Société de transport de Laval et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2011 QCCLP 1531 |
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[1] Le 13 février 2007, la Société de Transport de Laval (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 janvier 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 24 octobre 2006 et déclare que l’employeur doit assumer le coût des prestations versées à Karine Grenier (la travailleuse) pour un accident du travail survenu le 23 septembre 2005.
[3]
La Commission des lésions professionnelles a rendu une décision[1]
le 7 avril 2009 confirmant celle du 23 janvier 2007. Elle refuse la demande de
transfert présentée par l’employeur en vertu de l’article
[4] L’employeur a demandé le 15 juin 2009 la révision judiciaire de cette décision et le 3 mai 2010 la Cour Supérieure sous la présidence de l’Honorable Michel Déziel accueille la requête en révision judiciaire[3]. Elle casse la décision du 7 avril 2009 et retourne le dossier à la Commission des lésions professionnelles pour qu’elle se prononce sur le deuxième motif invoqué par l’employeur soit la notion « obérer injustement ». Encore ici, nous reviendrons plus loin sur les motifs de ce jugement.
[5] C’est dans ce contexte que le 10 novembre 2010 à Joliette, la soussignée a entendu les représentantes des parties sur la seule partie de la décision de la Commission des lésions professionnelles qui a été révisée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La représentante de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que celui-ci est obéré injustement par l’imputation à son dossier des coûts résultant de l’accident subi par la travailleuse le 23 septembre 2005. Elle demande ainsi le transfert de ces coûts.
LA PREUVE
[7] La travailleuse est chauffeur d’autobus chez l’employeur lorsque le 23 septembre 2005 elle subit un accident du travail. À cette date, au volant de son autobus elle heurte un piéton qui surgit devant son véhicule et qui est tué sur le coup. Un diagnostic de stress post-traumatique a été reconnu par la CSST comme découlant de cet accident du travail. La lésion professionnelle a été consolidée au terme de 901 jours avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[8]
Le 2 novembre 2005, l’employeur demande à la CSST un transfert
d’imputation des coûts en vertu de l’article
[9] Comme il a été dit, la Commission des lésions professionnelles sous la plume de la juge administrative Marie Langlois, a refusé cette demande tout comme la CSST l’avait fait en révision administrative. Sans reprendre tous les motifs de la décision du tribunal, il convient de rappeler ceux qui suivent aux fins de mieux comprendre le présent litige.
[10] Ainsi, la juge administrative Langlois a d’abord reconnu que l’employeur n’avait aucune responsabilité dans l’accident qui est majoritairement attribuable à un tiers. Le tribunal note que ces conclusions rejoignent celles de la CSST sur ces questions.
[11] Elle analyse par la suite s’il est injuste d’imputer le dossier de l’employeur des coûts de la lésion professionnelle et elle juge que non. Pour ce faire, elle réfère à la jurisprudence pertinente et elle conclut que l’activité même de l’employeur implique la conduite de véhicules sur le réseau routier; les risques d’accident comme celui qui est survenu font partie de ceux qu’il doit assumer.
[12] Même en concluant ainsi, la juge administrative poursuit son analyse conformément aux enseignements de la jurisprudence. Elle vérifie entre autres s’il s’agit d’une situation exceptionnelle, inhabituelle ou inusitée qui permettrait le transfert réclamé. Elle conclut que non en précisant qu’il n’y a pas lieu dans l’analyse de la demande de transfert en vertu de l’article 326 de s’interroger sur les conséquences « extrêmes » d’un accident. Il faut plutôt s’interroger sur les circonstances dans lesquelles il s’est produit. Or, en l’instance, ces circonstances sont banales et ne revêtent pas un caractère exceptionnel ou inhabituel.
[13]
Les conditions d’ouverture au transfert en vertu de l’article
[14] Concernant le jugement rendu le 3 mai 2010, la soussignée estime pertinent d’en rapporter ce qui suit.
[15] Dans un premier temps, la Cour Supérieure déclare qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission des lésions professionnelles de conclure comme elle l’a fait concernant la notion de risque inhérent; le même constat s’applique pour le caractère exceptionnel des faits.
[16] Toutefois, la Cour souligne que la Commission des lésions professionnelles a omis de se prononcer sur la deuxième situation prévue à l’article 326 à savoir si l’employeur était obéré injustement par l’imputation. Référant au libellé de cette disposition la Cour Supérieure ajoute ce qui suit :
Même si le mot injustement se retrouve dans les deux cas, il s’agit de deux situations que la CLP devait analyser. Dans le premier cas, la faute du tiers est en cause alors qu’elle ne l’est pas dans le deuxième cas.
La CLP doit donc se prononcer de façon explicite et analyser cet argument de la STL.
Il est important de rappeler que l’imputation est estimée par Madame Lise Girard, conseillère en financement CSST à la somme de 296 000 $. Il s’agit d’un montant significatif qui sera sûrement pris en considération par la CLP.
[17] Cette omission constitue un motif révisable et le dossier est retourné à la Commission des lésions professionnelles pour qu’elle se prononce sur cette seule notion soit celle d’obérer injustement.
[18] C’est dans ce contexte que la soussignée a entendu les représentations des parties à l’audience du 10 novembre 2010. Il convient de rapporter les prétentions qui y ont été soumises.
[19] Au départ, il est admis par les parties que le coût estimé de la lésion professionnelle est de 375 760 $, ce montant tenant compte des intérêts courus.
[20] À ce propos, l’employeur a fait témoigner Lise Girard qui est spécialiste en financement CSST à la STL et qui a produit un document, daté du 6 septembre 2010, dans lequel une évaluation du coût de la lésion professionnelle a été faite. Entre autres, l’impact d’un refus du transfert est détaillé.
[21] À l’audience, Lise Girard précise que l’employeur au dossier est au tarif rétrospectif et que les efforts de prévention qu’il peut instaurer dans son entreprise ont un effet direct sur ses coûts.
[22] Or, dans le cas particulier de la lésion professionnelle du 23 septembre 2005, les coûts imputés au dossier de l’employeur représentent 60 % de sa facture totale. Madame Girard précise que l’employeur n’ayant eu aucun contrôle sur la survenance de l’accident du 23 septembre 2005, il ne pouvait le prévenir et conséquemment diminuer ses coûts. L’employeur est ainsi pénalisé par cette imputation qui l’obère injustement.
[23] À titre d’arguments, la représentante de l’employeur mentionne ce qui suit.
[24]
Elle rappelle en premier lieu le libellé de l’article
[25] La représentante de l’employeur souligne que la preuve non contredite montre que plus de 60 % de la facture CSST de l’employeur est liée à un seul dossier soit celui de la travailleuse.
[26] Concernant la notion d’être obéré injustement, elle précise que l’injustice en question réfère à une situation qui n’est pas juste. De son côté, le mot obérer a trait à une situation par laquelle un individu ou en l’occurrence un employeur est affublé d’une charge monétaire ou d’une dette qui est lourde à supporter sans qu’une preuve de faillite soit requise.
[27] Or, comme il a été démontré, les coûts liés à la lésion professionnelle de la travailleuse représentent 60 % de la facture de l’employeur, ce qui prouve qu’il est obéré injustement.
[28] Les articles 326 à 330 sont par la suite discutés. La représentante de l’employeur rappelle que ces dispositions « aident un employeur » et qu’elles doivent être interprétées de manière à avoir cet effet. Elle ajoute que l’article 326 prévoit deux situations qui sont clairement identifiées par une conjonction qui oblige à les traiter séparément. Elle réfère par la suite à de la jurisprudence[4] qu’elle passe en revue.
[29] À ce propos, elle reconnaît que certaines des décisions qui sont déposées ne sont pas pertinentes au règlement du présent litige. Également, elle admet qu’une décision rendue par un banc de trois commissaires[5] a traité de la notion qui nous occupe, mais elle est d’avis que cette décision n’a pas réglé l’entièreté de la controverse jurisprudentielle.
[30] La représentante de l’employeur ajoute que les décisions qui ont été déposées et qui portent sur la notion d’obérer injustement ne traitent pas nécessairement de situations similaires à celle qui nous occupe. Elle est toutefois d’avis qu’il s’en dégage des interprétations ou des principes qui peuvent aider à régler le présent litige.
[31] De son côté, la représentante de la CSST prétend ce qui suit.
[32]
Elle souligne en premier lieu que dans la décision Bombardier
Aéronautique inc. [6] le tribunal a clairement
établi que l’injustice dont il est question à l’article
[33] Concernant les coûts engendrés par la lésion professionnelle, la représentante de la CSST admet qu’ils sont importants. Elle ajoute toutefois que l’employeur a choisi lui-même la limite des coûts qu’il assumerait en vertu du régime rétrospectif qui le régit. Il faut ainsi présumer qu’il est capable d’assumer cette limite. Il n’y a aucune injustice à appliquer à une situation donnée les règles d’un régime de financement.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[34] La Commission des lésions professionnelles doit décider si en l’espèce l’employeur est obéré injustement par l’imputation des coûts liés à la lésion professionnelle subie le 23 septembre 2005 par la travailleuse.
[35]
L’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[nos soulignements]
[36] Il convient de rappeler que le premier paragraphe de cette disposition est clair : le coût des prestations liées à un accident du travail est imputé au dossier de l’employeur où l’accident survient.
[37] Toutefois, il y a des exceptions à cette règle si l’employeur prouve qu’il rencontre l’une ou l’autre des situations prévues au deuxième paragraphe; les coûts pourront être transférés à l’ensemble des employeurs.
[38] De l’avis de la soussignée, un tel transfert constitue une exception et il ne doit pas être décidé à la légère, même si comme pour toutes les autres dispositions de la loi, le tribunal doit chercher à donner un effet à l’article 326.
[39] Également, s’il est vrai que l’article 351 prévoit que les décisions à être rendues en vertu de la loi doivent être prises en équité, cette équité vaut pour toutes les parties en cause et elle n’est pas en soi un motif. Le tribunal n’écarte pas l’équité, mais cette notion ne dispense pas une partie de prouver de manière probante pourquoi le tribunal lui donnerait raison.
[40] Il est maintenant utile de rappeler comment les exceptions prévues au deuxième paragraphe de l’article 326 ont été interprétées par le tribunal.
[41] La première exception soit celle qui nous occupe prévoit le cas où un accident du travail est attribuable à un tiers. L’employeur doit alors prouver la participation majoritaire de ce tiers dans la survenance de la lésion professionnelle; il doit également prouver l’injustice que son dossier soit imputé des coûts. C’est l’analyse qui a été faite en l’espèce et qui a abouti au rejet de la demande de transfert.
[42] Dans la deuxième exception, un employeur peut prouver qu’il est obéré injustement par la survenance d’une maladie intercurrente ou encore par des délais d’attente imposés à un travailleur pour subir une chirurgie. Il s’agit d’exemples qui ont permis de conclure que l’employeur est obéré injustement des coûts engendrés par la lésion. Les propos de la juge administrative Racine sont à ce sujet pertinents alors qu’elle discute de l’interprétation de l’article 326 et de ses exceptions :
[…] En fait, le législateur énonce, en termes généraux, une des façons dont l’employeur peut se voir décharger des coûts et il laisse aux décideurs le soin d’apprécier les circonstances propres à chacun des cas portés à leur attention et de déterminer si celles-ci correspondent aux termes employés dans cet article.
[43]
On le voit, il y a des situations qui permettent de donner un effet aux
exceptions prévues à l’article
[44] Cela étant dit, rappelons que la jurisprudence majoritaire du tribunal établit que la notion d’injustice prévue à l’une ou l’autre des situations de l’article 326 s’interprète de la même façon[7]. Or, cette façon est bien résumée dans les propos suivants tirés de l’affaire Ministère des Transports et la soussignée n’a aucun motif de s’en écarter :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de
l’article
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[45] Au risque de se répéter, dans la présente affaire il a été décidé de manière finale qu’il n’était pas injuste en regard du premier cas prévu à l’article 326 (responsabilité du tiers) d’imputer le dossier de l’employeur. On pourrait penser que cela met fin au débat puisque comme il a été dit, l’interprétation de la notion d’injustice est la même pour l’une ou l’autre des situations prévues à l’article 326.
[46] Or, la Cour Supérieure a ordonné à la Commission des lésions professionnelles de décider si l’employeur était obéré injustement en lui demandant entre autres de prendre en considération la somme qui est imputée au dossier de l’employeur et qui était estimée alors à 296 000 $. Comme le juge l’écrit, il s’agit d’un montant significatif.
[47] Dans le cadre précis de ce jugement, la Commission des lésions professionnelles se penchera donc sur cette question de savoir si l’employeur est obéré injustement en gardant en tête le coût estimé pour l’employeur.
[48] L’interprétation des termes « obéré injustement » est donc au cœur du présent litige. La jurisprudence du tribunal a évolué avec le temps concernant l’interprétation de ces termes. Cette évolution est rapportée dans l’affaire Compagnie A et F…L…[8], et il convient de rapporter ce qui suit de cette décision :
[9] Les termes « obérer injustement » ont fait l’objet de plusieurs interprétations depuis l’introduction de ce concept dans la loi.
[10] Ainsi, la Commission d’appel en matière de lésions
professionnelles préconise d’abord une interprétation restrictive de ceux-ci.
Elle exige alors une preuve de situation financière précaire ou de lourde
charge financière pour que l’employeur puisse bénéficier du transfert des coûts
prévu au second alinéa de l’article
[11] Toutefois, cette notion évolue vers une interprétation plus libérale où, dorénavant, « toute somme qui ne doit pas pour une question de justice être imputée à l’employeur, l’obère injustement »3.
[12] Cependant, cette interprétation ne fait pas l’unanimité.
Entre autres, dans l’affaire Cegelec Entreprises (1991) ltée et la CSST4, le Tribunal, sans exiger une preuve de faillite ou de situation
financière précaire, juge tout de même que l’article
[13] Enfin, dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des transports du Québec5, la Commission des lésions professionnelles tente de réconcilier ces courants en proposant une troisième avenue. Elle détermine que, pour obtenir un transfert des coûts au motif qu’il est obéré injustement, « l’employeur a le fardeau de démontrer une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter » et « une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause ».
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2 Voir à ce sujet : Standard Paper Box
Canada inc. et Picard, C.A.L.P.
3 C. S. Brooks Canada inc., C.L.P.
4 C.L.P.
5 C.L.P.
[49] Après avoir ainsi analysé l’évolution de la jurisprudence, la juge administratif conclut ainsi :
[14] Après avoir considéré les différents courants
jurisprudentiels, la soussignée est d’avis qu’imposer à l’employeur une preuve
de situation financière précaire ou de lourde charge financière, pour conclure
qu’il est obéré injustement au sens de l’article
[15] Il faut toutefois se garder de généraliser et prétendre que toute lésion professionnelle générant des coûts élevés obère injustement l’employeur. L’imputation au dossier d’expérience de ce dernier doit également être injuste. Dans un tel contexte, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il assume certains coûts, mais il doit également démontrer qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances. La soussignée ne retient donc pas les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposés dans l’affaire Location Pro-Cam. Elle préfère laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce. Cette interprétation est certes imparfaite; elle n’impose pas de recette miracle, mais elle permet d’apprécier chaque cas à son mérite.
[50] On le voit, l’interprétation de la notion d’obérer injustement fait l’objet de différents courants jurisprudentiels. Toutefois, en l’espèce cela ne change rien à la décision qui doit être rendue.
[51] En effet, dans la présente affaire l’injustice alléguée se rapporte principalement sinon exclusivement au montant même qui est imputé au dossier de l’employeur et conséquemment au pourcentage de la facture globale qu’il représente. En effet, la représentante de l’employeur n’a pas soulevé un autre type d’injustice.
[52] Or, la soussignée est d’avis que l’application des règles d’un régime de financement ne peut constituer une injustice. Ce n’est d’ailleurs pas ce que prétend l’employeur. Également, il n’y a aucune allégation de sa part que la CSST ait mal appliqué en l’espèce les règles habituelles du régime créant ainsi une erreur ou une injustice.
[53] Ainsi, il est difficile de conclure que l’employeur est obéré injustement alors que cette injustice résulterait de la simple application des règles du régime de financement qui s’applique à lui. Comme le rappelait la représentante de la CSST, l’employeur a choisi délibérément certains paramètres pour régir les coûts engendrés par les réclamations de ses travailleurs à la CSST et il ne prétend pas qu’ils ont été dépassés en l’espèce. L’employeur trouve que les coûts dans le présent dossier sont significatifs et qu’ils représentent une part importante de sa facture globale. Nous pouvons convenir de cela. Toutefois, il n’y a aucune preuve qu’il ne peut les assumer ou encore qu’ils résultent d’une application erronée des règles du régime.
[54] À ce sujet, la jurisprudence[9] du tribunal a plus d’une fois précisé que les coûts engendrés par une lésion, aussi importants soient-ils, ne constituent pas une injustice pour un employeur qui doit ainsi voir son dossier imputé de ces sommes.
[55]
Décider autrement reviendrait à passer outre à la règle générale prévue
à l’article
[56] La représentante de l’employeur a aussi fait valoir que refuser le transfert reviendrait à anéantir les efforts de l’employeur pour prévenir les accidents du travail et conséquemment ses coûts à la CSST. En effet, il ne pouvait d’aucune façon prévenir l’accident qui est la responsabilité d’un tiers.
[57] Le tribunal ne peut retenir cet argument. En effet, dans l’affaire Ministère des transports il est reconnu que cette question de la prévention ou encore du contrôle n’a pas à être prise en compte quand vient le temps de décider de l’injustice d’une situation[10].
[58] En terminant, il y a lieu de commenter la jurisprudence soumise par la représentante de l’employeur.
[59] Le tribunal ne s’attarde pas sur les décisions qui ont été produites, mais pour lesquelles la représentante de l’employeur a reconnu qu’elles ne sont pas pertinentes à la résolution du présent litige[11].
[60] Par ailleurs, certaines décisions déposées traitent de circonstances exceptionnelles, inusitées ou inhabituelles qui ont permis d’accueillir les demandes de transfert des employeurs.
[61] Par exemple dans l’affaire Les Entreprises Raymond Robillard inc.[12] le transfert a été accordé en regard d’une infraction au Code de la sécurité routière qui a causé le décès d’un travailleur. Les circonstances exceptionnelles de ce dossier ont permis de conclure que l’employeur était obéré injustement.
[62]
Or, comme il a été dit, ce type de circonstances est absent du présent dossier
c’est du moins dans ce sens que la juge administrative Langlois a décidé. En
conséquence, la jurisprudence qui réfère à ces notions de circonstances
exceptionnelles ou inhabituelles[13] est peu utile pour régler
le présent litige. Et ce, même si dans ces décisions la notion d’obérer
injustement a été discutée. En aucun cas, la Commission des lésions
professionnelles a alors reconnu que la simple imputation d’un montant au
dossier d’un employeur, aussi élevé soit-il, peut permettre un transfert en
vertu de l’article
[63] La représentante de l’employeur a souligné que la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports n’a pas réglé entièrement une controverse jurisprudentielle. Elle cite entre autres des décisions qui vont même à l’encontre de l’interprétation retenue dans cette affaire concernant l’article 326[14].
[64] La soussignée, à ce propos, retient que la jurisprudence majoritaire du tribunal adopte l’interprétation retenue par le banc de trois dans l’affaire Ministère des transports. Elle pourrait bien sûr s’en écarter si elle avait des motifs pour le faire, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a donc pas lieu de discuter autrement de cet argument.
[65] Le tribunal est d’avis que la requête de l’employeur doit être rejetée parce qu’il y a absence de preuve probante que celui-ci est obéré injustement par l’imputation des coûts de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 septembre 2005.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la Société de Transport de Laval, l’employeur;
CONFIRME pour d’autres motifs la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 janvier 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer le coût de la lésion professionnelle subie par Karine Grenier, la travailleuse, le 23 septembre 2005.
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Luce Morissette |
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Me Lise Boily-Monfette |
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Deveau, Bourgeois, Associés |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Annick Marcoux |
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Vigneault, Thibodeau, Giard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Société de Transport de Laval, C.L.P.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Société de Transport de Laval, requête en révision judiciaire accueillie, 705-17-003049-093, j. Déziel.
[4] Entreprises Raymond Robillard inc., C.L.P.
[5] Ministère des Transports et CSST, précitée note 4.
[6] C.L.P. 374974-64-0904, 18 décembre 2010, M. Montplaisir.
[7] Voir entre autres : Centre de santé et de services
sociaux de Rivière-du-Loup, C.L.P.
[8] Compagnie A et F …L…, C.L.P.
[9]
Voir
notamment : Hôpital d’Youville de Sherbrooke et Lincourt, C.L.P.
[10] Ministère des transports, précité note 4.
[11] Il s’agit des décisions suivantes : Division Golden International, C.L.P.
[12] Entreprises Raymond
Robillard inc., C.L.P.
[13] Le tribunal réfère aux décisions suivantes : Boisclair & Fils inc., C.L.P.
[14] Le tribunal réfère aux décisions suivantes : Ministère des Transports, C.L.P.
AVIS :
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appel; la consultation
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