CHUQ (Pavillon St-François d'Assise SSST) |
2011 QCCLP 855 |
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[1] Le 22 février 2010, (l’employeur), C.H.U.Q. (Pav. St-François d’Assise-Ssst), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 février 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 3 décembre 2009 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Katy Sirois (la travailleuse), le 3 février 2009.
[3] Une audience a lieu à Québec le 15 octobre 2010 en présence d’une représentante de l’employeur assistée d’un avocat. L’affaire est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit à un partage d’imputation du coût des prestations en
vertu de l’article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
l’employeur a droit à un partage d’imputation des coûts en vertu de l’article
[6]
L’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[7] Pour obtenir un partage de coûts, l’employeur doit démontrer que la travailleuse était déjà handicapée lorsque s’est manifestée la lésion.
[8]
Le législateur ne définit pas dans la loi ce qu’est un handicap.
Aujourd’hui, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est constante quant à la signification de cette expression. Le travailleur déjà
handicapé au sens de l’article
[9]
Il ressort de cette définition que, pour bénéficier du partage de coûts
prévu à l’article
[10] Selon la jurisprudence, une telle déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion. Cette déficience n’a pas besoin de s’être manifestée ou d’être connue ni même d’avoir affecté la capacité de travail ou personnelle du travailleur avant la manifestation de la lésion[3].
[11] Puis, l’employeur doit démontrer que la déficience a joué un rôle déterminant dans la production de la lésion ou sur ses conséquences. À cet égard, la jurisprudence[4] a établi certains critères permettant d’apprécier la relation entre la déficience et la production de la lésion ou ses conséquences. Les critères généralement retenus sont les suivants : la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial de la lésion professionnelle, l’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur, la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle, la durée de la période de consolidation compte tenu de la nature de la lésion professionnelle et la gravité des conséquences de la lésion professionnelle.
[12] Aucun de ces critères n’est à lui seul déterminant, mais pris ensemble, ils permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur[5].
[13] La preuve démontre que la travailleuse occupe l’emploi de préposée aux bénéficiaires pour l’employeur depuis le mois d’octobre 2007. Le 3 février 2009, alors qu’elle est âgée de 29 ans, elle subit un accident du travail. Elle décrit ainsi l’événement dans la réclamation qu’elle soumet à la CSST :
En accompagnant une dame qui revenait des toilettes, celle-ci s’est assise à côté de sa chaise et en voulant la soutenir par sa culotte et glissé une jambe sous celle-ci pour éviter la chute. J’ai redonner une poussée pour asseoir la pte dans sa chaise et j’ai senti une douleur au dos. [sic]
[14] Au formulaire d’« Avis de l’employeur et demande de remboursement », il est précisé qu’en rattrapant la patiente pour l’empêcher de tomber, elle a fait un faux mouvement ce qui entraîné une douleur au bas du dos.
[15] Le 4 février 2009, la travailleuse consulte le docteur Turcot qui retient le diagnostic d’entorse lombaire. Il prescrit l’application de glace, des médicaments anti-inflammatoires et des traitements de physiothérapie. Il recommande un arrêt de travail.
[16] Puis, lors des consultations médicales subséquentes, le diagnostic d’entorse lombaire est maintenu ainsi que la poursuite du traitement conservateur.
[17] Le 18 février 2009, la travailleuse est examinée par le docteur Léger, à la demande de l’employeur. Celui-ci retient que la travailleuse mesure cinq pieds deux pouces et « fait 258 livres à la pesée », ce qui correspond à une obésité considérable avec déconditionnement évident de la paroi musculaire. Il est d’avis que la travailleuse présente une entorse lombaire qui n’est pas encore consolidée.
[18] À compter du 2 mars 2009, le docteur Turcot autorise l’assignation temporaire et des traitements d’ergothérapie sont recommandés.
[19] Le 8 avril 2009, la travailleuse passe un examen par tomodensitométrie qui s’avère normale. Le radiologiste note que l’examen est un peu dégradé étant donné la corpulence de la travailleuse.
[20] Le 1er mai 2009, le docteur Dumas recommande un nouvel arrêt de travail jusqu’au 25 mai.
[21] Le 28 mai 2009, la travailleuse est examinée par le chirurgien orthopédiste Boivin, à la demande de l’employeur. Il mentionne comme antécédent que la travailleuse a subi une entorse lombaire au travail le 22 juillet 2008, consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il rapporte également qu’elle a subi une autre entorse lombaire au travail le 20 novembre 2008 consolidée le 15 décembre 2008, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[22] La travailleuse lui mentionne mesurer cinq pieds trois pouces et peser 210 livres. Selon le docteur Boivin, la travailleuse a un important excès pondéral. Il est d’avis que l’entorse lombaire est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[23] Dans le cadre du rapport complémentaire, la docteure Paquin indique que la travailleuse est en rémission partielle d’une entorse lombaire et qu’elle demeure avec des séquelles douloureuses, mais sans limitation fonctionnelle. Elle recommande un retour progressif au travail, puis un retour au travail régulier, à partir du 19 juillet.
[24] Le 20 juillet 2009, la travailleuse est examinée par le chirurgien orthopédiste Cloutier, membre du Bureau d’évaluation médicale. Il indique que la travailleuse mesure cinq pieds trois pouces et pèse 210 livres. Il retient que l’entorse dorsolombaire est consolidée sans nécessité de soins ni traitements additionnels et sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[25]
Le 25 août 2009, le docteur Desrochers rend une opinion sur dossier sur
la question du partage de coûts en vertu de l’article
[26]
Le 1er octobre 2009, l’employeur dépose à la CSST une demande d’imputation des coûts en vertu de l’article
[27]
La CSST retient que la travailleuse pèse cinq pieds et trois pouces pour
un poids de 210 livres, ce qui représente un indice de masse corporel de 37,3.
Elle précise que la durée de consolidation a été de 167 jours dont 61 jours ont
été indemnisés puisque la travailleuse a été en assignation temporaire. Elle
conclut qu’il ne s’agit pas d’un handicap au sens de l’article
[28] La représentante de l’employeur témoigne à l’audience. Elle déclare qu’elle est conseillère en gestion médico-administrative et qu’elle a personnellement demandé au docteur Léger de peser et mesurer la travailleuse aux fins de l’expertise qu’il a complétée.
[29] La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve prépondérante que, au moment de l’événement, la travailleuse mesure cinq pieds deux pouces et pèse 258 livres, ce qui représente un indice de masse corporel de 47.2. Il s’agit donc d’une obésité qualifiée de morbide, de classe III. Elle correspond à un excès de poids de 100 livres.
[30] La Commission des lésions professionnelles considère qu’il s’agit d’une altération d’une structure physiologique qui correspond à une déviation de la norme biomédicale. En effet, selon les renseignements diffusés par la Chaire de recherche sur l’obésité de l’Université Laval[6], en fonction des données publiées par Statistique Canada pour l’année 2004, le taux de prévalence de l’obésité de classe III est de 3,8 %, chez les femmes. Ainsi, l’obésité de la travailleuse constitue une déficience préexistante à la lésion.
[31] Il reste à déterminer si cette déficience a joué un rôle déterminant sur la survenance de la lésion ou sur ces conséquences.
[32] La preuve soumise ne démontre pas que l’obésité a joué un rôle déterminant sur la survenance de la lésion. Notamment, ce n’est pas ce que retient le docteur Desrochers qui produit une opinion sur dossier au soutien de la demande de partage de coûts de l’employeur.
[33] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles considère que l’événement, soit le fait d’effectuer un faux mouvement du rachis lombaire au moment de retenir une patiente pour l’empêcher de tomber, est suffisant en soi pour entraîner une entorse lombaire.
[34] Par contre, il ressort de l’expertise du docteur Desrochers et de la littérature médicale[7] soumise par l’employeur qu’une surcharge pondérale aussi importante que celle dont est atteinte la travailleuse augmente le risque d’aggravation des lombalgies mineures et de chronicisation. De plus, le déconditionnement des muscles abdominaux joue un rôle important dans le traitement des lombalgies simples.
[35] Le docteur Desrochers retient qu’une entorse lombaire se consolide normalement dans un délai maximal de cinq semaines, soit 35 jours.
[36] Or, dans le cas présent, la période de consolidation de la lésion professionnelle s’est étendue sur une période de 167 jours. Cependant, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut tenir compte également du fait que la travailleuse a été en assignation temporaire pour une période de 106 jours, puisqu’en matière de partage d’imputation il s’agit de mesurer et d’apprécier l’impact du handicap sur les coûts relatifs à la lésion. Le fait que la travailleuse ait été en mesure d’effectuer des travaux légers pendant 106 jours démontre que l’impact du handicap est moindre que ne le prétend l’employeur sur les coûts de la consolidation de la lésion.
[37] Cependant, il demeure tout de même que la travailleuse a été indemnisée pour une période de 61 jours, ce qui est presque le double de la période de consolidation normale de 35 jours pour un diagnostic d’entorse lombaire. Ainsi, le tribunal conclut que le handicap a joué un rôle déterminant sur les conséquences de la lésion, mais qu’il faut pondérer la demande de l’employeur.
[38] À plusieurs reprises dans le passé, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de la période d’assignation temporaire pour pondérer la proportion du partage de coûts demandé[8].
[39] Ainsi, en utilisant les ratios prévus à la politique de la CSST précitée, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il serait équitable d’imputer à l’employeur un pourcentage de coûts dans une proportion de 55 % au dossier de l’employeur et de 45 % à l’ensemble des employeurs.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête du C.H.U.Q. (Pav. St-François d’Assise-Ssst) l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 février 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé des coûts de la lésion professionnelle subie par madame Katy Roy, la travailleuse, le 3 février 2009, dans une proportion de 55 % à l’employeur et de 45 % à l’ensemble des employeurs.
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Monique Lamarre |
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Me Charles Michaud |
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HEENAN BLAIKIE |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST,
[3] Voir notamment Municipalité Petite-Rivière
St-François et CSST, précitée note 3; Pneu National Chomedey inc.,
C.L.P.
[4] Précitée note 3.
[5] Hôpital général de Montréal,
[6]
Les chiffres de l’obésité les statistiques du Canada, http//Obesite.ULaval.ca/obesite/generalites/
prevacenc.php
[7] Francis DERRIENNIC, Lombalgies en milieu
professionnel : quels facteurs de risque et quelle prévention?, coll. « Expertise
collective », Paris, INSERM, 2000;
R. SHIRI et al.,
« The Association between Obesity and Low Back Pain : A
Meta-Analysis », (2010) 171 American Journal of Epidemiology, pp.
135-154; (http//aje.oxfordjournals.org/cgi/content/short/171/2
135?rss=1); 2001; T. S. HAN et al., « The
Prevalence of Low Back Pain and Associations with Body Fatness, Fat
Distribution and Height », (1997) 21 International Journal of Obesity
and Related Metabolic Disorders, pp. 600-607; Eric R. GOZNA, Lignes
directrices en matière de diagnostic et de traitement des lombalgies,
Document préparé pour la Commission de la santé, de la sécurité et de
l'indemnisation des accidents au travail du Nouveau-Brunswick, 2001.
[8] C.S.S.S. de l’Énergie, C.L.P.
AVIS :
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