Bélanger et Gestion Technomarine International inc. |
2007 QCCLP 6798 |
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[1] Le 28 juin 2006, monsieur Jean Bélanger (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 mai 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 mars 2006 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement de la marihuana séchée.
[3] L’audience s’est tenue le 28 février 2007 à Rivière-du-Loup en présence du procureur de la CSST. Le 28 mars 2007, la procureure du travailleur a transmis ses représentations par écrit, tel qu’elle y avait été autorisée par le soussigné. La cause a été prise en délibéré le 10 avril 2007 à la réception de la réplique du procureur de la CSST.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit au remboursement des frais relatifs à l’acquisition de marihuana séchée auprès de Santé Canada.
LES FAITS
[5] Le 10 août 2000, monsieur Bélanger, alors âgé de 33 ans, se blesse à l’épaule gauche en déplaçant un quai alors qu’il travaille comme journalier-boiseur. À la suite d’une fausse manœuvre du grutier, le quai est balancé vers l’arrière et heurte violemment son membre supérieur gauche provoquant ainsi une hyperextension. Le travailleur ressenti alors une vive douleur et une sensation de brûlure comme si son bras avait arraché. Cette lésion est acceptée par la CSST le 21 septembre 2000 avec un diagnostic initial d’entorse à l’épaule gauche. À la suite d’une évaluation faite le 5 avril 2001 par le Dr Denis Laflamme, membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM), la CSST ajoute le diagnostic d’un possible étirement du plexus brachial gauche.
[6] Le 24 octobre 2001, le travailleur est examiné par le Dr Bernard Leduc à la demande de la CSST. Celui-ci indique à ses notes de consultation que « cliniquement ce patient reste avec des douleurs chroniques quotidiennes importantes, qu’il situe au pourtour de la région sus et sous-épineuse gauche de même qu’en avant de l’épaule gauche ».
[7] Le Dr Leduc conclut que le travailleur présente donc « une impotence fonctionnelle proximale assez importante du membre supérieur gauche en rapport avec des phénomènes douloureux dont l’étiologie n’est pas à première vue évidente. Une lésion traumatique du nerf supra-scapulaire est impossible, compte tenu de l’EMG, mais cet examen n’a pas formellement exclu une atteinte radiculaire C5 puisqu’il n’est pas clair, d’après le rapport d’EMG, si d’autres muscles qui pourraient appartenir au myotome C5 ont été explorés (deltoïdes en particulier) ».
[8] À la suite d’une autre évaluation effectuée par le Dr David Wiltshire à titre de membre du BEM le 9 janvier 2002, celui-ci conclut à un dysfonctionnement du membre supérieur gauche avec un syndrome douloureux qui a évolué vers un nouveau diagnostic de dystrophie réflexe sympathique du membre supérieur gauche, diagnostic qui est accepté par le CSST le 7 novembre 2002. De plus le Dr Wiltshire consolide la lésion à la date de son examen, entraînant une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (APIPP) de 4,5 % pour une atteinte des tissus mous et une atrophie musculaire de l’avant-bras et des limitations fonctionnelles. Ainsi, le travailleur doit éviter d’utiliser sa main gauche plus haut que son épaule, d’effectuer des mouvements forçants ou répétitifs avec le membre supérieur gauche et de lever des poids de plus de 5 livres avec la main gauche.
[9] Le 6 janvier 2003, la Commission des lésions professionnelles[1] accepte le diagnostic de fissure anale en relation avec la lésion professionnelle initiale. Le tribunal considère que les nombreux médicaments (anti-inflammatoires et analgésiques) prescrits par les médecins dans le cadre du traitement de sa lésion à l’épaule gauche sont susceptibles d’entraîner, à titre d’effets secondaires ou de complications, des problèmes de constipation. D’ailleurs, le Dr Roch Banville, qui a examiné le travailleur à la demande de la CSST, indique à son rapport de consultation du 29 juillet 2002 que monsieur Bélanger a présenté une gastrite secondaire à la prise d’anti-inflammatoires d’une façon continue pendant 11 mois, ainsi que des hémorroïdes et une fissure anale opérée le 24 mai 2002.
[10] Le 4 avril 2003, la psychologue Nathalie Sicard indique à son rapport de suivi psychologique « que monsieur Bélanger souffre apparemment de douleurs à son bras droit[2]. Lors des rencontres, il bouge peu son bras et lorsqu’il le fait, il montre des signes de souffrance. Monsieur Bélanger prend ses médications afin de calmer ses douleurs. Toutefois, comme cela ne lui apparaît pas suffisant, il indique qu’il consomme parfois du cannabis afin de se calmer et de faire diminuer la douleur. L’intensité de la douleur est telle que monsieur Bélanger consulte son médecin, le Dr Desrochers afin d’obtenir un arrêt de ses cours pour motifs de rechute ».
[11] Le travailleur déménage dans la région des Basques au printemps 2003, il est alors suivi par le Dr Éric Lavoie.
[12] En date du 31 octobre 2003, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une rechute, récidive ou aggravation (RRA) de sa lésion initiale survenue le 14 mars 2003 pour un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur dépressive. Cette lésion psychologique est consolidée en date du 20 avril 2004 avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le 9 juin 2004, la CSST évalue l’atteinte permanente à 15 % pour cette lésion. À ce pourcentage s’ajoute 3 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Le 22 septembre 2004, la CSST informe le travailleur que dix séances de traitements en psychologie ont été acceptées depuis le 31 mars 2004.
[13] Toutefois, le 31 octobre 2003, la CSST refuse la réclamation de monsieur Bélanger pour une RRA alléguée survenue le 14 mars 2003 pour le diagnostic de dystrophie sympathique réflexe du membre supérieur gauche. Cette décision est confirmée par la CSST le 17 mars 2004 à la suite d’une révision administrative. Par contre, le 17 mai 2005, la Commission des lésions professionnelles[3] entérine un accord par lequel les parties reconnaissent que le travailleur a subi le 14 mars 2003 une RRA de sa lésion initiale dont le diagnostic est une dystrophie réflexe active.
[14] Le 20 avril 2004, le travailleur est vu par le Dr Yves Rouleau, psychiatre, à la demande de la CSST. Le Dr Rouleau rapporte :
« Il nous dit que depuis 2000, malgré tous les traitements médicaux, de physiothérapie ou psychologiques, il n’y a aucune amélioration. Son problème principal est la douleur chronique, une douleur qui est permanente sous forme de déchirures, d’élancements au niveau de l’épaule gauche exacerbés par certains mouvements. Cette douleur l’éveille souvent la nuit et il a de la difficulté à mettre ses bas et ses souliers. Il se couche le soir vers 22 h et s’éveille très souvent durant la nuit en raison de la douleur. L’avant-midi, il se fait un traitement avec de la glace. Après son déjeuner, il se recouche. Il sort parfois un peu sur le terrain. L’après-midi, il sort un peu et il se recouche à nouveau. Il signale qu’il se couche de 3 à 4 fois par jour. Après le souper, il regarde parfois la télévision. Comme distractions, il a un chien avec qui il se promène. Il ne conduit pas l’automobile, il s’en dit incapable. Il signale qu’il fait une vie restreinte, isolée. Son appétit est bon. Du point de vue sexuel, il n’y a aucune érection. Il se sent triste, impatient et irritable. Il n’a jamais, dit-il, accepté son état. C’est un homme d’activités physiques. Il se sent complètement annihilé et il devient très anxieux. On lui a fait prendre des cours de dessin par ordinateur, mais il dit que la douleur l’empêchait et qu’il avait aussi de la difficulté à se concentrer. »
[15] Le Dr Rouleau conclut à un diagnostic d’un trouble de l’adaptation chronique avec anxiété et humeur dépressive à la suite d’une entorse à l’épaule gauche et d’une dystrophie réflexe au membre supérieur gauche avec comme comorbidité un syndrome douloureux chronique. Il perçoit chez le travailleur une détresse psychologique importante, un état de colère, une non-adaptation à son état et il ajoute que le travailleur en est rendu au stade 3 selon le modèle de Gatchel où il a adopté le rôle de malade. Il consolide néanmoins la lésion psychologique en date du 24 avril 2004 avec une atteinte permanente à l’intégrité psychique qu’il évalue à 15 % au chapitre des névroses (code 922556) du Règlement sur le barème des dommages corporels[4]. Même s’il considère consolidé l’état du travailleur, il indique que les traitements médicaux doivent être poursuivis autant du côté des analgésiques que de la psychopharmacologie. Il ne reconnaît pas l’existence de limitations fonctionnelles au niveau psychiatrique.
[16] Le 31 mai 2004, le Dr Éric Lavoie, médecin du travailleur, produit un rapport complémentaire à la CSST à la suite du rapport d’expertise du Dr Rouleau. Le Dr Lavoie se dit en accord avec le Dr Rouleau concernant le diagnostic, la date de consolidation, la nécessité de poursuivre les traitements et l’existence et le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur.
[17] Toutefois, au niveau des limitations fonctionnelles, il lui semble qu’étant donné les troubles majeurs de concentration, de fatigabilité, d’irritabilité et d’impatience de son client, on devrait lui accorder des limitations fonctionnelles au niveau psychique. Ainsi, il accorde des limitations psychiques pour toute situation d’apprentissage qui demande de l’attention soutenue et de la concentration. De même, il indique que monsieur Bélanger ne pourrait pas supporter toute situation de travail qui demande patience et tolérance étant donné son irritabilité interrelationnelle manifeste.
[18] Le 3 décembre 2004, monsieur Bélanger est vu par le Dr René Parent, physiatre, à la demande de la CSST. Le Dr Parent indique à son rapport d’évaluation médicale que le travailleur lui mentionne :
« Ses douleurs sont présentes tous les jours. Les douleurs sont au cou, au niveau cervical et au niveau de l’épaule. Cette douleur est constante et présente 24 heures sur 24 heures. Il décrit une impression de main engourdie, impression de changement de coloration du membre supérieur gauche. Il décrit des tremblements à l’effort. La douleur diminue légèrement au repos, mais dès qu’il sollicite son membre supérieur la douleur réapparaît. La douleur est parfois aggravée après une période d’immobilité. Il se dit réveillé la nuit. Les médicaments le soulagent peu. »
[19] À l’examen clinique, le Dr Parent constate que le simple fait de toucher quelque peu à l’épaule ou au bras du travailleur provoque de vives douleurs, le patient étant très souffrant au moindre geste. Il ajoute que le simple effleurement de l’épaule provoque de vives douleurs. Il conclut que le patient présente effectivement des douleurs qui semblent exacerbées au cours des dernières années. Objectivement, l’examen est devenu tout à fait non fiable étant donné le phénomène douloureux, l’ankylose et les mécanismes de protection. L’examen physique serait effectué au prix de souffrances du malade ce qui devient est inutile.
[20] Le Dr Parent retient une atteinte permanente à l’intégrité physique qu’il établit à un pourcentage de 7 %. Au niveau des limitations fonctionnelles, il recommande des restrictions sévères. En effet, dit-il, le caractère continu de la douleur au membre supérieur gauche et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier. On peut toutefois envisager une activité que le travailleur pourrait contrôler lui-même le rythme et l’horaire.
[21] Le 24 janvier 2005, le travailleur est vu par la psychiatre Hélène Fortin, à titre de membre du BEM dans le but d’établir l’existence ou le pourcentage d’atteinte permanente à son intégrité psychique et l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles. Elle note que :
« […]
Monsieur se sent incapable de travailler dans un milieu qui serait bruyant, de travailler avec le public car il se sent trop irritable, il mentionne par ailleurs avoir des troubles de concentration étant donné la douleur d’une part, mais également lorsqu’il prend certaines médications analgésiques. Il se dit incapable de tolérer de hauts niveaux de stress.
[…] »
[22] Elle accorde, elle aussi, une atteinte permanente à l’intégrité psychique du travailleur de l’ordre de 15 % au chapitre des névroses, code 222556 du barème.
[23] Elle recommande les limitations fonctionnelles suivantes :
« […]
Il apparaît que monsieur ne pourra plus travailler à un emploi demandant une bonne tolérance au stress, une bonne tolérance au bruit, par ailleurs. Il ne pourra plus travailler dans un endroit demandant une bonne concentration de façon soutenue. Il ne pourra pas travailler avec le public, étant donné les troubles de l’humeur allégués. »
[24] Le 21 avril 2005, la conseillère en réadaptation de la CSST, Stéphanie Lévesque, fait un résumé du dossier dans le but de déterminer s’il y a lieu de verser des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que le travailleur soit capable d’exercer un emploi convenable. On y constate que le travailleur a pris, depuis sa lésion initiale du 10 août 2000, près de 30 sortes de médicaments différents afin de tenter de diminuer la douleur qu’il ressent. De plus, le dossier indique, qu’au cours de cette période, monsieur Bélanger a été vu et suivi par de nombreux médecins omnipraticiens, orthopédistes, chirurgiens-orthopédistes, physiatres, psychologues et psychiatres. De même, il a passé de nombreux examens de radiographies, électromyographies et imageries par résonance magnétique. Il a également eu au cours de cette période de nombreux traitements de physiothérapie, d’ergothérapie, d’acupuncture et également des traitements au Centre de traitement de la douleur de Montréal.
[25] Malgré cette panoplie de médicaments, d’examens médicaux et de traitements, elle note que le travailleur continue de toujours ressentir de la douleur au niveau de son membre supérieur droit. Cette douleur continue a un effet sur le comportement tant physique que psychologique de monsieur Bélanger, écrit-elle.
[26] Le dossier indique également que le travailleur a été victime dans le passé de deux lésions professionnelles au niveau dorsal depuis 1989, lésions qui ont cumulé plus de 2 100 jours d’indemnités de remplacement du revenu.
[27] Le 25 avril 2005, la CSST informe le travailleur qu’il est actuellement impossible de déterminer un emploi qu’il sera capable d’exercer à temps plein et qu’il aura donc droit à une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il ait 68 ans.
[28] Le 21 juillet 2005, le travailleur est vu par la Dre Hélène Bélanger, psychiatre, à la demande de son médecin traitant. Relativement aux habitudes de vie du travailleur, elle indique que le travailleur lui mentionne avoir fait des essais occasionnels de cannabis en quantité difficile à préciser et qui aurait amené une diminution de l’irritabilité, une tendance à être plus calme sans toutefois soulager les douleurs.
[29] Au niveau du plan de soins, la Dre Bélanger indique :
« À la lecture du dossier ainsi que l’entrevue que nous avons faite avec monsieur Bélanger, nous sommes conscients du fait que de nombreux essais médicamenteux ont été faits chez lui et se sont tous avérés soit plutôt inefficaces ou encore mal tolérés. L’utilisation d’autres alternatives pour le soulager, en plus de la médication, ne semblent pas avoir amené d’effets bénéfiques non plus. Comme seule substance qui avait tendance à l’apaiser, le rendre plus calme et le rendre moins irritable il y avait l’utilisation de cannabis. Cela avait donc amené monsieur a discuté avec son médecin de famille, le Dr Lavoie, de la possibilité d’avoir une autorisation de Santé Canada pour posséder de la marijuana. Je pense qu’une telle alternative pourrait peut-être être envisagée effectivement. Les risques associés à l’utilisation d’une telle substance à long terme ont cependant été expliqués à monsieur dont entre autres les risques de développer une dépendance, d’avoir des problèmes physiques tels les complications pulmonaires, les complications psychiatriques sous forme de tableau dépressif, difficultés de concentration, etc. »
[30] La Dre Bélanger rapporte que la conjointe du travailleur lui dit avoir remarqué qu’il s’agissait d’une des rares substances à avoir pu apaiser monsieur. La Dre Bélanger ajoute que le couple n’a pas semblé démontrer d’attitude de manipulation derrière ce désir d’avoir du cannabis et en dehors de son désir d’être soulagé, monsieur ne semble pas désireux d’avoir des gains secondaires dus à cela.
[31] Les notes évolutives de la CSST font état d’une conversation téléphonique tenue le 25 août 2005 entre le Dr Lavoie et madame Stéphanie Lévesque agente de réadaptation. Celui-ci l’informe qu’étant donné l’échec des traitements pour contrer la douleur, il demandera à Santé Canada une autorisation pour que monsieur Bélanger puisse consommer et posséder de la marihuana. D’ailleurs, le Dr Lavoie a transmis à la CSST les documents pertinents.
[32] Les notes évolutives font état d’un bilan médical téléphonique effectué le 30 septembre 2005 auprès du Dr Lavoie par le Dr Claude Morel, médecin régional de la CSST. Le Dr Morel rapporte :
« Dr Éric Lavoie indique qu’il a prescrit l’utilisation de la marijuana pour les effets psychotrope et antidouleur du produit. Il indique avoir tout essayé pour les troubles d’adaptation et la souffrance (douleur chronique) du patient.
Le patient prendrait déjà de la marijuana sur une base personnelle qu’il se paye avec difficulté et ça fonctionnerait; ce qui serait donc un dernier recours.
L’essai de Marinol et du Césamet n’avaient pas donné de résultats. L’apprentissage de techniques de relaxation fut tenté, cependant ses activités qui exigent une certaine concentration sont trop exigeantes car le patient n’aurait pas assez de réserve cérébrale à cause de la douleur chronique.
Le travailleur aurait des sautes d’humeur et serait assez irritable; tout stress lui ferait « prendre les nerfs ». La personnalité du patient serait un peu en cause avec ses réactions.
La demande fut transmise le 25 août à Santé Canada. Le travailleur aurait eu des contacts avec l’organisme fédéral qui n’aurait pas d’objection. La facture devrait obligatoirement être envoyée à monsieur Bélanger alors qu’il aurait préféré une facturation directe à la CSST. Aucune réponse officielle par écrit ne serait rendue.
J’indique au médecin qu’une expertise sera demandée au Dr Pierre Rouillard, spécialiste en toxicomanie. Le Dr Lavoie a déjà fait voir le patient en psychiatrie afin d’éliminer la possibilité d’un usage illicite de ce produit. »
[33] Les notes évolutives font aussi état d’une communication téléphonique du 30 août 2005 entre le travailleur et madame Lévesque de la CSST. Madame Lévesque rapporte que monsieur Bélanger lui dit que c’est son médecin qui lui a offert ce traitement à la suite de l’échec de tous les autres médicaments. Il est évalué par une psychiatre qui a aussi recommandé ce traitement.
[34] Le travailleur lui dit que la marihuana lui procure les effets suivants:
« Il dit en prendre illégalement de façon occasionnelle; il est plus détendu et plus calme; il arrive à oublier momentanément sa douleur; il n’y a pas de soulagement comme tel de la douleur, mais cela lui change les idées. »
[35] Le 7 octobre 2005, Santé Canada informe le travailleur que sa demande pour obtenir de la marihuana séchée de l’approvisionnement de Santé Canada a été acceptée. Toutefois, cette autorisation de possession expire le 10 octobre 2006. La quantité maximale de marihuana séchée qu’il peut posséder à tout moment en vertu de cette autorisation de possession est de 90 grammes. Une première livraison a lieu et le travailleur transmet à la CSST la facture au montant de 517,50 $ afin d’en obtenir le remboursement.
[36] Le 28 octobre 2005, le travailleur est vu par le Dr Rouillard, psychiatre, à la demande de la CSST pour l’étude d’une demande de prise de marihuana pour soulager la douleur chronique.
[37] Après avoir analysé tout le dossier ainsi que les nombreux rapports d’examens médicaux subis par le travailleur, le Dr Rouillard indique à ses considérations clinico-administratives :
« Il est possible que la marijuana l’aide vraiment, car il est reconnu qu’elle a des effets contre la douleur, les spasmes musculaires et les nausées même s’il y a peu d’études contrôlées cliniques sur l’humain.
Il est aussi démontré qu’il peut y avoir une synergie entre les opiacées et le cannabis contre la douleur.
[…]
Je n’ai pas toutes les informations sur les doses et/ou la durée du Césamet et du Marinol. Ces doses étaient beaucoup plus petites en équivalent THC que les trois grammes de marijuana qu’il fume actuellement. De plus, l’absorption par la bouche est beaucoup plus lente et l’effet plus difficile à ajuster selon la douleur. Par contre, le travailleur ne dit pas clairement que le cannabis diminue beaucoup sa douleur. »
[38] Le Dr Rouillard conclut :
« D’autre part, tenant compte de toute l’histoire, de l’aspect humanitaire de la question, de l’appui que la conjointe a toujours donné au client, de l’impression qu’a le travailleur que le cannabis l’aide vraiment; et malgré les risques qu’il développe une dépendance et des complications associées à l’utilisation chronique de la marijuana, je crois qu’il est possible qu’il y ait plus d’avantages actuellement pour le travailleur de prendre de la marijuana telle que prescrite par son médecin de famille. »
[39] Le 14 mars 2006, la CSST refuse la demande de remboursement que lui a soumise le travailleur relativement à l’acquisition de marihuana séchée. Elle indique que cette décision repose sur le fait que la marihuana n’est pas un médicament et que son efficacité pour traiter ou prévenir une affection n’a pas été démontrée. Elle ajoute que même si cette substance est réclamée à la CSST pour des raisons d’ordre humanitaire, celle-ci demeure liée par la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles[5] (la loi) qui ne prévoit que le remboursement du coût d’un médicament ou d’un produit pharmaceutique.
[40] Le 22 mars 2006, le Dr Lavoie médecin traitant du travailleur, écrit au Dr Morel de la CSST pour lui exprimer sa profonde déception à l’égard du refus de la CSST d’assumer la facture d’acquisition de marihuana séchée. Le Dr Lavoie écrit :
« Noter que cette demande fait suite à trois ans d’échecs thérapeutiques pour traiter la douleur dont souffre monsieur Jean Bélanger. Suite à de multiples expertises, nul ne saurait ignorer à quel point la souffrance brime la vie de mon client. Il s’agit d’une souffrance autant physique que psychologique qui limite toute activité, le confinant à passer toutes ses journées dans un état où la douleur domine toute volonté et lui impose un horaire annihilant. Pour tout dire, il n’a plus de vie. Sa souffrance équivaut à celle d’un patient en phase terminale sauf qu’ici, sa souffrance est interminable.
Heureusement, ces dernières semaines, j’ai pu observer que le THC inhalé avait réussi à lui apporter un peu de paix. Ceci se manifestant au bureau par une attitude moins irritable et plus patiente avec un faciès moins crispé et une humeur plus mobilisable. En trois ans de suivi, le THC inhalé sous cette forme est la seule alternative thérapeutique qui a offert un soulagement à mon client.
Cette substance porte évidemment son lot de controverse. Pour limiter toute attitude manipulatrice, mon client a subi deux expertises psychiatriques. Il faut comprendre que le processus de prescription s’est effectué avec la plus grande prudence et le plus de professionnalisme possible. Malgré la controverse, vous comprendrez que je me dois, en ma qualité de médecin, d’utiliser toute alternative valable pour arriver à soulager la souffrance. C’est ce que j’ai cru possible avec le programme de Santé Canada pour l’usage de marihuana à des fins médicales. Contrairement aux arguments présentés dans la lettre de refus, le THC a été démontré efficace pour traiter certaines affections. C’est d’ailleurs la raison d’être du programme de Santé Canada et la raison qui pousse les compagnies pharmaceutiques à mettre sur le marché des médicaments dérivés du THC. »
[41] Le 26 mai 2006, la CSST confirme la décision initiale de refus de remboursement à la suite d’une révision administrative. La CSST est d’avis que la marihuana n’est pas considérée comme un médicament et qu’elle est liée par les règlements et les politiques en vigueur et qu’elle ne peut acquitter que le coût des médicaments prescrits lorsqu’ils sont prescrits par le médecin qui a charge et en relation avec la lésion professionnelle. De plus, elle indique qu’elle ne peut considérer comme une tendance jurisprudentielle bien établie le fait que la Commission des lésions professionnelles ait déjà accueillie une semblable demande d’un autre travailleur. Finalement, elle ajoute qu’il s’agit d’une question fort controversée autant sur le plan médical que légal.
[42] Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles, d’où le présent litige.
[43] Le 14 mars 2006, le Dr Lavoie transmet une lettre à la Commission des lésions professionnelles dans laquelle il réitère sensiblement les arguments qu’il avait soumis dans sa lettre au Dr Morel le 22 mars 2006.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[44] La procureure du travailleur soutient que la marihuana séchée qui a été prescrite est un médicament au sens de la loi et qu’il a droit à son remboursement selon les dispositions relatives à l’assistance médicale prévue à la loi puisque ce médicament a été requis en raison de sa lésion professionnelle.
[45] Le travailleur allègue également que même si la marihuana n’était pas considérée comme un médicament, il a droit au remboursement de la facture de Santé Canada pour la marihuana séchée prescrite en raison du droit à la réadaptation physique et sociale prévue aux articles 145 et suivants de la loi.
[46] Pour sa part, le procureur de la CSST soutient que la marihuana n’a été reconnue qu’à des fins humanitaires et non pas comme médicament. Aucune autorité gouvernementale ou médicale, tant au Canada qu’aux États-Unis ne l’a reconnue comme tel. De plus, la CSST prétend que la marihuana ne peut-être considérée comme un traitement, car l’efficacité et l’innocuité de la marihuana ne sont pas reconnues par la communauté médicale et scientifique.
[47] Le procureur plaide que le travailleur consommait de la marihuana avant même sa lésion initiale et qu’il a toujours continué à en prendre par la suite. Selon lui, la réclamation du travailleur vise plus à se faire rembourser le coût d’achat de la marihuana qu’il a toujours consommée depuis plusieurs années.
[48] La CSST allègue également que la marihuana n’aurait pas été recommandée pour soulager les douleurs chroniques du travailleur, mais plutôt parce que cela le rendait de meilleure humeur. De plus, la CSST ne peut rembourser la consommation de la marihuana par compassion, la loi ne le permettant pas.
[49] Finalement, il considère que l’opinion du Dr Lavoie, médecin du travailleur, ne devrait pas être retenue puisque celui-ci ne respecte pas les attentes relatives au rôle des experts devant la Commission des lésions professionnelles en prenant un rôle proactif, agissant plutôt comme représentant du travailleur, lors de ses demandes tant à Santé Canada, à la CSST qu’à la Commission des lésions professionnelles.
L’AVIS DES MEMBRES
[50] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la contestation du travailleur devrait être rejetée. Selon lui, on ne retrouve pas au dossier de prescription du médecin traitant. De plus, sa consommation n’est pas reliée à une diminution de la douleur, mais plutôt pour améliorer son caractère.
[51] Le membre issu des associations d’employeurs est également d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Selon lui, la preuve n’a pas révélé que la marihuana est un médicament. Il n’y a aucune prescription du médecin au dossier. Le travailleur consommait déjà de la marihuana avant sa lésion. De plus, même dans le cadre de la réadaptation physique, la CSST ne peut payer une substance pour que la vie paraisse plus belle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[52] Le Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais relatifs à l’acquisition de la marihuana séchée auprès de Santé Canada.
[53] Le travailleur allègue qu’il ressent toujours des douleurs chroniques importantes depuis sa lésion, douleurs qui n’ont pu être résorbées malgré la grande quantité de médicaments qui lui ont été prescrits, qu’il a pris et qui lui ont causé des effets secondaires ou des complications. C’est à la suite de trois années de traitements que son médecin traitant, le Dr Lavoie, lui a prescrit de la marihuana pour diminuer sa douleur. D’ailleurs, le travailleur mentionne qu’il a déjà utilisé cette substance et qu’il a pu en constater les bienfaits.
[54] La consommation et la possession de marihuana sont interdites au Canada, sauf à des fins médicales et à certaines conditions.
[55] Le tribunal estime qu’il faut d’abord situer le débat dans son contexte. Il s’agit d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle qui, en raison de la persistance des douleurs depuis de nombreuses années, alors que les traitements conservateurs n’apportent pas véritablement de soulagement et que la prise massive de médicaments provoque des effets secondaires et des complications importantes, se voit reconnaître la permission par les autorités compétentes, de posséder et de consommer pour son propre besoin de la marihuana. Cette permission se traduit par une exemption en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[6] pour la période du 7 octobre 2005 au 10 octobre 2006, mais soumise à des conditions très strictes en regard de cette exemption.
[56] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les dispositions de la loi permettent au travailleur d’avoir droit au remboursement demandé pour les raisons suivantes.
[57] Il y a lieu d’adopter une interprétation large et libérale des dispositions de la loi considérant le but de celle-ci et de trouver les dispositions nécessaires qui sauront répondre aux besoins exprimés par le travailleur selon le mérite réel du cas, comme les articles 1 et 351 autorisent le tribunal à le faire dans des circonstances inhabituelles :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[58] L’article 188 de la loi prévoit que le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
[59] Pour sa part, l’article 189 de la loi précise en quoi consiste l’assistance médicale.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[60] La CSST a refusé la réclamation du travailleur pour le motif principal que la marihuana n’est pas considérée comme un médicament au sens de loi. Pour sa part, le travailleur prétend qu’elle peut l’être.
[61] Or, la loi ne définit pas la notion de « médicament ». Qu’en est-il?
[62] Cette question a fait l’objet d’une seule décision auprès de la Commission des lésions professionnelles, selon les recherches faites tant par le soussigné que les procureurs des parties. Dans l’affaire Corbeil et Wilfrid Nadeau inc. (fermée) et Commission de la santé et de la sécurité du travail Chaudières-Appalaches[7], la commissaire Marielle Cusson a décidé que la marihuana constitue un médicament au sens de la loi. Elle écrit :
[37] À ce stade de l'analyse, la Commission des lésions professionnelles désire revenir sur la définition du terme « médicament », tel que nous l’enseignent les dictionnaires et les autres sources de référence. À la lecture des définitions aux dictionnaires, la Commission des lésions professionnelles constate que le terme « médicament » fait appel à une description très large. Il est question de toute substance ou composition représentant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines. Il est aussi question de toute substance active employée pour prévenir ou traiter une affection ou une manifestation morbide. On parle de drogue, de médicament, de potion ou encore de remède. La Loi sur la pharmacie définit également le médicament en référant à toute substance ou mélange de substances pouvant être employé, entre autres, à l’atténuation des symptômes d’une maladie. Quant à la Loi sur les aliments et drogues, c'est le mot « drogue » qu'elle définit comme substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir, entre autres, au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes. La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis que la définition des mots « médicament » et « drogue », alors que chacune de ces définitions réfère à toute substance ou mélanges de substance, est suffisamment large pour y inclure la marihuana lorsque celle-ci est prescrite à des fins médicales.
[38] Il est évident, dans le cas présent, que la consommation de la marihuana vise l'atténuation de la manifestation douloureuse de la maladie. Elle a donc été prescrite à des fins médicales et le but recherché s’apparente à celui d’une médication conventionnelle pour laquelle le médicament fera partie de la liste reconnue et sera distribué en pharmacie. La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l'argument de la CSST voulant que la marihuana ne soit pas un médicament et qu’en conséquence, il soit impossible de considérer cette substance aux fins de l’application de l’article 189 de la LATMP.
[63] Elle conclut ainsi :
[43] La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis, dans la mesure où la marihuana est prescrite et qu'elle fait l'objet d'une exemption à des fins médicales par Santé Canada, que celle-ci se doit d'être considérée comme un médicament en application de l'article 189 de la LATMP. Bien entendu, il ne saurait être question de tenir un tel discours en l'absence de cette exemption. Nous ne serions d'ailleurs pas en train d'en débattre.
[44] La Commission des lésions professionnelles partage donc le point de vue élaboré par le représentant du travailleur quant au fait de reconnaître la marihuana comme médicament aux fins de l’application de l’article 189 (3) de la loi, malgré qu'elle ne le soit pas en regard de la Loi sur les aliments et drogues. Le contexte de la loi disposant des lésions professionnelles est particulier en ce qu’il prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état, et ce, dans un contexte où tout doit être fait pour atténuer les conséquences de sa lésion professionnelle. Or, les médecins s'entendent pour dire que c’est par le biais de la consommation de la marihuana que l’on pourra, dans le cas présent, atténuer la douleur chronique. […] »
[64] La Commission des lésions professionnelles a rejeté la demande de révision présentée par la CSST à l’encontre de la décision de la commissaire Cusson[8]. Le commissaire Claude Bérubé indiquait :
[85] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut conclure que cette démarche décisionnelle est entachée d'un vice de fond, de la nature d'une erreur manifeste et déterminante, qui serait de nature à invalider la décision rendue.
[65] Ces deux décisions de la Commission des lésions professionnelles ont été portées en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Le 12 novembre 2004, l’honorable Claudette Tessier-Couture rejetait la requête de la CSST[9]. Madame la juge Tessier-Couture écrivait :
[42] Certes, la Commission a fait état de lois et règlements autres que la LATMP et les règlements en découlant mais seulement pour souligner les diverses définitions qui y sont données, notamment pour le terme « médicament ». La CLP n’a pas analysé ces lois ou règlements. Elle a suivi un raisonnement qui a conduit à une interprétation large et libérale de l’article 189.3 de sa loi constitutive, mais que le Tribunal ne peut considérer manifestement déraisonnable.
[…]
[44] Le paragraphe 3e de l’article 189 ne limite pas le terme médicaments à ceux disponibles auprès d’un pharmacien ou autrement; aucune condition spécifique ne s’applique.
[45] Devant le fait que la LATMP ne fournit aucune définition du terme médicaments, la commissaire Cusson s’en est remise aux définitions données par les dictionnaires généraux et les autres sources telles que les définitions disponibles dans d’autres lois.
[46] Comme il a été mentionné ci-dessus, la commissaire Cusson n’analyse pas ces autres lois, elle ne fait qu’y puiser la définition du terme médicaments.
[47] La commissaire a bien analysé ce qui lui était soumis. Elle a apprécié la preuve, appliqué la loi et motivé sa décision.
Plus loin, elle poursuivait :
[51] Monsieur Corbeil, suite à un accident de travail subi en 1981, ressent toujours une douleur que les médicaments usuels ne soulagent plus. Cependant, la marihuana l’atténue. Il bénéficie d’une exemption accordée par Santé Canada en regard de cette substance. La loi prévoit l’assistance médicale notamment par « les médicaments et autres produits pharmaceutiques » sans définir ces termes. Le sens usuel des mots a été retenu par la commissaire Cusson.
[52] Suivant son analyse, il n’est pas manifestement déraisonnable de conclure que la marihuana doit être considérée comme un médicament et que les frais encourus pour l’utilisation de ce produit doivent être remboursés.
[66] La Cour d’appel du Québec a refusé la requête pour permission d’en appeler de cette décision[10].
[67] Le soussigné partage le point de vue émis par la commissaire Cusson et estime que la marihuana doit être considérée comme un médicament pour l’application de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles.
[68] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l’argument de la CSST à l’effet que la marihuana n’a pas été prescrite par un médecin puisqu’on ne retrouve pas au dossier de formulaire de « prescription formelle ».
[69] Le 10 octobre 2005, le Dr Morel de la CSST rapporte un bilan médical téléphonique effectué le 30 septembre 2005 auprès du Dr Éric Lavoie, médecin traitant du travailleur depuis plus de 3 ans, conversation au cours de laquelle celui-ci lui indique qu’il a prescrit l’utilisation de la marihuana pour les effets psychotropes et antidouleur. Rappelons que le Dr Lavoie a rempli le formulaire d’autorisation de possession auprès de Santé Canada. De même, les lettres du Dr Lavoie adressées au Dr Morel le 22 mars 2006 et à la Commission des lésions professionnelles le 14 juin 2006 ne laissent aucun doute, dans l’esprit du tribunal, qu’il a effectivement prescrit cette substance au travailleur.
[70] La Commission des lésions professionnelles considère que la forme ou le choix du formulaire de la prescription médicale ne doit pas prévaloir sur le contenu de la prescription et ne doit pas servir pour refuser une demande légitime du travailleur.
[71] Le tribunal ne retient pas l’argument de la CSST voulant que la marihuana ne puisse être considérée comme un traitement, car l’efficacité et l’innocuité de celle-ci ne sont pas reconnues par la communauté médicale et scientifique.
[72] À l’appui de cette prétention, la CSST a déposé la décision Succession Wazir et Bunyar-Malenfant international (fermée) et CSST[11]. Toutefois, avec respect, le tribunal considère que la situation dans cette affaire était totalement différente de la présente. La thérapie immunoaugmentative (TIA) n’avait pas été prescrite par un professionnel de la santé, le travailleur ayant plutôt pris la décision de se rendre aux Bahamas pour y suivre des traitements dans une clinique privée. Selon la décision, de nombreuses études avaient été faites par diverses autorités et tous s’entendaient pour dire que l’efficacité, l’indication et la crédibilité même du traitement controversé n’avaient pas été prouvés de façon scientifique. De plus, dans cette cause, les autorités fédérales américaines et canadiennes avaient interdit l’importation et la vente sur leur territoire de produits de la clinique bahamienne. Toujours selon la décision, on avait même considéré que cela pouvait être dangereux pour la santé des gens.
[73] Or, en l’espèce, la situation est toute différente. Le Dr Lavoie a prescrit la marihuana pour les effets psychotropes et antidouleur du produit. Il dit qu’il a pu « observer que le THC inhalé avait réussi à lui apporter un peu de paix. Ceci se manifestant au bureau par une attitude moins irritable et plus patiente avec un faciès moins crispé et une humeur plus mobilisable. En trois ans de suivi, le THC inhalé sous cette forme est la seule alternative thérapeutique qui a offert un soulagement significatif à son client ».
[74] La Dre Bélanger note que la conjointe du travailleur lui rapporte qu’il s’agissait de la seule substance à avoir pu apaiser un peu monsieur. La Dre Bélanger pense qu’une telle alternative pourrait peut-être être envisagée et elle a appuyé la demande faite auprès de Santé Canada.
[75] De même, le Dr Rouillard, psychiatre désigné par la CSST, considère que malgré les conséquences négatives possibles, il est probable qu’il y ait plus d’avantages actuellement pour le travailleur de prendre de la marihuana telle que prescrite par son médecin de famille. Il ne relie pas la prescription et la consommation actuelle de marihuana à une condition personnelle du travailleur.
[76] De plus, les autorités gouvernementales (Santé Canada) ont reconnu que, dans certaines situations, la marihuana pouvait avoir un effet bénéfique chez certaines personnes. Or, Santé Canada a accordé l’autorisation à monsieur Bélanger de posséder cette substance, en vertu du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales[12].
[77] La Commission des lésions professionnelles a déjà accordé des traitements d’ostéopathie[13], de massothérapie, d’acupuncture[14], et ce, même si l’efficacité de ces traitements ne fait pas l’objet d’unanimité chez la communauté scientifique ou médicale.
[78] La Commission des lésions professionnelles a également ordonné le remboursement de produits naturels tels la glucosamine[15] et l’oméga 3[16] même si les vertus thérapeutiques de ces produits ne font pas non plus l’unanimité.
[79] En outre, le tribunal constate que ni l’employeur ni la CSST n’ont contesté de la façon prévue à la loi la nécessité ou la valeur de ce traitement préconisé par le médecin qui a charge du travailleur alors qu’ils auraient pu le faire en recourant à la procédure du Bureau d’évaluation médicale (BEM) sous l’item de la nature des soins pour qu’il en soit décidé conformément à l’article 212 de la loi qui se lit comme suit :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[80] La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et par la suite la Commission des lésions professionnelles en ont décidé ainsi à quelques reprises[17].
[81] Par conséquent, la CSST était liée, tout comme l’est la Commission des lésions professionnelles, par l’opinion du médecin du travailleur, quant à la nécessité pour celui-ci de consommer de la marihuana séchée.
[82] Qui plus est, il subsiste un courant jurisprudentiel du tribunal voulant qu’en vertu de l’article 184 alinéa 5 de la loi, la CSST doive prendre toutes les mesures qu’elle juge utile pour atténuer les conséquences d’une lésion professionnelle. Ainsi s’énonce cet article :
184. La Commission peut:
[…]
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 184.
[83] En conclusion, le soussigné fait siens les propos de madame la juge Tessier-Couture qui indiquait[18] :
[63] La marihuana a longtemps été et est toujours l’objet de restrictions. Cependant, devant l’évolution des connaissances sur ce produit, la législation canadienne s’est adaptée dans le but de soulager et de venir en aide à ceux qui en ont besoin, et ce, après avoir examiné chaque demande formulée, chaque cas étant un cas d’espèce. Les décisions de l’administration doivent aussi s’adapter, voire se conformer à la législation adoptée.
[84] Pour toutes ces raisons, la Commission des lésions professionnelles considère que la marihuana séchée constitue un médicament au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi). L’article 194 de la loi indique que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST. Il est donc clair qu’à partir du moment où le travailleur bénéficie d’une assistance médicale, celle-ci doit être à la charge de la CSST. La CSST devra donc rembourser le travailleur du coût d’achat de la marihuana séchée auprès de Santé Canada.
[85] Vu la conclusion à laquelle en arrive le tribunal, celui-ci estime qu’il n’est pas nécessaire de disposer du deuxième argument soulevé par le travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Jean Bélanger;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 mai 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur est en droit de bénéficier du remboursement des coûts de l’achat de marihuana séchée pour la période où il est détenteur d’une autorisation de possession d’une telle substance émise par Santé Canada.
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Normand Michaud |
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Commissaire |
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Me Maryse Rousseau |
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F.A.T.A. - Québec |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Maurice Cloutier |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] Bélanger et Gestion Technomarine international inc, C.L.P. 189833-63-0209, 6 janvier 2003, D. Besse.
[2] Le tribunal constate que madame Sicard fait référence au bras droit alors que l’ensemble du dossier fait plutôt mention du bras gauche comme site de la lésion. Par conséquent, le tribunal considère qu’il s’agit d’une simple erreur et qu’il s’agit effectivement du bras gauche.
[3] C.L.P. 230395, 17 mai 2005, D. Sams.
[4] [1987] 119 G.O.II, 5576.
[5] L.R.Q., c. A-3.001.
[6] 1996 L.C., c.19.
[7] [2002] C.L.P. 789 .
[8] Corbeil et Wilfrid Nadeau inc. (fermée) et CSST, C.L.P. 183805-03B-0205, 20 février 2004, C. Bérubé.
[9] [2004] C.L.P. 1251 .
[10] C.A.Q., 200-09-005022-048, 21 décembre 2004, Thérèse Rousseau-Houle, j.c.a.
[11] C.L.P. 190720-62A-0209, 14 janvier 2004, J.-D. Kushner.
[12] [2001] 135 G.O. II, 1330.
[13] Bélanger et Quincaillerie Frigon, [2005] C.L.P. 711 ; Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, C.L.P. 262039-64-0505, 13 mars 2007, J.-F. Martel.
[14] Gauvreau et L.D. Pilon inc., C.L.P. 127194-08-0003, 29 mai 2001, R. Savard; Lamanque et Hôpital St-Luc, C.L.P. 182775-72-0204, 18 octobre 2002, F. Juteau; Dury et PrymDritz Canada inc., C.L.P. 272223-71-0509, 9 mai 2005, C. Racine; Desrochers et Caisse Desjardins Quartier-Chinois, C.L.P. 279184-71-0601, 25 avril 2007, Y Lemire; Lauzon et Produits et Services Sanitaires Andro inc. et CSST, C.L.P. 297256-64-0608, 5 juin 2007, R. Daniel.
[15] Breton et Serrurier Indépendant enr., 267008-63-0507, 21 août 2006, F. Mercure.
[16] Renaud et Marché R. Théberge inc., 245162-63-0409, 23 juillet 2007, M. Juteau.
[17] Sciascia et Boulangerie & Pâtisserie A. Ampère, [1996] C.A.L.P. 1099 ; Blais et Groupe Hamelin inc., 91025-05-9708, 99-02-16, F. Ranger; Hubert et Gestion VRG enr., 104340-32B-9809, 99-07-16, A. Vaillancourt; Déry et Romir Construction inc., 112392-73-9901, 99-09-03, L. Crochetière; Corbeil et Wilfrid Nadeau inc. (fermée) et CSS, [2002] C.L.P. 789 ; Lagueux et Cafétéria Olymel, C.L.P. 197607-03B-0301. 17 décembre 2003, C. Lavigne, révision rejetée, 30 avril 2004, P. Simard; Renaud et Marché R.Théberge inc., 245162-63-0409, 23 juillet 2003, M. Juteau.
[18] Voir note 10.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.