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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 mars 2003, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) (LATMP), à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 février 2003.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme une décision rendue par la CSST le 26 avril 2002 à la suite d'une révision administrative.
[3] Cette décision confirmait la décision initiale rendue le 13 mars 2002 par laquelle la CSST refusait de rembourser au travailleur les frais encourus pour l'achat du cannabis et ou pour sa production et ce, au motif qu'il ne s'agit pas d'un médicament au sens de la loi.
[4] Le dispositif de la décision faisant l'objet de la présente requête en révision ou en révocation se lit comme suit :
« PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Serge Corbeil (le travailleur) le 2 mai 2002;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en révision administrative rendue le 26 avril 2002;
DÉCLARE que le travailleur est en droit de bénéficier du remboursement des coûts pour l’achat de marihuana ou pour sa culture;
DÉCLARE que le travailleur doit fournir à la CSST les factures relatives à l’achat de marihuana ou à sa culture afin qu’elle procède au remboursement du coût en fonction de la consommation restrictive et du nombre de plants que permet le Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales. »
[5] L'audience sur la requête en révision a été tenue le 4 avril 2003 à Lévis.
[6] La CSST et le travailleur y étaient tous deux représentés par un procureur.
[7] L'employeur n'y a délégué aucun représentant et le travailleur était absent.
[8] Le dossier n'a pas été pris en délibéré à la fin de l'audience afin de permettre aux procureurs des parties de soumettre notes et arguments en regard d'une requête pour sursis dont la Commission des lésions professionnelles a également été saisie à cette date.
[9] Le dépôt des notes et argumentations des parties a été complété le 15 mai 2003.
[10] Le membre issu des associations patronales, qui était présent à l'audience en révision, est décédé depuis, à la suite d'une longue maladie et ce, sans avoir eu l'opportunité de faire connaître son avis sur la présente requête.
[11] En conséquence, ce n'est qu'en date du 23 janvier 2004 que le commissaire soussigné a reçu l'avis des membres, après la nomination d'un nouveau membre patronal, conformément aux prescriptions de l'article 429.54 de la loi.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[12] L'objet de la requête en révision présentée par la CSST est énoncé comme suit à la requête écrite, complétée le 1er mars 2003 :
« -RÉVISER la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 février 2003 dans le présent dossier;
-REJETER l'appel du travailleur;
-DÉCLARER que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n'a pas à assumer le coût de l'achat de la marihuana ou de sa culture dans le cadre de l'assistance médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001). »
[13] La CSST soumet que la décision du 3 février 2003 est entachée de plusieurs vices de fond de nature à l'invalider.
[14] De façon plus spécifique, le procureur de la CSST soumet, tant à l'audience qu'au moment de son argumentation écrite, que constituent des vices de fond les conclusions de la première commissaire à l'effet que la marihuana doit être considérée comme un médicament, que le coût d'achat doit en être assumé par la CSST et que le coût de production de la marihuana doit être payé dans le cadre de l'assistance médicale prévue à la loi.
LES FAITS PERTINENTS
[15] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis qu'il y a lieu de rapporter intégralement certains des éléments factuels pertinents que l'on retrouve décrits à la requête écrite déposée par la CSST.
[16] Ces faits ne sont pas contestés et constituent la prémisse de l’argumentation de la CSST :
« LES FAITS PERTINENTS
5. Les faits pertinents aux fins de la présente requête sont rapportés par la commissaire Marielle Cusson dans sa décision du 3 février 2003 et, de plus, les faits suivants apparaissent au dossier paginé de la CLP :
a) Le 25 février 1981, le travailleur est victime d’un accident du travail impliquant sa colonne lombaire;
b) Le 11 novembre 1982, une investigation par myélographie lombaire révèle une protusion discale postéro-latérale droite au niveau L5-S1;
c) Le 16 novembre 1982, le travailleur subit une intervention chirurgicale, soit une discoïdectomie;
d) Le 29 novembre 1983, il est apte à reprendre le travail alors qu’il est porteur d’une atteinte permanente de 8%;
e) Le 12 septembre 1986, le travailleur produit une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation au 28 avril 1986, en raison d’une fibrose péri-radiculaire lombaire post-discoïdectomie;
f) Le 21 janvier 1991, le commissaire Michel Renaud de la CALP rend une décision confirmant la date de consolidation de la lésion professionnelle au 9 septembre 1987;
[…]
j) Le travailleur avait présenté une nouvelle réclamation pour rechute, récidive ou aggravation au 15 avril 1991 et, le 16 mars 1994, la CALP accepte cette réclamation;
[…]
n) Entre les mois d’avril 1996 et de février 1999, il y a un silence médical, tant auprès du docteur Gagnon que du docteur Montmigny, ce qui fut reconnu devant le commissaire Robin Savard, dans le présent dossier, lors de l’audience de la CLP du mois de juin 2001, le tout tel qu’il appert du paragraphe 14 de la décision du commissaire Savard;
o) Néanmoins, le 21 juin 1999, le Dr Gagnon déclare : «Toutes les possibilités de soulagement des douleurs ont été essayées à date, en particulier les anti-inflammatoires qui ont dû être cessé (sic) à cause de problèmes digestifs, physiothérapie et plusieurs reprises analgésiques, épidurales etc… des phénomènes de sclérose cicatricielles au site chirurgical L5-S1, qui entretiennent et augmentent le syndrome douloureux et l’invalidité de M. Corbeil …. Dans ce contexte, il est fort possible si la marihuana était légalisée, que l’utilisation de cette substance pourrait lui rendre de grand service.»;
[…]
v) Le 12 mars 2002, la CSST a refusé la demande d’achat de la marihuana et sa production, cette décision ayant été maintenue en révision administrative le 26 avril 2002;
w) Le travailleur a contesté cette décision à la CLP et la CSST est intervenue le 6 juin 2002;
[…] »
[17] Plus avant dans sa requête écrite, la CSST réitère sa position initiale telle que soumise au moment de l'argumentation déposée devant la première commissaire, à savoir que :
a) la marihuana n'est pas un médicament;
b) le coût d'achat de la marihuana ne peut être assumé dans le cadre de l'assistance médicale prévue à la LATMP;
c) le coût de production d'un médicament ne peut être payé dans le cadre de l'assistance médicale prévue à la LATMP.
[18] Afin de bien comprendre le contexte de la présente décision, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis qu'il y a lieu de reproduire ici les principaux allégués de la requête.
«A) LA MARIHUANA N’EST PAS UN MÉDICAMENT
6. Premièrement, la commissaire Cusson devait déterminer si la marihuana est un « médicament » au sens de l’article 189 LATMP;
7. Au paragraphe 33 de sa décision, la commissaire Cusson retient les paramètres suivants pour rendre sa décision :
- la marihuana n’est pas encore homologuée aux fins de la Loi sur les aliments et drogues;
- la marihuana n’est pas disponible en pharmacie;
- la marihuana reste une drogue illicite au Canada;
- seules certaines catégories très particulières de personnes peuvent se voir e;
- le travailleur invoque une exception sous une loi fédérale;
- aucun avis de conformité n’a été délivré en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et son règlement quant à l’innocuité ou l’efficacité;
- à Santé Canada, on n’a pas reconnu la marihuana comme étant un médicament;
- aucun pays au monde n’a reconnu la marihuana à titre de médicament;
- il y a des risques associés à la consommation de la marihuana;
- la Loi sur la pharmacie au Québec doit se lire dans le contexte de la législation fédérale.
8. L’exemption dont bénéficie le travailleur, laquelle fut obtenue de Santé Canada, semble déterminante dans l’esprit de la commissaire Cussoon, tel qu’il appert du paragraphe 43 de sa décision :
« La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis, dans la mesure où la marihuana est prescrite et qu'elle fait l'objet d'une exemption à des fins médicales par Santé Canada, que celle-ci se doit d'être considérée comme un médicament en application de l'article 189 de la LATMP. Bien entendu, il ne saurait être question de tenir un tel discours en l'absence de cette exemption. » (notre soulignement);
9. Or, la commissaire Cusson commet une erreur déterminante sur la portée à donner à cette exemption de Santé Canada lorsqu’elle déclare au paragraphe 41 de sa décision :
« … le fait pour Santé Canada d’en permettre la consommation à des fins médicales milite beaucoup plus, dans la situation actuelle de la recherche, en faveur de l’existence de certains effets bénéfiques, dont l’atténuation des douleurs. D'ailleurs, il existe un organisme appelé Bureau de l'accès médical au cannabis qui coordonne la recherche sur la sécurité et l'efficacité de la marihuana à des fins thérapeutiques. C'est donc dire tout le sérieux accordé à cette nouvelle perspective par Santé Canada. Ce n'est donc pas parce qu'il n'existe pas encore d'avis de conformité qu'il faille, tel que le suggère le représentant de la CSST, ne pas considérer la marihuana comme utile à l'atténuation de la manifestation douloureuse découlant d'une maladie. Si tel était le cas, Santé Canada n'aurait pas prévu d'exemption en regard de cette substance.. » (notre soulignement);
10. La commissaire Cusson omet de tenir compte de la limite apportée par Santé Canada, dans une lettre du 9 octobre 2001, qu’elle avait pourtant elle-même reconnue au paragraphe 16 de sa décision.
« Santé Canada précise également que la marihuana n’a pas été approuvée par Santé Canada comme étant une drogue aux termes de la Loi sur les aliments et les drogues et de son règlement et que l’exemption ne constitue pas une opinion, de Santé Canada, quant à l’innocuité, l’efficacité ou encore la qualité de cette substance. (notre soulignement);
11. Contrairement à ce que conclut la commissaire Cusson, Santé Canada et le Bureau de l’accès médical au cannabis ne reconnaissent pas l’efficacité thérapeutique de cette substance.
[…]
12. Tel qu’il appert du document précédent, les recherches menées par le gouvernement canadien n’ont pas encore permis de reconnaître l’efficacité de cette drogue et l’exemption accordée au travailleur mentionne explicitement ce fait et il est erroné de déduire, comme le fait la commissaire Cusson, une telle reconnaissance du seul fait que des recherches sont menées;
13. De plus, en aucun temps la législation fédérale ne reconnaît la marihuana comme médicament tel que le mentionne la commissaire Cusson dans les paramètres qu’elle se donne elle-même au début de ses motifs;
14. À ce sujet, le Bureau de l’accès médical au cannabis et Santé Canada précisent ce qui suit :
« Avis de conformité
Il est important de souligner, et il est important pour les demandeurs de comprendre qu’aucun Avis de conformité n’a été émis pour la marihuana à des fins médicales. Un Avis de conformité est une lettre d’approbation de la Direction des produits thérapeutiques confirmant que le produit a été évalué et qu’il se conforme à la Loi sur les aliments et drogues et son Règlement sur le plan de la sécurité, de l’efficacité et de la qualité. Ce règlement décrit les informations nécessaires pour faire une demande d’Avis de conformité. Tout médicament vendu au Canada doit avoir un Avis de conformité. » (notre soulignement)
(document au dossier de la CLP - Extrait du site Internet du Bureau de l’accès médical au cannabis-Santé Canada, extrait daté du 30-09-2002);
15. La Commissaire Cusson fonde sa décision sur une considération extrinsèque, soit l’exemption accordée par Santé Canada tout en omettant l’ensemble des avertissements et mises en garde fournis par le gouvernement fédéral relativement au fait qu’il ne s’agit pas d’un médicament et que l’efficacité de cette drogue n’a pas été prouvée;
16. La Loi sur la pharmacie s’interprète en tenant compte de la législation fédérale, tel que le reconnaît la commissaire Cusson au paragraphe 33 de sa décision, et celle-ci a commis une erreur déterminante en concluant que la marihuana était un médicament aux fins de l’article 189 paragraphe 3 LATMP;
17. Ce faisant, la commissaire Cusson ignore la définition de «médicament» qu’elle s’était elle-même donnée au paragraphe 37 de sa décision, les autorités compétentes n’ayant pas reconnu, études à l’appui, que cette drogue pouvait être employée pour traiter efficacement l’état du travailleur;
[…]
B) LE COÛT D’ACHAT DE LA MARIHUANA NE PEUT ÊTRE ASSUMÉ DANS LE CADRE DE L’ASSISTANCE MÉDICALE PRÉVUE À LA LATMP
24. Cette conclusion est illégale puisqu’elle permet au travailleur de demander le remboursement du coût de l’achat de marihuana alors qu’aucun paramètre n’est fourni quant à la provenance illégale ou non de cette drogue, ni quant à la qualité du fournisseur du travailleur;
25. Or, il n’a pas été pas contesté qu’«il est actuellement impossible pour Monsieur Corbeil de se procurer légalement de la marijuana au Canada autrement qu’en la produisant lui-même » (paragraphe 32 de la décision de la Commissaire Cusson);
26. Il apparaît même du dossier de la CLP qu’aucun produit approuvé par Santé Canada n’est disponible en ce moment (page 2 de 2 du document émanant du Bureau de l’accès médical au cannabis, extrait du site Internet du 30-09-2002);
27. Si le travailleur exige, conformément à la décision de la commissaire Cusson, le paiement de factures relativement à l’achat de marihuana, la CSST serait tenue de participer à une transaction illégale d'où la nécessité pour cette dernière de demander la nullité d’une telle décision;
C) LE COÛT DE PRODUCTION D’UN MÉDICAMENT NE PEUT ÊTRE PAYÉ DANS LE CADRE DE L’ASSISTANCE MÉDICALE PRÉVUE À LA LATMP
28. Au paragraphe 48, la commissaire Cusson reconnaît que « Ce qui est particulier dans le cas présent, c’est que les coûts visés ne se rattachent pas à l’achat de la médication mais bien à la production de cette médication. »;
29. Au paragraphe 49 de sa décision, la commissaire Cusson décide que, parce qu’il n’existe pas de centre de distribution accessible pour un individu demeurant en région, il ne fait «pas s’en tenir à une interprétation restrictive de l’article 189 LATMP et permettre d’inclure, aux fins de la reconnaissance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de la marihuana comme s’il s’agissait du coût d’achat du produit fini directement à un centre reconnu.»;
30. La LATMP délimite exhaustivement ce qui doit être compris comme étant de l’assistance médicale puisque l’article 189 LATMP débute comme suit : «L’assistance médicale consiste en ce qui suit. » (notre soulignement);
31. Cette formulation de l’article 189 LATMP existe à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la Loi sur l’assurance-maladie, L.Q. 1992, c. 11 art. 8 (entrée en vigueur le 1er octobre 1992, décret 1410-92);
32. Avant cette modification législative de 1992, l’article 189 LATMP débutait par les mots : «L’assistance médicale comprend»;
33. Cette modification législative, visant à remplacer le mot «comprend» par les mots «consiste en ce qui suit», a eu pour effet d’écarter une ancienne jurisprudence la CALP, notamment l’affaire CSST et Gagné, CALP 09394-07-8809 du 12 février 2992, laquelle s’appuyait sur le mot «comprend» pour conclure à un énoncé illustratif et non exhaustif de ce qu’est l’assistance médicale;
34. La commissaire Cusson a commis une erreur déterminante en ne reconnaissant pas que la définition consiste maintenant en une énumération limitative;
35. Le coût relatif à la culture de la marihuana n’est pas prévu à l’article 189 LATMP, en particulier au Règlement sur l’assistance médicale, et la commissaire Cusson rend une décision illégale en tentant d’ajouter à la loi et à ce règlement;
36. Au surplus, cette conclusion de la décision de la commissaire Cusson est vague, ambiguë et inapplicable en ce qu’elle n’indique pas ce que peut comprendre les coûts de la culture de la marihuana;
37. Par ailleurs, la commissaire Cusson commet une autre erreur en rendant payables une substance (la marihuana) et son coût de production du seul fait qu’un médecin a prescrit au travailleur l’utilisation de cette substance;
38. En effet, la procédure prévue au processus d’évaluation médicale ne rend pas pour autant payable un produit ou un coût qui ne fait pas partie de l’assistance médicale;
39. Ces erreurs sont déterminantes en ce que si elles n’avaient pas été commises, le résultat aurait été différent;
[…] »
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Conformément à l'article 429.50 de la LATMP, le commissaire soussigné a obtenu l'avis des membres issus des associations syndicales et des associations d'employeurs.
[20] Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la CSST n'a pas démontré la présence de l'un des motifs prévus à l'article 429.56 permettant de réviser ou de révoquer la décision rendue.
[21] Il constate que la CSST soumet une argumentation similaire à celle qui a initialement été soumise devant la première commissaire, laquelle a été à même d’apprécier l'ensemble des éléments de la preuve documentaire qui lui était soumise et ce, à la lumière de l'argumentation écrite déposée en temps utile par le premier procureur de la CSST.
[22] Le cheminement décisionnel de la première commissaire s'est effectué à l'intérieur de sa compétence alors qu'elle détermine que la demande du travailleur rencontre les exigences du paragraphe 3 de l'article 189et qu'elle rend une décision en conséquence.
[23] Quant au membre issu des associations d'employeurs, il est d'avis que la première commissaire a agi à l'intérieur de sa compétence, lorsqu'elle interprète de façon large et libérale le paragraphe 3 de l'article 189 et qu'elle conclut que la marihuana, dont l'usage à des fins thérapeutiques a été autorisé au travailleur, est un médicament au sens de la loi.
[24] Il est cependant d'avis que la première commissaire ne pouvait conclure comme elle le fait, en regard du remboursement des coûts de production que doit encourir le travailleur.
[25] Il est d'opinion que la loi ne permet pas, dans son contexte actuel, d'autoriser le remboursement de tels coûts.
[26] En effet, seuls les frais relatifs à l'achat d'un médicament peuvent être remboursés et ce, uniquement lorsqu'un tel achat revêt un caractère légal.
[27] Dans les circonstances, il est d'avis qu'il y aurait lieu de réviser la décision rendue le 3 février 2003.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[28] En l'espèce, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST, requérante, a démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[29] L'article 429.49 de la loi énonce qu'une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[30] Par ailleurs, l'article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d'une décision dans les circonstances qui y sont ainsi énumérées :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[31] Suivant la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, un tel vice de fond de nature à invalider une décision est assimilable à une erreur manifeste de faits ou de droit ayant un effet déterminant sur l'issue du litige[2].
[32] Par ailleurs, la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, reprenant en cela les principes émis par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles dans son interprétation du recours en révision pour cause prévu à l'ancien article 406, rappelle que la requête en révision ou révocation n'a pas pour but de permettre au commissaire saisi de ce recours de substituer son appréciation des faits ou du droit à celle du premier commissaire ayant rendu la décision faisant l'objet d'une telle requête.
[33] Dans l’affaire CSST et Difco inc., Tissus de performance, [2000], CLP 870, la Commission des lésions professionnelles énonce :
« Il ne peut s'agir d'une simple question d'appréciation de la preuve ou des règles de droit appliquées parce que, tel qu'établi par la jurisprudence, le recours en révision ou en révocation n'est pas un second appel11. Cela signifie que le commissaire saisi d'une requête en révision ou en révocation ne peut substituer sa propre appréciation de la preuve ou du droit à celle du premier commissaire parce qu'il n'arrive pas à la même conclusion que ce dernier. La décision ne peut être révisée ou révoquée que s'il est démontré que la conclusion retenue par le premier commissaire est basée sur une appréciation des faits mis en preuve ou du droit applicable manifestement erronée. »
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11. Sivaco et C.A.L.P. [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Newman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 1999-03-26, c. N. Lacroix.
[34] En l'espèce, la requête en révision de la CSST s'appuie sur le troisième paragraphe de l'article 429.56 de la loi, à savoir la présence de vices de fond de nature à invalider la décision.
[35] Comme l'a précisé la jurisprudence précédemment citée, la requérante doit donc démontrer la présence d'une ou plusieurs erreurs manifestes de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur le sort du litige. De plus, une telle erreur, à caractère important, doit être d'une évidence telle qu'elle s'impose à l'examen même de la décision.
[36] Dans une décision récente relative à une affaire présentant des similitudes certaines avec la présente affaire, la Cour d'appel, sous la signature de Monsieur le juge Jacques Chamberland[3], écrivait :
« 165. Dans le contexte de ce dossier, et pour les motifs exprimés par mon collègue le juge Fish, je suis d'avis qu'il était déraisonnable - ou «manifestement erroné», selon l'analogie proposée dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748 (le juge Iacobucci, aux paragraphes 59-60) - pour le TAQ siégeant en révision de conclure à l'existence d'«un vice de font () de nature à invalider la décision» initiale prise par le même tribunal. La simple divergence d'opinion quant à la façon d'interpréter une disposition législative ne constitue pas, à mon avis, un «vice de fond» (44); la situation visée par le troisième paragraphe du premier alinéa de l'article 154 LJA ne crée pas un droit d'appel à une deuxième formation du TAQ en regard de toutes les questions de droit et de fait tranchées par une première formation. Ici, l'opinion exprimée par le TAQ siégeant en révision quant au sens des mots «circonstances particulières» de l'article 17 de la LAA ne constitue qu'une deuxième opinion, elle ne fait pas voir que la première décision était affectée d'un vice de fond de nature à l'invalider. » (sic)
[37] Dans une décision subséquente rendue le 28 août 2003, la Cour d'appel du Québec, sous les signatures de Mesdames les juges Louise Mailhot, Thérèse Rousseau-Houle et Pierrette Rayle[4], rappelait comme suit les principes qui s'appliquent en matière de révision lorsque la partie requérante évoque la présence d'un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision rendue.
[38] Le texte se lit comme suit :
« L’ANALYSE
[18] Compte tenu des dispositions législatives applicables en l’espèce de même que de la nature du problème soulevé devant la CLP, nous sommes d’avis que la décision majoritaire de notre Cour dans Tribunal administratif du Québec c. Michel Godin et Société de l’assurance automobile du Québec, C.A. 500-09-009744-044, 18 août 2003, doit être suivie et que la norme de contrôle qui doit être retenue est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[19] En examinant la décision de la CLP à la lumière de cette norme, nous concluons que la décision de la CLP doit être révisée. En effet, la CLP a commis une erreur manifeste dans l’application et l’évaluation de la disposition législative lui permettant de réviser la décision initiale pour une erreur de fond de nature à invalider cette décision.
[20] La notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Dans Épiciers unis Métro-Richelieu c. Régie des alcools, des courses et des jeux, [1996] R.J.Q. 608 , le juge Rothman décrit ainsi un vice de fond de nature à invalider une décision :
The Act does not define the meaning of the terme «vice de fond » used in section 37. The English version of section 37 uses the expression « substantive … defect. » In context, I believe that the defect, to constitute a « vice de fond, » must be more than merely « substantive. » If must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the « vice de fond » must be « de nature à invalider la décision. » A mere substantive or procedural defect in a previous decision bye the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under section 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a « vice de fond. » The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.
[21] La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments. »
[39] Concluant de façon spécifique en regard des faits de l'espèce, la Cour d'appel du Québec se prononce comme suit :
« Le Dr Villeneuve avait une opinion différente. La première formation a fait état de cette divergence de vues, mais ne l'a pas retenue. C'est à tort que la deuxième formation de la CLP a réévalué la preuve et a substitué sa propre opinion quant à la valeur probante et prépondérante du témoignage du Dr Villeneuve. Ce faisant, elle a rendu une décision manifestement erronée et déraisonnable. »
[40] Reprenant cet énoncé et l'appliquant au cadre de l'espèce, la Commission des lésions professionnelles retient de l'enseignement de la Cour d'appel du Québec qu'il n'y a pas lieu pour le commissaire siégeant en révision de réévaluer la preuve et de substituer son appréciation des faits à celle à laquelle en était arrivée la première commissaire.
[41] Dans une autre décision, au même effet et rendue par les mêmes juges de la Cour d'appel du Québec, le 28 août 2003[5], on peut lire les commentaires suivants concernant une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision :
« [23] La deuxième formation de la CLP, siégeant en révision, a jugé que cette décision était entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider et a modifié la décision. Le seul motif à l’appui de son intervention est l'interprétation erronée qu’aurait faite la première formation des débats parlementaires. Selon elle, ces débats laissent voir clairement que le législateur voulait établir la période de référence du salaire annuel brut au début de la pratique d’un métier ou d’une profession et non en fonction d'un revenu moyen de carrière. Elle revoit, en conséquence, l’ensemble de la preuve au dossier afin de déterminer le revenu brut qu’aurait gagné l’appelant lors de sa première année de pratique du droit. Elle fixe ce revenu à 35 000 $.
[24] Il est à noter que le membre issu des associations syndicales était d’avis qu’il n’y avait pas lieu de réviser la décision, car la commission, en vertu des art. 75 et s. L.A.T.M.P., a le pouvoir de déterminer le revenu brut d’un travailleur de la manière la plus équitable possible en raison de la nature particulière du travail d’un travailleur et des circonstances particulières.
[25] La divergence d’interprétation, quant au sens à donner au texte de l’art. 80.3 L.A.T.M.P. à partir des seuls débats parlementaires, pouvait-elle permettre à la CLP de révoquer la première décision sous prétexte qu’il s’agissait là d’un vice de fond ayant un effet déterminant sur le sort du litige?
[26] Il appartenait d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter ce texte et de lui donner le sens qui, à leur avis, répondait le mieux à l’intention du législateur, à l’objet de la L.A.T.M.P. et à la situation personnelle de l’appelant.
[27] L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. L’exercice d’interprétation exige de l’interprète de procéder à des choix qui, bien qu’encadrés par les règles d’interprétation des lois, sont sujets à une marge d’appréciation admissible.
[28] En substituant, pour les motifs ci-haut mentionnés, sa propre interprétation à celle retenue par la première formation, la CLP a rendu une décision déraisonnable, car elle n’établit aucun vice de fond pouvant l’avoir justifiée d’agir ainsi. »
[42] De cette décision de la Cour d'appel et de la jurisprudence précédemment citée, la Commission des lésions professionnelles retiendra qu’elle ne peut s'aventurer, lorsqu'elle siège en révision d'une décision portant sur une question d'interprétation de la LATMP, à substituer son interprétation de la loi à celle à laquelle en était arrivé le premier décideur, lorsqu'il y a présence d'une marge d'appréciation et que l'interprétation retenue n'est pas entachée d'un vice de fond résultant d'une application du droit manifestement erronée.
[43] Qu’en est-il en l'espèce?
[44] La CSST, dans le cadre de la présente requête en révision, demande-t-elle à la Commission des lésions professionnelles de réapprécier l'ensemble de la preuve ainsi que les arguments qui ont déjà été soumis à la première commissaire?
[45] Constatons que le litige dont était saisie la première commissaire est ainsi résumé dans l'argumentation écrite soumise initialement par le procureur du travailleur :
« La question en litige est donc de déterminer si la CSST est tenue de défrayer les coûts reliés à la production de marijuana ou encore à son acquisition, si évidemment, il est possible légalement d'en acquérir. Pour cela, il faut d'abord déterminer si cette substance constitue un médicament au sens de la LATMP et ainsi être considérée comme une assistance médicale dans le traitement de la lésions professionnelle subit par Monsieur Corbeil. » (sic)
[46] La question en litige est également énoncée comme suit par le procureur de la CSST au moment du dépôt de son argumentation initiale devant la première commissaire.
« LE LITIGE
Nous sommes d'accord avec notre collègue que la question en jeu se veut de déterminer le bien-fondé de la décision de la Direction de la révision administrative du 26 avril 2002 qui confirme une décision de la CSST du 12 mars 2002 refusant le remboursement des coûts reliés à l'achat de la marihuana ou des coûts de sa production au motif que ces dépenses ne sont pas remboursables en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la LATMP). » (sic)
[47] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis que la première commissaire détermine donc correctement l’objet de la contestation lorsqu’elle écrit :
« L’OBJET DE LA CONTESTATION
Le représentant du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur a droit au remboursement des frais encourus pour l’acquisition de cannabis, ceci constituant une assistance médicale aux termes de l’article 189 de la LATMP, et qu’il a également le droit au remboursement des frais encourus pour sa culture. »
[48] Aux fins de rendre sa décision, la première commissaire a bénéficié de la preuve documentaire déposée par les parties et a reçu leurs argumentations écrites dont elle a pris connaissance, comme en témoignent d’ailleurs les larges extraits de ces argumentations qui sont cités à la décision qu'elle a rendue le 3 février 2003.
[49] A-t-elle omis de se prononcer sur une des questions qui lui étaient soumises ou a-t-elle ignoré les arguments qui lui étaient invoqués par les procureurs?
[50] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis que non.
[51] Pour le démontrer, il y a lieu de reproduire ci-après de larges extraits de la décision attaquée en révision où la première commissaire cite des extraits de l'argumentation écrite déposée initialement par le procureur de la CSST
[52] Cette démarche permettra également de comprendre que la requérante en révision demande à la Commission des lésions professionnelles de réapprécier l'ensemble des arguments déjà soumis (il s'agit du premier procureur de la CSST):
[26] Me Stéphane Larouche, pour sa part, précise que la LATMP est une loi réparatrice et que le législateur a prévu de rembourser des frais d’assistance médicale. Pour avoir droit à un tel remboursement, le travailleur doit respecter les conditions édictées aux paragraphes 188 et suivants. Il s’agit plus particulièrement de l’interprétation qu’il y a lieu de donner au paragraphe 3 de l’article 189 de la LATMP. Me Larouche poursuit en ces termes :
« Pour la CSST, sa position est simple. Dans l’état actuel des choses, la marihuana n’étant pas encore homologuée aux fins de la Loi sur les aliments et drogues, celle-ci ne peut être considérée comme un médicament. Cette position est d’ailleurs conforme à celle retenue par les autorités fédérales tel qu’il appert ci-après. De plus, puisque la marihuana n’est pas disponible en pharmacie, il ne peut s’agir d’un "produit pharmaceutique" au sens de l’article 189 de la LATMP.
Nous pensons que cette Loi sur la pharmacie doit, au Canada, se lire dans le contexte des lois fédérales. D’ailleurs, le travailleur lui-même invoque une exception obtenue sous une loi fédérale pour tenter de se faire payer cette substance. Si par exemple la marihuana n’était visée par aucune exception au fédéral, il ne saurait être question de la reconnaître comme médicament sous une loi provinciale.
Pour bien saisir le fait que le travailleur se trouve en situation d’exception, nous pouvons consulter le site Internet de Santé Canada intitulé «Bureau de l’accès médical au cannabis». Notre collègue a d’ailleurs déposé certaines pages du même site. Vous trouverez en annexe les pages du site qui ont attiré notre attention.
Nous pouvons y lire que la marihuana reste une drogue illicite au Canada. Seules certaines catégories très particulières de personnes peuvent se voir permettre la consommation de marihuana. Depuis le 30 juillet 2001, le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales est entré en vigueur.
Or, même dans le contexte où une personne se voit autorisée à consommer de la marihuana, il faut référer au paragraphe f de l’article 5 de ce nouveau règlement pour mesurer la portée que donne les autorités fédérales à cette permission. Le nouveau règlement précise que la déclaration du demandeur doit comporter :
"f) la mention qu’il sait qu’aucun avis de conformité n’a été délivré en vertu du Règlement sur les aliments et drogues quant à l’innocuité ou l’efficacité de la marihuana comme drogue, et comprend les implications de ce fait.»
[27] Me Stéphane Larouche poursuit en rapportant ce qui est indiqué au sujet de l’avis de conformité et réfère aux énoncés de Santé Canada inscrits dans la décision du 9 octobre 2001, décision accordant au travailleur l’autorisation de consommer de la marihuana et d’en cultiver les plants. Il continue en ces termes :
« On peut retenir que Santé Canada précise que la marihuana n’est pas une «drogue». Or, la Loi sur les aliments et drogues définit le mot «drogue» comme suit :
"drogue" Sont compris parmi les drogues les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir :
a) au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain ou les animaux;
Il faut conclure que la marihuana ne peut être considérée comme utile au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain. Sinon, il y aurait un avis de conformité émis au niveau de la marihuana par Santé Canada.
En somme, on ne peut prétendre que Santé Canada, par l’exemption accordée au travailleur en vertu de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, a reconnu cette substance comme étant un médicament. Au contraire, le législateur prend la peine de préciser au demandeur que l’innocuité de la substance n’est pas reconnue.
En comparaison, le Marinol est approuvé en tant que produit thérapeutique au sens de la Loi sur les aliments et drogues. C’est pourquoi la CSST a remboursé ce médicament reconnu comme tel. Cette reconnaissance par la Loi sur les aliments et drogues est une condition essentielle. En effet, tant qu’un produit n’a pas obtenu cette reconnaissance, ses vertus thérapeutiques ne sont pas encore certaines. »
[28] Me Stéphane Larouche réfère à nouveau au site Internet de Santé Canada pour s’attarder à la position de cet organisme sur la valeur thérapeutique et l’efficacité de la marihuana fumée. Il souligne que les données sur cette valeur thérapeutique sont uniquement anecdotiques et qu’il n’y a aucun pays au monde qui a approuvé la marihuana comme médicament. Il précise que les études scientifiques quant à l’innocuité et l’efficacité de cette drogue à des fins thérapeutiques ne sont pas concluantes. De plus, d'ajouter Me Larouche, il y a des risques associés à l’utilisation de la marihuana, particulièrement lorsqu’elle est fumée. Il termine comme suit :
« Bref, de tout ceci, nous pensons que si la loi fédérale et ses règlements viennent dire que la marihuana n’a pas fait l’objet d’une approbation sous la Loi sur les aliments et drogues et que l’innocuité de la marihuana n’a pas été démontrée, on ne peut pas dire que c’est un médicament reconnu au Canada.
La Loi sur la pharmacie du Québec doit se lire dans le contexte de cette législation fédérale. Si une loi fédérale prend la peine de confirmer qu’un produit n’est pas reconnu valable comme traitement d’une maladie, on ne peut pas du même souffle prétendre que la même substance est utile à un traitement sous une loi provinciale. D’ailleurs les mots «pouvant être employés» de la Loi sur la pharmacie montre bien que la reconnaissance comme «traitement valable» se fait ailleurs que dans cette loi.
Interpréter le paragraphe 3 de l’article 189 de la LATMP comme autorisant le remboursement de la marihuana irait donc à l’encontre de la position fédérale. Or, le travailleur invoque une autorisation fournie par le gouvernement fédéral. Pourtant, ce même gouvernement, dans sa sphère de compétence, explicite son refus de reconnaître cette substance comme ayant une valeur thérapeutique dans un traitement.
L’article 189 de la LATMP ne doit pas servir de foyer expérimental pouvant conduire à la reconnaissance d’une substance au terme de la Loi sur les aliments et drogues. C’est plutôt la Loi sur les aliments et drogues qui, de par toute l’expertise de Santé Canada, doit conditionner le champ d’application de l’article 189 de la LATMP. »
[29] Concernant la question de la production de marihuana, Me Stéphane Larouche indique que cette demande est impossible à satisfaire. Il s’exprime comme suit :
« Le paragraphe 3 de l’article 189 de la LATMP ne couvre pas le coût de production d’un médicament (achat d’équipement, installation d’équipement, électricité pour en faire la production, etc.). Ce paragraphe ne vise évidemment que le coût d’achat du médicament. Une telle demande d’assumer les coûts de production d’un médicament n’est aucunement rattachée au texte du paragraphe 3 de l’article 189 de la LATMP.
Ces coûts ne peuvent non plus être considérés comme des aides à la thérapie au sens du paragraphe 5 de l’article 189 de la LATMP. Notre politique entend par cette expression couvrir les aides techniques complémentaires à un traitement et destinées à diminuer la douleur ou stimuler le processus de guérison ou à contrôler l’œdème ou à améliorer la fonction comme les neuro-stimulateurs transcutanés (T.E.N.S.) ou les neuro-stimulateurs épiduraux et intra thalamiques ou les masqueurs d’acouphènes et les autres aides à la thérapie dont la liste apparaît au Règlement sur l’assistance médicale. Les équipements de production de marihuana ne pourraient donc figurer à l’annexe 2 du règlement sur l’assistance médicale parce qu’ils ne correspondent pas à une aide à la thérapie dans leur définition.
Il ne faut pas oublier que l’article 189 est limitatif (l’assistance médicale consiste en ce qui suit). La jurisprudence de la CLP est d’ailleurs à cet effet. Une interprétation restrictive s’impose donc en vertu des règles d’interprétation des lois. Le remboursement des coûts des équipements de production n’est manifestement pas couvert par un paragraphe de l’article 189 de la LATMP. Ainsi, même si Santé Canada autorisait demain matin la consommation de marihuana pour tous, cela ne nous donnerait aucune autorisation législative claire pour accorder le remboursement des coûts des équipements de production. Une modification de la LATMP serait donc nécessaire à notre avis. »
[53] Devant la Commission des lésions professionnelles siégeant cette fois en révision, le procureur de la CSST a déposé un cahier contenant les documents suivants :
« 1. 189 LATMP - libellé antérieur au 1er octobre 1992;
2. Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales, DORS 2001-277,
Art. 7 e) aucun avis de conformité n'est accordé;
3. Loi réglementant certaines substances, drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, (extraits) :
Art. 2 «trafic»;
Art. 55(1) et 56;
Annexe II - Cannabis;
4. Règlements sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (extraits);
Partie C - avis de conformité
5. Loi sur les aliments et drogues, LRC, (1985, ch. F-27 (extraits);
Art. 2 a) : «drogue»;
6. Loi sur la pharmacie L.R.Q., c. P-10;
Art. 1) : «médicament»;
Art. 17 (2) : Il s'agit d'un «médicament reconnu»
Art. 37.1 :Catégories de médicaments
Règlement sur les conditions et modalités de vente des médicaments, R.R.Q. c. P-10, R-8.2 :
Art. 7 La loi provinciale s'applique sous réserve des lois fédérales
Annexe 1 paragraphe introductif : art. 7 vise le cannabis-marihuana »
[54] Il a également déposé une abondante jurisprudence sur la question de l'interprétation des dispositions relatives à l'assistance médicale et sur le sens du mot médicament.
[55] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de la documentation soumise et de la jurisprudence déposée.
[56] Malgré l'analyse qu'elle a faite de l'ensemble de ces documents, de l'argumentation des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles considère, après s'y être livrée, qu'il s'agit d'un exercice qui relève de l'analyse qui doit être faite lors de la décision initiale et de la compétence du premier commissaire. Force est cependant de rappeler que la Commission des lésions professionnelles ne siège pas ici en appel de la décision du 3 février 2003 et que le recours en révision ou en révocation n'a pas pour but de permettre à une partie de bonifier sa preuve et son argumentation.
[57] Conformément aux principes qui sont énoncés dans la jurisprudence précitée de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (CALP), de la Commission des lésions professionnelles et que l'on retrouve, récemment réitérés, aux décisions récentes de la Cour d'appel du Québec, ce n'est en effet qu'en présence d'une erreur manifeste et déterminante équivalant, en l'espèce, à une interprétation manifestement erronée du droit applicable qu'il y aurait ouverture à la révision prévue à l'article 429.56, une telle ouverture amenant alors un second décideur à réapprécier la preuve et à interpréter, d'une façon possiblement différente, le droit applicable.
[58] Or, en l'espèce, une lecture de la décision démontre que la première commissaire a bien analysé la question en litige en fonction des paramètres prévus à la loi et plus particulièrement ceux que l'on retrouve au titre de l'assistance médicale prévue au chapitre V de la LATMP.
[59] Plus précisément, la disposition applicable est contenue au troisième alinéa de cet article qui se lit en conséquence comme suit :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[60] La première commissaire analyse cette disposition à la lumière des articles 1 , 188 , 194 et 351 de la LATMP :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
__________
1985, c. 6, a. 194.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
__________
1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[61] Après avoir procédé à cette analyse, la première commissaire conclut au paragraphe 43 de sa décision que la marihuana doit être considérée comme un médicament au sens de l'article 189.
[62] Elle motive cette conclusion comme suit :
« [37] À ce stade de l'analyse, la Commission des lésions professionnelles désire revenir sur la définition du terme « médicament », tel que nous l’enseignent les dictionnaires et les autres sources de référence. À la lecture des définitions aux dictionnaires, la Commission des lésions professionnelles constate que le terme « médicament » fait appel à une description très large. Il est question de toute substance ou composition représentant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines. Il est aussi question de toute substance active employée pour prévenir ou traiter une affection ou une manifestation morbide. On parle de drogue, de médicament, de potion ou encore de remède. La Loi sur la pharmacie définit également le médicament en référant à toute substance ou mélange de substances pouvant être employé, entre autres, à l’atténuation des symptômes d’une maladie. Quant à la Loi sur les aliments et drogues, c'est le mot « drogue » qu'elle définit comme substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir, entre autres, au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes. La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis que la définition des mots « médicament » et « drogue », alors que chacune de ces définitions réfère à toute substance ou mélanges de substance, est suffisamment large pour y inclure la marihuana lorsque celle-ci est prescrite à des fins médicales.
(Nous avons souligné)
[38] Il est évident, dans le cas présent, que la consommation de la marihuana vise l'atténuation de la manifestation douloureuse de la maladie. Elle a donc été prescrite à des fins médicales et le but recherché s’apparente à celui d’une médication conventionnelle pour laquelle le médicament fera partie de la liste reconnue et sera distribué en pharmacie. La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l'argument de la CSST voulant que la marihuana ne soit pas un médicament et qu’en conséquence, il soit impossible de considérer cette substance aux fins de l’application de l’article 189 de la LATMP.
(Nous avons souligné)
[39] D’abord, la Commission des lésions professionnelles ne peut faire fi du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, mis en œuvre sur recommandation du ministre de la Santé et en vertu du paragraphe 55 (1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, lequel est entré en vigueur le 30 juillet 2001, comme étant une ouverture, par les autorités compétentes, à considérer la marihuana comme un moyen thérapeutique visant, entre autres, l’atténuation de phénomènes indésirables et récalcitrants découlant d’une maladie, dont la douleur chronique fait partie. Que la marihuana ne soit pas encore homologuée aux fins de la Loi sur les aliments et drogues ne change en rien la nouvelle vision qui se dessine par le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales. À cet effet, la Commission des lésions professionnelles cite le passage contenu dans le communiqué relatif à la déclaration du ministre de la santé, Monsieur Allan Rock, du 4 juillet 2001:
« L'annonce d'aujourd'hui est une étape importante dans nos efforts continus pour assurer aux Canadiennes et aux Canadiens atteints de maladies graves et débilitantes une source de marijuana à des fins médicales, a révélé le ministre Rock. Cette mesure humanitaire améliorera la qualité de vie des malades, en particulier ceux qui se trouvent en phase terminale. »
[40] La Commission des lésions professionnelles est aussi d'avis que le fait que la marihuana ne soit pas disponible en pharmacie ne change pas non plus cette nouvelle vision de Santé Canada. Il s’agit là tout au plus d’un problème d’accessibilité que le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales contourne actuellement en permettant la culture de plants de marihuana. Quant au fait que la marihuana soit une drogue illicite au Canada, ce règlement en atténue la portée en créant, pour certaines personnes, des conditions d’exemption relatives à sa possession, tant chez soi que sur soi, et à sa culture.
[41] Concernant maintenant le fait qu’il n’existe aucun avis de conformité délivré en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et son règlement quant à l’innocuité ou l’efficacité de la marihuana à des fins thérapeutiques, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir cet état de fait comme étant suffisant pour fermer le présent débat. En effet, quoiqu’il n’y ait pas aujourd'hui d’avis de conformité, le médecin ayant charge du travailleur et les spécialistes consultés estiment que le recours à la marihuana a des effets positifs pour le travailleur, quant au soulagement de sa douleur chronique. Cela est d'autant plus vrai que celui-ci en a testé les effets par le passé en se procurant cette substance malgré les interdits légaux. De plus, la Commission des lésions professionnelles estime, quoique les études scientifiques ne soient pas encore concluantes sur cette question d’efficacité et d’innocuité de la marihuana, que le fait pour Santé Canada d’en permettre la consommation à des fins médicales milite beaucoup plus, dans la situation actuelle de la recherche, en faveur de l’existence de certains effets bénéfiques, dont l’atténuation des douleurs. D'ailleurs, il existe un organisme appelé Bureau de l'accès médical au cannabis qui coordonne la recherche sur la sécurité et l'efficacité de la marihuana à des fins thérapeutiques. C'est donc dire tout le sérieux accordé à cette nouvelle perspective par Santé Canada. Ce n'est donc pas parce qu'il n'existe pas encore d'avis de conformité qu'il faille, tel que le suggère le représentant de la CSST, ne pas considérer la marihuana comme utile à l'atténuation de la manifestation douloureuse découlant d'une maladie. Si tel était le cas, Santé Canada n'aurait pas prévu d'exemption en regard de cette substance.
(Nous avons souligné)
[42] En ce qui a trait aux risques associés à la consommation de la marihuana, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne s’agit pas là, non plus, d’un argument valable pour fermer le présent débat. À partir du moment où le travailleur est mis au courant des risques, tel que l’exige le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, et qu’il en accepte les conséquences, celui-ci ne se retrouve pas nécessairement dans une position plus néfaste que celle qu’il vit en regard d’une médication massive. La Commission des lésions professionnelles estime que le jugement du médecin prévaut en la matière et que ce dernier, en recommandant l’accès à la consommation de la marihuana, en a apprécié l’impact par rapport à la situation globale du travailleur. À cet effet, la Commission des lésions professionnelles réfère à la preuve médicale montrant que le travailleur présente beaucoup de problèmes digestifs avec la prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens. Quant à l'effet nocif, la Commission des lésions professionnelles constate que le docteur François Gagnon a évalué la dépendance du travailleur pour la marihuana et qu'il a conclu que cette dépendance était inexistante.
[43] La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis, dans la mesure où la marihuana est prescrite et qu'elle fait l'objet d'une exemption à des fins médicales par Santé Canada, que celle-ci se doit d'être considérée comme un médicament en application de l'article 189 de la LATMP. Bien entendu, il ne saurait être question de tenir un tel discours en l'absence de cette exemption. Nous ne serions d'ailleurs pas en train d'en débattre.
(Nous avons souligné)
[44] La Commission des lésions professionnelles partage donc le point de vue élaboré par le représentant du travailleur quant au fait de reconnaître la marihuana comme médicament aux fins de l’application de l’article 189 (3) de la loi, malgré qu'elle ne le soit pas en regard de la Loi sur les aliments et drogues. Le contexte de la loi disposant des lésions professionnelles est particulier en ce qu’il prévoit que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état, et ce, dans un contexte où tout doit être fait pour atténuer les conséquences de sa lésion professionnelle. Or, les médecins s'entendent pour dire que c’est par le biais de la consommation de la marihuana que l’on pourra, dans le cas présent, atténuer la douleur chronique. D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles remarque que ni la CSST ni l’employeur n’ont contesté ce traitement préconisé par le médecin ayant charge, alors qu’ils auraient pu le faire en recourant à la procédure au Bureau d’évaluation médicale (BEM) sous l’item de la nature des soins, conformément à l’article 212 de la LATMP libellé comme suit :
(Nous avons souligné)
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[45] La Commission des lésions professionnelles est par ailleurs d'accord avec le représentant de la CSST pour dire que l'article 189 de la LATMP ne doit pas servir de foyer expérimental pouvant conduire à la reconnaissance d'une substance aux termes de la Loi sur les aliments et drogues. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles estime que le fait de donner suite à l'exemption accordée par Santé Canada quant à la marihuana, exemption qui tient compte de la recommandation du médecin ayant charge du travailleur, ne conduira pas inévitablement à la crainte soulevée par le représentant de la CSST. La LATMP a un champ d'application strict, lequel vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires. C'est en regard de l'impact sur cet objectif qu'il faut examiner le présent débat.
(Nous avons souligné)
[46] La Commission des lésions professionnelles rendait récemment une décision[6] reconnaissant l'application de l'article 189 de la LATMP pour une question d'aliments naturels. Les passages pertinents se lisent comme suit:
« […]
[32] Par ailleurs, le tribunal juge opportun d’analyser les prétentions de la CSST en regard du produit MSM. La CSST plaide, à l’audience, qu'étant un produit naturel, le MSM n'est pas couvert par le 3e alinéa de l'article 189 de la loi qui ne s’applique qu’aux médicaments et autres produits pharmaceutiques. Le tribunal est d'avis, avec respect, que tel n'est pas le cas. Rappelons que la loi ne définit pas l’expression "médicaments et autres produits pharmaceutiques", il faut donc s’en reporter au sens usuel de ces mots. D’une part, le dictionnaire indique qu'un médicament est une "substance ou préparation administrée en vue d’établir un diagnostic médical, de traiter ou de prévenir une maladie, ou de restaurer, corriger, modifier des fonctions organiques."
[33] D’autre part, la Loi sur la pharmacie5 définit le terme «médicament» de la façon suivante:
1. Dans la présente loi et dans les règlements adoptés sous son autorité, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les termes suivants signifient:
[…]
h) "médicament": toute substance ou mélange de substances pouvant être employé:
i). au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique ou psychique anormal, ou de leurs symptômes, chez l'homme ou chez les animaux; ou
ii. en vue de restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques chez l'homme ou chez les animaux;
[…]
[34] Par ailleurs, certaines décisions dans la jurisprudence en matière d’assurance, de transport ou de déontologie professionnelle ont interprété les termes "médicament" et "produit pharmaceutique" dans le cadre de différentes actions. Par exemple, dans une affaire où un contrat d'assurances prévoyait le remboursement de médicaments obtenus sur ordonnance d'un médecin, la Cour du Québec6 a décidé qu'un substitut de lait pour nourrisson, étant une formule à la fois thérapeutique ou alimentaire, doit être considéré comme un médicament au sens de la Loi sur la pharmacie. Dans une autre affaire7, où il était question de permis de transport de produits pharmaceutiques, la Cour supérieure du Québec a décidé que la gomme à mâcher édulcorée au sorbitol et au xylitol, ayant des vertus prophylactiques, constitue un produit pharmaceutique. La Cour indique que l'expression produit pharmaceutique s’applique à une quantité de produits ayant un usage non essentiellement thérapeutique mais orienté vers le corps humain en général, qu'il s'agisse d'hygiène, d'apparence ou de soins plus sophistiqués. En outre, des vitamines ont été considérées comme des médicaments8 au sens de la Loi sur la pharmacie.
[35] Ainsi, à la lumière des différentes définitions des dictionnaires s’appliquant aux termes "médicaments" et "autres produits pharmaceutiques" et en s’inspirant de la jurisprudence citée, le tribunal estime contrairement aux prétentions de la CSST que le produit MSM pourrait être considéré comme un médicament ou autre produit pharmaceutique au sens de l'article 189 de la loi. Toutefois, puisque la preuve n’a pas démontré, tel qu’exprimé plus tôt, que le produit MSN est requis en raison de la lésion professionnelle, le tribunal s’en tient à la conclusion selon laquelle la travailleuse n’a pas droit au remboursement du produit.
______________
5Petit Larousse illustré 1999, Larousse - Bordas, 1998, Paris p. 639
6Grenon c. Mutuelle d'assurance, [1989] R.R.A. 199
7 Transport Gilles Lemieux Inc. c. P.G. du Québec, C.S. Québec 200-36-00028-83, 200-36-000029-83, 14 novembre 1985, J. Bienvenue
8 R. c. General Nutrition Canada ltd, C.S.P. Montréal, 500-27-005421-799, 23 octobre 1980, J. Mierzwinski
[…] »
[63] Force est pour la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de constater, à la lecture des paragraphes qui précèdent, que la première commissaire a analysé tous les arguments qui lui ont été soumis et ce à la lumière des dispositions de la loi. L'interprétation qu'elle fait de ces dispositions n'est cependant manifestement pas à la satisfaction de la CSST requérante.
[64] Cependant, il n'appartient pas au commissaire soussigné de s'immiscer dans le processus décisionnel de la première commissaire et de substituer son interprétation du droit à celle retenue après une démarche jugée correcte et exempte de vices de fond.
[65] Ainsi, relativement à la conclusion à l'effet que le terme médicament utilisé dans l'article 189permet d'inclure la marihuana et ce, particulièrement dans le cas du travailleur, force est de conclure que la première commissaire a agi à l'intérieur de sa compétence et qu'il n'y a pas lieu de réviser cet élément de la décision.
[66] Qu'en est-il de la question du remboursement des coûts?
[67] Encore là, la première commissaire explique rationnellement les motifs qui sous-tendent la décision.
[68] Elle précise, au paragraphe 49 de sa décision qu'il n'y a pas lieu de s'en tenir à une interprétation restrictive au paragraphe 3 de l'article 189 et conclut, à la lumière de l'ensemble des dispositions de la loi, qu'il faut inclure, aux fins de la reconnaissance de l'assistance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de marihuana comme s'il s'agissait du coût d'achat du produit fini directement à un centre reconnu.
[69] Certes, il s'agit là d'une interprétation large et libérale des dispositions de l'article 189. Est-elle manifestement erronée et s'agit-il là d'une erreur manifeste et déterminante équivalant à un vice de fond de nature à invalider la décision?
[70] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis qu'il n'y a pas, dans cette interprétation, présence d'une erreur manifeste et déterminante équivalant à un tel vice de fond.
[71] Confrontée à une problématique nouvelle et à l'absence d'une jurisprudence qui aurait pu tracer des balises applicables spécifiquement au cas sous espèce, la première commissaire interprète la loi de manière à donner plein effet à sa conclusion initiale quant à l'inclusion de la marihuana dans la notion de médicament auquel il est fait référence au paragraphe 3 de l'article 189 et dont la loi ne donne pas la définition.
[72] Certes, comme le soutient la CSST, tant dans son argumentation initiale que dans celle soumise en révision, l'article 189 décrit de manière exhaustive ce qui doit être considéré comme étant une assistance médicale.
[73] Cependant, à partir du moment où la première commissaire conclut, à l'intérieur de sa compétence, que l'usage de marihuana prescrite au travailleur rencontre la notion de médicament prévue au paragraphe 3 de l'article 189, force lui est de conclure comme elle le fait aux paragraphes 48 et 49 de sa décision.
« [48] ... Il est donc clair qu’à partir du moment où le travailleur bénéficie d’une assistance médicale, celle-ci doit être à la charge de la CSST. Ce qui est particulier dans le cas présent c’est que les coûts visés ne se rattachent pas à l’achat de la médication mais bien à la production de cette médication.
[49] Pour disposer de cette question, la Commission des lésions professionnelles doit nécessairement tenir compte du fait qu’il est impossible dans le contexte légal actuel, autrement que par la culture de plants de marihuana, de se procurer cette substance. Du moins, il n'existe pas de centre de distribution accessible pour un individu demeurant en région. Il faut donc, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, ne pas s’en tenir à une interprétation restrictive de l’article 189 de la LATMP et permettre d’inclure, aux fins de la reconnaissance de l’assistance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de marihuana comme s’il s’agissait du coût d’achat du produit fini directement à un centre reconnu. Agir autrement rendrait inapplicable la conclusion à laquelle en arrive la Commission des lésions professionnelles quant à reconnaître, dans le cas présent, la marihuana à titre de médicament compris dans l’assistance médicale. Cela rendrait aussi légalement inapplicable le droit consenti par Santé Canada à la consommation de la marihuana à des fins médicales pour un travailleur accidenté du travail, alors que l'assistance médicale est à la charge de la CSST. »
[74] De l'avis de la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, la démarche décisionnelle de la première commissaire est rationnelle et cohérente, et sa conclusion, quant aux remboursements des frais ou des coûts occasionnés par l'achat ou la culture de la marihuana, s'inscrit dans un cheminement logique permettant de donner plein effet au premier élément de sa décision à l'effet que la marihuana constitue, pour le travailleur et dans le cas sous espèce, un médicament au sens de la LATMP.
[75] Devant une nouvelle réalité que n'avait certes pas prévu le législateur au moment de l'adoption de la loi, elle emprunte une voie innovatrice qui peut surprendre, voire choquer. Cependant, elle pouvait l'emprunter en interprétant la loi largement et ce, à l'intérieur de sa compétence.
[76] Finalement, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision constate que la première commissaire a identifié au paragraphe 51 de sa décision des balises auxquelles devra se conformer le travailleur afin de bénéficier des dispositions de cette décision.
[77] Ainsi, celui-ci devra fournir à la CSST les factures appropriées concernant les coûts de consommation ou d'acquisition de matériel servant à la culture des plants de marihuana afin de permettre une évaluation des coûts réalistes et ce, en suivant les critères de consommation restrictive et du nombre de plants que permet le Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales.
[78] Ce faisant, la première commissaire a respecté l'encadrement légal auquel est soumis le travailleur dans le cadre de la dérogation qui lui a été octroyée, et qu'il devra obtenir aux conditions et périodes prévues à cet effet.
[79] La CSST ne peut ne pas être d'accord avec les conclusions, auxquelles en arrive la première commissaire, sur la question du remboursement des frais de production accordé au travailleur et cette position est compréhensible de la part de l'administrateur d'un régime d'indemnisation.
[80] C'est pourquoi elle fait une autre lecture de la preuve soumise et interprète différemment les dispositions de la loi, ce qui amène le nouveau procureur de la CSST à commenter chacun des éléments de la décision et à soumettre que la première commissaire a erré généralement dans son interprétation de la loi.
[81] Celui-ci souhaite donc que la Commission des lésions professionnelles réapprécie l'ensemble des éléments de la preuve et interprète à nouveau les dispositions de la loi, de manière à conclure différemment que ne l'a fait la première commissaire.
[82] Ce n'est cependant pas par la voie de la révision prévue à l'article 429.56 de la loi que l'on peut démontrer que l'interprétation de la première commissaire est, somme toute, manifestement déraisonnable.
[83] Or, c'est ce qui semble ici être le cas alors que la CSST cherche à obtenir une nouvelle interprétation du droit à la lumière d'une argumentation qui, bien que plus développée, n'en comporte pas moins cependant les mêmes éléments que ceux initialement soumis, cela appuyé par une jurisprudence applicable au fond du litige initial.
[84] C'est un exercice auquel ne peut souscrire la Commission des lésions professionnelles qui réitère qu'il n'appartient pas au commissaire siégeant en révision de substituer son appréciation des faits et son interprétation du droit à celle de la première commissaire dont la décision s'appuie sur la preuve qui lui a été soumise, sur l'appréciation qu'elle en a faite et sur l'interprétation qu'elle a faite du droit applicable et ce, à la lumière des arguments initialement soumis par les procureurs des parties.
[85] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut conclure que cette démarche décisionnelle est entachée d'un vice de fond, de la nature d'une erreur manifeste et déterminante, qui serait de nature à invalider la décision rendue.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Claude Bérubé |
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Commissaire |
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Me Pierre Caux PROULX, MÉNARD, MILLIARD, CAUX Représentant de la partie requérante |
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Me Maurice Cloutier |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
JURISPRUDENCE CONSULTÉE PAR LA
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
Provost et Roll Up Aluminium Cie, CLP 153387-05-0012, Me Luce Boudreault, 04-05-2001;
Massicotte et 90412776 Québec inc., CLP 126222-04-9901, Me Ginette Godin, 20-06-2000;
Lehouillier et Le Groupe Lactel (Société en commandite), CLP 108375-03B-9812, Pierre Brazeau, 26-04-1999;
Russo et Pépinière Piazza & Gentile, CLP 169154-71-0109, Me Bertrand Roy, 04-12-2002;
Packwood et Dépanneur Packwood & fils enr., CLP 181381-64-0204, Me Lucie Landriault, 26-07-2002;
De Palma et Sous-vêtements U.M. inc. (Les), CLP 184651-71-0205, Me Bertrand Roy, 09-12-2002;
Collin et Abatteurs Jacques Élément (Les), CLP 149507-03B-0011, Me Geneviève Marquis, 07-03-2001;
Deschênes et Robco inc. (Division Albio), CLP 122443-73-9908, Claude André Ducharme, 25-10-2000;
Rahman et Les Vêtements Multiwear inc., CLP 151037-71-0011, Me Micheline Bélanger, 18-04-2002;
Gingras et Centre de Santé de Portneuf, CLP 119786-32-9907,Jobidon, 10-01-2001;
Gemme et Commission scolaire Mont-Fort, CLP 117053-62A-9905, Me Denis Rivard, 14-12-1999.
Barnabé et TM Composites inc., CLP 169317-07-0110, Me Marie Langlois, 09-08-2002;
Gauthier c. Pagé c. Industries Valcartier inc. (Les), [1988] R.J.Q. 650 à 659 (C.A.);
Fullum c. Atlas Turner inc., [1987] C.A.L.P. 518 à 521;
Bélanger et Centre de santé de Portneuf, C.L.P. 114272-32-9904R, 27 juin 2000, Norman Tremblay;
Chénard et Municipalité St-Gabriel-Lallemant, C.L.P. 136935-01A-0004, 4 mai 2001, Raymond Arseneau;
Painchaud et Cegep Montmorency, C.L.P. 194715-61-0211, 28 février 2003, Lucie Nadeau;
Pouliot et Gérald Robitaille et ass. Ltée, C.L.P. 165805-03B-0107, 21 mars 2002, Marielle Cusson
Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 à 741;
Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729 à 735;
Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 à 788;
Jacques et Société d'ingénierie combustion, [1987] C.A.L.P. 554 à 559;
Boudreault et Dominion Bridge inc., C.L.P. 93443-72-9712R, le 28 juin 1999, Doris Lévesque;
Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux c. Corporation Brasserie Lakeport, [1996] R.J.Q. 608 à 617 (C.A.)
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998], CLP, 733; Franchellini et Sousa, [1998], CLP, 783.
[3] Tribunal administratif du Québec c. Godin, J.E. 03-1695 (C.A.), J. Chamberland
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-011014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle
[5] Amar c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-011643-012, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle
[6] Barnabé et TM Composites inc. et CSST Outaouais, C.L.P., 169317-07-0110, M. Langlois.