)
[13] [2003] C.L.P. 606 (C.A.)
[14] CSST et Restaurants McDonald du Canada ltée, [1998] C.L.P. 1318