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DOSSIER : 192589
[1] Le 17 octobre 2002, monsieur Georges Milette (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 octobre 2002, à la suite d’une révision administrative, confirmant trois décisions rendues antérieurement.
[2] La CSST confirme la décision rendue le 7 mars 2002 refusant de rembourser le coût d’un médicament, Viagra, prescrit pour une dysfonction érectile.
[3] La CSST confirme aussi la décision rendue le 22 mars 2002 refusant de rembourser les frais encourus pour l’achat d’un dossier et d’un siège orthopédiques Obus Forme.
[4] Finalement, la CSST confirme la décision rendue le 10 juillet 2002 refusant de rembourser un antidépresseur, Effexor.
DOSSIER : 201511
[5] Le 10 mars 2003, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 28 février 2003, à la suite d’une révision administrative, confirmant deux décisions rendues le 17 décembre 2002 appliquant les conclusions d’un avis du membre du Bureau d’évaluation médicale portant sur le déficit anatomo-physiologique et les limitations fonctionnelles résultant de l’événement survenu au travail le 12 février 2001.
[6] Par cette décision, la CSST conclut que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique 2,2 % pour une entorse dorso-lombaire, ce qui donne droit à une indemnité pour dommages corporels de 1 144,15 $. La CSST ajoute que l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa capacité de travail.
DOSSIER : 220822
[7] Le 17 novembre 2003, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 12 novembre 2003, à la suite d’une révision administrative.
[8] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 30 avril 2003 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation physique le 16 septembre 2002 et déclare que son état dépressif n’est pas relié à la lésion professionnelle du 12 février 2001.
[9] Le 27 janvier 2004, la Commission des lésions professionnelles a tenu une audience en présence du travailleur qui était représenté et de la représentante de la CSST, partie intervenante. L’employeur, Autocars Murray Hill inc., était absent et non représenté bien que dûment convoqué.
[10] À l’audience, un délai a été accordé à la représentante de la CSST afin de lui permettre d’obtenir une opinion médicale additionnelle et de faire parvenir au tribunal un complément d’argumentation. Ces documents ont été reçus le 27 février 2004 et la réplique du représentant du travailleur a été reçue le 5 mars 2004.
[11] Le dossier a été pris en délibéré le 5 mars 2004.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
DOSSIER : 192589
[12] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que la CSST doit rembourser le coût des médicaments prescrits par son médecin, soit Viagra et Effexor, et qu’il en est de même pour le dossier et le siège orthopédiques.
DOSSIER : 201511
[13] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir le déficit anatomo-physiologique de 4 % décrit par le docteur Tinco Tran à son rapport d’évaluation médicale, soit 2 % pour une entorse lombaire et 2 % pour une discopathie L5-S1.
DOSSIER : 220822
[14] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’il a, le 16 septembre 2002, subi une récidive, rechute ou aggravation physique de sa lésion professionnelle et de reconnaître que son état dépressif est en relation avec l’accident du travail qu’il a subi le 12 février 2001.
LES FAITS
[15] Après avoir pris connaissance du dossier, des documents additionnels déposés dans le cadre de l’audience, entendu les témoignages du travailleur et du docteur Lionel Béliveau, psychiatre, et pris en considération l’argumentation des procureurs, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[16] Le travailleur, qui est âgé de 50 ans, est chauffeur d’autocar chez l’employeur depuis 18 ans lorsque, le 12 février 2001, il fait une chute sur le dos en sortant de son véhicule et se frappe la tête sur la glace.
[17] L’attestation médicale initiale émise le jour même par le docteur Marie Durand au Centre hospitalier régional de Lanaudière fait état de contusion musculaire. Elle autorise un retour au travail à compter du 14 février 2001.
[18] Le 14 février 2001, le docteur Turenne pose le diagnostic de contusions cervicale et lombaire et se questionne sur une composante de sciatalgie gauche. Il prolonge l’arrêt de travail.
[19] Une radiographie de la colonne lombo-sacrée est effectuée le 15 février 2001 à la demande du docteur Mario Martineau qui, aux renseignements cliniques, réfère à une paresthésie du membre inférieur gauche suite à une chute. Cette radiographie est interprétée comme suit par le docteur Jacques Bourgeault, radiologiste :
Il y a un pincement important de l’espace intervertébral L5-S1 avec signes de dégénérescence discale. Il n’y a pas de listhésis. Les autres espaces sont normaux. Pas d’évidence de fracture.
[20] À son rapport médical du 19 février 2001, le docteur Martineau fait état d’une entorse lombaire post-traumatique avec paresthésie bilatérale; des anti-inflammatoires et des traitements de physiothérapie sont prescrits.
[21] Le 21 février 2001, il mentionne de plus une brûlure au 2ième degré causée par un neurostimulateur transcutané (TENS) utilisé dans le cadre des traitements de physiothérapie.
[22] Le 5 mars 2001, il réfère le travailleur en orthopédie.
[23] Le rapport initial de physiothérapie, en date du 20 février 2001, fait état d’une douleur dorso-lombaire, d’une diminution des mouvements du rachis lombaire, de tensions musculaires, d’une diminution de la souplesse musculaire et de la fonction.
[24] Le 19 mars 2001, le docteur Jean Dumas réfère le travailleur en orthopédie.
[25] Le 22 mars 2001, une résonance magnétique de la colonne lombaire est effectuée à la demande du docteur Dumas qui apporte les précision suivantes aux renseignements cliniques : entorse lombaire L5-S1, dégénérescence discale L5-S1 et paresthésie des pieds. Cet examen est demandé afin d’éliminer la possibilité d’une hernie discale L5-S1 avec compression du sac dural.
[26] Cette résonance magnétique est interprétée par le docteur Yves Chevrette qui mentionne qu’aux niveaux L1-L2, L2-L3 et L4-L5, il n’y a pas de compression du sac dural ou des racines; au niveau L3-L4, il y a une légère discopathie dégénérative avec pincement associée à un très discret bombement radiaire du disque sans compression centrale ou foraminale significative et sans évidence de sténose spinale. Il décrit comme suit le niveau L5-S1 :
En L5-S1, il y a des signes de discopathie dégénérative avec pincement, signal hypo-intense au niveau du disque et un peu de changement réactionnel de type adipeux au niveau des versants vertébraux de ce disque, tant à droite qu’à gauche. On note un bombement discal radiaire d’intensité légère à modérée. Il n’y a pas de signes de herniation focale, le bombement étant à grand arc de courbure. Ceci réduit cependant le calibre des trous de conjugaison L5-S1 droit et gauche. Ces modifications se font surtout aux dépens de la portion inférieure du trou de conjugaison et il y a un peu de graisse autour des racines sortantes. Tout au plus y a-t-il en vue sagittale un peu de contact entre le disque et la racine sortante L5 gauche au niveau de sa portion inférieure.
[27] Le 27 mars 2001, un électromyogramme est effectué. Aux renseignements cliniques, on note que le patient se plaint de douleurs au dos et d’engourdissements aux pieds sans tableau de sciatalgie. Le docteur Martin Dubreuil, neurologue, interprète cet examen comme suit :
Conclusion :
L’examen d’aujourd’hui est très anormal et a montré la présence d’une polyneuropathie à prédominance démyélinisante d’intensité plutôt sévère. En effet, les potentiels d’action sensitive sont abolis au niveau des nerfs suraux bilatéralement et au niveau des nerfs médian, radial et cubital de la main gauche. Les conductions motrices sont très ralenties avec des latences motrices très prolongées tant au niveau du membre supérieur que du membre inférieur gauche. Il y a des signes de dénervation chronique d’intensité modérée au niveau du muscle jambier antérieur gauche et légère au jumeau interne droit.
Le tout est compatible avec une polyneuropathie de type Charcot-Marie. À noter qu’une de ses soeurs aurait une symptomatologie similaire. À notre avis c’est ce qui explique les engourdissements des pieds que présente le patient. Le tout n’est pas à notre avis relié à l’accident. Au besoin, on pourra le revoir lui ou les membres de sa famille à la polyclinique.
[28] Le rapport de fin d’intervention en physiothérapie, en date du 2 avril 2001, indique que le patient accuse des douleurs cervico-dorsales droites et lombaires gauches qui augmentent lors de la conduite automobile et lorsqu’il est longtemps assis. Les engourdissements aux membres inférieurs sont stables, les mouvements du rachis cervical et du rachis lombaire sont complets, le bilan neurologique est normal et la palpation révèle des tensions para-vertébrales. La condition est stable depuis deux semaines et le patient a reçu son congé de physiothérapie à sa demande.
[29] À son rapport médical du 3 avril 2001, le docteur Guy Le Bouthillier, chirurgien orthopédiste, pose le diagnostic d’entorse lombaire et prescrit des traitements de physiothérapie et des exercices en piscine.
[30] Le 24 avril 2001, une résonance magnétique est effectuée à la demande du docteur Dumas qui, aux renseignements cliniques, fait état de douleurs dorsales D6-D7 sur entorse et envisage une compression du sac dural. Cet examen est interprété comme suit par le docteur Julie Ringuette :
OPINION :
Présence de petites hernies sous-ligamentaires focales postérieures para-médianes droites en T6-T7, T7-T8 et T8-T9. Hernie un peu plus centrale en T9-T10 et également sous-ligamentaire légère. Au niveau T8-T9 et T9-T10, il y a un peu d’hypersignal au sein du matériel discal pouvant témoigner de petites déchirures radiaires. Signal normal au niveau de la moelle elle-même dont le calibre est également normal. Dimension normale du canal rachidien par ailleurs.
[31] Le 19 juin 2001, le travailleur est examiné à la demande de la CSST par le docteur Jean Rousseau, chirurgien orthopédiste. À l’examen, il rapporte que tous les mouvements du rachis lombaire sont normaux tout comme l’examen neurologique des membres inférieurs, si ce n’est pour une diminution du réflexe achilléen de façon bilatérale.
[32] Il note que l’investigation a démontré une condition personnelle de discopathie dégénérative sévère à L5-S1 et une polyneuropathie de type Charcot-Marie-Tooth.
[33] Le docteur Rousseau conclut à un diagnostic d’entorse cervico-dorso-lombaire sur une pathologie préexistante, soit une discopathie dégénérative L5-S1. Il ajoute que les images de la résonance magnétique dorsale n’ont aucune connotation clinique.
[34] Il considère que la lésion est consolidée à la date de son examen sans déficit anatomo-physiologique et sans limitation fonctionnelle. Il note toutefois un préjudice esthétique de 0,25 % pour une brûlure cutanée secondaire à l’utilisation du TENS. Aucun autre traitement n’est nécessaire et le retour au travail devrait se faire le plus rapidement possible pour éviter tout tableau de chronicité. Le suivi médical devrait se poursuivre pour la pathologie de Charcot-Marie-Tooth qui n’est pas en relation avec l’événement du 12 février 2001.
[35] À son rapport complémentaire signé le 17 juillet 2001, le docteur Dumas indique que le travailleur présente une diminution de force et de l’endurance à l’effort et à la position assise prolongée. Il considère que la lésion n’est pas consolidée et que les traitements sont toujours nécessaires.
[36] À son rapport médical du 13 août 2001, le docteur Robert Lefrançois, neurochirurgien, fait état d’un bombement L5-S1 et d’une entorse lombaire. Il ajoute que des limitations fonctionnelles de classe II selon l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST) doivent être respectées. Dans un document signé le 19 octobre 2001, le docteur Lefrançois précise que lors de son examen du 13 août 2001, il avait constaté que la démarche et la posture démontraient une raideur dorsale et lombaire, avec des points douloureux dans la région D7-D8 et L5. Le Lasègue et le SLR étaient négatifs, les réflexes ostéotendineux étaient présents et égaux, il y avait absence de déficit de la sensibilité superficielle et profonde et il n’y avait pas de faiblesse de la flexion plantaire ou de la dorsiflexion du pied. La flexion lombo-sacrée était à 80º/90º, l’extension était nulle et les autres mouvements étaient à 20º/30º.
[37] Le 13 août 2001, le travailleur signe un formulaire de réclamation qu’il transmet à la CSST dans lequel il allègue que sa condition physique et psychologique se détériore.
[38] Aux notes évolutives de la CSST en date du 17 août 2001, l’agente d’indemnisation mentionne avoir informé le travailleur que sa réclamation était irrecevable parce qu’il était toujours sous suivi médical, sa lésion n’étant pas consolidée.
[39] Le 11 septembre 2001, le suivi médical est pris en charge par le docteur Gustave Roy qui réfère le travailleur au docteur Tinco Tran, chirurgien orthopédiste.
[40] Dans un rapport médical émis le 17 septembre 2001, le docteur Tran pose les diagnostics de hernies discales dorsales et de discopathie dorso-lombaire; un électromyogramme est demandé.
[41] Le 24 septembre 2001, le travailleur est examiné par le docteur Mahmoud Djan-Chékar, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce médecin rapporte la persistance de douleurs cervicales, dorsales et lombaires basses et d’engourdissements à la face plantaire et dorsale des pieds. À l’examen du rachis lombaire, il note une légère limitation de la flexion antérieure sans déficit neurologique ni signe clinique de hernie discale.
[42] Le docteur Djan-Chékar retient le diagnostic d’entorse dorso-lombaire greffée sur une condition personnelle préexistante de discopathie dorsale multi-étagée et de discopathie dégénérative L5-S1. Il conclut que la lésion n’est pas consolidée, que les traitements de physiothérapie entrepris en janvier 2001 ne sont pas nécessaires mais il recommande un programme de rééducation en ergothérapie.
[43] Le 12 octobre 2001, le docteur Gustave Roy prescrit des traitements d’ergothérapie au Centre multidisciplinaire Lucie Bruneau. Il réfère de plus le travailleur en psychiatrie pour évaluation et traitement.
[44] Dans une décision rendue le 15 octobre 2001, la CSST applique l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et conclut que des soins et traitements sont toujours nécessaires. Cette décision n’a pas été contestée. Les notes évolutives du 12 décembre 2001 indiquent que des contacts sont pris auprès de monsieur Frève du Centre Lucie Bruneau relativement aux besoins d’ergothérapie du travailleur, qu’une évaluation sera faite en janvier 2002 et un plan d’intervention sera soumis à la CSST.
[45] Le 19 octobre 2001, le travailleur est examiné par le docteur Robert Lefrançois à la demande du docteur Roy. Le docteur Lefrançois note que la démarche et la posture ne sont pas antalgiques. Le Lasègue et le SLR sont négatifs. Les points douloureux persistent de D6 à D8, sur la ligne médiane. La brûlure à la région dorsale droite est en voie de guérison et laissera sûrement une cicatrice. Tous les réflexes ostéotendineux sont présents et égaux même s’ils sont lents aux membres inférieurs. Il y a absence de déficit de la sensibilité profonde ou superficielle et il y a une diminution des mouvements suivants du rachis lombo-sacré : l’extension est à 0º/30º et les flexions latérales et les rotations sont à 20º/30º. Il n’y a pas de faiblesse de la flexion plantaire ni de la dorsiflexion du pied. Il prévoit que la lésion sera consolidée le 1er novembre 2001, que le travailleur ne pourra retourner à son emploi de chauffeur d’autocar et devra respecter des limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST. Il ajoute que le travailleur aura besoin de traitements de physiothérapie et de psychothérapie.
[46] L’électromyogramme demandé par le docteur Tran est effectué le 12 décembre 2001 et il est interprété comme suit par le docteur Bekhor :
IMPRESSION
This study shows evidence for marked slowness in motor conduction velocity from the lower extremities with difficulty in obtaining sensory potentials. Overall changes in keeping with heredofamilial neuropathy (Charcot-Marie-Tooth disease). Symptoms seems to have aggravated in relation to a work accident in February 2001. The patient was previous asymptomatic. The study also shows evidence for mild chronic L5-S1 radiculopathy more from the left. To correlate with the radiological findings. The pain over the mid and lower thoracic spine seems to correspond mostly to paravetebral muscle contraction and, according to information, the patient does have herinated dorsal disc. Symptoms can benefit from a trial on Norflex with Gabapentine. Follow-up at your discretion. [sic]
[47] Le 28 janvier 2002, le docteur Tran signe son rapport final dans lequel il fait état de hernies discales dorso-lombaires et de radiculopathie lombaire. Il considère que la lésion est consolidée et rédige le jour même le rapport d’évaluation médicale dans lequel il rapporte une douleur et une raideur résiduelles au dos, un manque d’endurance et de force et une faiblesse dans les jambes. Le médecin note que le patient présente un état stable avec des crises intermittentes d’exacerbation de douleurs.
[48] Sur la base d’un diagnostic de hernies discales dorsales et lombaires, radiculopathie lombaire et brûlure au dos, le docteur Tran évalue à 19 % le déficit anatomo-physiologique résultant de la lésion et à 0,5 % le préjudice esthétique pour une cicatrice au dos mesurant 1 cm2.
[49] Lors de cet examen, le docteur Tran retient les amplitudes articulaires suivantes du rachis dorso-lombaire : flexion antérieure à 70º, extension, flexions latérales et rotations à 20º. Le tripode est positif à gauche, le réflexe achilléen est diminué à gauche, le Lasègue est positif à 60º, plus douloureux à gauche. Il décrit des limitations fonctionnelles qu’il considère incompatibles avec un retour au travail dans un poste de chauffeur d’autocar.
[50] Les 31 janvier et 18 février 2002, le docteur Tran répond au médecin régional de la CSST qui lui rappelle que le Bureau d’évaluation médicale a retenu le diagnostic d’entorse dorso-lombaire alors que son rapport d’évaluation médicale réfère à un diagnostic de hernies.
[51] Le docteur Tran explique que selon le mécanisme de production de la lésion, il ne peut y avoir eu qu’une simple entorse dorso-lombaire et cet accident a provoqué des hernies discales dorsales et lombaires.
[52] Le docteur Tran explique que l’entorse est une lésion articulaire résultant d’un étirement ligamentaire ou d’un arrachement ligamentaire sans déplacement permanent des surfaces articulaires. L’anneau fibreux est un ligament. Sa déchirure entraîne une hernie discale de type continu très douloureuse résistant aux traitements depuis plus d’un an alors qu’une entorse simple prendra entre six à huit semaines pour guérir. Il ajoute que la radiculopathie lombaire est causée par une irritation chimique des produits de dégradation des disques endommagés alors que la discopathie dégénérative, condition personnelle préexistante, était asymptomatique avant l’événement.
[53] Il est donc d’opinion que l’événement du 12 février 2001 a produit des hernies discales dorso-lombaires et transformé ces disques usés en disques cicatriciels pathologiques et douloureux.
[54] Le 20 février 2002, le travailleur est examiné par le docteur Lionel Béliveau, psychiatre, à la demande du docteur Gustave Roy. Il rapporte que le travailleur n’a pas d’antécédents psychiatriques et fait remonter ses problèmes psychologiques à l’évaluation faite par le docteur Rousseau à la demande de la CSST.
[55] Le travailleur explique que lorsque ce médecin lui a dit qu’il pouvait retourner à son travail, il a été révolté parce qu’il se sentait tout à fait incapable de reprendre son emploi. Il est alors devenu déprimé et agressif avec son entourage, il ne pensait qu’à cela et envisageait de porter son dossier à la connaissance des médias.
[56] Le travailleur a été suivi par deux psychologues, messieurs Karim Jbeili et Fabio Avellino. Depuis le mois de novembre 2001, il est suivi par le docteur Sylvestre, psychiatre, au Centre hospitalier régional de Lanaudière qui lui prescrit Viagra et Effexor en remplacement de Remeron. Il est aussi suivi par le docteur Tran qui lui prescrit Codéine Contin et Imovane.
[57] Le docteur Béliveau rapporte que le travailleur présente des douleurs constantes qui le rendent facilement irritable et l’éveillent plusieurs fois par nuit. Il se plaint de difficultés de concentration telles qu’il perd le fil de la conversation, fait régulièrement des oublis et il n’a plus d’intérêt pour la lecture et les autres activités qui auparavant l’intéressait. Les relations sexuelles sont pratiquement absentes, il continue à être triste et parfois porté à pleurer, surtout lorsque confronté à ses limitations fonctionnelles qui l’empêchent non seulement de reprendre son travail mais le limitent en tout. Sa condition contribue à le rendre insécure face à l’avenir, ce qui se manifeste par des symptômes d’anxiété comme des palpitations et une transpiration abondante.
[58] Le docteur Béliveau considère que cette lésion n’est pas consolidée et que le travailleur a besoin de psychothérapie et d’une modification du dosage de la médication anti-dépressive. Il prévoit qu’il en résultera une atteinte permanente à l’intégrité psychique et des limitations fonctionnelles. Il conclut son expertise comme suit :
M. Georges Millette présente, en relation avec les conséquences de l’accident du 12 février 2001, et plus particulièrement en relation avec la baisse d’estime de soi et l’insécurité face à l’avenir inhérente à la persistance de ses douleurs et de ses limitations fonctionnelles sur le plan physique, un Trouble de l’adaptation avec en plus de l’anxiété une humeur dépressive d’intensité modérément sévère. Cette symptomatologie contribue tout probablement également à amplifier le syndrome douloureux d’origine physique.
[59] Le 17 mai 2002, le travailleur est examiné à la demande de la CSST par le docteur Michel Copti, neurologue, à qui l’on demande de répondre à sept questions précises.
[60] À la date de cet examen, le travailleur présente entre autres une douleur constante au niveau des membres inférieurs à la face latérale des cuisses, plus marquée à gauche, et une sensation de brûlure et de durcissement de la région dorsale basse et lombaire lorsqu’il est assis longtemps ou s’il conduit son véhicule.
[61] S’il veut passer de la position assise à debout, il doit se pousser des mains car il éprouve une faiblesse des jambes en plus de la douleur dorso-lombaire. Lorsqu’il se trouve à la toilette et qu’il force, il a une sensation intermittente d’étirement au niveau des fesses, plus importante à gauche. Il éprouve une sensation de fourmillements qui s’étendent des pieds aux jambes et il lui arrive de ressentir comme une pelote d’aiguilles au milieu dorsal moyen et haut avec, à l’occasion, une sensation de coups de couteaux.
[62] Le docteur Copti note que le travailleur a fait une chute sur la glace et présente depuis ce moment des douleurs dorso-lombaires et des engourdissements au niveau des membres inférieurs, plus marquées à gauche. Les divers examens complémentaires ont pu mettre en évidence une maladie neuropathique héréditaire de type Charcot-Marie-Tooth avec, à la résonance magnétique lombaire du 22 mars 2001, l’existence au niveau L5-S1 d’un disque en contact avec la racine sortante L5 du côté gauche. Le dernier électromyogramme interprété par le docteur Bekhor le 12 décembre 2001 indiquait qu’en plus de la maladie neuropathique Charcot-Marie-Tooth, il y avait une radiculopathie L5-S1 gauche.
[63] Le docteur Copti indique qu’à la date de son examen, le tableau clinique est principalement dominé par la maladie de Charcot-Marie-Tooth sur le plan clinique avec des douleurs dorso-lombaires irradiant à gauche qui sont très compatibles avec une radiculopathie L5-S1.
[64] Le docteur Copti donne les réponses suivantes aux questions posées par la CSST :
1- La maladie de Charcot-Marie-Tooth est-elle responsable de façon prépondérante des anomalies documentées aux deux électromyogrammes présentés au dossier?
Oui, elle est prépondérante mais le rapport du Dr Bekhor datant du 12 décembre 2001 indique également sur le plan électrophysiologique l’existence d’une radiculopathie chronique L5-S1 du côté gauche.
2- Y a-t-il une atteinte radiculaire significative
Oui, sur le plan subjectif M. Milette ressent une douleur au membre inférieur gauche plus marquée qu’à droite et d’autre part, l’EMG confirme l’existence d’une radiculopathie chronique à L5-S1.
La cause de cette radiculopathie L5-S1 est reliée au disque L5-S1 qui a été décrit à la résonance magnétique du 22 mars 2001.
Par ailleurs, il faut réaliser que la pathologie neuromusculaire présentée par M. Georges Milette est en voie d’aggravation puisqu’en un an et demi les signes sont plus marqués; cette situation va aggraver le conflit disco-radiculaire présenté à L5-S1 et qui a été exacerbé par la chute du 12 février 2001.
3- En raison des facteurs confondants, à votre avis les hernies discales mentionnées par le Dr Tran sont-elles significatives au plan clinique?
La seule hernie discale significative au plan clinique et électrophysiologique confirmée est L5-S1.
Les autres hernies discales au niveau thoracique ne sont pas significatives sur le plan clinique.
4- Est-il possible de distinguer une atteinte radiculaire par pathologie discale, de l’ensemble des atteintes attribuables à la polyneuropathie de Charcot-Marie?
La maladie de Charcot-Marie-Tooth est une maladie neuropathique donc il s’agit d’une atteinte des nerfs et elle a une topographie et un génie qu’il lui est propre affectant les deux membres inférieurs comme c’est le cas chez M. Georges Milette et actuellement les membres supérieurs sont également affectés d’après l’examen clinique du soussigné.
La douleur radiculaire a une toute autre forme et ne peut être confondue avec la maladie de Charcot-Marie-Tooth ou des neuropathies; dans le cas de M. Georges Milette, il présente et la radiculopathie L5-S1 et la maladie de Charcot-Marie-Tooth.
5- Y a-t-il diminution des capacités fonctionnelles en raison de la maladie de Charcot-Marie?
Indubitablement, la maladie de Charcot-Marie est une maladie qui amène une diminution des capacités fonctionnelles et donc va déclencher des limitations fonctionnelles.
La radiculopathie L5-S1, elle aussi déclenche des limitations fonctionnelles qui ont été suggérées appartenir à la classe 2 de l’IRSST.
6- Cette condition héréditaire a-t-elle pu vraisemblablement et a-t-elle été de façon objective sur une base physiopathologique aggravée par la chute?
En se fiant aux dires de M. Georges Milette qui fonctionnait avant le 12 février 2001, la chute a réveillé le conflit disco-radiculaire L5-S1 entraînant donc des douleurs avec une certaine immobilisation qui a pu permettre à la maladie héréditaire de prendre sont essor. Par ailleurs, certaines médications prescrites peuvent affaiblir le rendement musculaire chez une personne déjà affectée d’une maladie neuropathique héréditaire pensant en particulier au Benzodiazépine.
7- Quel est le pronostic à court et à long termes de cette condition personnelle?
Le pronostic est totalement imprévu; cependant, si je me fie aux lectures des divers documents et évaluations, il existe une progression depuis le 12 février 2001.
[sic]
[65] Le 17 septembre 2002, le travailleur soumet une nouvelle réclamation à la CSST alléguant que sa condition physique et psychologique se détériore.
[66] À son rapport médical émis la veille, le docteur Tran fait état d’une crise d’exacerbation.
[67] Le 20 septembre 2002, le travailleur est examiné pour la deuxième fois, à la demande de la CSST, par le docteur Jean Rousseau, à qui il est demandé de se prononcer sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles sur la base du diagnostic d’entorse lombaire sur discopathie dégénérative d’origine personnelle retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[68] Le docteur Rousseau note une évolution rapide de la maladie de Charcot-Marie-Tooth depuis la dernière évaluation avec une atrophie au niveau des muscles interosseux des mains et des pieds. De plus, le membre inférieur gauche présente un varus plus important de l’arrière pied de même qu’un cavus plus important. Il souligne qu’il n’y avait aucune évidence d’atrophie des interosseux au niveau des mains lors de la première évaluation.
[69] Le docteur Rousseau note que les manoeuvres de Lasègue, du tripode et de Fabere sont négatives. L’examen neurologique des membres inférieurs démontre une absence de réflexes ostéotendineux tant au niveau des achilléens que des rotuliens alors que les sensibilités superficielles sont normales. Il n’y a aucune évidence de faiblesse au niveau des péronéens, du gastrocnemius, du jambier postérieur ou extenseur propre du gros orteil. Il n’y a aucune évidence de faiblesse au niveau du quadriceps ou des ischio-jambiers et la force musculaire est normale au niveau des fessiers.
[70] Le docteur Rousseau mentionne que le membre du Bureau d’évaluation médicale a posé un diagnostic d’entorse lombaire greffée sur une condition préexistante de discopathie dégénérative et il était d’avis que les hernies discales dorsales n’avaient aucune connotation clinique. Il ajoute que la possibilité d’une hernie discale L5-S1 gauche a été remise de l’avant suite au résultat de l’électromyogramme effectué le 12 décembre 2001.
[71] Pour le docteur Rousseau, le fait que les changements chroniques soient légèrement plus importants du côté gauche que du côté droit n’est aucunement un facteur qui peut déterminer s’il y a une atteinte radiculaire proximale. En aucun moment, des groupes musculaires innervés par S1 et pouvant être exclus dans un pattern d’atteinte de Charcot-Marie-Tooth n’est évalué au cours de son examen et il n’y a aucune évidence de dénervation au niveau des muscles paraspinaux. De plus, le tableau clinique du travailleur n’a jamais ressemblé à une radiculopathie L5-S1 gauche.
[72] Le docteur Rousseau est d’opinion que l’historique des faits, la description du tableau douloureux et son examen ne vont aucunement dans le sens d’un diagnostic d’entorse dorso-lombaire, de discopathie dégénérative ou d’un tableau de hernie discale thoracique ou lombo-sacrée. Il considère qu’une partie des symptômes de même que les trouvailles à l’examen vont bien avec le tableau de polyneuropathie de type Charcot-Marie-Tooth et le reste des symptômes ne peut être expliqué par les pathologies décrites précédemment.
[73] Le docteur Rousseau est donc d’opinion que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles en relation avec sa lésion. Il présente un tableau de discopathie dégénérative L5-S1 et si des limitations fonctionnelles lui sont attribuées, elles sont en regard de cette condition et non une conséquence de l’événement du 12 février 2001.
[74] Le 26 septembre 2002, monsieur Jbeili signe un rapport d’évolution qu’il adresse à la CSST. Il explique qu’il a rencontré monsieur Milette pour la première fois en septembre 2001 et, depuis le début de l’année 2002, il le voit de façon plus régulière.
[75] Il note que monsieur Milette est une personne extrêmement émotive et sensible qui a orienté toute sa sensibilité vers la générosité et l’abnégation. De façon régulière et constante, il essaie de rendre service et s’émeut des injustices qui se commettent autour de lui. Ses conditions de vie sont en train de changer énormément et en raison de sa maladie, il s’est résolu à se départir de sa grande maison qui avait autrefois appartenu à ses parents et il a acheté une plus petite maison de sorte que sa fille et son conjoint devront déménager. Sa maladie, les vicissitudes de son dossier et tous les changements qui surviennent dans sa vie maintiennent monsieur Milette dans un état émotif intense auquel il a du mal à se soustraire.
[76] Monsieur Jbeili ne croit pas que monsieur Milette soit en mesure de reprendre ses activités habituelles, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, et il doit progressivement limiter son champ d’activités pour se conformer aux capacités de son corps qui est extrêmement sensible à la fatigue et à l’émotion. Il recommande une poursuite de la psychothérapie pour une période de six mois.
[77] Le 24 octobre 2002, le docteur Tran signe un rapport complémentaire suite à l’expertise du docteur Rousseau. Il indique que le diagnostic n’est pas une entorse mais une hernie discale lombaire avec radiculopathie démontrée au scan et à l’électromyogramme. Cette lésion est consolidée le 28 janvier 2002 avec une nécessité de traitements conservateurs et de support et avec l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles décrites à son rapport d’évaluation médicale du 29 janvier 2002.
[78] Le 13 novembre 2002, le travailleur est examiné à la demande du docteur André Arcelin par le docteur Nathalie Bureau, psychiatre, afin d’émettre une opinion sur un tableau d’allure dépressive.
[79] Le docteur Bureau note avoir avisé le travailleur au début de l’entrevue que le but n’était pas de procéder à une expertise en relation avec son accident du travail et ses démarches auprès de la CSST mais d’un travail de consultation pour éclairer le docteur Arcelin dans son suivi.
[80] Le docteur Bureau rapporte que le travailleur n’a jamais consulté de psychiatre ou de psychologue avant son accident du travail. Depuis cet accident, il a vu le docteur Lionel Béliveau, psychiatre expert, qui a posé un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur mixte, et est suivi par deux psychologues, messieurs Karim Jbeili et Fabio Avellino. Il n’a jamais fait de tentative suicidaire et n’a pas été hospitalisé en psychiatrie. Les antécédents familiaux psychiatriques sont non contributoires et les antécédents médicaux et chirurgicaux révèlent la présence de hernie discale et d’un décollement de la rétine. Elle note que les éléments de l’histoire ont été consignés dans l’expertise du docteur Béliveau en février 2002 et le travailleur a repris avec elle les éléments importants de celle-ci.
[81] Elle retient que le travailleur a été victime d’un accident du travail le 12 février 2001. Dans le cadre de l’investigation de cette lésion, son médecin avait conclu qu’il devait respecter des limitations fonctionnelles mais la CSST l’a dirigé pour une expertise auprès du docteur Rousseau qui a conclu qu’il était capable de retourner à son emploi et ne conservait aucune séquelle de sa lésion. C’est à partir de cette expertise qu’il a ressenti de plus en plus de colère et de détresse par rapport à sa situation et aux opinions véhiculées sur son état physique. Il se disait révolté, enragé et avait même manifesté son désir d’amener son cas devant les journaux ou devant la télévision. En 2001-2002, les nombreuses démarches et contestations auprès de la CSST après avoir reçu l’opinion de neurologues et d’un neurochirurgien, les symptômes d’allure anxio-dépressive se sont ancrés et sont toujours présents malgré la médication.
[82] Au niveau des symptômes, le docteur Bureau rapporte des douleurs physiques reliées à ses problèmes cervicaux et lombaires qui provoquent des inquiétudes et des éveils nocturnes. Le travailleur présente donc un sommeil fragmenté avec des ruminations anxieuses qui suscitent ou éveillent la colère à l’égard de l’expert orthopédiste qui a déterminé l’absence de séquelles, se disant outré de la façon dont cet expert l’a évalué Le travailleur présente une humeur variable oscillant entre l’irritabilité et la tristesse. Bien que les pleurs soient présents, ils ne sont pas quotidiens et les principales émotions sont la colère et la révolte. Il présente des difficultés de concentration et d’attention, des « blancs de mémoire », une baisse d’appétit avec une perte de 16 livres depuis le début de l’année 2002. Outre ses problèmes avec la CSST, le travailleur rapporte des difficultés de couple.
[83] À l’examen mental, elle note que le contenu de la pensée met surtout en évidence une difficulté à accepter l’injustice dont il se dit victime. Elle retient un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur mixte, anxieuse et dépressive, avec certains traits d’anxiété généralisée probable.
[84] Le docteur Bureau note que les stresseurs chroniques sont les démarches et contestations auprès de la CSST depuis l’accident du travail et ajoute que le travailleur verra probablement le docteur Béliveau afin de statuer sur une consolidation et les limitations fonctionnelles au niveau psychique. Elle propose au docteur Arcelin une modification de la médication.
[85] Le docteur Bureau encourage le travailleur à poursuivre la psychothérapie et l’avise que la médication joue un rôle limité quant à la liquidation de la colère et au sentiment d’injustice qu’il vit ce qui, selon elle, constitue un élément central dans sa détresse et ses difficultés.
[86] Le 29 novembre 2002, le travailleur est examiné par le docteur Mario Corriveau, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, à qui il est demandé de se prononcer sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle. À la date de cet examen, le travailleur présente des douleurs constantes et ne reçoit aucun traitement. Il présente des douleurs derrière la tête qui descendent à la face antérieure des épaules jusqu’au milieu du dos. Les douleurs irradient au niveau des jambes de façon plus importante à gauche et il a les pieds engourdis et froids. Les douleurs ne sont pas modulées avec irradiation aux membres inférieurs par la toux et la défécation. Il ne rapporte aucun trouble sphinctérien mais une difficulté d’érection avec la prise de médication. Les douleurs sont plus importantes dans la région lombaire qu’au niveau dorsal.
[87] Il conclut que le patient ne démontre aucune évidence de hernie discale à l’examen physique objectif tant au niveau thoracique qu’au niveau lombaire et les signes de mise en tension radiculaire lombaire sont tous négatifs. Il rapporte la présence d’une cicatrice mesurant 1.5 cm de longueur par 0.7 cm de largeur hyperpigmentée et légèrement déprimée au niveau D6-D7 para-vertébral droit.
[88] En conséquence, le docteur Corriveau retient un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et il conclut que le travailleur devra respecter les limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST soit :
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquence [sic] des charges de plus de 10 kg;
- Effectuer des mouvements répétitifs fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faibles amplitudes;
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale;
- Monter fréquemment plusieurs escaliers;
- Marcher en terrains accidents ou glissants;
- Travailler en position accroupie;
- Ramper ou grimper.
[89] Du 18 décembre 2002 au 3 janvier 2003, le travailleur est hospitalisé au Centre hospitalier régional de Lanaudière. Au résumé de dossier signé lors du congé de l’hôpital, le docteur Marc Lefebvre, psychiatre, fait état d’un épisode psychotique bref en rémission totale.
[90] Le docteur Lefebvre ajoute que la psychose apparaît avoir été induite par le stress immense vécu à l’intérieur d’un conflit avec la CSST et il est possible qu’un état maniaque ait été induit par Effexor à forte dose. Il ajoute que le suivi reprendra auprès du docteur Sylvestre, en clinique externe.
[91] Le 29 avril 2003, le docteur Zotique Bergeron, médecin régional de la CSST, fait une analyse du dossier en regard de la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation.
[92] Le docteur Bergeron indique que les hernies étaient déjà documentées au dossier, que le membre du Bureau d’évaluation médicale n’avait pas retenu ce diagnostic et qu’il s’agit d’images radiologiques. Il ajoute qu’une entorse lombaire ne peut pas récidiver en hernie discale et que la radiculopathie ne peut pas être en relation avec une entorse. En ce qui a trait à l’état dépressif, il est d’opinion qu’il s’agit d’une condition personnelle attribuable au traitement de son dossier et non en relation avec sa lésion physique.
[93] Le 27 août 2003, le travailleur est examiné par le docteur Lionel Béliveau, psychiatre, à la demande de son représentant. Son mandat est de déterminer la date de consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles sur le plan psychique.
[94] Le docteur Béliveau rapporte que le travailleur a été stressé et révolté d’avoir été évalué à nouveau par le docteur Rousseau le 20 septembre 2002 et il a présenté un épisode d’exacerbation de sa symptomatologie d’anxiété. Suite à la recommandation du docteur Bureau en novembre 2002, le médecin a augmenté le dosage d’Effexor et le travailleur a présenté progressivement, dans les jours précédant son hospitalisation, une symptomatologie psychotique correspondant à un épisode maniaque induit par la médication. Il réfère à l’hospitalisation de décembre 2002 et note que le travailleur est toujours suivi par le docteur Jacques Sylvestre et par monsieur Jbeili.
[95] Le docteur Béliveau rapporte que les douleurs sont toujours présentes mais moins intenses et stabilisées depuis quatre à cinq mois. Le travailleur présente encore des moments de tristesse lorsqu’il pense au travail qu’il faisait et aimait beaucoup, au fait qu’il a dû vendre son camion et qu’il craint de perdre sa maison en raison de ses problèmes financiers. Il conclut que le travailleur est en rémission de l’épisode psychotique de décembre 2002 mais continue à présenter un trouble d’adaptation en relation avec la persistance de douleurs chroniques mais surtout de ses limitations fonctionnelles physiques qui l’empêchent de reprendre son travail. Il considère que la lésion n’est pas consolidée et que les traitements sont toujours nécessaires. Il ajoute que la symptomatologie est susceptible de s’aggraver comme de s’améliorer en fonction du règlement de son dossier à la CSST et en fonction de la réponse de sa condition au traitement psychopharmacologique.
[96] Le 13 janvier 2004, le docteur Béliveau a procédé à une nouvelle évaluation de monsieur Milette à la demande de son représentant. Il note que le travailleur est toujours sous les soins du docteur Sylvestre qui lui prescrit de la médication et les rencontres avec le psychologue se poursuivent. Il rapporte que les douleurs sont toujours présentes mais moins intenses avec des moments de tristesse lorsqu’il est confronté à ses limitations fonctionnelles sur le plan physique. Il demeure inquiet face à l’avenir, appréhendant l’aggravation de ses problèmes financiers s’il n’obtient pas gain de cause devant le tribunal.
[97] Le docteur Béliveau conclut que monsieur Milette est toujours en rémission de l’épisode psychotique bref qui a mené à l’hospitalisation du 18 décembre 2002 au 3 janvier 2003. Il continue à présenter un trouble de l’adaptation avec en plus de l’anxiété une humeur dépressive en relation avec les conséquences de l’accident du 12 février 2001, et plus particulièrement en relation avec la perte d’estime de soi et l’inquiétude face à l’avenir inhérente à la persistance des douleurs et des limitations fonctionnelles sur le plan physique, à l’incapacité de reprendre son travail antérieur dans lequel il avait beaucoup investi et au fait que la CSST, à la suite du rapport du docteur Rousseau, ait mis en doute l’authenticité de son incapacité à reprendre son travail en relation avec son accident.
[98] Il considère que la lésion n’est pas encore consolidée puisque la symptomatologie présente ne semble pas être stabilisée et qu’il continue à être en traitement psychiatrique actif sous les soins du docteur Sylvestre. Il prévoit qu’il y aura une atteinte permanente à l’intégrité psychique et des limitations fonctionnelles.
[99] Le 3 février 2004, le docteur Laurent Cardin, médecin régional de la CSST, revoit le dossier du travailleur et commente plus particulièrement les expertises des docteurs Bureau et Béliveau en indiquant, dans son commentaire initial, que l’expertise du docteur Béliveau en janvier 2004 est faite et produite « dans un contexte de revendication où les enjeux socio-économiques dépassent les conséquences attendues de la lésion professionnelle reconnue ».
[100] Il ajoute que malgré l’emphase que le docteur Béliveau porte sur les douleurs, les limitations fonctionnelles et la perte d’estime de soi, il reconnaît également que le principal facteur de stress est l’anxiété anticipatoire en vue de l’audition prochaine au tribunal et de l’impact de cette décision sur son avenir et sa situation financière.
[101] Le docteur Cardin ajoute que les douleurs ne sont pas nécessairement issues de l’entorse, le travailleur ayant une pathologie discale dégénérative responsable de sa propre morbidité, et les douleurs peuvent être modulées par la condition psychologique évolutive. La faiblesse des membres inférieurs pourrait relever de la pathologie discale dégénérative ou de la manifestation de la maladie de Charcot-Marie-Tooth et n’est pas nécessairement démontrée en relation avec des séquelles d’entorse.
[102] Le docteur Cardin retient que la lésion professionnelle reconnue est relativement mineure et le déficit anatomo-physiologique de 2 % qui en résulte de même que les limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST ne peuvent rendre une personne invalide. Il note de plus que le travailleur est porteur de conditions médicales personnelles qui ne sont pas indifférentes à sa perception négative de l’avenir. Plus précisément, il mentionne une pathologie discale multi-étagée dégénérative et évolutive, une maladie de Charcot-Marie Tooth, héréditaire, évolutive et potentiellement incapacitante, un problème d’apnée du sommeil, de trouble visuel épisodique et de décollement de la rétine. Ces conditions, de par leur nature et leur évolution naturelle, peuvent contribuer à une perception négative du futur mais elles ne sont pas reliées, directement ou indirectement, à la lésion professionnelle.
[103] Il ajoute que malgré la perception que peut avoir le travailleur du traitement discriminatoire de son dossier, cela n’a pas été démontré. La procédure d’évaluation médicale a été régulièrement appliquée, les avis des membres du Bureau d’évaluation médicale sont motivés et lui ont permis de faire reconnaître qu’il conservait, en relation avec sa lésion professionnelle, une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[104] Le docteur Cardin est d’opinion que le trouble d’adaptation diagnostiqué par les docteurs Béliveau et Bureau est causé par les stresseurs aigus et chroniques que sont les démarches et les contestations auprès de la CSST, éléments qui sont inhérents à l’application d’un système d’indemnisation et ne sont pas reliés aux lésions professionnelles.
[105] Il conclut que la perception du travailleur d’être une victime du système et d’une injustice est une source de déstabilisation extrême pour son état psychique et il est d’opinion que cette perception dépend du moins en partie des attentes d’une reconnaissance d’une certaine invalidité.
[106] À l’audience, le travailleur a brièvement témoigné. Il explique qu’à compter de 1995, il était chauffeur d’autocar nolisé et conduisait des groupes dans des déplacements d’une ou deux semaines. Il aimait beaucoup ce travail dans lequel il s’impliquait pour aider le guide officiel. Il aimait être près des passagers, répondre à leurs questions et à leurs besoins. Il les accompagnait lors des visites et se joignait à eux lorsqu’ils se retrouvaient à l’hôtel. Pour lui, il ne s’agissait pas d’un travail mais plutôt d’un loisir et les personnes qu’il accompagnait devenaient sa deuxième famille, le temps du déplacement. Il tient à préciser que cet emploi lui a permis de rencontrer des personnes de plusieurs nationalités et de côtoyer des personnages connus dont des membres d’une famille royale, ce qu’il appréciait et trouvait valorisant.
[107] Dans le cadre de ce travail, il passait environ 175 nuits par an à l’hôtel. Lorsqu’il était en déplacement, il téléphonait à son épouse à tous les jours et à l’occasion elle allait le rejoindre.
[108] Le travailleur affirme qu’avant l’accident, il avait une très belle vie, il était actif, aimait danser et faire du vélo et il s’occupait du syndicat. Depuis cet accident, sa vie a changé et il ne peut plus profiter de toutes ces activités. Il affirme qu’il a commencé à se sentir dépressif lorsque le docteur Rousseau lui a dit qu’il pouvait reprendre son travail alors qu’il se sentait incapable de le faire. Lorsqu’il a été à convoqué une deuxième fois auprès du docteur Rousseau, cela a été difficile pour lui et c’est pour cette raison qu’il a indiqué à son formulaire de réclamation que sa condition était « de pire en pire ».
[109] À la date de l’audience, sa condition est la même qu’en septembre 2002 : il a des douleurs qui vont du cou jusqu’à la région lombaire basse. Il ressent une faiblesse dans les jambes et des engourdissements aux pieds. Il consulte régulièrement les docteurs Tran et Sylvestre qui lui prescrivent de la médication; il ne reçoit aucun traitement pour la région lombaire. La CSST rembourse depuis deux ans les frais encourus pour la psychothérapie et en ce qui a trait à la médication prescrite pour sa condition psychique, il a été intégré à un programme du Centre hospitalier.
[110] Le docteur Béliveau a témoigné à la demande du travailleur qu’il a examiné les 20 février 2002, 27 août 2003, 1er décembre 2003 alors qu’il n’a pas rédigé de rapport et le 13 janvier 2004. Il a repris en substance l’opinion exprimée à ses expertises et apporté certaines précisions. Il affirme qu’à chaque rencontre, le diagnostic était le même, soit un trouble d’adaptation, à l’exception du bref épisode psychotique documenté au dossier. Il croit que les rencontres auprès du docteur Rousseau ont joué un rôle dans la condition du travailleur mais elles ne sont pas la cause du trouble d’adaptation qui a été constaté par tous les psychiatres consultés. Pour le docteur Béliveau, la condition psychique du travailleur est reliée aux douleurs chroniques et aux limitations fonctionnelles qui résultent de l’accident et qui font en sorte que monsieur Milette ne peut refaire le travail qu’il aimait et qui le valorisait.
[111] Le docteur Béliveau ajoute qu’il est fréquent que les symptômes d’une détérioration psychique se manifestent lorsque les personnes sont informées qu’elles ne seront plus comme avant leur accident. Ce n’est pas parce que le docteur Rousseau lui a dit qu’il pouvait retourner au travail que les symptômes sont apparus mais parce que le travailleur se sentait incapable de le faire compte tenu de sa condition physique. Certes, le travailleur a éprouvé de la colère face au docteur Rousseau qui ne reconnaissait pas l’impact de son accident sur sa capacité de retour au travail, ce qui a pu augmenter la détresse psychologique et contribuer à l’apparition des symptômes. Toutefois, ce n’est pas pour cette raison qu’il a présenté un trouble d’adaptation qui perdure et qui est plutôt attribuable à son incapacité de retourner à son emploi en raison de ses douleurs et des limitations fonctionnelles qui ont été reconnues, ce qui engendre une perte d’estime de soi et provoque une inquiétude face à l’avenir.
[112] Le docteur Béliveau considère que les douleurs chroniques, les limitations fonctionnelles et la baisse d’estime de soi sont des éléments plus importants sur le plan psychique que les difficultés rencontrées dans le traitement du dossier par la CSST.
[113] Le docteur Béliveau considère que la condition s’est améliorée avec la médication et la psychothérapie mais qu’elle n’est pas consolidée parce qu’il faut attendre l’effet de la diminution du dosage d’Eprexa recommandé par le docteur Sylvestre. En ce qui a trait à la médication, il explique que Effexor est un antidépresseur et un anxiolitique qui peut, à un certain dosage, provoquer un épisode hypomaniaque comme cela a été le cas en décembre 2002. Dès sa sortie de l’hôpital, le docteur Sylvestre a remplacé ce médicament par Zybrexa. Le médecin a par la suite ajouté Viagra que les psychiatres prescrivent pour neutraliser certains effets des antidépresseurs, ce qui semble être efficace.
L’AVIS DES MEMBRES
[114] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que les requêtes du travailleur devraient être accueillies en partie.
[115] Les membres considèrent que la preuve médicale prépondérante ne démontre pas qu’il y ait eu, le 16 septembre 2002, une modification de la condition lombaire du travailleur permettant de conclure qu’il y ait eu à cette date, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion. En effet, lors de la consolidation de sa lésion, le travailleur conservait des douleurs lombaires qui n’avaient pas évolué de façon significative même à la date de l’audience. De plus, compte tenu de la condition de dégénérescence discale lombaire documentée au dossier et de la maladie de Charcot-Marie-Tooth dont il est porteur, il est vraisemblable que les douleurs varient en intensité comme l’avait d’ailleurs noté le docteur Tran à son rapport d’évaluation médicale en mentionnant une condition stable avec des épisodes d’exacerbation de douleurs.
[116] Pour les aides techniques, les membres considèrent que la CSST devrait en assumer le coût dans la mesure où elles constituent de l’assistance médicale et ont été prescrites par le médecin qui a charge du travailleur en relation avec la persistance d’importantes douleurs dorsales et lombaires.
[117] Les membres considèrent que le trouble d’adaptation est en relation avec la lésion professionnelle du 12 février 2001.
[118] Après avoir entendu le témoignage du travailleur relativement à l’importance qu’il accordait à son travail, ils retiennent l’opinion exprimée par le docteur Béliveau selon qui la détérioration de la condition psychique résulte de la perte d’estime de soi ressentie lorsqu’il a été confronté à son incapacité de refaire un emploi qui le valorisait compte tenu de la persistance de douleurs lombaires incapacitantes attribuables à son accident du travail.
[119] Les membres considèrent que la colère face au médecin examinateur de la CSST de même que les frustrations vécues en regard du traitement de son dossier ne sont pas les éléments déterminants à l’origine de la lésion psychique.
[120] La lésion psychique étant reconnue, les membres sont d’avis que la CSST doit rembourser les frais encourus pour la prescription d’Effexor, un antidépresseur, et qu’il en est de même du Viagra dans la mesure où ce médicament est prescrit pour atténuer les effets des antidépresseurs prescrits par le médecin qui a charge du travailleur.
[121] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse lombaire et de 1 % pour une radiculopathie L5-S1 en tenant compte de l’opinion exprimée par le docteur Copti à cet égard. Il reconnaît de plus un pourcentage de 0,5 % pour un préjudice esthétique.
[122] Le membre issu des associations d’employeurs, exception faite du pourcentage de 1 % relatif à la radiculopathie L5-S1, est d’accord avec le déficit anatomo-physiologique retenu par son collègue.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[123] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer si le travailleur a, le 16 septembre 2002, subi une récidive, rechute ou aggravation physique en relation avec la lésion professionnelle qu’il s’est infligée le 12 février 2001.
[124] Les notions de récidive, rechute ou aggravation d’une blessure ou d’une maladie survenue par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail sont comprises dans la notion de lésion professionnelle. Comme elles ne sont pas définies dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), il faut s’en référer à leur sens courant pour en comprendre la signification.
[125] Un examen des définitions, qui en sont données dans les dictionnaires et qui ont été reprises par la jurisprudence, permet de dégager qu’il peut s’agir d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes[2].
[126] Il n’est par ailleurs pas nécessaire que la récidive, rechute ou aggravation résulte d’un nouveau fait accidentel. Il faut cependant qu’il y ait une preuve médicale prépondérante permettant d’établir une relation entre la pathologie présentée par un travailleur à l’occasion de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et celle survenue par le fait ou à l’occasion de la lésion initiale.
[127] Dans la décision Boisvert et Halco inc.[3], le commissaire Tardif énumère les paramètres suivants permettant de déterminer l’existence d’une relation entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et l’événement initial :
La gravité de la lésion initiale;
La continuité de la symptomatologie;
L’existence ou non d’un suivi médical;
Le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;
La présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique;
La présence ou l’absence de conditions personnelles;
La compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la rechute, récidive ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
Le délai entre la rechute, la récidive ou l’aggravation et la lésion initiale.
[128] Lors de l’accident survenu au travail le 12 février 2001, le travailleur a fait une chute sur le dos en sortant d’un autocar entraînant des douleurs cervicales, dorsales et lombaires.
[129] L’investigation médicale a démontré que le travailleur était porteur de dégénérescence discale multi-étagée, la résonance magnétique du 22 mars 2001 permettant de préciser qu’au niveau L5-S1, il y avait des dignes de discopathie dégénérative avec pincement et un peu de changement réactionnel de type adipeux aux versants latéraux du disque. On mentionnait de plus un bombement discal radiaire d’intensité légère à modérée sans signe de herniation focale mais à grand arc de courbure.
[130] Par ailleurs, un électromyogramme effectué le 27 mars 2001 était interprété comme anormal et compatible avec une polyneuropathie de type Charcot-Marie-Tooth susceptible d’expliquer les engourdissements des pieds.
[131] Le docteur Tran, qui assumait le suivi médical, a retenu le diagnostic de hernies discales dorso-lombaires et de radiculopathie lombaire.
[132] En septembre 2001, un membre du Bureau d’évaluation médicale a écarté le diagnostic de hernies et retenu celui d’entorse dorso-lombaire greffée sur une condition de discopathie dorsale multi-étagée et discopathie dégénérative L5-S1. Ce diagnostic est devenu final, la décision rendue par la CSST à cet égard n’ayant pas été contestée.
[133] Par ailleurs, le suivi médical s’est poursuivi et un électromyogramme effectué le 12 décembre 2001 était interprété comme présentant des signes de légère radiculopathie chronique L5-S1 plus importante à gauche.
[134] Le 28 janvier 2002, le docteur Tran signait un rapport final indiquant que la lésion était consolidée à cette date avec atteinte permanente à l’intégrité physique et limitations fonctionnelles.
[135] À son rapport médical rédigé le jour même, le docteur Tran rapportait une faiblesse dans les jambes, une douleur et une raideur résiduelles au dos et une diminution de l’endurance et de la force. La condition était stable avec des crises intermittentes d’exacerbation de douleurs et tous les mouvements du rachis lombaire étaient diminués.
[136] Le 17 mai 2002, le docteur Copti, neurologue, retient que le travailleur présente une douleur au membre inférieur gauche plus marquée qu’à droite alors que l’électromyogramme confirme la présence d’une radiculopathie chronique L5-S1. Il ajoute que la douleur radiculaire a une toute autre forme et ne peut être confondue avec la maladie de Charcot-Marie Tooth ou des neuropathies. Il conclut que le travailleur présente une radiculopathie L5-S1.
[137] La Commission des lésions professionnelles conclut qu’entre le 28 janvier 2002, date du rapport d’évaluation médicale du docteur Tran, et le 16 septembre 2002, date à laquelle le travailleur allègue la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion, le dossier médical ne permet pas d’identifier de modifications significatives de la condition du travailleur. Certes, les douleurs étaient présentes mais d’intensité variable, ce qui est compatible avec des séquelles d’entorse lombaire sur une condition dégénérative multi-étagée du rachis lombaire comme le notait d’ailleurs le docteur Tran à son rapport d’évaluation médicale.
[138] De plus, ce médecin indiquait dans son rapport complémentaire du 24 octobre 2002, soit à la période contemporaine de la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, que la lésion était consolidée depuis le 28 janvier 2002 comme il l’avait indiqué précédemment.
[139] Par ailleurs, le tribunal retient que bien que le membre du Bureau d’évaluation médicale ait écarté le diagnostic de hernie discale L5-S1 en l’absence de signes cliniques compatibles avec une telle pathologie, le travailleur présentait des signes de radiculopathie L5-S1, comme l’avait déjà indiqué le docteur Tran, ce qui a été repris par le docteur Copti dans une opinion adressée à la CSST.
[140] Le tribunal retient de plus qu’à l’audience, le travailleur a confirmé que sa condition était stable bien que les douleurs, qui sont toujours de même nature, soient d’intensité variable au fil des jours, ce qui est compatible avec ce que rapportent les médecins qui l’ont évalué pendant cette période.
[141] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que la preuve prépondérante ne démontre pas qu’il y ait eu, le 16 septembre 2002, une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion professionnelle que le travailleur s’était infligée le 12 février 2001 ou des symptômes de cette lésion.
[142] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si une atteinte permanente à l’intégrité physique résulte de la lésion professionnelle du 12 février 2001.
[143] Le tribunal retient tout d’abord que le docteur Tran indiquait à son rapport d’évaluation médicale que tous les mouvements du rachis lombaire étaient limités alors que le docteur Rousseau notait que seule la flexion antérieure était limitée volontairement. Quant au docteur Corriveau, membre du Bureau d’évaluation médicale, il rapportait que la flexion antérieure était limitée et que tous les autres mouvements étaient normaux mais douloureux en fin de course. Il recommandait le respect de limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST, ce qui correspond en substance à ce qui avait été suggéré par les docteurs Tran et Lefrançois.
[144] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur s’est infligé une lésion au rachis lombaire alors qu’il était âgé de 50 ans et présentait des signes de dégénérescence discale lombaire. Cette lésion est à l’origine de la manifestation de douleurs importantes et de limitations de mouvements du rachis lombaire, selon l’ensemble des médecins évaluateurs, à l’exception du docteur Rousseau. Bien que l’amplitude puisse varier d’un examen à l’autre, il n’en demeure pas moins que la preuve non contredite démontre que depuis cet accident, il y a eu une détérioration physique et fonctionnelle de la condition du travailleur.
[145] Le tribunal retient donc un déficit anatomo-physiologique de 2 % sous le code 204004 du Règlement sur le barème des dommages corporels[4] (le barème) pour une entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées.
[146] Le tribunal retient de plus que le travailleur présente, depuis la survenance de son accident du travail, des signes cliniques de radiculopathie L5-S1 comme l’ont retenu les docteurs Tran et Copti, condition qui est documentée par l’imagerie médicale.
[147] En effet, le membre du Bureau d’évaluation médicale a retenu que l’entorse dorso-lombaire que le travailleur s’est infligée le 12 février 2001 était greffée sur une discopathie dégénérative L5-S1. Or, la preuve non contredite démontre que cette condition personnelle était asymptomatique avant la survenance de cet événement et le tribunal retient l’opinion exprimée par les docteurs Tran et Copti qui considèrent que le fait accidentel a activé cette condition préexistante.
[148] En conséquence, le tribunal reconnaît que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour une atteinte sensitive du niveau L5-S1.
[149] De plus, tous les médecins évaluateurs ayant rapporté une cicatrice vicieuse au niveau dorsal, le tribunal retient le préjudice esthétique de 0,5 % décrit par le docteur Tran.
[150] Compte tenu des conclusions relatives aux conséquences de la lésion professionnelle pour le rachis lombaire, la Commission des lésions professionnelles déclare que la CSST doit défrayer les coûts du dossier et du siège orthopédiques prescrits par le docteur Tran, médecin qui a charge du travailleur.
[151] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si l’état dépressif du travailleur est en relation avec sa lésion professionnelle.
[152] Après avoir entendu le témoignage du travailleur, relu avec attention les opinions exprimées par les médecins sur cette question et en tenant compte plus particulièrement de l’opinion exprimée par les docteurs Béliveau, Lefèvre et Bureau, psychiatres, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’existence d’une relation entre le trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et dépressive et les conséquences de l’accident du travail a été établie de façon prépondérante.
[153] La Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur occupait un emploi qu’il aimait et qui le valorisait au moment de la survenance de son accident. Lors de son témoignage, il a su communiquer le plaisir qu’il éprouvait à exécuter ce travail qui ne se limitait pas à conduire des groupes de touristes d’une destination à une autre. Le travailleur a expliqué qu’il participait aux activités des membres du groupe, qu’il secondait le guide lors des déplacements et il considérait cette activité professionnelle comme un loisir. Il a affirmé qu’il tirait une grande satisfaction de cet emploi qui lui permettait de côtoyer des gens de diverses nationalités et cultures. Le tribunal retient de plus que cet emploi devait combler en partie son intérêt pour rendre service auquel faisait référence le psychologue Jbeili dans l’un de ses rapports.
[154] Le tribunal considère que c’est en tenant compte de l’importance que le travailleur attachait à cet emploi qu’il faut analyser les circonstances entourant l’apparition de symptômes d’anxiété et de dépression documentés au dossier et qui ont incité le docteur Roy à référer le travailleur à un psychiatre et à recommander dès le mois de septembre 2001 une psychothérapie qui a effectivement été entreprise à compter de cette date et dont les coûts ont été défrayés par la CSST qui note au contrat de service qu’il s’agit d’une mesure de réadaptation visant à diminuer le stress et les douleurs.
[155] Le tribunal retient que l’accident du travail a apporté de nombreux bouleversements dans la vie de monsieur Milette qui, du jour au lendemain, s’est retrouvé confronté à une symptomatologie douloureuse et incapacitante l’obligeant à passer d’une vie très active à une période où ses activités ont été grandement limitées.
[156] À cette situation s’est greffée l’apparition de symptômes attribuables à une maladie dégénérative de Charcot-Marie-Tooth qui a des conséquences importantes sur sa capacité physique. Pour le tribunal, bien que l’on traite ici des conséquences d’une lésion professionnelle et de la manifestation contemporaine d’une maladie héréditaire, il apparaît impossible de scinder les conséquences de l’une et l’autre de ces composantes dans l’apparition des symptômes ayant mené les médecins à conclure à un trouble d’adaptation.
[157] Dans ce contexte où le travailleur constatait qu’il était grandement diminué physiquement, tant en raison des conséquences de sa lésion que de l’apparition des symptômes de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, il est compréhensible qu’il ait été choqué lorsque le docteur Rousseau lui a dit qu’il considérait qu’il était capable de refaire son emploi.
[158] Comme l’a expliqué le docteur Béliveau, ce n’est pas cette opinion du médecin désigné par la CSST qui est responsable de l’apparition des symptômes d’anxiété et de dépression mais c’est plutôt la non reconnaissance par ce médecin de la réalité de sa condition physique qui a constitué un élément participant à la détérioration de la condition psychique du travailleur.
[159] Le docteur Béliveau a expliqué qu’il est fréquent que les travailleurs développent un trouble d’adaptation lorsqu’on leur annonce que leur condition physique ne sera plus jamais ce qu’elle était avant l’accident et qu’ils devront maintenant respecter des limitations fonctionnelles qui sont incompatibles avec la reprise d’un travail dans lequel ils s’étaient investis.
[160] Il considère que c’est ce qui est arrivé au travailleur qui, au surplus, était très attaché à son travail qui le comblait.
[161] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’opinion exprimée par le docteur Cardin et reprise en argumentation par la représentante de la CSST parce que l’emphase est mise principalement sur les conséquences financières de la lésion qui, bien que réelles, ne constituent pas selon la preuve soumise le facteur prépondérant responsable de l’apparition des symptômes d’un trouble d’adaptation qui s’est manifesté dès le mois d’octobre 2001, soit précisément à la période où le travailleur était confronté non pas à des problèmes financiers particuliers, puisqu’il recevait une indemnité de remplacement du revenu, mais plutôt à des discussions relatives à sa capacité de travail alors qu’il se sentait incapable de retourner à son emploi compte tenu de sa condition physique.
[162] Le tribunal considère que dans le présent dossier, la preuve prépondérante ne démontre pas que ce sont les tracasseries administratives et le traitement fait par la CSST du dossier qui sont responsables de la condition psychique du travailleur. En effet, comme le mentionnait avec justesse le docteur Cardin, le processus d’évaluation médicale prévu à la loi a été respecté et a permis au travailleur de faire reconnaître qu’il conservait une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles en relation avec sa lésion. De plus, le travailleur a toujours reçu une indemnité de remplacement du revenu puisque même à la date de l’audience, la CSST ne s’était pas prononcée sur sa capacité de travail.
[163] Dans ces circonstances, le tribunal ne voit pas en quoi la question financière serait responsable de la détérioration de la condition psychique du travailleur et conclut plutôt, comme il était mentionné au contrat de service acceptant la psychothérapie, que la condition est attribuable aux douleurs chroniques et aux conséquences qui s’y rattachent empêchant le travailleur de reprendre son emploi. Par ailleurs, bien que la référence à deux reprises au même médecin désigné par la CSST ait pu exacerber les symptômes du travailleur, le tribunal retient l’opinion motivée exprimée par le docteur Béliveau sur l’impact que cela a pu avoir sur la condition du travailleur.
[164] La Commission des lésions professionnelles ayant conclu que la condition psychique est en relation avec les conséquences de l’accident du travail, la CSST doit rembourser les frais encourus pour l’antidépresseur Effexor et Viagra qui, comme l’a expliqué le docteur Béliveau, vise à neutraliser certains effets de l’antidépresseur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Georges Milette, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 octobre 2002, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST doit rembourser les frais encourus pour l’achat des médicaments suivants : Effexor et Viagra; et
DÉCLARE que la CSST doit rembourser les frais encourus pour l’achat d’un dossier et d’un siège orthopédiques Obus Forme prescrits par le médecin qui a charge du travailleur.
DOSSIER : 201511
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Georges Milette, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la CSST le 28 février 2003, à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 3,81 % qui se décrit comme suit :
Code 204004 Entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles 2 %
Atteinte sensitive du niveau L5-S1. 1 %
Douleurs et perte de jouissance de la vie 0,3 %
Code 224386 Préjudice esthétique (1 cm2 X 0,5 %) 0,5 %
Douleurs et perte de jouissance de la vie 0,01 %
TOTAL 3,81 %
DOSSIER : 220822
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Georges Milette, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la CSST le 12 novembre 2003, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas, le 16 septembre 2002, subi de récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle qu’il s’était infligée le 12 février 2001;
DÉCLARE que l’état dépressif du travailleur est en relation avec sa lésion professionnelle; et
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations et indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa capacité de travail.
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DIANE BESSE |
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Commissaire |
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Me Pasqualie Di Prima |
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Di Prima, Macri, Piccolino |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Myriam Sauviat |
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Panneton, Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
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