Décision

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De Santis et Société des alcools du Québec

2007 QCCLP 539

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

26 janvier 2007

 

Région :

Laval

 

Dossiers :

273023-61-0510      274511-61-0511

 

Dossier CSST :

122637556

 

Commissaire :

Me Santina Di Pasquale

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Richard Supple, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre De Santis

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Société des Alcools du Québec

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 273023-61-0510

 

[1]                Le 11 octobre 2005, M. Pierre De Santis (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 mai 2005 et déclare que le travailleur n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation, le 8 février 2005, de la lésion professionnelle du 3 juin 2002.

 

Dossier 274511-61-0511

[3]                Le 1er novembre 2005, le travailleur dépose une autre requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST, le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 juin 2005 et déclare que le travailleur n’a pas droit à l’assistance médicale notamment au remboursement des frais pour des traitements de physiothérapie.

[5]                L’audience s’est tenue à Laval le 4 décembre 2006. Le travailleur n’était pas présent mais il était représenté par avocat. Société des Alcools du Québec (l’employeur) par l’entremise de son procureur, avise le tribunal qu’il ne sera pas représenté à l’audience.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[6]                Dans le premier dossier (273023-61-0510), le travailleur demande de reconnaître que le diagnostic de réaction anxio-dépressive posé le 8 février 2005 est en relation avec l’accident du travail du 3 juin 2002.

[7]                Dans le second dossier (274511-61-0511), le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit à des traitements de support en physiothérapie tel que prescrit par son médecin.

LES FAITS

[8]                Le travailleur, âgé de 39 ans, exerçait les fonctions de commis-caissier à la Société des Alcools du Québec (SAQ) lorsqu’il a subi un accident du travail le 3 juin 2002.

[9]                Il ressent un étirement à la face postérieure de la jambe gauche en manipulant une caisse de bouteilles de 40 onces contenant de l’alcool.

[10]           Le diagnostic posé initialement par le Dr Jean-Jacques Champoux est un «étirement du membre inférieur gauche ischio-jambier». Le travailleur est mis en arrêt de travail et des traitements de physiothérapie sont débutés à compter du 17 juin 2002.

[11]           Un examen par résonance magnétique du genou gauche est réalisé le 18 juillet 2002. Le Dr Tien Dao, qui interprète cet examen, est d’avis qu’il y a présence de dégénérescence méniscale interne mais qu’il n’y a pas d’évidence de déchirure méniscale, ligamentaire ou tendineuse.

[12]           Le 22 août 2002, le Dr Champoux revoit le travailleur. Il pose le diagnostic de «déchirure ischio-jambier gauche et laxité genou gauche». Il prescrit une orthèse et recommande la poursuite des traitements de physiothérapie.

[13]           Le travailleur est dirigé en orthopédie et vu par le Dr T. Héron, chirurgien orthopédiste, le 5 septembre 2002. Le Dr Héron indique comme diagnostic dans le rapport médical qu’il produit : «entorse genou gauche et hyperextension ++». Une orthèse est recommandée.

[14]           Le 31 octobre 2002, le travailleur est examiné, à la demande de l’employeur par la Dre Nathalie Hamel, chirurgienne orthopédiste. La Dre Hamel retient comme diagnostic en relation avec l’événement du 3 juin 2002 celui d’une «entorse ischio-jambier jambe gauche». Elle fixe la date de consolidation de la lésion à la date de son examen et ajoute que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle.

[15]           À la demande de l’employeur, la contestation relative aux questions d’ordre médical est soumise au Bureau d’évaluation médicale.

[16]           Le 17 janvier 2003, le Dr Luc Pilon, chirurgien orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Il constate à l’examen clinique, une nette détérioration depuis l’examen pratiqué par la Dre Hamel. Il est d’avis de retenir le diagnostic de «déchirure musculaire ischio-jambier avec laxité capsulaire et instabilité du point d’angle postéro-externe genou gauche». Il considère que cette lésion n’est pas encore consolidée et qu’il y a lieu de poursuivre les traitements et l’investigation.

[17]           Une consultation est demandée au Dr Pierre Ranger, chirurgien orthopédiste. Dans son rapport daté du 12 mars 2003, il ne recommande pas la chirurgie. Le travailleur est ensuite suivi par son médecin, le Dr Jean L. Thisdale, et à partir d’avril 2003 apparaît le diagnostic de «syndrome d’hyperusage fémoro-patellaire du genou droit».

[18]           Les diagnostics d’entorse du genou gauche et de syndrome de surutilisation du genou droit sont acceptés par la CSST comme étant en relation avec l’accident du travail à la suite d’une révision administrative, le 17 décembre 2003.

[19]           Le Dr Thisdale produit un rapport final le 20 janvier 2004. Il indique que la lésion sera consolidée le 26 janvier 2004 avec séquelles fonctionnelles. De plus, il écrit sur le rapport «poursuivre physio entretien».

[20]           Le Dr Thisdale produit un rapport d’évaluation médicale le 6 février 2004. Il indique comme diagnostic de la lésion «entorse du genou gauche et syndrome fémoro-patellaire du genou droit». Il écrit dans son rapport que le contenu de l’arsenal thérapeutique ayant été épuisé il consolide la lésion mais ajoute ce qui suit :

Malgré cette consolidation, il est médicalement requis que le travailleur poursuive ses traitements de physiothérapie d’entretien au niveau du genou gauche surtout et ce, pour une période indéterminée.

 

 

[21]           Plus loin, dans son rapport il indique que la poursuite des traitements de physiothérapie est recommandée «pour maintenir un état optimal du travailleur».

[22]           Il précise que le travailleur est fortement gêné par sa condition actuelle dans ses activités quotidiennes. Le port de l’orthèse stabilisatrice est requis pour toutes les activités courantes. Il souligne que la démarche est difficile et boiteuse signalant une instabilité du genou.

[23]           Il évalue l’atteinte permanente à l’intégrité physique à 30 % (incluant le déficit pour douleurs et perte de jouissance de la vie) et écrit ce qui suit sous la rubrique limitations fonctionnelles :

Il est manifeste que ce travailleur voit son horizon professionnel s’assombrir de façon marquée à cause de cet accident. Il doit de toute évidence occuper un poste de travail sédentaire, en position assise, mais avec tout le loisir de changer de position fréquemment, de même que celui de retourner alternativement en position debout. La mise en charge au niveau des membres inférieurs est donc limitée à ces seuls mouvements positionnels du travailleur. Le port d’une orthèse stabilisatrice est permanent pour toute la gamme des activités de déplacement et/ou professionnelles.

 

 

[24]           La CSST rend une décision, le 12 mars 2004, évaluant l’atteinte permanente à l’intégrité physique à 30 %.

[25]           Le 18 mai 2004, une autre décision est rendue par la CSST. Elle avise le travailleur qu’il a droit à la réadaptation. Le processus de réadaptation en vue de déterminer un emploi convenable est alors entamé.

[26]           Le 3 novembre 2004, la CSST rend une décision retenant comme emploi convenable celui de caissier de stationnement à un revenu annuel estimé à 18 770,40 $. La CSST considère que le travailleur est apte à occuper cet emploi à compter du 2 novembre 2004. Il est avisé que la CSST continuera de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à temps qu’il se trouve un emploi ou au plus tard le 1er novembre 2005.

[27]           Malgré la consolidation de la lésion, le travailleur consulte le Dr Thisdale régulièrement pour ses problèmes de genoux. Il voit le Dr Thisdale en mars, mai, juin, août, octobre et novembre 2004 ainsi qu’en janvier 2005.

[28]           Le 8 février 2005, le travailleur revoit encore une fois le Dr Thisdale. Ce médecin remplit cette fois-ci un formulaire d’attestation médicale et indique que le travailleur souffre d’une réaction anxio-dépressive secondaire à l’entorse du genou gauche et le syndrome fémoro-patellaire du genou droit. Ce même diagnostic apparaît dans les rapports médicaux subséquents de mars, avril, mai et juin 2005. Dans son rapport du 27 mai 2005, le Dr Thisdale ajoute «poursuivre physiothérapie».

[29]           Il est aussi à noter que dans le rapport de fin d’intervention en physiothérapie daté du 5 mai 2005, le physiothérapeute indiquait que la condition du travailleur est variable mais que les traitements à une fois par semaine «le maintien et le soulage».

[30]           Le travailleur produit une nouvelle réclamation à la CSST, le 28 février 2005, alléguant avoir subi une récidive, rechute ou aggravation le 8 février 2005. La CSST refuse la réclamation du travailleur par décision datée du 11 mai 2005 et cette décision est confirmée le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative. La Commission des lésions professionnelles est saisie de cette contestation du travailleur (le premier dossier).

[31]           La CSST rend une autre décision, le 7 juin 2005, à la suite de la demande du Dr Thisdale de poursuivre la physiothérapie. Elle avise le travailleur qu’elle ne peut faire droit à sa demande de traitements supplémentaires puisqu’il a reçu 290 traitements de physiothérapie, 58 traitements en ergothérapie et que sa lésion est consolidée depuis le 26 janvier 2004.

[32]           La Commission des lésions professionnelles est également saisie de la contestation du travailleur de cette décision et de celle confirmant cette décision rendue le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative (le deuxième dossier).

[33]           Plusieurs documents sont produits à l’appui des prétentions du travailleur. Une demande d’évaluation psychosociale de la part de la CSST envoyée à Mme Monique Poupart, le 12 mai 2004, est produite. Une deuxième lettre datée du 23 juin 2004, adressée à Mme Monique Lemieux, travailleuse sociale, est également produite. La conseillère en réadaptation, Mme Louise Renaud, indique dans cette lettre que l’objectif de l’intervention est d’apporter au travailleur l’appui nécessaire pour surmonter les conséquences de sa lésion professionnelle et de s’adapter aux changements qui en découlent.

[34]           Deux rapports d’évaluation et d’évolution rédigés par Mme Lemieux ont été produits. Elle indique, dans le premier rapport daté du 25 octobre 2004, que le travailleur ne présente pas de symptômes dissociatifs ni de reviviscences comme dans le trouble de stress post-traumatique. À son avis, M. De Santis présente plutôt plusieurs symptômes dépressifs en relation avec ses limitations fonctionnelles résultant de son accident du travail et des multiples deuils qu’il doit faire en regard des pertes aux niveaux professionnel et personnel.

[35]           Le deuxième rapport rédigé par Mme Lemieux date du 23 avril 2005. Elle précise que le travailleur s’est présenté à 18 rencontres de psychothérapie échelonnées du 5 juillet 2004 au 20 avril 2005. Elle indique que le travailleur a fait du progrès mais qu’il lui reste beaucoup à faire pour sa réintégration sur le marché du travail. En effet, elle souligne que «si son employeur lui signifiait la perte officielle de son emploi, il risquerait d’être au prise avec une période de dépression et possiblement de désespoir, M. n’ayant pas commencé son deuil au niveau occupationnel».

[36]           Plusieurs reçus pour les frais de physiothérapie ont été produits. Il appert que le travailleur a continué à recevoir des traitements même après le refus de la CSST.

[37]           Finalement, une expertise préparée par le Dr Édouard Beltrami, psychiatre, a été produite. Le Dr Beltrami a également témoigné à l’audience.

[38]           Le Dr Beltrami discute dans un premier temps des outils de diagnostic utilisés. Il explique que pour une plus grande objectivité, il a utilisé plusieurs questionnaires et tests dont le test du MMP1-2[1]. Une évaluation des troubles somatoformes et de la douleur chronique a été faite et la personnalité a été analysée avec les échelles de Morey. L’ensemble des données a été analysé en regard du comportement clinique, du contexte général de la personne testée et en se fiant sur son expérience de cas évalués avec ces mêmes tests.

[39]           Le Dr Beltrami est d’avis que le travailleur présente un trouble mixte d’anxiété et de dépression. Il s’agit d’un style de dépression mixte mélangée à de l’anxiété qui, selon le Dr Beltrami, «apparaît soit lors d’un stress post-traumatique, soit lors d’une accumulation de stress qui n’a pas forcément une intensité unique, violente, subite, inattendue, mais qui peut arriver lors de la cumulation de certains stress et avec une éclosion à un moment donné inattendu, ce qui semble le cas ici». En d’autres mots, sa maladie agirait comme un traumatisme.

[40]           Les problèmes du travailleur ne sont pas consécutifs à sa situation familiale. Selon le Dr Beltrami, on est en présence d’un individu bien adapté qui a une famille adéquate et n’ayant pas de problèmes. Il n’a pas de problèmes de relations interpersonnelles et il aimait son travail. Suite à l’accident, le travailleur a des céphalées, des insomnies, une difficulté à avaler et des problèmes de concentration. Il réagit bien à la prise d’un antidépresseur et anti-anxiolytique et la psychothérapie l’aide.

[41]           Le Dr Beltrami est d’avis que la maladie psychiatrique du travailleur est totalement reliée à son accident du travail. Cet accident a rendu le travailleur invalide physiquement et cela l’a complètement déstabilisé.

L’AVIS DES MEMBRES

[42]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir les deux requêtes du travailleur. Ils estiment que le travailleur a démontré par preuve prépondérante que sa maladie psychique, la réaction anxio-dépressive est en relation avec l’accident du travail subi en 2002. Cet événement a entraîné une invalidité physique importante chez le travailleur et l’a déstabilisé. Ils sont d’avis de retenir l’avis du Dr Beltrami et de Mme Lemieux, les deux considèrent qu’il y a un lien entre l’accident du travail et la réaction anxio-dépressive diagnostiquée le 8 février 2005. Il y a donc lieu de conclure que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation à cette date.

[43]           Les deux membres sont d’avis, dans le deuxième dossier, d’accueillir la requête puisque le travailleur a droit aux traitements de physiothérapie prescrits par son médecin. La CSST ne peut décider de mettre fin aux traitements, de façon arbitraire, et sans soumettre cette question de la nécessité des soins au Bureau d’évaluation médicale.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dossier 273023-61-0510

[44]           La Commission des lésions professionnelles doit décider dans ce dossier si la lésion psychique diagnostiquée le 8 février 2005 est en relation avec la lésion professionnelle du 3 juin 2002 et si elle constitue donc une récidive, rechute ou aggravation.

[45]           La récidive, rechute ou aggravation est comprise dans la définition de «lésion professionnelle» qu’on retrouve à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[46]           Par ailleurs, ces notions n'étant pas définies dans la loi, la jurisprudence[3] a établi qu'il y a lieu de s'en remettre au sens courant de ces termes pour en comprendre leur signification, notamment une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d'une lésion ou de ses symptômes.

[47]           Le travailleur a le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, l'existence d'une relation entre la lésion professionnelle initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée.

[48]           Selon la jurisprudence[4], cette preuve s'établit en appréciant les éléments de faits suivants, le degré de sévérité du traumatisme initial; la nature de la symptomatologie observée après l'événement initial; le retour au travail avec ou sans restrictions fonctionnelles; la présence ou l'absence de conditions personnelles; la continuité de la symptomatologie; le suivi médical; la proximité dans le temps des deux événements et la nature des diagnostics posés. Aucun de ces éléments n’est à lui seul décisif mais pris ensemble ils peuvent aider l’adjudicateur à déterminer s’il y a relation entre la lésion professionnelle initiale et la récidive, rechute ou aggravation alléguée.

[49]           En l’espèce, le travailleur a subi un accident du travail le 3 juin 2002 qui a entraîné une lésion importante au niveau de son genou gauche nécessitant le port d’une orthèse. Cette situation a entraîné une lésion au niveau du genou droit puisque le travailleur utilisait davantage ce membre inférieur pour se déplacer.

[50]           Les deux lésions, aux genoux gauche et droit ont été reconnues par la CSST comme découlant de l’événement du 3 juin 2002.

[51]           De plus, la CSST a reconnu que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique évaluée à 30 % et des limitations fonctionnelles.

[52]           En effet, la preuve révèle que le travailleur est, comme le souligne le Dr Thisdale, dans son rapport d’évaluation médicale du 6 février 2004, «fortement gêné par sa condition actuelle dans ses activités quotidiennes». Ce médecin souligne également que le travailleur doit porter une orthèse stabilisatrice pour toutes les activités courantes et que sa démarche est difficile et boiteuse.

[53]           Le Dr Thisdale résume bien dans ce même rapport la situation du travailleur lorsqu’il écrit «Il est manifeste que ce travailleur voit son horizon professionnel s’assombrir de façon marquée à cause de cet accident». Le travailleur ne pourra qu’occuper un poste de travail sédentaire, en position assise, mais en ayant le loisir de changer de position fréquemment et aussi de pouvoir se mettre debout.

[54]           La preuve révèle également que le travailleur est un jeune sportif qui travaillait comme commis-caissier à manipuler des caisses de bouteilles d’alcool. Il ne s’agissait pas d’un travail sédentaire. Le travailleur devait se déplacer et son travail s’effectuait en position debout. Une démarche de réadaptation est alors amorcée puisque le travailleur ne pourra pas reprendre son travail régulier.

[55]           La conseillère en réadaptation, anticipant de toute évidence certaines difficultés, demande une intervention psychosociale. Elle demande notamment, à Mme Lemieux, d’apporter au travailleur l’appui nécessaire pour surmonter les conséquences de la lésion professionnelle et de s’adapter aux changements qui en découlent. La situation n’était pas facile pour le travailleur. Il devait s’adapter à des changements importants dans sa vie.

[56]           À compter du 5 juillet 2004, le travailleur a des rencontres de psychothérapie avec Mme Lemieux. Mme Lemieux qui intervient dans ce dossier à la demande de la CSST note déjà dans son rapport du 25 octobre 2004 que le travailleur présente plusieurs symptômes dépressifs en relation avec ses limitations fonctionnelles résultant de son accident du travail. Le travailleur doit faire des deuils en regard de ses pertes, tant au niveau personnel que professionnel.

[57]           Mme Lemieux rédige un deuxième rapport le 23 avril 2005 où elle indique que le travailleur a fait du progrès mais qu’il lui reste «beaucoup à faire pour sa réintégration sur le marché du travail». Elle précise que le travailleur n’a pas encore fait le deuil au niveau de son emploi.

[58]           Rappelons, par ailleurs, que la CSST rend une décision le 3 novembre 2004 retenant comme emploi convenable celui de caissier de stationnement. Elle déclare également par cette décision que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 2 novembre 2004. Toutefois, le travailleur continue de voir son médecin régulièrement et le 8 décembre 2005 le Dr Thisdale pose le diagnostic de réaction anxio-dépressive secondaire à la lésion physique.

[59]           La Commission des lésions professionnelles estime que cette lésion psychique diagnostiquée par le Dr Thisdale, le 8 décembre 2005, est en relation avec la lésion professionnelle de 2002. Il n’y a aucune preuve qui tendrait à démontrer que les problèmes psychiques du travailleur résultent de problèmes personnels. Au contraire, la preuve démontre, comme le souligne le Dr Beltrami, que le travailleur était un individu bien adapté, qu’il n’avait pas de problèmes familiaux et qu’il aimait son travail. L’accident du travail a eu des conséquences importantes sur sa vie personnelle et professionnelle. Il ne peut plus pratiquer les sports, il ne peut faire le travail qu’il aimait. D’ailleurs, Mme Lemieux craignait que la rupture définitive de son lien de travail entraîne une période de «dépression» et de «désespoir».

[60]           La Commission des lésions professionnelles retient l’opinion du Dr Beltrami. Il affirme que la maladie psychiatrique diagnostiquée est totalement reliés à son accident du travail. Cet accident a rendu le travailleur invalide «ce qui était le contraire de son mode de fonctionnement antérieur et l’a complètement déstabilisé». D’autant plus que cette preuve n’est pas contredite. Mme Lemieux qui est intervenue dans ce dossier à la demande de la CSST partage aussi l’avis que les symptômes dépressifs du travailleur résultent de son accident du travail. Elle ne fait aucunement état dans ses rapports de problèmes personnels du travailleur.

[61]           La Commission des lésions professionnelles estime que la lésion psychique diagnostiquée le 8 février 2005 est en relation avec la lésion professionnelle du 3 juin 2002. Le travailleur a fait la preuve qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 8 février 2005.

Dossier 274511-61-0511

[62]           La Commission des lésions professionnelles doit décider dans ce dossier si le travailleur a droit au remboursement des frais relatifs aux traitements de physiothérapie.

[63]           Le Dr Thisdale, dans son rapport d’évaluation médicale du 6 février 2004, indiquait que malgré la consolidation de la lésion professionnelle il recommandait la poursuite des traitements de physiothérapie pour «maintenir un état optimal du travailleur».

[64]           Le Dr Thisdale a continué à voir le travailleur après que la lésion professionnelle ait été consolidée. Il a réitéré à quelques reprises sa demande de «physiothérapie d’entretien» et les frais relatifs à ces traitements ont été remboursés jusqu’au 5 mai 2005.

[65]           En effet, un rapport de fin d’intervention est au dossier et il est daté du 5 mai 2005. Le physiothérapeute indique que la condition du travailleur est variable mais que «La physio à 1 x semaine le maintien et le soulage». Toutefois, on indique que le dossier est fermé à la demande de la CSST.

[66]           Le 7 juin 2005, la CSST avise le travailleur qu’il a reçu 290 traitements de physiothérapie et 58 traitements en ergothérapie et puisque la lésion professionnelle est consolidée depuis le 26 janvier 2004, il n’a plus droit à des traitements additionnels.

[67]           La Commission des lésions professionnelles estime que la décision de la CSST de mettre fin à ses traitements de physiothérapie n’est pas fondée.

[68]           Il est vrai que la lésion professionnelle est consolidée depuis le 26 janvier 2004 mais le travailleur conserve une atteinte permanente importante et des limitations fonctionnelles. Le Dr Thisdale indiquait dans son rapport d’évaluation médicale que malgré la consolidation, le travailleur aurait besoin de traitements de physiothérapie de «maintien» pour une période indéterminée.

[69]           Il est important de préciser que les traitements de physiothérapie n’ont pas été prescrits dans un but d’améliorer ou de guérir la lésion professionnelle. Le but de ces traitements est de garder le travailleur le plus en forme possible compte tenu des séquelles permanentes qu’il conserve de la lésion professionnelle. En effet, la Commission des lésions professionnelles croit que c’est dans le cadre de sa réadaptation que la CSST a accepté d’assurer le coût des traitements que le travailleur a reçus après la consolidation de sa lésion jusqu’au 5 mai 2005.

[70]           Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que ce sont les articles 148 à 150 de la loi qui s’appliquent au présent cas :

148. La réadaptation physique a pour but d'éliminer ou d'atténuer l'incapacité physique du travailleur et de lui permettre de développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 148.

 

 

149. Un programme de réadaptation physique peut comprendre notamment des soins médicaux et infirmiers, des traitements de physiothérapie et d'ergothérapie, des exercices d'adaptation à une prothèse ou une orthèse et tous autres soins et traitements jugés nécessaires par le médecin qui a charge du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 149.

 

 

150. Un programme de réadaptation physique peut comprendre également les soins à domicile d'un infirmier, d'un garde-malade auxiliaire ou d'un aide-malade, selon que le requiert l'état du travailleur par suite de sa lésion professionnelle, lorsque le médecin qui en a charge le prescrit.

 

La Commission assume le coût de ces soins et rembourse en outre, selon les normes et les montants qu'elle détermine, les frais de déplacement et de séjour engagés par l'infirmier, le garde-malade auxiliaire ou l'aide-malade.

 

Lorsque ces soins ne peuvent être dispensés par un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, la Commission en rembourse le coût au travailleur et en fixe le montant d'après ce qu'il en coûterait pour des services semblables en vertu du régime public.

__________

1985, c. 6, a. 150; 1992, c. 21, a. 78; 1994, c. 23, a. 23.

 

 

[71]           En l’espèce, le travailleur a droit à la réadaptation, et les traitements prescrits par le Dr Thisdale dans son rapport du 27 mai 2005 font partie du programme de réadaptation physique. De plus, les traitements de physiothérapie sont spécifiquement prévus à l’article 149.

[72]           Le médecin qui a charge du travailleur considère que ces traitements sont nécessaires puisqu’ils lui procurent un certain soulagement et ainsi atténuent son incapacité physique. La preuve au dossier confirme l’opinion du médecin puisque même le physiothérapeute précise dans son rapport que les traitements aident à maintenir le travailleur dans un état fonctionnel.

[73]           Quoiqu’il en soit, selon une jurisprudence très majoritaire, l’article 149 de la loi ne confère aucune discrétion à la CSST pour décider si les soins ou traitements prescrits par le médecin qui a charge sont nécessaires.[5]

[74]           La CSST peut évidemment toujours remettre en question la nécessité de ces traitements mais elle doit le faire en utilisant la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.[6]

[75]           En l’espèce, les rapports du Dr Thisdale n’ont pas fait l’objet d’une contestation par la CSST. Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST doit payer le coût des traitements prescrits par le Dr Thisdale.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 273023-61-0510

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Pierre De Santis;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle (réaction anxio-dépressive), le 8 février 2005, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle du 3 juin 2002;

Dossier 274511-61-0511

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Pierre De Santis;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 21 septembre 2005, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au paiement du coût des traitements de physiothérapie prescrits par le médecin qui a charge, le Dr Thisdale.

 

 

__________________________________

 

Santina Di Pasquale

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Éric De Santis

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-Guy Durand

JOLICOEUR, LAMARCHE & ASS.

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]           Minnesota Multiphasic Personality Inventory Test, Version 2 (MMP1-2)

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Lapointe et Cie minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38

[4]           Boisvert et Halco, [1995] C.A.L.P 19 ; Belleau-Chabot et Commission scolaire Chomedey Laval et CSST, [1995] C.A.L.P. 1341 ; Soucy-Tessier et CSST, [1995] C.A.L.P. 1434

[5]           Brousseau et Protection d’incendie Viking ltée, C.A.L.P. 18374-61-9004, 15 septembre 1992, L. Boucher, (J4-18-25); Labonté et Vêtements enfants Petite Princesse, C.A.L.P. 45974-63-9210, 23 août 1994, M. Kolodny; Fittante et Ital Forges Ornemental, C.A.L.P. 79365-60-9605, 12 mars 1997, M. Billard; Lambert et Steinberg plus inc., C.L.P. 105196-63-9809, 6 juillet 1999, M.-A. Jobidon; Boucher et Ville de Gatineau, 125299-07-9910, 11 avril 2000, S. Lemire; Smith et Entreprise agricole forestière de Percé, 116468-32-9905, 26 juillet 2000, N. Tremblay; Larochelle et Ville de Montréal, C.L.P. 163754-71-0106, 27 mai 2002, B. Roy; Crnich et Roxboro excavation inc., C.L.P. 186928-64-0206, 17 janvier 2003, J.-F. Martel, (02LP-175)

[6]           Larochelle et Ville de Montréal, précitée note 5

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.