Bouchard et Garage Morin St-Jean inc. |
2010 QCCLP 4620 |
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[1] Le 19 novembre 2009, monsieur Benoît Bouchard (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 19 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initialement rendue le 9 octobre 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit à l’adaptation de sa motocyclette. Par cette décision, la CSST confirme également sa décision initiale du 19 octobre 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement de l’achat d’un ordinateur.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 19 avril 2010. Le travailleur est présent et représenté. Garage Morin St-Jean inc. (l'employeur) est absent. À la suite de l’audience, un délai est accordé au travailleur pour la production de certains documents. Ces documents ont été reçus à la Commission des lésions professionnelles le 20 avril 2010, date à laquelle le dossier est mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal de reconnaître qu’il a droit au remboursement des frais d’adaptation de sa motocyclette s’élevant à 9 154,16 $. Le travailleur demande également le remboursement des frais relatifs à l’achat d’un ordinateur et ses composants s’élevant à 2 115,27 $.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe un emploi de journalier chez l'employeur lorsque le 26 septembre 2007, il subit un accident du travail lui causant une fracture du cinquième métacarpe gauche, diagnostic accepté par la CSST.
[6] Le 1er février 2008, la CSST accepte également le nouveau diagnostic de dystrophie sympathique réflexe.
[7] La lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente de 9 % telle que déterminée par le membre du Bureau d’évaluation médicale, dans son avis du 8 octobre 2008. Le membre du Bureau d’évaluation médicale recommande également les limitations fonctionnelles, soit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- marcher de façon prolongée sur surfaces dures, maximum une heure sans possibilité de repos;
- travailler de façon accroupie;
- monter fréquemment plusieurs escaliers;
- marcher en terrain accidenté ou glissant;
- travailler en position instable (échelles, échafaudages, escaliers).
[8] Le 12 novembre 2008, la CSST accepte une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation pour une dépression majeure.
[9] Le 24 mars 2009, l’avocate du travailleur transmet une demande de remboursement pour des travaux d’entretien et pour les travaux d’adaptation de la motocyclette. Dans sa lettre, elle indique clairement que les limitations fonctionnelles causées par les séquelles graves à la cheville que le travailleur a subies empêchent ce dernier d’utiliser son moyen de transport habituel, à savoir sa motocyclette. Le travailleur demande à être remboursé pour la différence du coût pour l’achat d’une motocyclette à trois roues en remplacement d’une motocyclette à deux roues.
[10] Le 14 juillet 2009, madame Evelyne Boulenaz, ergothérapeute, rédige un rapport sommaire d’évaluation qu’elle présente au conseiller en réadaptation à la CSST. Cette évaluation fait suite au mandat confié à madame Boulenaz par la CSST afin d’évaluer la possibilité d’adapter la motocyclette du travailleur. Le rapport fait également suite à la rencontre du 5 mai 2009 pour une évaluation des paramètres physiques pertinents et la vérification de l’équilibre du travailleur pour la conduite de sa motocyclette. La problématique rencontrée par le travailleur se situe au niveau de la conduite de sa motocyclette qui est le véhicule principalement utilisé pour ses déplacements.
[11] Le travailleur possède une motocyclette de modèle Vulcan Nomade 2000 de Kawasaki. Il conduit une motocyclette depuis une vingtaine d’années. Présentement, le travailleur mentionne avoir de la difficulté à maintenir sa motocyclette en équilibre lors des arrêts et sa tolérance à ce niveau est très limitée.
[12] Compte tenu de la problématique exposée et du peu de possibilités qui s’offrent pour permettre le maintien de la motocyclette en équilibre lors des arrêts, l’ergothérapeute recommande des roues stabilisatrices rétractables. Cependant, ce type d’adaptation n’est pas accepté par la Société de l’assurance automobile du Québec. Ainsi, la seule adaptation possible est celle de transformer la motocyclette à deux roues en une à trois roues. Selon l’ergothérapeute, une seule compagnie peut le faire sur le type de moto que conduit le travailleur. La modification suggérée consiste en un ensemble d’équipement qui peut être installé sur la motocyclette et qui est conçu pour garder une suspension indépendante des roues arrière. Cette adaptation est reconnue par la Société de l’assurance automobile du Québec et nécessite une inspection mécanique à la suite de son installation afin d’apposer une vignette de conformité. L’ergothérapeute soumet donc, à l’appui, une soumission pour l’adaptation recommandée.
[13] Cette soumission est effectuée le 7 juillet 2009 par la compagnie Zeel Design, service d’ingénierie et fabrication de motocyclettes et d’automobiles. Dans cette soumission, l’ensemble de trois roues implique un prix de 4 750,00 $, l’installation requiert 495,00 $ et la peinture s’ajoute au tout, au montant de 500,00 $. Le total, incluant les taxes, est de 6 484,67 $.
[14] Suivant la politique 4.7 de la CSST concernant l’adaptation du véhicule principal, les modalités d’application pour l’adaptation sont les suivantes :
Public cible : le travailleur ayant subi une atteinte permanente grave (la gravité en fonction de la perte d’autonomie voir lexique) à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle.
Énoncé de la politique :
- Pour autoriser l’adaptation du véhicule principal d’un travailleur, la Commission doit s’assurer que :
- le travailleur a subi une atteinte permanente grave;
- l’adaptation est nécessaire du fait de la lésion;
- l’adaptation constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur de conduire lui-même son véhicule ou pour lui permettre d’y avoir accès et d’en sortir de façon autonome;
- le travailleur respecte les autres conditions en application de la mesure.
Développement :
1. Évaluation des besoins
L’évaluation des besoins du travailleur est une étape essentielle, qui doit tenir compte de ce qu’est le travailleur, considérant l’atteinte permanente grave ayant résulté de la lésion. Il faut donc considérer uniquement les besoins reliés à la lésion afin d’apporter les solutions les plus efficaces.
Le conseiller en réadaptation peut, au besoin, appuyer son évaluation d’avis d’un spécialiste tels l’ergothérapeute, l’ingénieur, l’entrepreneur spécialisé ainsi que de documentation disponible sur le sujet. Dans les cas où l’adaptation excède un coût total de 300 $, l’évaluation des besoins par un spécialiste est obligatoire. De plus, certains centres de réadaptation offrent les services d’évaluation des capacités de conduite, de recommandations du type d’équipement nécessaire et d’aide à l’obtention du permis de conduire.
Lors d’une adaptation d’un véhicule pour conducteur :
- Le travailleur doit être le propriétaire ou le locataire;
- Le travailleur doit être le principal conducteur du véhicule;
- L’adaptation doit alors permettre au travailleur d’utiliser son véhicule de façon complètement autonome, c'est-à-dire d’y avoir accès et d’en sortir sans assistance, de le conduire lui-même, de façon sécuritaire et l’utiliser comme passager, si besoin est manifeste.
[…]
5. Remboursement de certains frais
La Commission acquitte :
- les frais engagés pour une évaluation professionnelle, deux estimations détaillées et une vérification mécanique;
- les frais de transport et de séjour occasionnés par l’adaptation du véhicule;
- les frais pour la main-d’œuvre et les équipements.
Équipements
- Les équipements optionnels et adaptés :
Les équipements requis afin de compenser les limitations fonctionnelles et rendre le véhicule accessible et la conduite sécuritaire;
- Les équipements optionnels :
- Lorsque le véhicule du travailleur, au moment de la lésion, n’était pas muni de ces équipements ou
- Le travailleur ne possédait pas de véhicule au moment de la lésion.
[15] À la suite de la consolidation de la lésion, le travailleur est admis en réadaptation où on lui détermine un emploi convenable d’expert en sinistres pour lequel un plan individualisé de réadaptation est mis sur pied.
[16] Dans le cadre de ce plan, le travailleur doit subir une formation en assurances de dommages offerte au Collège CDI à Laval. Il s’agit d’une formation d’une durée de 12 mois pour 840 heures effectuées selon l’horaire de soir en continu.
[17] Le travailleur débute sa formation au début du mois d’août 2009, à raison de quatre soirs par semaine, chaque cours s’échelonnant de 18 h 30 à 22 h 30.
[18] Pour se rendre au Collège CDI, le travailleur doit effectuer 2 heures 30 minutes de voyagement. La durée du trajet de retour est moins longue, puisqu’à l’extérieur des heures d’affluence, il ne prend que 45 minutes.
[19] La gestion des cours, les annulations de cours, la préparation de cours et les devoirs se font par courrier électronique. Ainsi, le travailleur reçoit, chaque soir, la mise en situation pour laquelle il doit effectuer le devoir à remettre le lendemain. La nature de la formation implique des mises en situation de dommages et le devoir consiste à faire une soumission qui doit être mise au propre et imprimée pour être remise le lendemain, au cours subséquent. Pour effectuer les soumissions, le travailleur doit vérifier la valeur des biens, valeur figurant sur les sites internet de l’autorité des marchés financiers.
[20] À la suite de la formation, le travailleur a cinq examens à passer auprès de l’autorité des marchés financiers qui lui communique les documents par télécopieur. Le travailleur s’est donc acheté un télécopieur.
[21] Suivant les informations au dossier, le Collège CDI dispose de certains ordinateurs mais pas d’imprimantes.
[22] Le travailleur témoigne à l’audience et indique qu’avec le temps, le déplacement requis pour se présenter à ses cours, il dispose de peu de temps pour accéder aux ordinateurs offerts par le Collège CDI, d’autant plus que ces derniers ne disposent pas d’une imprimante, pourtant requise pour la remise des travaux.
[23] Le travailleur a donc décidé de s’acheter un ordinateur portable pour pouvoir également l’utiliser lorsqu’il sera reçu expert en sinistres, puisqu’une grande proportion des tâches s’effectue sur la route.
[24] Depuis son acquisition d’un ordinateur, un télécopieur et une imprimante, le travailleur a accès à internet et au Code civil du Québec ainsi qu’aux sites internet requis pour établir les valeurs des dommages. De plus, le travailleur est au fait des différentes communications avec ses professeurs quant à la remise des travaux pour le lendemain.
[25] Selon le travailleur, les travaux impliquent une utilisation de l’ordinateur de trois à quatre heures par jour, en plus des cours.
[26] Pour se rendre à ses cours, son moyen de transport principal est une motocyclette qu’il utilise neuf mois par année. Le reste du temps, sa conjointe lui prête sa voiture. Depuis les 20 dernières années, la motocyclette est le moyen de transport principal du travailleur. Dans les faits, le travailleur effectue 4 000 kilomètres avec l’automobile de sa conjointe et 15 000 kilomètres avec sa motocyclette.
[27] Les limitations fonctionnelles retenues empêchent le travailleur de conduire sa motocyclette sans difficulté, puisque lorsqu’il arrête, il doit poser son pied gauche au sol pour retenir la motocyclette. Il a d’ailleurs dû faire modifier sa motocyclette. La première demande d’adaptation de son véhicule à la CSST date du 24 mars 2009. Cette demande est survenue lors d’une rencontre entre son agent, son avocate et lui-même. Lors de cette rencontre, le travailleur indique à son agent que la motocyclette a toujours été son principal moyen de transport et demande s’il est possible d’adapter sa motocyclette de façon à ce qu’il puisse l’utiliser. Son agent lui mentionne qu’une démarche en ergothérapie devra être faite, mais qu’auparavant, il évaluera la faisabilité de cette demande.
[28] Le 9 septembre 2009, le travailleur demande à son agent de la CSST pour lui faire part de la nécessité de posséder un ordinateur pour sa formation. Il dit avoir des travaux et devoir se pratiquer à la maison. Il semblerait que les professeurs du Collège CDI jugent que c’est un matériel obligatoire.
[29] La CSST fait une démarche de vérification auprès du Collège CDI qui lui mentionne que des ordinateurs sont à la disposition des étudiants pour les cours et les périodes d’accès en dehors des cours sont prévues pour les étudiants qui ne possèdent pas d’ordinateur à la maison.
[30] Le 10 septembre 2009, l’agente de la CSST communique avec le travailleur et l’informe que sa demande n’est pas acceptable et qu’elle doit appliquer la politique provinciale à cet effet. Le travailleur lui mentionne qu’il va chercher à se munir d’un ordinateur usagé puisqu’il adore sa formation et dit être dans son domaine.
[31] Le 11 septembre 2009, le directeur pédagogique du Collège CDI écrit une lettre relativement aux besoins en matériel informatique. Il y confirme que l’usage d’un ordinateur fait partie de la formation en assurances de dommages des particuliers. Des ordinateurs sont disponibles en classe pour les étudiants. Malgré qu’un ordinateur à la maison ne soit pas obligatoire, cet outil est une aide précieuse pour les étudiants.
[32] Le travailleur témoigne à l’audience et fait état des nombreuses démarches qu’il doit effectuer pour obtenir les différents documents qu’il reçoit par internet. Pour ce faire, il doit se rendre régulièrement chez sa fille et emprunter son ordinateur. Il doit ensuite effectuer ses démarches de recherche chez sa fille pour ensuite imprimer ses documents ou devoirs complétés dans un centre d’impression. Il indique qu’il est arrivé qu’il n’ait pas reçu les informations d’annulation de cours à temps et s’être rendu pour rien au Collègue CDI. Toutes les informations sont transmises par courriel ou par télécopieur.
[33] Questionné sur le choix entre un ordinateur portable et un ordinateur composé d’une tour et d’un écran et d’un clavier fixe, le travailleur dit avoir préféré l’option d’un ordinateur portable pour être à même de travailler partout dans son domicile ou à l’extérieur de son domicile. Il estime également que cet ordinateur lui sera d’une utilité lors de ses déplacements en tant qu’expert en sinistres. Le travailleur a procédé à l’achat de l’ordinateur parce qu’il craignait d’être désavantagé par rapport aux autres étudiants. Depuis cette acquisition, le travailleur se dit beaucoup moins stressé et beaucoup plus confiant de sa réussite académique à venir.
[34] Le 31 septembre 2009, le travailleur soumet des coûts pour l’achat d’un ordinateur portable et ses composants. La première soumission s’élève à 2 115,27 $, incluant les taxes. Il s’agit de la soumission la plus basse. Ces achats incluent un ordinateur portable, une valise de transport, une souris, une imprimante et télécopieur tout-en-un sans fil, un logiciel d’exploitation et un routeur.
[35] Le 7 octobre 2009, la CSST analyse la demande d’adaptation de la motocyclette déposée par le travailleur. Suivant la politique 4.07 de la CSST, le premier critère pour être éligible est d’être un travailleur ayant subi une atteinte permanente grave. La gravité est établie en fonction de la perte d’autonomie à l’intégrité physique du travailleur résultant de sa lésion professionnelle. En considérant l’atteinte permanente de 4 % et que le travailleur est présentement capable de conduire sa motocyclette sur des périodes moins longues ou moins fréquentes qu’avant, la CSST refuse de procéder à l’adaptation de sa motocyclette. Elle considère qu’une motocyclette est dans la catégorie des véhicules récréatifs et sportifs qui sont exclus de la mesure. Le travailleur demande la révision de cette décision qui est confirmée par la révision administrative le 19 novembre 2009, d’où l’objet du litige.
[36] À l’audience, le travailleur a déposé une seconde soumission de la compagnie Zeel Design, effectuée le 5 mars 2010. Suivant cette nouvelle soumission, le prix de l’ensemble est de 4 750,00 $, la peinture requise est maintenant au prix de 500,00 $ pour l’ensemble d’adaptation, les frais d’installation sont de 500,00 $, la peinture de la motocyclette est de 2 000,00 $ et le temps de démontage et de montage de la motocyclette pour la peinture s’élève à 360,00 $, pour un total, incluant les taxes, de 9 154,16 $.
[37] Lors de son témoignage, le travailleur indique à la Commission des lésions professionnelles que sa motocyclette a une couleur particulière qui n’existe plus, de sorte qu’il a dû procédé à une seconde estimation incluant la peinture de sa motocyclette et le temps de démontage et de montage de pièces en vue de la peinture, le tout en concordance avec la couleur retenue pour l’ensemble d’équipement de trio de roues. C’est dans ce contexte que s’explique la différence de prix entre l’estimation du 7 juillet 2009 et celle du 5 mars 2010.
L’AVIS DES MEMBRES
[38] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs partagent le même avis quant à l’achat de l’ordinateur portable et ses composants. Ils considèrent que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat d’un ordinateur et ses composants puisque ces outils sont nécessaires à sa réussite scolaire.
[39] Quant à l’adaptation de la motocyclette, le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur en partie puisque la motocyclette est un véhicule récréatif.
[40] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la motocyclette du travailleur est son véhicule principal au sens de l’article 155 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Selon lui, l’adaptation de ce véhicule est acceptable. Toutefois, les deux soumissions déposées par le travailleur soulèvent de sérieuses questions quant à ce qui concerne le prix de l’équipement et le prix de l’esthétisme reliés à l’ajustement de la peinture de la motocyclette à celle de l’équipement ajouté. Selon lui, ces questions demeurent et devront être éclaircies par la CSST auprès du soumissionnaire. Il est toutefois d’avis que la CSST n’a pas besoin de deux soumissions s’il est établi qu’une seule compagnie puisse faire les travaux.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[41] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût des travaux d’adaptation de sa motocyclette.
[42] L’objectif de la loi est la réparation des lésions professionnelles et leurs conséquences, tel que le prévoit l’article 1 de la loi :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
[43] Dans le présent dossier, le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique ainsi que des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle. Il a donc droit à la réadaptation comme le prévoient les dispositions de l’article 145 de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[44] Cet objectif de réadaptation et de réparation est tel que le législateur a prévu que la CSST peut prendre toutes mesures qu’elle estime utiles pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle en application de l’article 184 de la loi qui prévoit ce qui suit :
184. La Commission peut :
1° développer et soutenir les activités des personnes et des organismes qui s'occupent de réadaptation et coopérer avec eux;
2° évaluer l'efficacité des politiques, des programmes et des services de réadaptation disponibles;
3° effectuer ou faire effectuer des études et des recherches sur la réadaptation;
4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la réinsertion professionnelle du conjoint d'un travailleur décédé en raison d'une lésion professionnelle;
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
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1985, c. 6, a. 184.
[45] C’est d’ailleurs dans ce contexte que la CSST a demandé une évaluation en ergothérapie concernant l’adaptation de la motocyclette.
[46] La Commission des lésions professionnelles s’explique mal le revirement des intentions de la CSST dans le présent dossier. En effet, la CSST informe le travailleur qu’elle étudiera la faisabilité d’une telle demande dans un premier temps pour ensuite envisager l’évaluation en ergothérapie.
[47] Dans les faits, la CSST est allée au-delà du simple fait d’envisager une évaluation en ergothérapie. Elle a en effet confié le mandat à une ergothérapeute dans le but spécifique de vérifier les possibilités d’adaptation de la motocyclette du travailleur. Ce mandat constitue un aveu implicite de la CSST que l’adaptation de la motocyclette du travailleur est envisagée. La CSST peut difficilement déclarer la motocyclette de véhicule récréatif une fois l’étude d’adaptation du véhicule effectuée. Soit la motocyclette est considérée comme véhicule récréatif auquel cas aucune étude pour l’adaptation de ce véhicule n’est effectuée ou la motocyclette est considérée comme véhicule principal et une étude de faisabilité d’adaptation a lieu.
[48] La prémisse de base dans le présent dossier est que la CSST a considéré la motocyclette du travailleur comme étant son véhicule principal en conférant le mandat à l’ergothérapeute de vérifier les solutions d’adaptation de ce véhicule. Comme le rappelle la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal n’est pas lié par les politiques internes de la CSST. De toute façon, le tribunal considère que la motocyclette du travailleur est son véhicule principal suivant la preuve.
[49] Or, suivant les recommandations de l’ergothérapeute, l’adaptation de la motocyclette est nécessaire compte tenu des limitations du travailleur. Conformément au mandat qui lui est confié, l’ergothérapeute soumet deux propositions de modification à la motocyclette. La seule proposition acceptable, selon les normes de la Société de l’assurance automobile du Québec, demeure celle de transformer la motocyclette existante en une motocyclette à trois roues par le biais d’un ajout d’un ensemble adapté à cet effet. Il semble que la seule compagnie qui offre ce service soit celle pour laquelle le travailleur a soumis une première soumission en juillet 2009 et une seconde en mars 2010.
[50] En comparant les deux soumissions, le tribunal constate que le prix de l’ensemble du trio de roues demeure le même. L’installation est de cinq dollars plus cher, soit à 500,00 $. Le prix de la peinture demeure le même et est fixé à 500,00 $. Toutefois, à la soumission du 5 mars 2010, il y a ajout de frais pour la peinture de la motocyclette et pour le temps de démontage et de montage. Cet ajout est de 2 360,00 $ à la soumission initiale.
[51] Le tribunal s’interroge quant à la nécessité de tels frais qui sont reliés à l’esthétisme de la conformité de la couleur entre la moto et l’ensemble du trio de roues.
[52] L’objectif de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. Le tribunal doute fort que l’intention du législateur s’étende jusqu’à l’esthétisme de la concordance de couleur entre l’adaptation de la motocyclette par l’ajout d’un trio de roues.
[53] Toutefois, le tribunal est d’avis que l’ajout du trio de roues, compte tenu des circonstances du présent dossier, va permettre l’adaptation de la motocyclette du travailleur, véhicule principalement utilisé par ce dernier, et permettre ainsi un usage sécuritaire de son véhicule. En effet, les modifications demandées par le travailleur et telles qu’exposées par l’ajout du trio de roues recommandé par l’ergothérapeute lui permettront d’utiliser sa motocyclette de façon sécuritaire et en toute conformité avec la Loi sur l’assurance automobile[2] tout en tenant compte de sa capacité résiduelle.
[54] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST doit assumer le coût des travaux d’adaptation, soit l’ajout du trio de roues, l’installation du trio de roues et la peinture du trio de roues. Toutefois, la concordance des couleurs entre la motocyclette détenue par le travailleur et le choix de couleur du trio de roues ne doivent pas être à la charge de la CSST.
[55] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat d’un ordinateur et ses composants dans le contexte de sa formation professionnelle visant à lui permettre d’exercer l’emploi convenable d’expert en sinistres.
[56] Le droit à un programme de formation professionnelle s’inscrit également dans l’objectif de réadaptation de la loi. Ce droit ressort notamment de l’article 172 de la loi qui prévoit :
172. Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.
Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.
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1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.
[57] La mise en œuvre des mesures de réadaptation quant à leurs coûts est prévue à l’article 181 de la loi qui énonce ce qui suit :
181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.
Dans la mise en oeuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
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1985, c. 6, a. 181.
[58] De l’avis du tribunal, le travailleur a à se déplacer sur une longue distance, soit de Saint-Jean-sur-Richelieu à Laval pour suivre ses cours au Collège CDI. Il s’agit de cours qui ont lieu le soir, de sorte que le travailleur est appelé à se véhiculer dans les heures d’affluence, ce qui implique un trajet d’une durée de 2 heures 30 minutes et un trajet de retour d’une durée de 45 minutes. Suivant la preuve, il est difficile pour le travailleur d’arriver plus tôt pour utiliser les ordinateurs disponibles au Collègue CDI parce qu’ils sont soit utilisés par d’autres élèves ou non disponibles pour d’autres raisons. Par ailleurs, pour que le travailleur puisse y avoir accès, il doit se déplacer plus tôt en après-midi, ce qui implique de longues heures au Collège CDI.
[59] Par ailleurs, le travailleur reçoit des courriels et des documents par internet qui lui permettent de préparer ses devoirs pour le lendemain. Comme le travailleur n’a pas d’ordinateur à la maison, il doit se rendre chez sa fille ou dans un autre endroit pour accéder, via leur ordinateur, à certains de ces documents et les imprimer. De plus, pour finaliser ses devoirs, le travailleur doit avoir accès à certains sites internet nécessaires à l’obtention des données propres à la finalisation des devoirs qui lui sont demandés. Une fois les devoirs terminés, le travailleur doit trouver une imprimante pour imprimer ses documents. Toutes ces démarches lui entraînent des pertes de temps.
[60] Le tribunal estime que le fait de ne pas avoir un ordinateur désavantage le travailleur par rapport aux autres étudiants.
[61] Dans les faits du présent dossier et compte tenu des circonstances, le tribunal est d’avis que le remboursement du coût d’acquisition d’un ordinateur est essentiel à la réussite académique du travailleur dans son programme de formation.
[62] Le travailleur a produit, à la CSST, deux estimations des coûts d’achat d’un ordinateur dont un au montant de 2 115,27 $. Ce montant inclut l’achat d’une imprimante, d’un télécopieur sans fil, d’une souris Logitech USB, d’un ordinateur portable, d’une valise de transport, des logiciels d’exploitation et d’un routeur.
[63] Bien que l’ordinateur ne soit pas un outil essentiel pour que le travailleur puisse suivre son cours au Collège CDI, s’y on se rapporte aux propos écrits du directeur, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un outil de formation qui, dans les circonstances du présent dossier, est nécessaire puisque le travailleur habite à près de 2 heures 30 minutes de route de son lieu de formation.
[64] À cet égard, le tribunal partage le raisonnement exprimé par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Poulin et Constructions Julien Champigny[3] selon lequel le coût d’achat d’un ordinateur peut faire partie d’une mesure de réadaptation afin de permettre au travailleur de réintégrer le marché du travail.
[65] Le tribunal est donc d’avis qu’il y a lieu d’autoriser le remboursement du coût d’achat d’un ordinateur dans le présent dossier et compte tenu des circonstances spécifiques au dossier du travailleur.
[66] Toutefois, la loi prévoit que la CSST doit assumer le coût de la solution appropriée la plus économique. De ce fait, il appartient au travailleur de soumettre une estimation à la CSST afin que lui soit remboursé le coût d’achat d’un ordinateur et ses accessoires et le coût d’achat et d’installation du trio de roues pour sa motocyclette.
[67] En effet, le travailleur a soumis deux estimations pour l’achat d’un ordinateur portable et ses composants mais encore faut-il que ce soit la solution appropriée la plus économique. De même, deux estimations ont été produites quant à l’adaptation de la motocyclette mais ce sont deux estimations effectuées par la même compagnie. Il reste donc à la CSST de vérifier si le coût de la solution prévue à la première estimation est le plus économique. Dans l’éventualité où la compagnie Zeel Design est la seule et unique à procéder à ce genre d’installation de trio de roues, le tribunal considère que la soumission du 7 juillet 2009 est, à première vue, la solution appropriée la plus économique et conforme à la loi.
[68] Le tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’autoriser le remboursement du coût d’achat d’un ordinateur et d’une imprimante et ses composants.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Benoît Bouchard, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 19 novembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Benoît Bouchard a droit au remboursement du coût d’achat d’un ordinateur et ses accessoires ainsi que du coût d’achat d’une imprimante-télécopieur;
DÉCLARE que monsieur Benoît Bouchard a droit au remboursement du coût des travaux d’adaptation suivants de sa motocyclette : l’achat, l’installation et la peinture de l’ensemble de trio de roues.
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Claire Burdett |
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Me Florence Tremblay |
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Bédard, Tremblay, Bigler |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] L.R.Q., c. A-25.
[3] Ouellet et E.H. Price ltée, C.L.P. 113182-64-9902, 12 octobre 1999, F. Dion-Drapeau; Gourde et A. Veilleux Transport, C.L.P. 257811-64-0503, 6 septembre 2005, D. Martin; Poulin et Constructions Julien Champigny, C.L.P. 382685-62A-0907, 10 février 2010, L. Couture.
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