GBO inc. (Division Sainte-Marie) |
2011 QCCLP 521 |
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[1] Le 12 mars 2010, GBO inc. (division Sainte-Marie) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 février 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er décembre 2009 et « déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Clément Deblois (le travailleur) le 2 mars 2007 »[2].
[3] L’affaire était fixée pour audience, devant le juge administratif Robert Deraiche, le 23 décembre 2010, à 11 h 00, à Saint-Joseph de Beauce.
[4] Par lettre du 9 décembre 2010, l’employeur renonce à l’audience prévue et soumet une argumentation écrite.
[5]
Le soussigné a été désigné pour rendre la décision dans le présent
dossier par ordonnance du président et juge administratif en chef de la Commission des lésions professionnelles prononcée, le 17 janvier 2011, en vertu des
dispositions des articles
[6] Le dossier constitué et l’argumentation écrite ont été remis au soussigné le 19 janvier 2011. L’affaire a été mise en délibéré à compter de cette dernière date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION ET L’ARGUMENTATION
[7] L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un partage du coût des prestations « en vertu de l’article 329 » de la loi, sans toutefois en préciser la proportion.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8]
En matière d’imputation, la règle générale est énoncée au premier alinéa
de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou une partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[9] Pour obtenir gain de cause, la partie requérante doit donc d’abord exercer son recours dans le délai prescrit au second alinéa de l’article 329 précité. C’est le cas en l’occurrence, puisque la demande de partage a été déposée le 2 mars 2009, alors que la lésion professionnelle date du 2 mars 2007.
[10] Sur le fond, preuve doit d’abord être faite de la présence chez la victime d’un handicap préexistant à la lésion professionnelle.
[11] Un travailleur sera considéré avoir été déjà handicapé au sens de l’article 329 précité, s’il était porteur, lors de sa lésion professionnelle, d’une insuffisance ou d’une déficience significative (congénitale ou acquise) de ses capacités physiques ou mentales, nonobstant le fait qu’elle se soit manifestée auparavant ou non :
La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence avec lequel la soussignée adhère, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle[3].
[12] La déviation par rapport à une norme biomédicale doit être prouvée de manière prépondérante[4] ; le fait qu’elle existait déjà au moment de la manifestation de la lésion professionnelle, aussi.
[13] Une fois la déficience prouvée, il devra être établi qu’elle a soit contribué à la survenance ou à la manifestation de la lésion professionnelle soit eu un impact significatif sur ses conséquences, médicales ou autres. Telle démonstration est nécessaire pour que la « déficience » prouvée soit considérée comme constituant un « handicap » au sens de l’article 329 de la loi[5].
[14] Qu’en est-il en l’espèce ?
[15] En l’occurrence, le diagnostic lésionnel posé à l’origine fut celui d’« entorse lombaire ». Subséquemment, un diagnostic de « hernie discale L4-L5 gauche » fut également reconnu comme étant en relation avec le fait accidentel, tel qu’il appert de la décision rendue le 18 décembre 2007, à la suite d’une révision administrative, laquelle est désormais devenue finale et irrévocable.
[16] Cette lésion est survenue dans les circonstances telles que décrites par le travailleur, à son formulaire de réclamation du 2 avril 2007, dans les termes suivants :
En tirant une palette de cœur de portes chez un client à Val Cartier. J’ai utilisé un transpalette et j’ai glissé sur la glace (au sol) du plancher de la remorque. J’ai tombé sur le dos et je me suis fait mal au poignet gauche.
[sic]
[17] Au soutien de sa demande, l’employeur produit l’opinion souscrite, le 10 novembre 2010, par son expert médical, le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste.
[18] Le docteur Lacasse souligne l’antécédent suivant :
Nous notons également à la revue du dossier de monsieur Deblois que ce dernier a adressé une réclamation à la CSST pour un événement survenu à son travail le 4 mai 2006. Un diagnostic d’entorse lombaire avait alors été retenu par le docteur Néron. Cette entorse lombaire avait été consolidée lors de la visite du 24 mai 2006. Le docteur Néron ne reconnaissait aucune atteinte permanente ni aucune limitation fonctionnelle à monsieur Deblois sur son rapport final.
Suite à cet événement du mois de mai 2006, le travailleur a été soumis à une tomodensitométrie du rachis lombaire à l’Hôtel-Dieu de Lévis. Cette tomodensitométrie a été effectuée le 7 mai 2006 et a montré à L4-L5, un étalement discal circonférentiel avec une petite hernie discale foraminale gauche non compressive.
(Le tribunal souligne)
[19] Selon le docteur Lacasse, l’existence d’une hernie discale foraminale L4-L5 gauche avant que la lésion professionnelle du 2 mars 2007 ne se soit manifestée ne fait donc pas de doute :
Or, cette hernie discale survient dans le contexte où le travailleur était également porteur d’une image de hernie discale L4-L5 gauche auparavant. En effet, la tomodensitométrie du rachis lombaire de monsieur Deblois effectuée le 7 mai 2006 c’est-à-dire avant l’évènement du 2 mars 2007 a clairement démontré la présence d’une hernie discale foraminale L4-L5 gauche. Cette hernie était donc présente même si elle n’a pas été reliée à l’événement du 4 mai 2006. [sic]
(Le tribunal souligne)
[20] De plus, le docteur Lacasse affirme que cette condition préexistante révélée à l’imagerie médicale constitue une « déficience » non attribuable à un phénomène de vieillissement normal, mais bien à une déviation par rapport à la norme biomédicale :
Or, le fait de présenter une image de hernie discale à un niveau du rachis lombaire ne fait pas partie du vieillissement normal.
En effet, la littérature biomédicale dont un article de Hadjipavlou dont je soumets une copie en annexe nous souligne en page 1263 que pour être reliés au vieillissement normal, des changements doivent atteindre de façon uniforme tous les disques d’une même personne. En effet, tous les disques d’une même personne ont par définition le même âge. Donc, le fait de rencontrer des changements dégénératifs prédominants à un niveau plutôt qu’à un autre, atteste du fait qu’ils ne sont pas reliés au vieillissement normal.
D’autre part, un article classique de la littérature tirée du Journal of Bone & Joint Surgery américain et dont je vous soumets une copie en annexe traite de la prévalence d’images de hernies discales chez la population asymptomatique. Or, nous constatons à la lecture du tableau 1 situé en page 404, que 36 % de la population âgée entre 60 et 80 ans est porteuse d’une image de hernie discale à la région lombaire. Donc, le fait d’être porteur d’une hernie discale lombaire constitue une déviance par rapport à la norme biomédicale même chez un travailleur âgé de plus de 60 ans.
[…]
(…) Il s’agissait d’une condition déviante par rapport à la norme biomédicale qui par surcroît n’était pas le fruit du vieillissement normal.
(Le tribunal souligne)
[21] Le tribunal retient de ce qui précède qu’avant même l’accident du travail dont il a été victime le 2 mars 2007, le travailleur présentait déjà une hernie discale foraminale en L4-L5, bien qu’elle fut asymptomatique en raison du fait qu’aucune compression n’était encore exercée sur la racine concernée. En outre, il s’agissait là d’une condition déviant à la norme biomédicale, donc d’une déficience au sens de la définition précitée de l’Organisation mondiale de la santé.
[22] Le docteur Lacasse explique ensuite comment cette déficience a contribué à la manifestation de la lésion professionnelle :
Cette hernie discale radiologique identifiée sur la tomodensitométrie du 7 mai 2006 a prédisposé le travailleur à développer une hernie discale clinique lors de l’événement du 2 mars 2007. En effet, la présence d’une hernie discale signifie une certaine rupture dans l’anulus fibrosus du disque. Le nucleus pulposus fait donc protrusion à travers cette rupture. L’anulus fibrosus ainsi partiellement rupturé devient fragilisé par rapport à un anulus fibrosus intact et il est tout à fait logique de concevoir qu’un traumatisme plutôt bénin peut mener à la rupture complète de ce disque. Il s’agit du scénario précis que nous retrouvons dans ce dossier. [sic]
[…]
Cette hernie discale affaiblissait déjà l’anulus fibrosus de son disque L4-L5 et le prédisposait à développer une hernie discale sur un traumatisme subséquent.
(Le tribunal souligne)
[23] Certains autres extraits de la littérature médicale cités par l’employeur viennent corroborer l’opinion du docteur Lacasse.
[24] En effet, dans l’ouvrage intitulé Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[6] cité par la représentante de l’employeur, les auteurs expriment l’avis suivant :
Une protrusion ou une hernie discale ne peut se produire que sur un disque dégénéré et il a été impossible, jusqu’à maintenant, de la provoquer expérimentalement sur des disques sains.
[25] Dans l’ouvrage intitulé Low Back Pain[7], l’avis exprimé va dans le même sens :
On the basis of our present understanding of the pathophysiology of lumbar disc disease, a single episode of trauma may be a precipitating, but rarely a causative factor. Augmenting this line of reasoning, if sufficient stress is applied to the spine, a fracture of the bony elements will occur before any damage is done to the disc (Fig. 10-1). Furthermore, it is often minor episodes of trauma, such as picking a light object up off the floor or bending forward over a sink to wash one’s face, that often precipitates a severe attack.
(Le tribunal souligne)
[26] Dans Spine[8], les auteurs sont du même avis :
The nucleus pulposus is the functional center of the disc, and when it loses its plasticity, and hence its load-bearing capacity, minor movements and loading may cause mechanical effects on the annulus, with the occasional result of annular ruptures and disc herniations. Hirsch hypothesized that disc herniation is a manifestation of disc degeneration. No ruptures occur in an annulus without the nucleus showing advanced structural changes.
(Le tribunal souligne)
[27]
La prépondérance de la preuve montre clairement que la lésion
professionnelle du travailleur ne serait fort probablement pas manifestée, le 2
mars 2007, n’eut été de la déficience dont il était déjà alors porteur. Le
tribunal en conclut qu’il y a preuve de handicap, au sens de l’article
[28] Certains des critères ou paramètres[9] généralement retenus pour apprécier l’influence que la déficience a eue sur la lésion professionnelle sont ici rencontrés, soit notamment :
Ø la nature et la gravité du fait accidentel,
Ø le diagnostic initial de la lésion professionnelle, et
Ø les opinions médicales à ce sujet.
[29] De plus, dans le présent cas, la période de consolidation de lésion professionnelle s’est étendue sur 27 semaines alors que selon les normes appliquées par la CSST dans les cas de hernie discale, la période de consolidation moyenne devrait être de 18 semaines.
[30] Enfin, la hernie du travailleur a eu des conséquences plus lourdes que celles rencontrées normalement, en ce qu’elle a entraîné une atteinte motrice permanente de la racine L4 gauche de classe 2. Le déficit anatomophysiologique reconnu a été de 5 %, plutôt que de 2 % seulement.
[31] Il y a donc lieu de faire droit à la demande de partage. Reste à déterminer dans quelle proportion.
[32] La représentante de l’employeur cite une décision où la Commission des lésions professionnelles a accordé un partage du coût des prestations dans une proportion de 50 %.
[33] Contrairement au présent cas, dans l’affaire susdite, la preuve ne permettait pas de conclure que le handicap avait joué un rôle prédominant dans la manifestation de la lésion professionnelle, car le fait accidentel était significatif en soi. De plus, dans cette affaire, le handicap n’avait pas prolongé la durée de la période de consolidation de la lésion au-delà des normes habituelles non plus qu’il avait eu un impact sur l’ampleur de l’atteinte permanente.
[34] Ici, la preuve rapportée précédemment justifie l’attribution d’un pourcentage de partage plus généreux, car le handicap a joué un rôle prédominant dans la manifestation et même la survenance de la lésion professionnelle, la période de consolidation de la lésion a été prolongée au-delà de la moyenne applicable en semblable cas et l’atteinte permanente a été plus grave qu’à l’habitude.
[35] Dans ces circonstances, le tribunal est justifié de déclarer que 90 % du coût des prestations doit être imputé à l’ensemble des employeurs et 10 % au dossier financier de l’employeur
[36] La contestation est bien fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de GBO inc. (division Sainte-Marie), l’employeur ;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 février 2010, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de 10 % du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail dont monsieur Clément Deblois, le travailleur, a été victime, le 2 mars 2007 ;
DÉCLARE que les employeurs de toutes les unités doivent être imputés de 90 % du susdit coût.
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Jean-François Martel |
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Madame Julie Boucher |
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Medial Conseil Santé Sécurité |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Au moment de son accident du travail, le travailleur occupait un emploi de camionneur et était âgé de 61 ans.
[3] Municipalité Petite-Rivière St-François et C.S.S.T.- Québec,
[4] Clermont Chevrolet Oldsmobile inc.,
[5] Voir entre autres : Centre hospitalier de Granby, C.L.P.
[6] Michel DUPUIS et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, St -Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 1986, 2e tirage 1991, p. 128
[7] Bernard E. FINNESON, Low Back Pain, 2e éd., Philadelphie, Toronto, J. B. Lippincott, 1980, p. 289
[8] R. H. ROTHMAN et F. A. SIMEONE, The Spine, 3e éd., Philadelphie, Montréal, W. B. Saunders, 1992, Vol 1, p. 195
[9] Pinkerton du Québec ltée et CSST, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.