Provigo Distribution inc. (Div. Montréal) et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2011 QCCLP 417 |
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[1] Le 11 février 2010, Provigo Distribution inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le14 janvier 2010 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l’employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 21 janvier 2009 à la suite d’une révision administrative et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par M. Pierre Demers (le travailleur) le 9 février 2005.
[3] L’audience sur la présente requête s’est tenue à Montréal le 13 septembre 2010 en présence du représentant de l’employeur et du procureur de la CSST.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande de réviser la décision rendue le 14 janvier 2010 et de lui accorder un transfert d’imputation des coûts en vertu de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 14 janvier 2010.
[6] Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[7] Dans le présent dossier, l’employeur allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de « vice de fond […] de nature à invalider la décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[2] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.
[8] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[3], elle rappelle la règle applicable en ces termes :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[10] La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[4] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[5], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[11] De l’avis de la soussignée, la Cour d’appel nous invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[12] Qu’en est-il en l’espèce?
[13] Le 9 février 2005, le travailleur, âgé de 65 ans, subit un accident du travail lorsqu’il tombe d’une hauteur d’environ trois pieds. Il subit une fracture de la hanche droite qui nécessite une intervention chirurgicale (une réduction fermée anatomique de la fracture avec fixation par clou et plaque). Environ 10 jours plus tard, le travailleur développe une pneumonie bilatérale qui se complique d’un syndrome de détresse respiratoire avec épanchements pleuraux bilatéraux et choc septique. Le travailleur est transféré aux soins intensifs et subit un drainage thoracique. Il développe pendant ce séjour un période de diarrhée à la bactérie Clostridium difficile et, par la suite, il présente une infection urinaire.
[14] Le travailleur reçoit son congé de l’hôpital le 5 mai 2005 et est dirigé vers un CHSLD pour une convalescence de six semaines.
[15] En juin 2005, le Dr Langevin, le chirurgien qui a opéré le travailleur, constate que la fracture de la hanche présente une mal-union (mauvaise position des fragments d'un os fracturé) et demeure symptomatique. Il estime toutefois une nouvelle intervention chirurgicale trop risquée.
[16] Après avoir obtenu une seconde opinion médicale, le travailleur subira finalement une chirurgie de remplacement total de la hanche en mai 2006. La lésion professionnelle est consolidée le 10 août 2006. Une atteinte permanente à l’intégrité physique de 28,75 % est reconnue au travailleur et des limitations fonctionnelles sont émises. Le 14 décembre 2006, la CSST déclare que le travailleur est incapable d’exercer un emploi à temps plein et qu’il recevra une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à 68 ans.
[17] Entretemps l'employeur avait demandé un transfert d'imputation au motif que les conditions de pneumonie, d’infection urinaire, d’abcès aux poumons et d’infection à la bactérie Clostridium difficile étaient assimilables à des lésions survenues à l'occasion des soins. La CSST a rejeté cette demande[6], d’où la contestation de l’employeur à la Commission des lésions professionnelles.
[18] La première juge administrative devait donc déterminer si l’employeur peut bénéficier d’un transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la loi dans le cas d’une lésion professionnelle visée par l’article 31. Ces dispositions se lisent ainsi :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
[19] Après avoir résumé la preuve et fait état de l’expertise du Dr Pierre Legendre, produite par l’employeur au soutien de sa demande, elle se penche sur l’interprétation des articles 327 et 31 (paragraphes 41 à 46 de la décision). Puis procédant à l’appréciation de la preuve au dossier, elle conclut que l’article 31 ne s’applique pas puisque les soins qui ont été apportés au travailleur n’ont pas entraîné « une blessure ou une maladie étrangère à la fracture de la hanche ».
[20] Précisons que la première juge administrative rend sa décision sur dossier, avec la preuve au dossier et une argumentation écrite du représentant de l’employeur.
[21] Dans sa requête, le représentant de l’employeur allègue que la première juge administrative commet une erreur manifeste « dans l’appréciation et l’analyse de la preuve de même que dans la motivation de sa décision ». À l’audience, il souligne qu’à une première lecture, la décision en elle-même semble intelligible. La première juge administrative discute de la preuve et l’analyse. Cependant il prétend qu’une analyse plus fouillée de la preuve démontre que sa décision ne repose pas sur la preuve. Il plaide que la preuve ne supporte pas la conclusion de la première juge administrative. De plus, il fait valoir qu’elle a fait défaut d’analyser certaines des conditions dont a souffert le travailleur.
[22] Il signale que les conséquences de la lésion professionnelle ont été désastreuses pour le travailleur et, par conséquent, également sur les coûts imputés à l’employeur.
[23] À sa face même, la requête en révision de l’employeur apparait être une invitation au présent tribunal à réapprécier la preuve, exercice auquel il ne peut se livrer dans le cadre de la révision. Même en se prêtant à l’analyse plus fouillée de la preuve à laquelle le représentant de l’employeur procède devant le Tribunal, cela demeure une question d’appréciation de la preuve à laquelle la soussignée ne peut substituer la sienne.
[24] L’appréciation de la preuve qu’a faite la première juge administrative doit être analysée à la lumière des critères juridiques applicables. Après avoir rappelé l’origine et l’objectif de l’article 31 de la loi, elle signale, en s’appuyant sur la jurisprudence, que l’article 31 de la loi « vise une nouvelle blessure ou maladie distincte de la lésion professionnelle et de ses soins et non pas les conséquences plus importantes que celles auxquelles on devait s’attendre ». Elle énonce ainsi la preuve requise pour l’application de l’article 31 de la loi et ajoute qu’une demande de transfert des coûts doit être interprétée de manière restrictive puisqu’il s’agit d’une exception :
[45] Ainsi, pour établir que la blessure ou la maladie dont souffre un travailleur à la suite de soins ou de son omission peut acquérir un caractère professionnel au sens du premier paragraphe de l’article 31 il faut :
• une lésion professionnelle initiale;
• l’administration de soins en lien avec la lésion professionnelle ou une omission de ceux-ci;
• la survenance d’une nouvelle blessure ou maladie reliée de façon prépondérante au précédent critère et qui se détache clairement de la lésion professionnelle et de son évolution.
[46] Au surplus, il y a lieu de rappeler qu’en matière d’imputation la règle générale se retrouve à l’article 326 de la loi et prévoit que l’employeur du travailleur accidenté professionnellement endosse l’ensemble des coûts entraînés par l’événement. Ainsi, lorsqu’une demande de partage ou de transfert des coûts est demandée, celle-ci se doit d’être examinée sous une loupe restrictive puisqu’il s’agit du recours à une exception.
[25] Puis elle procède à l’analyse de la preuve au dossier et en retient ceci :
[47] En l’instance, il ressort de la preuve que le travailleur accidenté sur les lieux de son travail, le 9 février 2005, éprouve une série de complications de son état de santé quelques jours après avoir subi une chirurgie visant la réparation d’une fracture intertrochantérienne de la hanche droite. Le premier maillon noté de cette chaîne de complications est la survenance d’une pneumonie.
[48] Le docteur Langevin, chirurgien traitant du travailleur, explique la survenance de cette maladie par l’existence de douleurs très importantes à la suite de la chirurgie qui ont empêché le travailleur de se mobiliser. Il est en effet resté alité près de deux semaines après l’opération et a par la suite commencé à rencontrer une dégradation de sa condition physique.
[49] Le docteur Legendre, médecin désigné par l’employeur, mentionne pour sa part que les pneumonies sont occasionnelles suite aux fractures de la hanche puisqu’une hospitalisation et une immobilité relative peuvent entraîner ce genre de maladie. Par ailleurs, il spécifie qu’elles se développent surtout chez les patients âgés de plus de 70 ans et ne s’accompagnent pas d’un système de détresse respiratoire ou d’empyème. Il est donc d’avis que le travailleur a présenté une évolution exceptionnelle de sa condition pulmonaire et des conséquences qui ont suivi.
[50] Le tribunal conclut de ces deux opinions que la survenance d’une pneumonie à la suite d’une chirurgie de la hanche, qui nécessite un séjour à l’hôpital et une part d’immobilisation, constitue une évolution qui n’est pas insolite, ni exceptionnelle, elle est tout au plus occasionnelle.
[51] À l’égard de ce dernier qualificatif, la soussignée estime que le travailleur se classe effectivement parmi les gens à risque de développer une pneumonie en de telles circonstances, et ce, bien qu’il n’ait que 65 ans. En effet, l’écart d’âge de cinq ans avec les candidats recensés par le docteur Legendre n’apparaît pas suffisamment significatif pour être distingué.
[52] Une lecture attentive du dossier permet ensuite de comprendre que la suite des complications découle directement de cette première infection. Celle-ci se complexifie effectivement par une surinfection et par l’apparition d’une insuffisance respiratoire ainsi que d’un choc septique qui nécessitent un séjour aux soins intensifs avec intubation et prise d’antibiotiques amenant à son tour une période de diarrhée à C difficile et une infection urinaire. L’ensemble des énergies du travailleur étant requises pour lutter contre ces infections, l’organisme est ainsi privé d’un apport de substances nutritives nécessaire à la guérison de la fracture et il est impossible pour monsieur Demers de se mobiliser. Il en ressort un diagnostic de mal-union de la fracture et l’indication d’une nouvelle chirurgie d’exérèse d’implants et de mise en place d’une prothèse totale en céramique.
[53] Ainsi, bien que l’évolution en cause de la lésion soit fort déplorable et peu fréquente, elle n’en est pas moins reliée directement à la lésion professionnelle d’origine. La soussignée considère de plus que les caractéristiques et capacités propres d’un individu à endurer la douleur, à combattre une maladie ou à se remettre d’une intervention médicale quelle qu’elle soit n’entraînent d’aucune façon une rupture du lien de causalité avec la lésion professionnelle initiale.
[54] En de telles circonstances, le tribunal ne peut donc conclure que les soins qui ont été apportés au travailleur dans le cadre de sa lésion professionnelle ont entraîné la survenance d’une blessure ou d’une maladie étrangère à la fracture de la hanche et estime que l’article 31 de la loi ne s’applique pas.
[26] Le représentant de l’employeur soumet que la première juge administrative commet une erreur sur le motif principal de sa décision en concluant au paragraphe 50 que la survenance d’une pneumonie à la suite d’une chirurgie de la hanche « constitue une évolution qui n’est pas insolite, ni exceptionnelle, elle est tout au plus occasionnelle ». Il prétend que cette conclusion ne repose pas sur la preuve et que personne n’a fait cette affirmation. Au contraire, soutient-il, la preuve démontre que l’évolution de la condition pulmonaire du travailleur a été exceptionnelle.
[27] Il fait valoir qu’il est inexact d’affirmer que les deux médecins étaient du même avis. Le Dr Langevin n’a pas qualifié l’évolution de la condition du travailleur et il était plutôt décontenancé par l’aspect catastrophique de cette évolution. Il ajoute qu’elle n’a retenu qu’un paragraphe de l’opinion du Dr Legendre, qu’elle ne l’a pas cité de façon conforme car ce dernier a plutôt conclu au caractère exceptionnel de l’évolution de la condition du travailleur.
[28] La première juge administrative rapporte l’opinion du Dr Legendre en la résumant aux paragraphes 21 à 27 de sa décision. Plus particulièrement en ce qui nous intéresse ici, elle écrit ceci :
[23] Le docteur Legendre mentionne que la relation entre l’accident subi le 9 février 2005 et la fracture de la hanche droite ne fait aucun doute. Il indique cependant que l’histoire naturelle d’une telle fracture est dans la très grande majorité des cas celle d’une consolidation sans mal-union ou ankylose significative au niveau de la hanche. Il considère extrêmement rare un diagnostic de non-union pour une fracture intertrochantérienne. Il rapporte qu’un orthopédiste peut voir ce type de complication d’une à deux fois dans sa pratique, alors qu’il traite en moyenne 40 à 50 fractures de ce type par année. Il croit cette complication reliée à un état de catabolisme important faisant suite à l’infection pulmonaire qui au surplus n’a pas permis au travailleur d’effectuer la mise en charge et d’augmenter les chances d’union de la fracture. Il précise à cet égard que l’ensemble des énergies de monsieur Demers était fort probablement consacré à la lutte contre ses infections, ce qui a privé l’organisme d’un apport de substances nutritives nécessaires à la guérison d’une fracture.
[24] Il ajoute que les pneumonies sont occasionnelles suite aux fractures de la hanche. En effet, l’hospitalisation et une immobilité relative peuvent entraîner ce genre de maladie. Par ailleurs, elles se développent surtout chez les patients âgés de plus de 70 ans et ne s’accompagnent pas d’un système de détresse respiratoire ou d’empyème. Il est donc d’avis que le travailleur a présenté une évolution exceptionnelle de sa condition pulmonaire.
[25] Il considère également que les infections urinaire et gastro-intestinale résultent fort probablement de l’utilisation d’antibiotiques pour traiter la pneumonie et de l’insertion d’un cathéter urinaire.
[nos soulignements]
[29] Dans ce résumé, la première juge administrative rapporte fidèlement les propos du Dr Legendre. À la page 14 de son expertise, il indique qu’un diagnostic de non-union pour une fracture intertrochantérienne est extrêmement rare. Puis, comme elle le rapporte, il note que les pneumonies sont occasionnelles suite aux fractures de la hanche. Il ajoute toutefois qu’une pneumonie aux deux lobes avec syndrome de détresse respiratoire représente une évolution exceptionnelle de la condition pulmonaire.
[30] Le représentant de l’employeur prétend que si la première juge administrative avait cité intégralement la réponse du Dr Legendre à la question numéro 6 de son expertise portant sur la relation, elle aurait nécessairement conclut autrement. Il insiste principalement sur l’extrait suivant de l’expertise du Dr Legendre :
Il aurait pu y avoir relation entre cette fracture de hanche et l’apparition d’une pneumonie simple, et ceci seulement du fait que la fracture de la hanche a amené une hospitalisation et une immobilité relative (par les douleurs à sa hanche et l’utilisation des calmants). Toutefois, il nous est impossible de relier cette fracture de la hanche avec l‘atteinte infectieuse grave qu’a présentée monsieur Demers au niveau de ses poumons. En effet, la sévère pneumonie qu’il a présentée, en association avec un syndrome de détresse respiratoire de l’adulte et un empyème, est tout à fait exceptionnelle dans le contexte d’une fracture de la hanche. Nous avons été impliqué dans le traitement chirurgical d’au-delà de 1000 patients avec des fractures de hanche à date dans notre carrière, et nous ne souvenons pas d’avoir eu affaire à une telle complication chez un de nos patients. Il ne fait aucun doute que si une telle condition était survenue, il y aurait eu là matière à rechercher une autre cause ou un facteur favorisant. Nous constatons dans le dossier d’hôpital de St-Jérôme qu’un microbiologiste, en date du 23 février 2005, a indiqué dans sa conclusion, en parlant de la pneumonie de monsieur Demers, qu’il n’avait jamais vu cela. [sic]
[31] Après avoir relu attentivement au complet l’expertise du Dr Legendre, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut retenir la prétention de l’employeur.
[32] L’exercice d’appréciation de la preuve ne se limite pas seulement à retenir ou à écarter les propos ou l’opinion d’un expert ou d’un autre. Les tribunaux supérieurs[7] l’ont souvent rappelé, un tribunal n’est pas lié par l’opinion d’un expert. Il doit apprécier et soupeser celle-ci à la lumière de l’ensemble de la preuve factuelle et médicale. Le juge administratif tire ses conclusions de l’ensemble de la preuve. Il lui appartient d’analyser tous les éléments de preuve et de soupeser les opinions médicales. De plus, il n’est pas nécessaire qu’un médecin ait utilisé expressément le terme « occasionnel » pour qualifier l’évolution de la condition du travailleur pour que la première juge administrative puisse tirer cette conclusion de la preuve.
[33] En l’espèce, contrairement à certaines décisions que le représentant de l’employeur dépose[8], on ne peut pas conclure que la première juge administrative a ignoré l’opinion du Dr Legendre ou que sa conclusion ne repose pas sur la preuve. Elle a rapporté et analysé l’opinion du Dr Legendre de même que l’ensemble de la preuve.
[34] Au-delà du qualificatif d’occasionnel ou d’exceptionnel, la première juge administrative a conclu que même si l’évolution de la condition du travailleur est peu fréquente, elle est tout de même reliée directement à la lésion professionnelle d’origine. Cette conclusion repose sur la preuve puisqu’elle s’appuie sur l’opinion du Dr Langevin dans sa note de consultation du 17 juin 2005 qu’elle résume ainsi :
[14] Le 17 juin 2005, monsieur Demers revoit son chirurgien, le docteur Langevin. Celui-ci écrit dans une note de consultation que le travailleur ne présentait pas de problèmes de santé majeurs au moment de son hospitalisation, mais qu’il a développé, après l’intervention, des douleurs très importantes qui l’ont empêché de se mobiliser. Il précise que ce dernier est resté alité pendant près de deux semaines, ce qui à son avis a amené les complications qui ont suivi. Il cite à cet égard l’atélectasie des deux poumons surinfectée et compliquée d’une pneumonie bilatérale accompagnée d’une sepsie importante. Tout cela a entraîné une diminution de l’état général du patient extrêmement importante.
[nos soulignements]
[35] Le représentant de l’employeur fait valoir que l’affirmation de la première juge administrative au paragraphe 51 relativement aux gens à risque ne repose pas sur la preuve de même que son affirmation au paragraphe 53 sur les caractéristiques propres à un individu.
[36] De nouveau, le Tribunal estime qu’il s’agit d’une stricte question d’appréciation de la preuve. Le Dr Legendre écrit que les pneumonies sont occasionnelles suite aux fractures de la hanche, « et ceci surtout pour les patients âgés de 70 ans et plus ». Le travailleur en l’espèce étant âgé de 65 ans, la première juge administrative estime qu’un écart de 5 ans n’est pas suffisamment important pour justifier une distinction.
[37] Le Tribunal ne peut pas conclure que cette interprétation est manifestement erronée.
[38] De même, le fait de retenir au paragraphe 53 que la capacité d’un individu à faire face à la douleur ou à guérir n’entraîne pas une rupture du lien de causalité avec la lésion initiale relève de son appréciation. La question de la relation est une question juridique qui relève du juge administratif. Il n’est pas nécessaire qu’un médecin ait fait cette affirmation pour que la première juge administrative prenne en considération cet élément.
[39] Le représentant de l’employeur fait également valoir que la première juge administrative n’a pas traité de l’ensemble des complications dont a souffert le travailleur. Elle a analysé uniquement la pneumonie à titre de lésion professionnelle en vertu des articles 327 et 31 sans considérer les autres conditions notamment l’infection à la bactérie Clostridium difficile.
[40] Cela est inexact. La première juge administrative analyse l’ensemble des conditions. Elle analyse d’abord la pneumonie en indiquant au paragraphe 47 qu’il s’agit du « premier maillon » de la chaîne de complications. Puis, au paragraphe 52, elle retient de la preuve que « la suite des complications découle directement de cette première infection » et elle énumère alors l’ensemble des complications qui ont suivi et notamment l’infection à la bactérie Clostridium difficile.
[41] Non seulement la première juge administrative a traité de l’ensemble des conditions mais sa conclusion repose clairement sur la preuve au dossier. Le Dr Legendre émet lui-même l’opinion dans son expertise « qu’il est fort probable que les infections urinaire et gastro-intestinale ont été consécutives à l’utilisation des antibiotiques pour traiter la pneumonie, ainsi qu’à l’utilisation fort probable d’un cathéter urinaire »[9].
[42] Finalement le Tribunal ne peut retenir l’allégation de l’employeur sur l’insuffisance de la motivation.
[43] Dans Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles[10], la Cour supérieure est intervenue en révision judiciaire et a annulé une décision de la Commission des lésions professionnelles pour absence de motivation. Elle reprend le test de l’intelligibilité et indique que le lecteur doit être en mesure de comprendre quels sont les éléments qui ont fait pencher la balance. La motivation, explique le juge Léger, implique un exercice d’analyse et d’introspection.
[44] Or la décision dont on demande ici la révision remplit tout à fait cette obligation. À sa lecture, on sait sur quoi se fonde la première juge administrative. Son raisonnement est motivé et compréhensible.
[45] L’employeur est insatisfait de la conclusion que la première juge administrative a tiré de la preuve mais il n’a pas démontré que celle-ci ne repose pas sur la preuve. Il met en relief des éléments de la preuve qui soutiennent sa position alors que le procureur de la CSST passe en revue ceux qui permettent de conclure au contraire, reprenant même des éléments dont la première juge administrative ne discute pas[11]. Ce n’est pas là l’exercice auquel le Tribunal doit se livrer en révision.
[46] Comme le signale le juge Morissette dans l’arrêt Fontaine[12], il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première.
[47] L’employeur n’a pas démontré que la décision du 14 janvier 2010 comporte une erreur manifeste et déterminante pouvant donner ouverture à la révision. Sa requête est donc rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de Provigo Distribution inc., l’employeur.
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Lucie Nadeau |
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Monsieur Claude Stringer |
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CLAUDE STRINGER INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me David Martinez |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.). La Cour d’appel réitère cette interprétation quelques semaines plus tard dans CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[6] La CSST a également rejeté les 25 octobre 2007 et 22 mai 2008 deux autres demandes de transfert de coûts de l’employeur, l’une invoquant qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi et l’autre alléguant qu’une maladie intercurrente serait survenue au cours de la consolidation. Toutefois l’employeur n’a pas contesté ces décisions.
[7] Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374 ; Pelletier c. Commission des lésions professionnelles, [2002] C.L.P. 207 (C.S.); Solaris Québec inc. c. Commission des lésions professionnelles, [2006] C.L.P. 295 (C.S.); Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles, [2007] C.L.P. 1926 (C.S.).
[8] Cayer et Produits d’acier Stelbec ltée, C.L.P. 313631-71-0703, 9 février 2009, L. Nadeau; El Amrani et L. Rocco ébéniste ltée, C.L.P. 340811-71-0802, 26 août 2009, L. Boudreault; Centre santé services sociaux Baie-Chaleurs et Service Secours Baies des chaleurs ltée, C.L.P. 302030-01C-0611, 3 septembre 2009, J-F Clément.
[9] P. 14 de l’expertise du Dr Legendre.
[10] [2007] C.L.P. 1926 (C.S.).
[11] Par exemple, l’interprétation qu’il fait de la note du microbiologiste sur le type de bactérie observé.
[12] Précité, note 4.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.