Lucas et Entreprises agricoles et forestières de la Péninsule inc. |
2010 QCCLP 132 |
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[1] Le 13 mai 2008, monsieur Réginald Lucas (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 mai 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 septembre 2007, déclare que l’emploi de signaleur constitue un emploi convenable pour le travailleur, que ce dernier est capable de l’exercer à compter du 19 septembre 2007, que le revenu brut annuel de cet emploi est de 16 684,80 $ et que, cet emploi n’étant pas disponible, le travailleur a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu, lesquelles seront réduites dès qu’il travaillera comme signaleur ou, au plus tard, le 19 septembre 2008.
[3] Lors de l’audience tenue à Gaspé le 3 décembre 2009, le travailleur est présent avec sa procureure. Personne n’est présent pour Les entreprises agricoles et forestières de la péninsule inc. (l’employeur), laquelle a cependant été dûment convoquée. La procureure de la CSST, qui n’a pu être présente en raison des mauvaises conditions climatiques, soumet ses représentations écrites le 17 décembre 2009 après avoir écouté l’enregistrement de l’audience. Le dossier est pris en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il n’a pas bénéficié d’un processus de réadaptation professionnelle conforme à la loi et que l’emploi de signaleur ne constitue pas un emploi convenable pour lui.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils considèrent plus particulièrement que le travailleur a démontré de façon prépondérante qu’il aurait dû bénéficier d’un processus de réadaptation plus élaboré considérant notamment son âge, son expérience de travail très peu diversifiée, sa faible scolarité et son unilinguisme anglais, et que l’emploi de signaleur ne constitue pas un emploi convenable pour lui, plus particulièrement parce qu’il implique des tâches incompatibles avec ses limitations fonctionnelles et sa condition dorsale personnelle, mais, surtout, parce qu’il ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche pour lui considérant son absence d’expérience pertinente, ses limitations physiques, son unilinguisme anglais, sa faible scolarité et son âge.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le travailleur, actuellement âgé de 62 ans, est victime d’un accident du travail le 6 juillet 2006 alors qu’il exerce le travail de débroussailleur chez l’employeur. Il est alors âgé de près de 59 ans, et non de 52 ans comme l’écrit la réviseure de la CSST.
[7] Des diagnostics d’entorse cervicale avec minime ankylose résiduelle, d’entorse dorso-lombaire sur fractures anciennes avec arthrose à D7-D8-D9 et ankylose lombaire importante et de tendinite de l’épaule droite avec ankylose importante sont posés en relation avec cette lésion professionnelle.
[8] La lésion professionnelle est déclarée consolidée le 18 avril 2007 et est reconnue avoir entraîné un pourcentage d’atteinte permanente de 23,5 % à l’intégrité physique du travailleur.
[9] Les limitations fonctionnelles suivantes sont par ailleurs énoncées comme devant dorénavant être respectées par le travailleur :
- Éviter les efforts physiques avec le membre supérieur droit dépassant la hauteur de l’épaule.
- Éviter les manipulations lourdes avec le bras droit (poids dépassant 20 livres avec la main droite).
- Éviter les mouvements répétitifs prolongés avec le membre supérieur droit (période dépassant 60 minutes).
- Éviter les efforts en flexion antérieure du tronc.
- En fléchissant les hanches et les genoux, il peut manipuler des poids de 40 livres (le bras droit est limité à 20 livres, mais il peut soulever 40 livres à deux mains).
- Éviter les chocs répétitifs à la colonne dorso-lombaire provoqués par un véhicule à suspension rigide comme la motoneige, le VTT et le Zodiac.
[10] Considérant ces limitations fonctionnelles, la CSST déclare que le travailleur est incapable de reprendre son travail antérieur de débroussailleur et doit bénéficier de réadaptation professionnelle.
[11] À l’issue de ce processus, l’emploi de signaleur est déclaré constituer un emploi convenable pour le travailleur, ce que ce dernier conteste. Le travailleur allègue également que le processus de réadaptation professionnelle prévu par la loi a été bafoué et qu’il n’a pas bénéficié des mesures auxquelles il avait droit, ce qui, en soit, justifie selon lui de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle reprenne ce processus.
[12] Il est prévu à l’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qu’un travailleur qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique en raison de sa lésion professionnelle a droit à de la réadaptation :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[13] Il est également prévu que, dans ce contexte, le travailleur a droit à la mise en œuvre d’un plan individualisé de réadaptation établi avec sa collaboration :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
[14] En vertu des articles 166 et 167 de la loi, la réadaptation professionnelle à laquelle a droit un travailleur peut quant à elle comprendre diverses mesures et vise à faciliter la réintégration du travailleur sur le marché du travail :
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
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1985, c. 6, a. 167.
[15] En l’occurrence, aucun emploi équivalent ou convenable n’était disponible chez l’employeur. Ne demeurait donc que la possibilité que le travailleur puisse exercer un emploi jugé convenable pour lui ailleurs sur le marché du travail :
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
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1985, c. 6, a. 171.
(Soulignements ajoutés)
[16] En l’occurrence, la preuve révèle que le travailleur a tout au plus complété une 4e année de scolarité, qu’il est unilingue anglophone, qu’il n’a occupé que des emplois de couleur d’acier dans une fonderie en Ontario et de débroussailleur en forêt et qu’il est âgé de 60 ans au moment de l’identification de l’emploi convenable et n’a alors pas travaillé depuis un an, soit depuis la survenance de sa lésion professionnelle. Sa lésion professionnelle s’est par ailleurs inscrite sur une colonne déjà affectée par une fracture de la vertèbre D7 par écrasement, laquelle, si elle était de nature professionnelle, impliquerait un déficit anatomophysiologique supplémentaire de l’ordre de 15 %, ce qui est significatif et doit être pris en considération dans l’appréciation des capacités du travailleur. Le travailleur a d’ailleurs été déclaré invalide par la Régie des rentes du Québec à compter d’octobre 2007, ce qui, sans aucunement lier le tribunal, constitue tout de même une indication quant ses capacités professionnelles et à son employabilité.
[17] Or, force est pour le tribunal de constater à la lecture du dossier que le travailleur a effectivement bénéficié de très peu de véritables services de réadaptation professionnelle, particulièrement eu égard à sa situation.
[18] Lors d’une première rencontre entre le travailleur et une conseillère en réadaptation de la CSST le 18 juillet 2007, des informations sont obtenues du travailleur et des explications lui sont données relativement à ce que prévoit la loi quant à la réadaptation professionnelle, sans plus.
[19] Le 1er août 2007, une deuxième rencontre a lieu entre le travailleur et sa conseillère, rencontre lors de laquelle la conseillère demande simplement au travailleur de réfléchir à ce qu’il pourrait et aimerait dorénavant faire comme travail, sans plus alimenter sa réflexion et sa démarche.
[20] Le travailleur et sa conseillère se rencontrent à nouveau le 5 septembre 2007. Il s’agit en fait de la seule rencontre au cours de laquelle il semble y avoir eu plus de discussion axée véritablement sur la réadaptation professionnelle du travailleur. Le travailleur déclare alors ne pas savoir ce qu’il pourrait bien faire maintenant, et qui pourrait bien l’embaucher, considérant qu’il n’a toujours travaillé qu’en forêt ou dans une fonderie, qu’il a 60 ans, qu’il est unilingue anglais et qu’il n’a qu’une 4e année de scolarité. Il se dit cependant prêt à exercer le travail qu’on lui trouvera, ce qui témoigne tout de même d’une certaine ouverture de sa part. La conseillère en réadaptation ne semble rien faire pour aider le travailleur à cheminer dans sa réflexion, pour l’aider à identifier ses forces, ses aptitudes et ses intérêts et voir vers quel type d’emploi cela pourrait le mener et le rendre intéressant pour un employeur. La conseillère en réadaptation écrit plutôt ceci, concluant en quelque sorte à l’absence de collaboration du travailleur à l’identification d’un emploi convenable :
Je dis au T [travailleur] qu’est ce que j’entends aujourd’hui et lors de notre dernière rencontre c’est qu’il n’a pas d’idée d’un emploi qu’il pourrait faire, qui pourrait l’intéresser. T me dit que personne va l’engager. Je dis au T que nous devons choisir un titre d’emploi convenable, il n’est pas nécessairement obliger d’occuper cet emploi, mais ça démontre sa capacité résiduelle. J’explique au T que nous n’avons pas au dossier des limitations fonctionnelles qui sont invalidantes, il demeure avec une capacité physique pour faire un emploi convenable. Je dis au T que je comprends qu’il n’a pas d’idée d’un emploi qu’il pourrait faire, est-ce que c’est bien cela. T me dit qu’il ne sait pas trop qu’est ce qu’il pourrait faire comme emploi, il ne sait pas. Je demande au T par exemple s’il pense pouvoir faire un emploi de gardien de nuit par exemple. T me dit qu’il ne sait pas.
J’explique au T que la loi nous oblige de nommer un emploi convenable, il n’est pas obliger d’occuper cet emploi, mais ça doit respecter ses limitations fonctionnelles, sa scolarité, etc. Je dis donc au T que s’il n’a pas de contribution à faire à nos discussions je suis dans l’obligation de choisir un titre d’emploi pour lui. Je vais sortir un titre d’emploi et je vais en discuter avec lui lors de notre prochaine rencontre.
Je demande au T s’il comprend nos limites comme assureur public, notre mandat. T me dit que non. J’explique nos limites et notre mandat de nouveau, dans d’autres mots.
[…] (sic)
(Soulignements ajoutés)
[21] Dès lors, le sort du dossier semble scellé. Lors de la rencontre suivante, le 19 septembre 2007, le travailleur réitère qu’il ne sait pas et ne voit pas ce qu’il pourrait faire, alors que la conseillère en réadaptation réitère quant à elle que dans ce contexte elle doit déterminer elle-même un emploi convenable au sens de la loi afin de démontrer sa capacité résiduelle. Elle dit au travailleur avoir pensé à des emplois de gardien ou de signaleur. Il n’est pas indiqué si de l’information plus détaillée est fournie au travailleur, lequel se voit mal occuper ces emplois et dit qu’il faudrait qu’il essaie pour savoir s’il est en mesure de les exercer. La conseillère prend alors la décision de retenir l’emploi de signaleur comme étant un emploi convenable pour le travailleur.
[22] Selon les notes de la conseillère en réadaptation résumées ci-dessus, jamais, lors de ces rencontres, celle-ci n’a discuté avec le travailleur de ses aptitudes et de ses intérêts et ne lui a fait passé de tests reconnus pour l’aider à évaluer ceux-ci et ce qu’il pourrait dorénavant faire comme travail. Jamais, non plus, il ne semble y avoir eu de discussions pour aider le travailleur à cheminer, à faire son deuil de son précédent emploi et de sa perte de capacité, à s’ouvrir à de nouvelles possibilités et à être plus conscient de celles-ci. Jamais, finalement, des propositions concrètes lui ont été faites quant à différents types d’emploi potentiels, descriptions et exigences à l’appui, pour l’aider dans sa réflexion.
[23] Nous voici donc face à un homme de 60 ans, unilingue anglophone, avec une scolarité d’au plus une 4e année et une expérience de travail en usine et en forêt, qui ne peut plus faire son travail ou quelque autre travail du même type, et qui doit maintenant composer avec des limitations fonctionnelles importantes eu égard au fait qu’il a toujours occupé un emploi très physique. Or, le processus de réadaptation professionnelle est limité à une demande de réfléchir et de fournir un titre d’emploi qu’il pourrait dorénavant occuper. Cela n’apparaît dans les circonstances, ni réaliste ni conforme à l’esprit de la loi.
[24] Les notes de la conseillère en réadaptation sont d’ailleurs éloquentes quant au mandat qui lui est donné ou qu’elle considère devoir accomplir : identifier un titre d’emploi qui respecte les critères de la loi pour être jugé convenable, afin de démontrer la capacité résiduelle de travail du travailleur et permettre de mettre fin au versement de son indemnité de remplacement du revenu après une année d’indemnité pour recherche d’emploi.
[25] Or, cette approche n’est pas conforme à l’esprit de la loi : il y est en effet clairement question de différents services pour aider le travailleur dans sa réadaptation professionnelle, ce qui inclut des services d’évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l’aider à déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer, et doit impliquer d’aider activement le travailleur dans sa réflexion et dans son cheminement.
[26] Un plan de réadaptation professionnelle ne doit pas se borner à un simple exercice d’identification d’un emploi respectant les critères énoncés dans la loi pour être considéré convenable; il doit impliquer un véritable processus de réadaptation avec le travailleur, de façon à l’aider de façon réaliste et pratique à réintégrer le marché du travail.
[27] Un tel processus doit notamment comprendre un minimum de soutien au travailleur pour l’aider à cheminer et à envisager un retour au travail, notamment lorsqu’il se croit difficilement employable et que cette croyance n’est pas farfelue, comme en l’instance. Il n’était pas question ici d’un homme d’âge moyen ayant complété des études secondaires ou collégiales, ayant diverses expériences de travail et ne devant composer qu’avec de légères limitations fonctionnelles; cela commandait donc une approche plus élaborée avant de conclure à l’absence de collaboration du travailleur et de déterminer unilatéralement un emploi convenable.
[28] Dans l’affaire Maltais et Acier d’armature Fermeuf inc.[2], le tribunal reconnaît que la CSST peut, dans certains cas, devoir déterminer unilatéralement un emploi convenable, mais qu’elle doit auparavant avoir tout fait pour susciter la collaboration du travailleur :
[51] Il est vrai que dans certains cas, la CSST peut procéder de façon unilatérale, à la détermination d’un emploi convenable lorsque le travailleur ne collabore pas à l’élaboration ou à la mise en œuvre de son plan de réadaptation que la CSST tente d’établir7.
[52] Or, la Commission des lésions professionnelles estime qu’avant de procéder de la sorte, la CSST devra démontrer avoir déployé tous les efforts nécessaires et avoir eu recours à toutes les ressources appropriées pour inciter le travailleur à s’impliquer et à participer activement dans un tel processus. Or, il va de soi que si la responsabilité de tenter de mettre en œuvre un plan de réadaptation en collaboration avec le travailleur incombe à la CSST, en contrepartie, le travailleur a pour sa part l’obligation et la responsabilité d’y participer pleinement et activement.
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7 Voir notamment : Jean-Gilles et Centre d’accueil Denis Benjamin Viger, [1997] C.A.L.P. 61 ; Vallières et 9007-7876-Québec inc., C.L.P. 109026-62-9901, 13 mai 1999, S. Mathieu; Haraka et Garderies Les Gardelunes, [1999] C.L.P. 350 ; Ahmed et Canadelle inc., C.L.P. 124878-73-9910, 15 mai 2000, F. Juteau; Mailloux et Dudley inc., C.L.P. 259967-62A-0504, 15 janvier 2007, J. Landry.
[29] La soussignée s’exprimait également comme suit à ce sujet dans une autre affaire[3] :
[10] Afin que l’on puisse conclure par ailleurs qu’un travailleur a réellement bénéficié de la réadaptation que requérait son état, il importe que la CSST ait réellement évalué la situation du travailleur et ait tenté de trouver les solutions appropriées à son cas en tentant de susciter sa collaboration. Dans le cadre de la réadaptation professionnelle, de l’information doit ainsi être obtenue du travailleur sur ses expériences antérieures de travail, sur ses intérêts, ses aptitudes, etc. Ce n’est pas un processus qui peut généralement être complété à la suite d’une seule rencontre et il peut par ailleurs, toujours selon le cas, nécessiter le recours à des ressources spécialisées comme un physiothérapeute, à un conseiller en orientation ou à un psychologue par exemple.
[11] Par ailleurs, bien que la CSST ait l’obligation de tenter d’obtenir et même de susciter la collaboration du travailleur dans l’établissement de son plan individualisé de réadaptation, ce dernier a quant à lui l’obligation de collaborer, ce qui implique une participation active de sa part. Il doit ainsi, dans le cadre de la réadaptation professionnelle, fournir à la CSST toutes les informations pertinentes le concernant, réfléchir aux suggestions qui lui sont faites par la CSST, prendre part activement aux discussions ainsi qu’aux rencontres avec des ressources spécialisées. Dans l’appréciation de la participation du travailleur, il devra par ailleurs être tenu compte de situations particulières comme l’âge élevé d’un travailleur, son retrait du marché du travail pendant plusieurs années en raison de sa lésion professionnelle ou la persistance de douleurs importantes. La CSST devra alors faire un effort particulier pour susciter la collaboration du travailleur, lui offrir les services nécessaires pour l’aider en ce sens et être moins exigeante quant au caractère « actif » de sa participation.
(Soulignements ajoutés)
[30] Ainsi, l’exigence de stimulation et de véritable soutien au travailleur apparaît d’autant plus importante lorsque le travailleur, comme en l’instance, présente un portrait qui peut expliquer son peu de motivation.
[31] D’ailleurs, dans une affaire impliquant un travailleur présentant un portrait professionnel très similaire à celui en l’instance (atteinte permanente importante, âge avancé, expérience unique de travail et faible scolarité)[4], le tribunal s’exprime comme suit à ce sujet, ajoutant un commentaire également pertinent en l’instance concernant l’âge avancé du travailleur et ce que cela implique sur le plan de la réadaptation professionnelle :
[51] Ce sont là des facteurs qui influent certainement sur la capacité du travailleur à faire l’apprentissage d’un nouveau travail et qui ne sont pas sans affecter sa motivation à exercer un nouveau travail, ne serait-ce qu’un travail qui n’exige aucune formation académique particulière, tel l’emploi de préposé de terrain de stationnement et aux voitures.
[52] Au moment où le travailleur a été victime de son accident du travail, il avait 59 ans et aurait eu 60 ans quelques mois plus tard.
[53] La loi crée un régime particulier pour les travailleurs qui ont atteint l’âge de 60 ans au moment où ils sont victimes de lésions professionnelles. Ainsi, un travailleur de cet âge, qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique en raison de cette lésion et que cette atteinte le rend incapable d’exercer son emploi, a droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la loi tant qu’il n’occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez son employeur. (Je souligne)
[54] Le législateur a sans doute compris qu’il était difficile pour les travailleurs de cet âge, qui sont victimes de lésions professionnelles en raison desquelles ils conservent une atteinte permanente à l’intégrité physique qui les empêche de reprendre leur travail prélésionnel, de se trouver un nouvel emploi et de retourner sur le marché du travail. Il a en quelque sorte créé une présomption d’incapacité pour les travailleurs qui sont empêchés de reprendre leur emploi tant qu’ils n’occupent pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez leur employeur.
[…]
[60] Le tribunal estime inéquitable d’obliger un travailleur de l’âge du travailleur, qui éprouve des douleurs constantes aux deux épaules, qui présente des problèmes sérieux de mobilité aux membres supérieurs, qui justifie une expérience unique de travail dans le domaine de la construction, qui a un faible niveau de scolarité, de se mettre à la recherche d’un emploi convenable dans un domaine qui ne présente pour lui aucun intérêt professionnel et dans lequel il ne peut mettre à contribution ses qualifications professionnelles.
(Soulignements ajoutés)
[32] Dans l’affaire Sferra et Promotions Sanway ltée[5], le tribunal considère également le processus de réadaptation professionnelle insuffisant eu égard à la situation particulière de la travailleuse. Il apparaît utile de citer de larges extraits de cette décision dont les principes trouvent tout à fait application en l’instance :
[31] Il appert du dossier que la conseillère en réadaptation a rencontré la travailleuse à cinq reprises concernant l’exploration de l’avenir professionnel de la travailleuse et a assuré un suivi téléphonique à deux reprises. Tel que la conseillère le mentionne dans les notes évolutives, le processus de réadaptation s’est bien déroulé avec la travailleuse.
[32] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST n’a pas déployé tous les efforts nécessaires et eu recours à toutes les ressources appropriées pour permettre à la travailleuse de participer activement à son processus de réadaptation.
[33] La Commission des lésions professionnelles relève plusieurs mentions de la conseillère sur le fait que la travailleuse est confuse quant aux explications qu’elle lui donne, qu’elle a une attitude passive, qu’elle est insécure (anxieuse, inquiète), qu’elle ne se sent pas capable, qu’elle est un peu découragée. D’ailleurs, la travailleuse est suivie en psychologie jusqu’au mois d’octobre 2006. À cette période, elle est d’ailleurs toujours confuse de répondre aux questions de la conseillère, tel que celle-ci le note au dossier.
[34] À l’audience, la travailleuse a réitéré qu’elle voulait collaborer au processus de réadaptation mais qu’elle avait besoin d’aide pour entrevoir quel genre d’emploi ou quel genre de procédure lui convenait le mieux. Malgré les demandes de sa conseillère en réadaptation de faire des choix, la travailleuse indique qu’elle n’était pas dans un état lui permettant d’entrevoir de nouvelles avenues de travail. Elle avait encore de la difficulté à accepter le fait qu’elle devait changer de domaine de travail ayant toujours travaillé dans le domaine de la couture qu’elle connaissait bien et qu’elle affectionnait. Elle n’avait pas de véritables connaissances du marché du travail et la conseillère ne lui a pas donné de détails sur ce que pouvait impliquer un travail dans un autre domaine. En raison de cela, il lui était difficile de déterminer vers quel domaine s’orienter même si elle voulait travailler.
[35] Lorsque la conseillère lui a proposé l’emploi d’assembleuse de matériel électronique, elle s’est finalement dit en accord avec celui-ci puisqu’il s’agissait de manipuler des petites pièces légères. Toutefois, elle indique ne pas avoir eu de description plus détaillée de cet emploi et ne pas savoir dans quelle position cet emploi doit être exercé.
[36] Tel que le souligne la procureure de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles estime que la façon dont s’est déroulé le processus de réadaptation a fait reposer sur les épaules de la travailleuse une bonne partie de la réussite du processus de réadaptation.
[37] Il appert donc du dossier que la travailleuse a une seule expérience de travail de 30 ans dans le même domaine, une formation de secondaire 1 dans un autre pays et une connaissance du marché de l’emploi limitée et restreinte. Il était donc difficile pour elle de faire des suggestions à la conseillère en réadaptation quant à son avenir. La travailleuse ne possédait pas les ressources personnelles lui permettant de faire des propositions à la conseillère en réadaptation ou de répondre à ses questions à ce sujet. D’autant plus que ces caractéristiques de la travailleuse s’inscrivent sur un fond de difficultés psychologiques en raison des douleurs chroniques et de la difficulté à faire le deuil de son ancien domaine de travail, la couture.
[38] La Commission des lésions professionnelles estime que la conseillère en réadaptation, à titre de spécialiste en la matière, aurait dû déployer davantage d’efforts pour fournir à la travailleuse des outils qui lui auraient permis d’envisager des solutions pour son retour sur le marché du travail.
[39] Bien que la conseillère en réadaptation ait obtenu la collaboration de la travailleuse lors des différentes rencontres au cours desquelles la volonté de la travailleuse n’a pas été remise en question, il appert qu’elle cherchait à ce que la travailleuse arrête son choix à savoir si elle voulait un emploi convenable ou des mesures de réadaptation pour réintégrer le marché du travail. La conseillère aurait dû, avant cela, s’assurer que la travailleuse était en mesure de faire le choix qu’elle lui demandait de faire.
[40] Il ressort des notes évolutives que la conseillère en réadaptation savait que travailleuse avait de la difficulté ou était confuse face au déroulement du processus ou des solutions à trouver. Devant une telle situation, il revenait à la conseillère en réadaptation de fournir l’aide appropriée ou les outils nécessaires à la travailleuse pour lui permettre de prendre des décisions éclairée.
[41] La Commission des lésions professionnelles note des lacunes dans le processus de réadaptation. Connaissant les difficultés psychologiques de la travailleuse, la conseillère aurait pu utiliser les ressources d’aide psychologique pour orienter le processus de réadaptation en tentant, entre autres, de cerner les besoins et les aptitudes de la travailleuse. La conseillère lui a plutôt demandé de prendre des décisions relativement à certains aspects du cheminement de son dossier en raison du temps qui s’écoulait.
[42] Rappelons que le suivi psychologique de la travailleuse a pris fin en octobre 2006 et que pendant une bonne partie du processus de réadaptation, la travailleuse avait besoin de support psychologique pour faire le deuil de son travail prélésionnel.
[43] Ce n’est pas que la démarche retenue par la conseillère en réadaptation soit inappropriée mais c’est qu’en regard de la particularité du présent cas et des difficultés de la travailleuse, des moyens supplémentaires devaient être fournis à la travailleuse pour l’aider à s’impliquer davantage et à lui permettre d’avoir des éléments pertinents pour alimenter sa réflexion aux fins d’arriver à prendre la décision que voulait obtenir la conseillère en réadaptation.
[44] La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve présentée par la travailleuse permet de conclure que celle-ci n’a pas obtenu le support nécessaire pour lui permettre de s’impliquer pleinement dans son processus de réadaptation afin d’arriver à une solution appropriée en vue de son retour sur le marché du travail.
[45] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles note qu’à l’étape d’examiner l’emploi convenable, les propositions à la travailleuse sont plutôt floues. Cette dernière témoigne à l’audience qu’elle a reçu très peu d’information à ce sujet.
[…]
[54] La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST a offert des services à la travailleuse dans le cadre de son programme de réadaptation mais qu’elle n’a pas fourni l’effort maximal ni le soutien nécessaire pour faciliter la réflexion demandée à la travailleuse afin d’identifier un emploi convenable. De plus, l’analyse de l’emploi convenable permet de constater que les informations au dossier ne permettent pas d’établir que cet emploi respecte les limitations fonctionnelles de la travailleuse ni que la travailleuse rencontre les exigences de scolarité de cet emploi affectant sa possibilité raisonnable d’embauche.
(Soulignements ajoutés)
[33] Le tribunal rejette également un emploi identifié unilatéralement par la CSST dans une autre affaire comparable, soit l’affaire Pisani[6] dans laquelle le travailleur avait une expérience de travail unique de boucher et une scolarité de 5 ans, la CSST lui ayant quant à elle demandé d’identifier un emploi qu’il pourrait faire, mais sans lui fournir le support nécessaire pour y parvenir, comme en l’instance :
[45] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la CSST n’était pas justifiée, en l’instance, de déterminer de façon unilatérale l’emploi convenable de livreur de mets préparés pour le travailleur.
[46] En effet, si la démarche visant à élaborer le deuxième plan individualisé de réadaptation s’est avérée ardue en raison apparemment du peu d’ouverture offerte par le travailleur, c’est uniquement dû au climat d’opposition que la CSST a créé, en réaction à ce qu’elle a alors considéré à tort comme étant un manque « flagrant » de collaboration. De plus, la CSST n’a aucunement suscité la collaboration du travailleur et celui-ci, au surplus, n’a pas bénéficié d’une réelle évaluation de ses possibilités professionnelles aux fins d’identifier un emploi qui lui permette d’utiliser ses qualifications professionnelles, à savoir une expérience unique spécialisée de 33 ans dans le domaine de la boucherie.
[…]
[51] Invitée à rechercher la collaboration du travailleur, c’est pourtant dans un climat d’opposition que la CSST reprend le processus de réadaptation le 10 décembre 1999. Le ton des notes évolutives du dossier de la CSST ne laisse guère le choix à d’autre interprétation et bien des propos tenus par le conseiller en réadaptation reposent sur de simples perceptions : « d’entrée de jeu », « j’ai décelé une résistance passive », « n’a démontré aucun intérêt », « à court d’arguments », etc. Sans lui offrir quelque soutien que ce soit dans la démarche qu’elle lui demande de faire, la CSST renvoie alors le travailleur chez lui pour qu’il puisse réfléchir et faire un choix d’emploi convenable. Ce n’est certes pas là une mesure de réadaptation bien efficace.
[52] Survient la deuxième rencontre du 12 janvier 2000 dont l’issue est finalement bien prévisible : le travailleur ne peut identifier un emploi convenable et la CSST conclut alors à un « manque flagrant de collaboration », d’où la détermination unilatérale de l’emploi convenable de livreur de mets préparés. Et le ton des notes évolutives demeure dans la même foulée négative que celui de décembre 1999, sinon davantage : « d’entrée de jeu », « il se replie toujours en arrière de ses L.F. ou de son profil socio-professionnel », « il est important de noter que j’avais démontré au T lors de notre dernière rencontre (…) », « je suis revenu donc à la charge avec l’emploi de livreur de mets préparés », « le T s’est opposé (…)», « j’ai démontré et réfuté les deux objections du T ».
[53] À l’évidence même, la CSST n’a sûrement pas été ici à l’écoute des besoins du travailleur et a plutôt cherché à imposer sa décision. En un mot comme en mille, ce que la CSST a reproché au travailleur en janvier 2000, c’est de ne pas savoir le travail qu’il voulait faire, lui qui a une expérience unique de boucher et qui est retiré du marché du travail depuis maintenant près de cinq ans. La passivité du travailleur ne peut être ici considérée comme étant un manque de collaboration de sa part. S’il y a eu manque de collaboration, il résulte plutôt de la CSST qui n’a pas su offrir au travailleur, en décembre 1999, l’aide ou le soutien nécessaire dans la réflexion qu’on lui demandait de faire. On a laissé le travailleur à lui-même.
(Soulignements ajoutés)
[34] Dans l’affaire Coop de solidarité en aide domestique des 1001 corvées[7], le tribunal conclut encore une fois que le fait qu’une travailleuse exprime des réticences et semble peu motivée ne justifie pas en soi l’identification unilatérale d’un emploi convenable, sans que la CSST ait apporté le soutien nécessaire au cheminement permettant une réintégration du travailleur sur le marché du travail, ce qui est d’autant plus nécessaire que la personne est âgée et a une expérience professionnelle peu diversifiée et une faible scolarité :
[83] D’entrée de jeu, la Commission des lésions professionnelles constate que le plan de réadaptation, comprenant la détermination de l’emploi convenable, n’a pas été mis en œuvre avec la collaboration de la travailleuse au sens de l’article 146 de la loi.
[84] En effet, le tribunal constate que le conseiller en réadaptation n’a pas tenté de rechercher avec la travailleuse un emploi approprié qui respecterait ses intérêts et qu’il a entrepris « la détermination de la capacité de travail sans la motivation de la travailleuse dans la démarche. »
[85] Il appert des notes évolutives et du témoignage de la travailleuse que le conseiller en réadaptation avait décidé de façon unilatérale de l’emploi qu’il considérait comme étant un emploi convenable.
[…]
[89] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles considère que deux rencontres sont nettement insuffisantes pour déterminer un emploi convenable alors que la travailleuse est âgée de 54 ans à ce moment-là, qu’elle est en arrêt de travail depuis deux ans, qu’elle fait le même genre de travail dans l’entretien ménager depuis 1995, qu’elle demeure dans une région éloignée et qu’elle a exprimé ses réticences et son désaccord par rapport à un emploi convenable qu’elle considère ne pas être en mesure d’exercer.
[90] La Commission des lésions professionnelles constate que, face à la perception de la travailleuse de ne pouvoir s’exprimer adéquatement en anglais et de ne pas maîtriser les outils informatiques afin de pouvoir exercer l’emploi de commis-réceptionniste, la CSST n’a fait aucune démarche afin d’évaluer ces compétences pour conclure que la travailleuse est capable d’exercer cet emploi et si elle présente les qualifications professionnelles nécessaires pour ce faire.
[91] Donc, le tribunal considère qu’il n’y a pas eu d’évaluation véritable des possibilités professionnelles de la travailleuse en vue de l’aider à déterminer un emploi convenable qu’elle pourrait exercer au sens de l’article 171 de la loi.
[92] Il est vrai que la travailleuse exprime des doutes quant à sa capacité à reprendre tout travail, mais la Commission des lésions professionnelles estime que, plutôt que de mettre la travailleuse sur une voie d’évitement en statuant sur un emploi convenable qu’elle craint de ne pouvoir exercer, la CSST se devait de faciliter l’accès de la travailleuse à un emploi convenable comme prévu à l’article 166 de la loi.
(Soulignements ajoutés)
[35] Une décision est par ailleurs soumise par la procureure de la CSST sur cette question[8]. Dans cette affaire cependant, les faits diffèrent grandement de ceux mis en preuve en l’instance :
[27] Le conseiller en réadaptation, monsieur Christian Poisson, témoigne avoir rencontré à une dizaine de reprises le travailleur, qui a été fortement ébranlé sur le plan émotif par son accident du travail et les conséquences sur son état de santé. C’est pourquoi, il a jugé nécessaire de le faire suivre pendant un certain temps par une psychologue.
[28] Il reprend en détail les différentes démarches qu’il a faites avec monsieur Bigras, après la première et deuxième chirurgies, pour l’aider à mieux affronter les conséquences de sa lésion professionnelle de juillet 1997 : rencontres avec l’employeur, références en ergothérapie pour d’abord une évaluation des capacités physiques résiduelles, puis pour une évaluation du poste de travail léger chez l’employeur, référence en psychologie et référence chez Prévicap pour une meilleure gestion des douleurs.
[29] Il rapporte que, fait plutôt rarissime dans son expérience, tous les intervenants ont demandé à cesser leur intervention parce qu’ils n’arrivaient pas à impliquer sérieusement monsieur Bigras dans leur processus de réadaptation; selon monsieur Poisson, le travailleur agit comme s’il était un invalide et ne manifeste aucune volonté sérieuse de réintégrer le marché du travail.
[30] Après la deuxième chirurgie, il l’a référé à nouveau à une psychologue pour une couple de rencontres, puis a cherché à l’intéresser à l’identification d’emplois qu’il voudrait assumer, puisque son employeur ne voulait plus le réintégrer, vu l’échec de la première tentative. C’est ainsi qu’il lui fait parvenir, à lui et à son procureur, une liste de 90 emplois, sans qu’aucune suggestion ne soit jamais retenue par lui.
[31] Interrogé sur la collaboration apportée par monsieur Bigras dans son processus de réadaptation, il la qualifie d’extrêmement pénible par moment et insatisfaisante, et ce, de l’avis unanime de tous ceux à qui il a référé ce travailleur. Il a donc été dans l’obligation d’identifier seul un emploi convenable, puisque le travailleur ne l’a pas aidé dans cette détermination.
[…]
[60] Monsieur Bigras est âgé de 53 ans lorsqu’il subit son accident du travail en juillet 1997; il a exercé pendant trente ans le même métier chez le même employeur, lequel admet qu’il a toujours été un travailleur honnête, se donnant à 100 % à son emploi, ne comptant pas ses heures et faisant souvent du temps supplémentaire. Faire le deuil d’un emploi de ce genre n’est pas facile et exige du temps et de la compréhension; c’est ce qu’a compris le conseiller en réadaptation, qui a donc accordé au travailleur une aide psychologique pour tenter de traverser cette rude épreuve.
[61] La CSST a aussi référé le travailleur en ergothérapie pour une évaluation de ses capacités fonctionnelles au travail; cependant, l’ergothérapeute Jean-Rock Auger n’a pu compléter cette évaluation, le travailleur y ayant unilatéralement mis fin le 19 mai 1998 à la suite d’une mésentente avec l’intervenant sur un fait d’importance mineure (un reproche sur un 3e oubli de lunettes de lecture).
[62] Quant aux deux autres références faites après la première chirurgie, celle ayant eu pour objet l’évaluation du poste de travail de vérificateur chez l’employeur par l’ergothérapeute Isabelle Gagnon (septembre 1998), et celle concernant l’évaluation de «la pertinence d’un plan d’interventions interdisciplinaires intégrées, visant le retour durable en emploi» (Prévicap) (février 1999), elles n’ont pu être complétées à cause de la condition de santé du travailleur, qui devait par la suite être réopéré en septembre 1999.
[…]
[68] Que peut faire la CSST quand un travailleur agit comme s’il se croyait invalide, alors que son propre médecin témoigne qu’il a les capacités physiques pour occuper un tel emploi rémunérateur? Que peut faire la CSST quand, de plus, le travailleur a une expérience unique de travail et que son conseiller non plus que les divers intervenants n’arrivent à connaître ses sphères d’intérêt?
[69] Seule la détermination unilatérale d’un emploi convenable permet, dans ces cas, de sortir d’une telle impasse.
(Soulignements ajoutés)
[36] Or, dans le présent dossier, le travailleur n’avait pas 53, mais plutôt 59 ans lorsqu’il a subit sa lésion professionnelle, il n’a bénéficié d’aucune aide, que ce soit de la part d’un psychologue, d’un ergothérapeute ou de quelque autre firme spécialisée pour l’aider à cheminer et à aborder positivement sa réadaptation, et rien dans la preuve ne démontre que l’on a tenté d’identifier ses champs d’intérêts ou que son médecin considère qu’il serait capable d’être signaleur. Bref, il s’agit d’un cas différent qui a à bon droit entraîné une décision différente.
[37] En outre, indépendamment du processus de réadaptation ayant mené à l’identification de l’emploi convenable, le tribunal juge que le travailleur a démontré de manière prépondérante que l’emploi de signaleur ne constituait pas un emploi convenable pour lui.
[38] La notion d’emploi convenable est ainsi définie dans la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[39] Il est généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes :
- être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;
- permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;
- permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;
- présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite, notamment eu égard à sa condition physique[9] et à ses qualifications professionnelles[10].
Quant au territoire par rapport auquel doit s’apprécier cette « possibilité raisonnable d’embauche », il doit, en accord avec l’esprit d’une jurisprudence importante au sein de la Commission des lésions professionnelles[11], s’apprécier en fonction de la situation particulière du travailleur, soit notamment en fonction de son âge, de sa mobilité professionnelle antérieure, du fait qu’il demeurait, au moment de sa lésion professionnelle, dans une zone urbaine ou non urbaine et de sa capacité physique à se déplacer chaque jour pour aller travailler. Il semble généralement acquis par ailleurs qu’un rayon d’environ 50 kilomètres du domicile est à peu près toujours considéré comme raisonnable.
- ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ou de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.
[40] La CSST a en l’instance retenu un emploi de signaleur.
[41] Aucune description indépendante de cet emploi ne se retrouve au dossier de la CSST. La conseillère en réadaptation écrit ce qui suit, mais sans citer sa ou ses sources :
Description de l’emploi
Arrêter et/ou ralentir la circulation pour les équipes de travail : pavage, terrassement, construction, pour que les équipes de travail puissent effectuer les travaux en toute sécurité.
Assurer la circulation et la sécurité routière, tant auprès des automobilistes, usagers de la route que des travailleurs, en appliquant les règles de sécurité et de signalisation. Pour ce faire, il peut utiliser un fanion ou un panneau (Lentement et arrêt). La panneau peut être maintenu dans un cône avec pesée qui en facilite sa manipulation. Le T n’a qu’à en faire la rotation, mais parfois par mauvais temps venteux, cela peut devenir fatigant à la longue de le maintenir, de là, l’utilisation du cône où il peut insérer le panneau, pour le maintenir en place. Il doit porter le dossard et le casque de sécurité. (sic)
[42] La conseillère écrit également, toujours sans citer sa ou ses sources, que l’emploi de signaleur n’exige aucune formation particulière, qu’il se retrouve chez plusieurs employeurs potentiels et présente donc une possibilité raisonnable d’embauche (sans preuve de ce qu’elle avance, ni analyse eu égard à la situation particulière du travailleur), qu’il ne présente pas de danger pour le travailleur puisqu’il respecte ses limitations fonctionnelles et qu’il doit être jugé approprié pour le travailleur puisque ce dernier ne voit aucun emploi qu’il pourrait occuper, ce qui justifie l’identification unilatérale d’un emploi.
[43] Préalablement à l’audience, la procureure de la CSST dépose le document qui aurait été utilisé par la conseillère en réadaptation pour la description de l’emploi de signaleur. Or, il s’agit d’un document du ministère des Transports du Québec de 2002 intitulé « Méthode de travail sécuritaire (analyse sécuritaire de tâche) » concernant les signaleurs, et non une réelle description d’emploi.
[44] En outre, nulle part dans ce document il n’est question de l’utilisation d’un cône avec pesée pour soutenir le panneau de signalisation, ce dernier étant manifestement soutenu et manipulé par le travailleur. En fait, aucune preuve au soutien de cette affirmation de la conseillère en réadaptation n’est retrouvée où que ce soit au dossier.
[45] Les éléments suivants ressortent également de ce document du ministère des Transports :
- Le signaleur est debout pendant l’essentiel sinon la totalité de son quart de travail;
- Le signaleur « doit identifier un endroit pour se protéger advenant qu’un véhicule fonce sur lui », ce qui implique, pour sa sécurité, qu’il puisse se déplacer rapidement et avec agilité au besoin;
- « Les signaleurs doivent en tout temps pouvoir communiquer entre eux. L’utilisation d’un système de radioémetteur (walkie-talkie) est un moyen de communication sûr et efficace. NOTE : L’utilisation de ce système implique une connaissance élémentaire. Il faut établir clairement les messages de communication entre utilisateurs. Il ne faut pas hésiter à faire répéter si le message n’est pas correctement compris. […] ». La langue de communication étant le français au Québec, cela implique que le travailleur puisse comprendre et se faire comprendre rapidement et de façon sécuritaire pour tous;
- Le signaleur doit « faire des gestes amples afin de s’assurer que les usagers de la route perçoivent bien ses ordres », ce qui implique une grande amplitude de mouvement des membres supérieurs;
- Le signaleur doit faire face à la circulation et tenir le panneau de signalisation avec la main qui est du côté de la voie ouverte à la circulation (ce qui ne lui laisse pas la latitude de le manipuler avec le bras de son choix) et doit adopter des positions impliquant très régulièrement l’élévation et l’abduction du membre supérieur à environ 90 degrés et, lorsqu’il doit donner l’ordre de circuler, il doit tendre le bras de côté à l’horizontale puis le ramener vers l’avant de façon continue et répéter ce geste aussi souvent que nécessaire pour assurer la circulation;
- Le signaleur doit présenter « une bonne santé physique et mentale », un bon jugement (« le signaleur doit être capable d’évaluer correctement les distances et la vitesse des véhicules qui arrivent dans sa direction » : il est notamment fait référence à l’appréciation du type de véhicule et de l’état de la chaussée pour apprécier la distance d’arrêt), de la « vigilance », « une attitude calme », « de la fermeté tout en demeurant courtois », « la conscience des responsabilités assumées » et « le souci d’éviter les gestes inutiles qui pourraient créer de la confusion », toutes choses n’ayant jamais été vérifiées par la conseillère en réadaptation : le travailleur présente-t-il ces aptitudes et capacités?
[46] La procureure du travailleur a par ailleurs effectué une recherche pour obtenir une description d’emploi indépendante. Ce titre d’emploi ne se retrouve pas dans le système de classification provincial couramment utilisé par la CSST et bien connu sous le nom de « REPÈRES ». Dans la classification canadienne des professions, également utilisée de manière courante, il n’y a pas de description spécifique pour l’emploi de signaleur, mais une description générique pour les « aides de soutien des métiers et manœuvres en construction », ce qui est précisé englober l’emploi de signaleur.
[47] Or, il en ressort qu’un certificat en contrôle de la circulation peut être exigé des signaleurs, ce à quoi la conseillère en réadaptation de la CSST ne réfère nulle part dans ses notes. Il est également fait référence à certaines exigences d’années secondaires, à une formation en cours d’emploi ou à de l’expérience pertinente, selon les cas. Il en ressort également que le niveau de force exigé dans ce cadre d’emploi générique est qualifié être de niveau 4, soit le plus élevé de la classification, qu’il exige une coordination des membres supérieurs et, en ce qui concerne les risques, qu’il s’exécute sur des lieux de travail dangereux et à risque de chutes d’objets.
[48] La procureure du travailleur produit diverses offres d’emploi de signaleur obtenues par le biais d’Emploi-Québec en novembre 2009. Six postes seulement sont offerts pour tout le Québec en date du 26 novembre 2009, aucun n’étant offert en Gaspésie. La lecture de ces offres permet également de constater que les employeurs exigent tous une scolarité de niveau secondaire (voire un diplôme), et généralement plusieurs mois d’expérience, une connaissance de base du français, une carte de signaleur et une très bonne condition physique. De plus, les fonctions indiquées impliquent non seulement la signalisation, mais également l’installation de la signalisation.
[49] Finalement, la lecture d’un autre document émanant de Service Canada, plus particulièrement nommé Emploi-Avenir, et concernant encore une fois les emplois regroupés sous le vocable d’aides de soutien des métiers et manœuvres en construction (ce qui inclut l’emploi de signaleur) permet de constater que 40 % des nouveaux travailleurs possèdent soit un diplôme universitaire de premier cycle ou un diplôme décerné par un collège, que les perspectives d’emploi sont limitées et que les travailleurs de 55 ans et plus ne représentent que 7 % de la main-d'œuvre dans ce domaine.
[50] Plusieurs décisions de ce tribunal portant sur l’appréciation du caractère convenable d’un emploi dans des cas présentant des similitudes avec celui du travailleur sont en outre soumises par la procureure du travailleur[12].
[51] Dans l’affaire Buzzell[13], le tribunal s’exprime ainsi dans une affaire présentant de nombreuses similarités avec le cas du travailleur, écartant l’emploi identifié comme étant convenable :
[33] La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec le procureur de la CSST pour dire que la formation générale de quelques années d’études secondaires prévue au système REPÈRES n’est pas un absolu et qu’elle peut être compensée par des acquis personnels.
[34] La Commission des lésions professionnelles est toutefois d’avis qu’en l’espèce, la travailleuse ne présente pas un potentiel suppléant à sa carence au niveau de la scolarité.
[35] La travailleuse est en effet unilingue anglaise. Elle a toujours vécu et travaillé dans un milieu anglophone, à Stanstead. De plus, la préparation des repas quotidiens pour une famille restreinte n’est pas un facteur qui fait de la travailleuse une personne possédant des qualités telles qu’elles contrebalancent sa scolarité de niveau primaire.
[36] Au niveau de l’emploi, l’expérience acquise ne peut davantage combler le manque de scolarité de la travailleuse. Elle a en effet une expérience unique de travail comme concierge. En outre, la préparation d’aliments en cuisine d’établissements s’exerce dans un environnement qui n’est pas connu de la travailleuse.
[37] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que l’emploi de préparatrice d’aliments ne respecte pas le critère des qualifications professionnelles pour la travailleuse.
[38] Quant à la possibilité raisonnable d’embauche, le système REPÈRES indique que les perspectives d’emploi sont égales à la moyenne. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles considère que ce critère s’évalue en fonction de l’ensemble de la situtation de la travailleuse et non pas in abstracto.
[39] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’emploi de préparatrice d’aliments ne présente pas une possibilité raisonnable d’embauche pour la travailleuse. Sa faible scolarité par rapport aux exigences de formation générale, son emploi unique de concierge, lequel est étranger au secteur de la cuisine et son inexpérience de travail dans ce domaine font en sorte qu’elle peut difficilement accéder à cet emploi.
(Soulignements ajoutés)
[52] Dans l’affaire Tardif précitée[14], le tribunal écarte également l’emploi identifié par la CSST, toujours dans un contexte comparable à celui du travailleur en l’instance :
[62] L’emploi convenable identifié par la CSST ne permet effectivement pas au travailleur d’utiliser l’expertise et l’expérience déjà acquises. Le travailleur a acquis une expérience indéniable dans le domaine de la construction qui aurait sans doute pu être utilisée dans ce domaine mais nullement dans l’emploi de préposé de terrain de stationnement et aux voitures.
[63] Le tribunal estime que l’emploi convenable déterminé pour un travailleur qui en est presque à l’âge de la retraite devait tenir davantage compte de ce facteur même si l’emploi déterminé n’exige pas de formation spécifique ou particulière.
[64] L’emploi de préposé de terrain de stationnement et aux voiture est sans doute un emploi qui présente des possibilités raisonnables d’embauche en ce sens que l’emploi existe, surtout dans la région métropolitaine de Montréal, et qu’il est disponible sur le marché du travail. Les offres d’emploi colligées au dossier soumis au tribunal le démontrent.
[65] Par ailleurs, est-ce que cet emploi présente une possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur en particulier?
[66] Le tribunal ne le croit pas. Le travailleur n’a aucune expérience dans le domaine des services, tel celui des stationnements publics ou privés. En raison de son état de santé, qui n’est attribuable qu’aux lésions professionnelles dont il a été victime, de son âge et de sa faible scolarité, le travailleur est moins compétitif sur le marché du travail.
[67] À cet égard, la jurisprudence a déjà reconnu qu’un travailleur doit être placé sur le même pied que les autres travailleurs devant une possibilité d’embauche. Il ne doit pas être obligé de se présenter comme une personne de qui on doit exiger moins […]
(Soulignements ajoutés)
[53] Dans la dernière affaire soumise par la procureure du travailleur[15], le tribunal écarte l’emploi retenu en raison d’un manque de qualifications professionnelles (un diplôme d’études secondaires et de l’expérience étant exigé par les employeurs) et de l’absence de possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur, considérant notamment son unilinguisme et son âge :
[50] Or, au chapitre de la formation requise, le guide Repères indique qu’une formation en cours d’emploi est offerte mais qu’une formation préalable est requise, soit un diplôme d’études secondaires. Des connaissances de base en électricité peuvent constituer un atout.
[51] Selon la jurisprudence, la formation professionnelle requise qui est suggérée par un système de classification des emplois n’est pas absolue, mais est indicative. Toutefois, le tribunal doit examiner le dossier en fonction de la preuve prépondérante présentée dans le cas spécifique à l’étude. En l’instance, le tribunal constate, principalement sur la base des offres d’emploi au dossier, que l’emploi d’assembleur de matériel électromécanique exige bel et bien un diplôme d’études secondaires. En conséquence, les quelques années d’études secondaires du travailleur qui n’a qu’une neuvième année, se révèlent insuffisantes.
[…]
[53] Au sujet de l’expérience demandée dans ces onze offres d’emploi, seulement trois postes ne requièrent aucune expérience reliée à l’emploi dont un seul ne requiert qu’une scolarité de niveau secondaire mais sans toutefois exiger de diplôme d’études secondaires. Pour le reste, une expérience allant d’un mois à un, deux et même cinq ans est requise.
[54] C’est donc dire que tant le diplôme d’études secondaires qu’une expérience reliée à l’emploi sont exigés par la plupart des employeurs de l’échantillon relevé par la CSST le 31 juillet 2006. Il s’agit donc d’exigences cumulatives et non d’exigences alternatives dans la majorité des cas.
[55] Le tribunal constate que la preuve objective et prépondérante ne permet pas de conclure que la longue expérience qu’a acquise le travailleur en près de quinze ans de travail à titre de technicien, mais toujours au même poste et pour les mêmes types d’appareil chez l’employeur, pourrait pallier à sa scolarité déficiente de façon à lui permettre d’occuper un poste d’assembleur de matériel électronique, notamment dans des secteurs d’activités autres que le secteur du matériel de bureau et d’imprimerie.
[56] En conséquence, le tribunal conclut que la preuve prépondérante est à l’effet que le travailleur n’a pas la scolarité nécessaire à l’exercice de l’emploi convenable retenu.
[57] Conformément à la déclaration du travailleur faite à la conseillère en réadaptation, déclaration qu’il a réaffirmée à l’audience, le tribunal retient que le travailleur n’est pas bilingue. Or, selon la recherche effectuée par la CSST en juillet 2006, la plupart des employeurs répertoriés demandent une connaissance de base de l’anglais.
[…]
[61] Par ailleurs, l’âge peut être considéré pour un autre des critères de l’emploi convenable prévus à l’article 2 de la loi, soit le critère de possibilité raisonnable d’embauche.
[62] Dans D’Urso et Éclairages Pa-Co inc.6, la Commission des lésions professionnelles a déjà considéré l’âge avancé comme un « handicap sérieux ». L’âge et le profil d’employabilité d’un travailleur peuvent faire en sorte qu’il n’a pas une compétitivité comparable à celle d’autres travailleurs d’une région pour un type d’emploi donné. De plus, dans certains cas, s’il avait été plus jeune, le travailleur aurait pu « compenser les exigences de scolarité par un dynamisme plus présent et une possibilité de formation en emploi plus facile à obtenir ».
[63] Dans l’affaire Vincent et Rendez-vous des copains 19997, après avoir souligné la scolarité insuffisante d’une travailleuse, son manque d’expérience, et son absence de connaissance en anglais et en informatique, la Commission des lésions professionnelles émettait l’opinion voulant que « Il faut aussi considérer que la travailleuse n’a aucune expérience dans ce domaine et qu’elle est âgée de près de 60 ans ce qui n’est certes pas de nature à la rendre compétitive sur le marché du travail. »
[64] En l’instance, le travailleur était âgé de 59 ans au moment de la détermination de l’emploi convenable par la CSST et est maintenant âgé de 60 ans. Lorsqu’on considère particulièrement la scolarité insuffisante du travailleur, combinée à son âge, ces facteurs ont un impact direct sur la possibilité raisonnable d’embauche. En effet, la compétitivité du travailleur sur le marché du travail s’en trouve considérablement réduite.
_________________
6 301555-64-0610, 1er octobre 2007, R. Daniel.
7 Vincent et Rendez-vous des copains 1999, 285866-02-0603, 28 mai 2007, J.-F. Clément. Voir aussi, sur l’effet de l’avancement en âge (60 ans) (et la prise de médicaments) sur la compétitivité d’un travailleur sur le marché du travail, Jacob et Ville de Sherbrooke, 287738-05-0604, 11 mai 2007, M.C. Gagnon.
(Soulignements ajoutés)
[54] Considérant la preuve complémentaire soumise lors de l’audience, le tribunal en vient à la conclusion que la preuve est prépondérante quant au fait que l’emploi de signaleur ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur, plus particulièrement en considération des éléments suivants :
- Il ne correspond pas aux intérêts du travailleur et la CSST n’a pas vérifié s’il correspondait à ses aptitudes non plus;
- Il ne respecte pas la condition physique globale du travailleur en ce qu’il exige une très bonne condition physique, implique la manipulation d’objets divers requis pour la signalisation (paquets de cônes, de pancartes, etc., dont la CSST n’a jamais vérifié le poids), et peut impliquer des mouvements répétitifs prolongés avec le membre supérieur droit. En outre, il implique également de demeurer debout toute la journée, ce que la CSST ne s’est pas assurée que le travailleur avait la capacité physique de faire, notamment eu égard à son âge et à son inactivité complète pendant un an;
- Il ne correspond pas à la scolarité et à l’expérience de travail du travailleur;
- Mais, principalement, il ne présente pas de possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur : Il est assez évident que ce dernier n’est aucunement compétitif sur le marché du travail pour ce type d’emploi, considérant sa condition physique globale, sa faible scolarité, son absence d’expérience pertinente, son âge et son unilinguisme anglais, ce qui s’ajoute aux perspectives d’emploi limitées pour ce type d’emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Réginald Lucas;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 mai 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’emploi de signaleur ne constitue pas un emploi convenable pour le travailleur;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu après le 19 septembre 2008 et à un nouveau plan individualisé de réadaptation professionnelle.
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] [2007] C.L.P. 929
[3] Coull et C.O. Bisson & Ass., [2005], C.L.P. 730
[4] Tardif et Les habitations Doux Confort, C.L.P. 253955-63-0501, 6 décembre 2005, J.-P. Arsenault
[5] [2007] C.L.P. 1643
[6] Pisani et Marché d’alimentation Régal inc., 134973-72-0003, 15 août 2000, B. Lemay
[7] Coop de solidarité en aide domestique des 1001 corvées et Périard, C.L.P. 301418-07-0610, 25 janvier 2008, S. Séguin
[8] Bigras et Datamark inc., C.L.P. 144646-62-0008, 17 mai 2001
[9] Voir notamment : Abel et Travail Canada, C.L.P. 21632-03-9008, 18 février 1994, D. Beaulieu; Caron et Transport Network Québec ltée, C.L.P. 44467-63-9209, 19 avril 1994, J.-M. Duranceau; Essiambre et Entreprise F.D.W. ltée, C.L.P. 39562-62-9205, 15 juillet 1994, M. Zigby; Gesualdi et Manufacture Hanna ltée, [1996] C.A.L.P. 1210 ; Boisvert et Health & Sherwook Drilling 1986, C.L.P. 58305-08-9404, 14 novembre 1996, J.-C. Danis; Derboghossian et Afeyan Impex ltée, C.L.P. 65718-60-9412, 28 février 1997, J.-D. Kushner; Lévesque et C.A. François Seguenot, C.L.P. 130394-71-0001, 7 juillet 2000, M. Cuddihy
[10] Voir notamment : Gemme et Inter Net ltée, C.L.P. 25905-62-9011, 18 janvier 1993, L. McCutcheon; Ficara et Marché Bonanza inc., [1997] C.A.L.P. 43 ; Lajoie et Système Intérieur Laval inc., [1994] C.A.L.P. 28 ; Martin et Ameublement El Ran ltée, C.L.P. 45962-62-9210, 14 juillet 1994, L. Thibault; CSST et Cosme, [1995] C.A.L.P. 778 ; Bélanger et Castonguay et Frères ltée, C.L.P. 44163-62-9208, 24 janvier 1995, G. Robichaud, révision rejetée, 17 juillet 1996, B. Roy; Ahmed et Canadelle inc., C.L.P. 124178-73-9910, 15 mai 2000, F. Juteau
[11] Bouchard et R. Malouin & Fils inc., 35934-05-9201, 21 février 1994, J.-Y. Desjardins; C.S.S.T. et Goyette, 48772-63-9301, 9 janvier 1995, L. Thibault; C.S.S.T. et Construction M.G. Larochelle inc., 68739-01-9505, 10 mai 1996, C. Bérubé; Landry et Acier d’armature Ferneuf inc., 71492-01-9506, 29 novembre 1996; J.-G. Roy; Dallaire et Pavillon St-Ludger, 78905-03-9604, 13 janvier 1997, R. Jolicoeur; Chalifour et Groupe Audet inc., 104773-31-9809, 7 juillet 1999, M. Beaudoin
[12] Buzzell et Stanstead Wesleyan College, C.L.P. 180054-05-0203, 30 octobre 2002, M. Allard; Tardif et Les Habitations Doux Confort, précitée, note 4; Thibeault et Acco Brands Canada inc., C.L.P. 312373-64-0703, 20 décembre 2007, D. Armand
[13] Buzzell et Stanstead Wesleyan College, précitée, note 12
[14] Tardif et Les Habitations Doux Confort, précitée, note 4
[15] Thibeault et Acco Brands Canada inc., précitée note 12
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