Décision

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Côté et Constructions LPG inc.

2008 QCCLP 488

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

29 janvier 2008

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

268027-04-0507

 

Dossier CSST :

124114075

 

Commissaire :

Me Diane Lajoie, avocate

 

Membres :

Denis Gagnon, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Périgny, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Dany Côté

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Constructions L.P.G. inc. (Les)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 juillet 2005, le travailleur, monsieur Dany Côté, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 19 juillet 2005, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 4 avril 2005 et déclare que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit être suspendu à compter du 1er avril 2005.

[3]                À l’audience tenue le 15 janvier 2008, le travailleur est présent et représenté. L’employeur, Constructions L.P.G. inc., bien que dûment convoqué, est absent et n’a pas justifié son absence auprès du tribunal. Le tribunal a accordé au travailleur un délai afin qu’il produise des documents supplémentaires. Le 28 janvier 2008, le représentant du travailleur a informé le tribunal que monsieur Côté n’a pas pu retracé ces documents et, qu’en conséquence, aucun document supplémentaire ne sera produit. Dans ces circonstances, l’affaire est prise en délibéré le 28 janvier 2008.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il n’a pas été négligent à fournir l’avis médical de son médecin et qu’en conséquence la CSST n’était pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu.

 

LES FAITS

[5]                Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et du témoignage du travailleur, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.

[6]                Monsieur Côté est menuisier commercial. Le 8 mai 2003, la CSST reconnaît une maladie professionnelle, soit un canal carpien bilatéral, depuis le 2 mars 2003. Cette décision est confirmée le 24 novembre 2003, à la suite d’une révision administrative.

[7]                En avril 2003, le travailleur est incarcéré jusqu’en décembre 2003.

[8]                Le travailleur subit une chirurgie au poignet droit en février 2004 et au poignet gauche, en mars 2004.

[9]                Le travailleur témoigne que son médecin traitant est le docteur Kronstrom.

[10]           Le travailleur est de nouveau incarcéré en avril 2004. Il appert du dossier qu’il ne se présente pas à un contrôle médical le 7 septembre 2004.

[11]           Le 8 septembre 2004, la CSST suspend l’indemnité de remplacement du revenu alléguant que le travailleur a omis, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical. Toutefois, le 29 octobre 2004, la CSST reconsidère sa décision et reprend le versement de l’indemnité. Elle estime que l’incarcération du travailleur justifie l’absence au rendez-vous médical.

[12]           Il appert du dossier que le travailleur s’est finalement présenté à l’expertise médicale demandée par la CSST, auprès du docteur Fradet, le 7 octobre 2004.

[13]           Alors qu’il est toujours incarcéré, en décembre 2004, le travailleur rencontre le médecin de la prison, le docteur Bissonnette. Le travailleur obtient un rendez-vous auprès du docteur El Haddad, médecin spécialiste, à Sherbrooke, le 25 février 2005. À cette époque, le travailleur espère de plus être transféré au centre de détention de Sherbrooke.

[14]           Toutefois, en janvier 2005, le centre de détention refuse son transfert à Sherbrooke de même que le rendez-vous avec le médecin spécialiste.

[15]           Il appert des notes évolutives du dossier que les rendez-vous médicaux des travailleurs incarcérés avec des médecins spécialistes doivent être autorisés et pris par le personnel du centre de détention.

[16]           Il appert également des notes évolutives que le travailleur refuse d’être traité par le docteur Bissonnette, médecin de la prison. À l’audience, le travailleur confirme cette information. Il explique que le docteur Bissonnette n’est pas son médecin traitant, que c’est le docteur Kronstrom qui l’a toujours suivi.

[17]           Dans ces circonstances, le docteur Bissonnette n’a pas rempli de rapport médical d’évolution concernant la condition du travailleur.

[18]           Il est rapporté aux notes évolutives du dossier que le docteur Bissonnette n’a pas jugé qu’il était urgent pour le travailleur de rencontrer un médecin avant sa sortie de prison. D’après ce qu’écrit l’agent de la CSST, à la suite d’une conversation téléphonique avec un membre du personnel du centre de détention, c’est le docteur Bissonnette qui a pleine autorité quant aux sorties des détenus.

[19]           Dans ce contexte, la CSST convient d’accorder au travailleur un délai de deux semaines afin qu’il fournisse l’information médicale demandée, sinon, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu sera suspendu. On peut lire aux notes évolutives du 15 mars 2005 :

«Considérant dernier avis md en sept. 04;

Considérant nombreuses démarches pour avoir RV, mais que ce milieu ne le permet pas;

Considérant que le md en place est disposé à faire le suivi md;

Considérant que le T s’y refuse;

Convenons d’accorder à T un délai de 2 sem. Pour fournir info sinon suspension de l’IRR selon art. 142 1-b.» [sic]

 

 

[20]           Les notes évolutives du 22 mars 2005 rapportent une conversation téléphonique de l’agente de la CSST avec le travailleur. Celui-ci lui indique qu’il a pris un rendez-vous avec un médecin à Sherbrooke le 20 mai 2005. Il répète qu’il ne veut pas consulter le médecin de la prison, qu’il ne lui fait pas confiance. Il ajoute qu’il est d’avis qu’il sera libéré sous peu.

[21]           Le 1er avril 2005, la CSST, n’ayant reçu aucun rapport médical, décide de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu.

[22]           Ainsi, la CSST rend une décision le 4 avril 2005 par laquelle elle suspend l’indemnité de remplacement du revenu alléguant que le travailleur a refusé ou négligé de fournir les documents demandés. Cette décision est confirmé le 19 juillet 2005, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[23]           Entretemps, le travailleur est transféré au centre de détention en Gaspésie. Il explique qu’il est plus facile d’obtenir les autorisations de sorties pour rendez-vous médical dans les plus petits centres. Une autorisation lui a en effet été accordée pour consulter le docteur El Haddad le 20 mai 2005.

[24]           Il appert du dossier que le 20 mai 2005, le travailleur a effectivement rencontré le docteur El Haddad, qui a émis une attestation médicale et un rapport médical CSST pour un syndrome du canal carpien gauche. Le médecin n’émet aucune restriction au travail.

[25]           Sur la foi de cette information, la CSST est d’avis que le travailleur peut reprendre son travail et qu’en conséquence, il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[26]           Le 8 juin 2005, le travailleur rencontre le docteur Allaire qui prescrit l’arrêt de travail. La CSST reprend donc le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[27]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs partagent le même avis, à savoir que la requête du travailleur devrait être accueillie. En effet, compte tenu de son incarcération et des procédures applicables dans le milieu carcéral, on ne peut reprocher au travailleur de ne pas avoir fourni les informations médicales demandées par la CSST.

[28]           Par ailleurs, dès qu’il a pu obtenir un rendez-vous avec un spécialiste et une permission pour s’y rendre, le travailleur en a avisé la CSST et a fourni les documents médicaux demandés.

[29]           Les membres issus des associations sont donc d’avis que la CSST n’était pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2005.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[30]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 1er avril 2005.

[31]           L’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) se lit comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[32]           La CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu parce qu’elle juge que le travailleur a refusé ou négligé de fournir les renseignements requis, soit les rapports médicaux faisant état du suivi médical du travailleur.

[33]           Or, à l’époque pertinente, le travailleur est incarcéré. Cette situation particulière l’empêche de gérer librement son dossier et d’obtenir un rendez-vous médical auprès d’un médecin spécialiste.

[34]           Il appert en effet de la preuve que c’est le médecin de la prison, le docteur Bissonnette, qui a l’autorité pour référer le travailleur à un spécialiste et autoriser sa sortie pour un rendez-vous médical. Le docteur Bissonnette n’a pas référé le travailleur  à un spécialiste, ne jugeant pas sa situation suffisamment urgente et n’a pas, en conséquence, autorisé de sortie.

[35]           Le docteur Bissonnette est toutefois disposé à rencontrer et examiner le travailleur.

[36]           Or, conformément à l’article 192 de la loi, le travailleur peut choisir  son médecin :

192.  Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.

__________

1985, c. 6, a. 192.

 

 

[37]           Cette disposition ne fait pas de distinction pour les travailleurs incarcérés. On ne peut donc pas reprocher au travailleur de refuser d’être traité ou suivi par le docteur Bissonnette.

[38]           Le travailleur affirme que le docteur Kronstrom est son médecin traitant, et non le docteur Bissonnette.

 

 

[39]           Le travailleur était, en 2005, placé dans un contexte qui ne lui permettait pas d’assurer un suivi médical régulier de sa condition, bien qu’il ait tenté de le faire en obtenant un rendez-vous médical à l’extérieur de la prison, ce qui lui a été refusé une première fois en février 2005.

[40]           Il appert toutefois du dossier que le travailleur a pu se présenter au rendez-vous pris avec le docteur El Haddad en mai 2005. Il appert également du dossier que le 22 mars 2005, le travailleur a informé la CSST de ce rendez-vous.

[41]           Malgré cela, la CSST a procédé à la suspension du versement de l’indemnité.

[42]           Considérant la situation particulière dans laquelle se trouvait le travailleur, considérant les procédures appliquées dans le milieu carcéral, procédures sur lesquelles le travailleur n’a aucun contrôle et auxquelles il doit se soumettre, considérant que dès qu’il a obtenu un rendez-vous avec un spécialiste et l’autorisation de s’y rendre, le travailleur a fourni les informations requises et considérant enfin que le travailleur a informé la CSST le 22 mars 2005 qu’il avait obtenu ce rendez-vous, le tribunal juge que le travailleur n’a pas refusé ni négligé de fournir les renseignements requis.

[43]           En conséquence, la CSST n’était pas justifiée de suspendre, à compter du 1er avril 2005, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Dany Côté;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 juillet 2005, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2005;

 

 

 

DÉCLARE que le travailleur avait droit à cette date à l’indemnité de remplacement du revenu.

 

 

__________________________________

 

Me Diane Lajoie

 

Commissaire

 

 

 

 

Jean Philibert

A.T.T.A.M.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

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